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dimanche 27 juillet 2014

Les premiers comices agricoles (partie 2)


Mais à quoi pouvait bien ressembler un comice agricole dans nos régions vers 1840 ? 

Pour s’en faire une idée – assez précise -, deux textes sont disponibles, tous deux issus du Breton, journal nantais du deuxième quart du XIXè siècle.

Le premier article évoque le comice départemental de Loire-Inférieure qui s’est tenu à Nantes en 1843. Son principal intérêt réside dans le profil des bénéficiaires des différentes primes ainsi – et surtout – que dans la motivation et la nature de ces dernières.

La première salve de prix concerne les agriculteurs dans le « concours pour la culture améliorée » ; la seconde, les valets de fermes qui disposent d’un palmarès spécifique.

Les trois agriculteurs primés sont tous des métayers du département. Le plus valeureux a ainsi « défriché 16 ha de landes et doublé sa culture de céréales ; par sa culture de plantes fourragères, il a doublé son cheptel et est passé à une race non locale ».

Son dauphin (élève de l’école de Grand Jouan à Nozay) « a fait produire des récoltes à une terre jusque là non productive » et tient une comptabilité digne « d’une maison de commerce ». le suivant, enfin, s’est lancé dans des travaux d’irrigation dans ses prairies.

Comme il se doit dans la philosophie des comices, les prix offerts participent concrètement à l’amélioration de l’exploitation des vainqueurs. Ils se voit décerner, en effet, « un fort beau taureau, une araire et une faux, une araire de plus petit modèle avec une baratte mécanique propre à obtenir le beurre en quelque minutes ».

Quant au valets de ferme, ils sont récompensés pour des raisons moins évidentes : il semble que ce soit souvent en raison de leur fidélité à leur patron (on insiste sur leur ancienneté chez le même maître). 

Mais on signale également l'implication dans l’amélioration de l’exploitation où ils sont affectés ; ou bien encore, pour un autre valet – un aide agricole à l’école de Grand Jouan - on mentionne qu'on peut lui confier de l’argent pour acquérir des bestiaux…

Les valets de fermes ont visiblement vocation à le rester : inutile de leur donner des prix sous forme de bestiaux ou d’outils agricoles dont, sans terre, ils n’auraient que faire. Ils reçoivent donc des objets de valeur (montres en or ou en argent, timbales en argent avec, gravés, leur nom et leur prénom) ou de l’argent.

D’autres concours suivent avec également des prix : concours de charrues ; concours de bestiaux (génisses, taureaux). Pour ceux-ci, les lots sont des instruments agricoles (tarares, charrues de divers modèles, coupe-racines,… ) et des animaux de race.



Pour assaisonner ces remises de prix, le préfet y va à chaque fois de son petit encouragement.


Venons-en maintenant à un comice cantonal, qui sera celui de Nozay en 1844 où, probablement, on avait pris un peu d’avance sur les cantons environnants. Néanmoins, cela donne une bonne idée de ce que sans doute
, vers 1850, les cantons voisins, dont celui de Guémené, ne tardèrent pas à connaître également.

Ce comice est une grosse fête ponctuée de nombreux événements.

Les trois « patrons » de ce comice cantonal sont : M. de la Haye-Jousselin, député de l’arrondissement de Chateaubriand et maire de Derval ; M. Rieffel, directeur de l’école de Grand Jouan à Nozay et l’inspecteur agricole M. Derotrie : que du lourd !

Nous sommes début septembre, autour de l’hippodrome de Nozay.

Tout commence par le concours de charrues. Huit concurrents sont en lice : sept avec des charrues perfectionnées (« attestant les progrès entrepris et la ferme volonté de sortir de la vieille ornière ») ; un avec une araire ancien modèle « dans la supériorité de laquelle il avait pleine et entière confiance ».

Il y a donc un vrai match entre Anciens et Modernes. Inutile de dire qu’au terme de l’épreuve, l’Ancien a été désabusé – ainsi que ses partisans - par la victoire de l’école de Grand Jouan et donc de la science agronomique.

Puis on passe aux Concours de bestiaux : poulains, pouliches, taureaux, génisses, béliers et enfin verrats.

Dans cette dernière catégorie, c’est un prof’ de Grand Jouan, Gustave Heuzé, qui emporte le prix avec un animal « d’une beauté remarquable », de race anglaise et âgé de six mois, mais pesant déjà 96 kg.

Hélas ! Saisi probablement par l’émotion de cette victoire, ce beau jeune cochon vira soudain du rose au cramoisi, « frappé d’apoplexie sur le champ même du concours »…Mon dieu, c’est trop injuste, Brigitte Bardot où es-tu !

On passe ensuite au concours de culture pour lequel aucune précision n’est fournie.

