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dimanche 6 janvier 2013

Jean Friot, héros français et belge (1)


Naître aux Rivières, à Guénouvry, "succursale" de Guémené, au printemps 1893 ; vivre dans une famille nombreuse, les parents journaliers ; puis à son tour, débuter dans la vie en exerçant probablement ce métier, sans gloire particulière : cela n'est pas rien, même si ce n'est pas grand-chose me direz-vous.

Et puis la guerre, à cheval, au 15ème Régiment de Chasseurs : quitter le pays, quitter la France à 20 ans.

Pour toujours. 

Mourir sur un terril d'une balle dans le dos, le seul de son groupe, seul. Quitter la vie à 20 ans.

Parce que le cheval n'a pas voulu sauter un ruisseau salvateur et qu'on n'a pas eu de chance.

La chance (ce qui "tombe", si l'on en croit la racine latine du mot) : être le premier mort de Guémené de la Guerre de 14, et sans doute la première victime de ce conflit constatée à Courcelles, près de Charleroi, province belge du Hainaut.

Et là, mort (c'est-à-dire : plus rien, le néant), on devient un symbole, un tout ; on a droit à des monuments, des rues et des avenues, des commémorations.

Ainsi en est-il allé de Jean Friot, héros malgré lui dans un coin de France et dans un coin de Belgique.


Voilà un moment que je médite un article sur l'Avenue Jean Friot de Guémené. Mais je n'ai pas réussi encore à traduire en mots l'angle de présentation que je veux retenir.

Et puis tout à coup hier, je reçois un mail d'un monsieur inconnu, Jean-Marie Aubry, un citoyen belge au parcours remarquable qui met sa passion de l'histoire, ses recherches personnelles sur la Guerre de 14, au service des autres et qui me communique des informations, des documents et des références nouvelles, qui me conduisent à ce premier article, différent de celui que j'imaginais.

Ainsi aujourd'hui, je vais fournir une relation des dernières actions qui entourèrent la vie et donc la mort de l'enfant des Rivières en Guénouvry. 

En fait, on ne trouve rien dans la documentation qui pourrait a priori contenir des informations utiles : Journal de Marche et des Opérations du 15ème Régiment de chasseurs à cheval (1) ou Historique de ce régiment, document anonyme publié après le conflit (2).

En revanche, Jean-Marie Aubry m'a signalé l'existence d'une plaquette datant de 1930 consacrée à l'histoire de la ville de Courcelles décrivant l'épisode. Et en poursuivant mes recherches sur le Net, j'ai même trouvé sur un blog une narration littéraire inspirée de la fin de Jean Friot (3).

Je publie donc ci-après les lignes tirées de l'histoire locale de Courcelles et la photo de Jean Friot (transmise par mon aimable correspondant belge) qui figure en médaillon sur le monument commémoratif de...Courcelles.


L'action se situe donc le 22 août 1914, en banlieue Nord-Ouest de Charleroi, dans un petit périmètre de communes où se trouve un mélange de campagne et de paysages industriels (mines, terrils, industrie du verre, glacerie) et urbain.


Extrait de l’Histoire de Courcelles par Elie Lemal, Directeur des Travaux et des Régies de la Commune de Courcelles, 1930.



Le samedi 22 août 1914, très tôt, les premières troupes allemandes traversèrent notre commune, se dirigeant sur Marchienne-au-Pont.

Des chasseurs français, à cheval, patrouillant sur le territoire de la commune de Roux, eurent leur retraite coupée. Cachés dans la ruelle du cimetière, les soldats français, profitant d'un espace vide entre deux colonnes allemandes, traversèrent la route provinciale de Courcelles à Marchiennes et se lancèrent à fond de train dans la rue du Camp de Castiau.

Mais, derrière eux, une poursuite sauvage s'organisa rapidement. Malheureusement les Français rencontrèrent le ruisseau Plomcot, que beaucoup de chevaux hésitèrent à franchir. Puis ils durent escalader le terril de l'ancienne glacerie de Roux. 

Pendant ce temps, les Allemands étaient arrivés en grand nombre sur les hauteurs du camp de Castiau et une grêle de balles s'abattit sur les fuyards. Trois d'entre eux franchirent le terril sans encombre et disparurent vers Sart-lez-Moulin, en suivant la rue des Boulouffes. Un autre suivit le chemin de fer de raccordement du puits numéro 4 et put gagner Forrière. 

Des minutes émouvantes furent vécues par les spectateurs de cette escarmouche. Un cavalier français, arrivé au terril, dut, à plusieurs reprises, descendre de son cheval, celui-ci ne voulant plus avancer. Enfin, il repartit au petit galop. Il était temps! Au moment où il franchissait la rue de l'Estacade, 4 fantassins allemands, arrivés sur le terril, tirèrent sur le fuyard, distant d'eux de 80 mètres. Par une chance miraculeuse, il ne fut pas atteint et disparut bientôt dans la vallée séparant le chemin des Boulouffes et la rue Royale. En remontant cette vallée, son cheval s'écroula mort, une balle l'avait transpercé de part en part. Dans un sublime effort de l'agonie il sauva son cavalier ; celui-ci put, alors, gagner la rue de Forrière à pied.

A un certain moment, on put voir deux chevaux sans cavalier galoper sur le terril, puis, effrayés par la fusillade, ils s'enfuirent vers la station de Courcelles-Centre, en suivant le chemin de fer. Un de ces chevaux se laissa prendre par un civil qui, le ramenant vers Forrière, put le remettre au soldat français qui avait eu le sien tué. Où se trouvaient les deux cavaliers ?

On apprit plus tard qu'un de ces soldats, dont le cheval n'avait pas voulu franchir la rivière, s’était caché dans un buisson environnant. Les poursuivants ne l'avaient pas aperçu et il avait pu gagner le hameau de Hubes, où il fut hébergé pendant quelque temps. 

Malheureusement, l'autre cavalier était couché, sans vie, sur le terril. Une balle l'avait atteint dans le dos et était sortie par la poitrine. Il avait 20 ans, s'appelait Jean Friot, appartenant au régiment de chasseurs à cheval. Il était originaire du village de Rivières, proche de Nantes, où il était en garnison.

Les Allemands prirent sa carabine, mais lui laissèrent son porte-monnaie et sa montre. Un peu plus tard, un maréchal des logis de son régiment vint relever son identité. Le lendemain Jean Friot fut enterré au cimetière de Courcelles. Il fut transféré ensuite au cimetière de Gozée. Il repose maintenant au pays natal, ses parents ayant réclamé ses restes, après la guerre.



(1) http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/jmo/img-viewer/26_N_891_003/viewer.html

(2) http://www.pages14-18.com/B_PAGES_HISTOIRE/HISTORIQUES_FRANCAIS/CAVALERIE/CHASSEURS/RC015_Histo.pdf

(3)https://bigsisterski.wordpress.com/2010/10/31/la-moisson-de-marie-3/

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