Comme on se trouve sur un hippodrome, il serait dommage de n’en pas tirer parti. On en vient donc aux joutes hippiques dont le programme est copieux et diversifié.

On commence par une course de galop entre chevaux du pays « en partie liée » (le vainqueur est désigné au vu du résultat de deux épreuves consécutives). Cippe fut vainqueur au premier tour et distancé au second. Vinaigre, son concurrent, a couru seul la seconde épreuve (et d’ailleurs, il gagna haut la main…).

Puis vient la deuxième course de galop entre chevaux de toutes provenances, et puis une troisième, entre chevaux du pays (« en partie liée »). S’ensuit une course de trot (deux tours d’hippodrome), « en partie liée » également, avec quatre partants.

On note que la seconde épreuve de trot est revenue à 
Trotteuse, une jument près de mettre bas.

Retour au galop pour une course pour chevaux de tous âges et de toutes provenances : une seule partante (elle a toutefois réussi à faire le tour dans le temps maximum réglementaire. Bravo !).

On continue par un prix de consolation (huit chevaux du pays) : 10 francs aux quatre premiers. On enchaîne par une course au trot "en tilbury" (trot attelé, finalement) réunissant deux partants pour deux tours d’hippodrome.


Enfin, tant attendue, la course « de barrières » ; trois participants ; une lutte acharnée…

Après toutes ces émotions hippiques (onze courses, si j'ai bien compté !), il est temps de passer à autre chose.


Car la journée avance et la fête ne serait pas complète sans le banquet, présidé par M. de la Haye-Jousselin et dressé pour deux cents couverts sous une tente dans une prairie.

Ensuite, une fois la panse bien remplie, on va pouvoir se secouer la couenne : à huit heures en effet, un orchestre 
« bien composé » fait sonner ses instruments pour un bal dans un salon, avec les élégants et les élégantes du coin. Deux autres bals sont organisés par ailleurs dans la ville pour le reste du populo.

Mais le point final des festivités ne surviendra que le lendemain avec le tirage d’
une loterie au profit des pauvres…qui ne peuvent pas vraiment trop se plaindre d'avoir attendu un peu leur tour, puisqu'au moins cette année 1844 on a pensé à eux ! 

En effet, l’année précédente, le lendemain du comice, les pauvres avaient dû se contenter de regarder passer la chasse à courre en partance pour les forêts près de Derval : une année on régale les yeux, une année on régale les ventres...

samedi 26 juillet 2014

Les premiers comices agricoles (partie 1)


Bientôt 160 comices agricoles annuels se seront tenus à Guémené-Penfao. Quoi donc de plus naturel que d’en évoquer l’histoire, ici et dans la région.

J’ai utilisé quatre sources pour ce faire : deux articles contemporains de la naissance des comices, issus d’un journal aujourd’hui disparu (Le Breton) ; un article récent puisé au Journal de la Mée et un texte d’un universitaire, René Bourrigaud.

L’histoire commence sous le règne de Louis-Philippe.

Vers 1830 / 1840, en effet, de grands propriétaires des cantons du nord du département (Derval, Nozay, Guémené-Penfao) prirent conscience des marges de progression dont disposait l’agriculture locale évoluant dans un environnement qui se caractérisait alors par de vastes landes.

On commençait seulement à défricher ces landes et à les faire valoir avec un engrais révolutionnaire, le « noir animal », poudre d’os broyés utilisée dans les raffineries de sucre et qui leur apportait les phosphates manquants pour en faire des terres fertiles.

Plus généralement, sous l’impulsion de ces hommes, d’inspecteurs et de professeurs d’agriculture, une révolution agricole se mit en place dans nos régions : il s’agissait rien moins que de remplacer l’ancien système céréalier, avec jachères et landes importantes, par un système de polyculture intensifiée, fondé sur la traction animale et une forte main d’œuvre familiale. 

Ce nouveau modèle agricole durera plus d’un siècle, venant terminer sa course dans les années 1950 et 1960. C’est celui, qu'avec bien d'autres, j’ai vu mourir dans mon enfance.

Il semble que cette révolution n’ait guère été facile et qu’il ait fallu beaucoup de volontarisme pour introduire, à cette époque, le chou et la betterave fourragère, la charrue Dombasle ou de nouvelles races d’animaux, comme ce fut le cas sans doute dans les années 1950 / 1960,  pour imposer les vaches Frisonnes, les stabulations libres ou l’ensilage du maïs.


L’une des façons de favoriser la diffusion des idées nouvelles en matière d’agriculture furent les comices. Une ordonnance ministérielle de 1820 prescrivait aux préfets d’en créer, mais c'est en 1833 qu'est promulgué un règlement visant à les établir.

Selon des déclarations de l’époque, « il s’agissait d’instaurer de fréquents et intimes rapports entre les propriétaires et les cultivateurs et … de stimuler le rôle de tous ceux qui se livraient à l’agriculture et à l’élevage, en encourageant et propageant le perfectionnement des instruments aratoires et les meilleurs méthodes d’assolement, de mettre en commun et répandre le plus possible les connaissances acquises sur l’amélioration des races de bestiaux au moyen d’un croisement bien combiné ».

Ou encore, d’après le compte-rendu journalistique du comice départemental de 1843 : d'encourager les cultures fourragères pour augmenter le nombre et la qualité des bestiaux (bovins) ce qui permettait d’accroître les produits (viande, lait, beurre,…).

Comme on le voit, les comices étaient dotés d’une mission pédagogique et prosélytique : ils devaient vulgariser le progrès. Les prix remis aux vainqueurs des différents concours étaient d’ailleurs (à dessein) en nature (bestiaux de choix, outils modernes).

Si à leur origine, les comices se préoccupaient de toutes les productions agricoles, ils finirent par privilégier l’élevage, bovin notamment. Ils favorisèrent ainsi l’adoption de races de vaches élevées dans le sud du département (nantaises, choletaises, parthenaises), par les agriculteur du nord, vers Blain, Guémené, …Une fois maîtrisée la production fourragère pour nourrir les meilleures races bovines, les cultivateurs du nord devinrent éleveurs.


Au reste, depuis le début des années 1830, la région du nord de la Loire-Inférieure avait la chance de disposer d’une école d’agriculture fondée à Nozay par un agronome alsacien, sur un terrain de 500 ha de landes à défricher, cédé par un armateur nantais : l’école de Grandjouan dirigée par Jules Rieffel.


C’est ce dernier qui fonde, en 1835 à Nozay-même, le premier comice. Le juge de paix, Constant Hupel en est le président. Tous les maires de la région participent et font apparemment confiance à l’alsacien .























Les premiers comices de Nozay, de part la volonté même de Jules Rieffel, ne sont pas qu’un salon des plus beaux animaux, susceptible de flatter l’amour-propre des propriétaires. Ils doivent plutôt fournir une vitrine de l’ensemble de la gestion de l’exploitation agricole : façon de défricher, de labourer, de produire les bons fourrages.

A noter aussi que sur la région de Derval et Nozay, la présence de M. de la Haye-Jousselin, grand propriétaire terrien, maire de Derval et député de l’arrondissement de Chateaubriand, pèse favorablement sur le développement des nouvelles méthodes agricoles.


Mais dans le canton de Guémené, quoique Julien de la Haye-Jousselin y possède des terres, il n’est apparemment pas à l’initiative du premier comice. En effet, celui-ci a lieu en 1842 dans le cadre du château de Juzet, sur les terres des du Halgouët.

Dans notre canton, c'est un autre personnage, également propriétaire éclairé, qui domine la scène. Il s’agit de René Heuzé (1796 – 1846), maire de Conquereuil, commune située selon l’appréciation du journal de 1843, « dans ce canton qui a longtemps été l’un des plus arriéré du département ».

René Heuzé habite au lieu-dit Cotidel, dans la commune qu’il administre. Il est le beau-frère de Fidèle Simon, le bien célèbre maire de Guémené, dont il a épousé la sœur Françoise. Il est également le père de Jean-Baptiste, qui fut médecin à Guémené dans la seconde moitié du XIXè siècle (notamment au moment de l’épidémie de dysenterie de 1856 qui y fit tant de victimes. Mais il n’y était vraiment pour rien…).

On apprend ainsi au détour du compte-rendu du comice départemental de 1843 que « M. Heuzé est toujours primé dans les comices du canton ». Mais ce philanthrope « renonce à ses prix au profit de cultivateurs moins aisés ». Du coup, le comice départemental crée à son intention une médaille qui récompense à la fois son désintéressement et son talent agricole.

Pourtant, en 1842, lors du premier concours du comice de Guémené, les organisateurs sont contraints de n’accorder qu’une prime de 25 francs à la vache du curé (René Daniel, - c’est le nom du curé, pas de la vache). 


Celui-ci est en effet la seule personne du canton (en dehors des grands propriétaires) à présenter une vache de grande taille du type qu’on veut encourager ! 

Trente ans plus tard, les vaches de race auront quasiment supplanté la petite race bretonne pie noire...


Il reste désormais à découvrir ce que furent concrètement ces premiers comices. C'est ce que je propose de regarder dans la seconde partie à venir de ce sujet sur les comices.

Affaire à suivre : à bientôt...

lundi 14 juillet 2014

Sainte Anne, ora pro nobis


Quand on dépouille la presse ancienne, on trouve très peu de chose à propos de la succursale orientale de Guémené que représente la section de Guénouvry. A vrai dire on n'y entend guère parler que de la fête de Sainte Anne...

La célébration de Sainte Anne, qui culmine par les cérémonies qui se tiennent sur le site de Lessaint, près Guénouvry, est ancienne. Se déroulant fin juillet, elle attirait une grande foule de Guémené et des communes environnantes, et a donné lieu à de nombreux comptes-rendus.

Voici donc l'écho de jours festifs de 1906, 1920, 1921, 1934, 1938, 1939 et 1940, puisé à différents organes : le Nationaliste de l'Ouest, Ouest-Éclair ou l'Espérance du Peuple.

La journée de célébration suit un schéma à peu près stable : en fin de matinée, grand-messe à l'église de Guénouvry (qui est une paroisse à part entière, alors), Salut au Saint Sacrement en début d'après-midi, puis procession jusqu'à la chapelle de Lessaint (2 ou 3 kilomètres !) où, enfin, on chante les vêpres. Diverses prises de paroles accompagnent plus ou moins ces différentes phases qui meublent une bonne partie de la journée.




Cette fête religieuse est également une fête tout court : elle donne par conséquent lieu, à l'instar des "pardons" de la Bretagne occidentale, à des réjouissances profanes pourvues par des forains installés autour de la chapelle : on comprend que les buvettes à cidre ne manquent pas...

Beaucoup de commentateurs s'émerveillent de la beauté du site de Lessaint associé au village du Tahun, tout proche. 

N'oublions pas enfin, qu'à l'époque, Guémené et sa région sont administrativement partie de la Bretagne.


Echo de 1906 (Nationaliste de l'Ouest) : 

Ma grand-mère Gustine avait alors 11 ans : peut-être s'y trouvait-elle...

Dans cet article, l'accent est mis sur la procession depuis l'église de Guénouvry et sur les festivités, religieuses et profanes, prenant place sur la colline de Lessaint.

L'article fait explicitement référence aux "pardons" bretons : "...fête religieuse en même temps que profane, un vrai pardon de Bretagne. Plusieurs milliers de personnes étaient venues des campagnes voisines pour honorer en ce beau lieu la bonne Mère Sainte-Anne."

On signale le rayonnement régional exceptionnel de cette fête en pointant les "...nombreux visiteurs venus de Conquereuil, de Marsac, de Vay et de Guémené, la capitale de la contrée."

La procession de l'église à la chapelle est en elle-même un exploit : "Pendant trois kilomètres, les fidèles ont récité le chapelet et chanté à leur patronne les cantiques traditionnels."

A leur arrivée, les processionnaires sont accueillis...par une fanfare : "A quatre heures, clairons et tambours annoncent l'arrivée de la procession..."

Pour finir, "le Curé de Massérac qui préside la procession, ... fait trois fois le tour de la chapelle, en chantant un cantique à Sainte-Anne de Lessaint. Le prédicateur monte sur une estrade élevée en plein air et donne de substantiels enseignements aux pèlerins".

Il est temps désormais de boire un coup et de s'amuser : " les pèlerins se dispersent sur la colline et se désaltèrent avec le cidre du pays. Ils restent quelques heures à contempler les attractions habituelles des fêtes foraines..."


Echo de 1920 (Ouest Éclair)

L'article, sobre et factuel, commence par rappeler que la fête a lieu :"entre Marsac et Guémené-Penfao, au lieu-dit Lessaint, dans un des sites les plus pittoresques de cette région, sur une colline qui tombe à pic sur la vallée du Don..."

Cette année-là, un événement particulier suscite une affluence encore plus importante que d'habitude : "M. le Curé de Guénouvry ayant eu l'heureuse idée de placer cette année au pied de la colline, sur laquelle est érigée la chapelle, dans une anfractuosité du roc, une très belle statue de l'Immaculée-Conception, le pèlerinage de dimanche dernier avait pris une ampleur inaccoutumée pour l'inauguration de cette statue."

On peut mesurer aisément l'aire d"influence de cette fête à l'examen des croix et bannières qui conduisent la procession : "A quatre heures, les paroisses de Guénouvry, de Conquereuil, de Marsac et du Gâvre, précédées de leurs bannières et de leurs croix, arrivaient processionnellement au pied de la statue..."

L'article confirme que les vêpres sont ensuite chantées devant une foule de plusieurs milliers de personnes. Celles-ci bénéficient à cette occasion d'un Salut au Saint-Sacrement et d'un sermon, avant de pouvoir vaquer...


Echo de 1921 (Ouest Éclair

Le journaliste qui couvre l'événement en cette année de naissance de ma mère (je ne crois pas qu'elle en conserve un grand souvenir personnel...), est visiblement un chantre un peu enfumé de la "bretonnitude" et il s'emballe un peu : "Élevée au sommet d'un coteau situé au bord du Don, la chapelle domine un magnifique paysage : falaise abrupte bordant le Tahun (Traon Aoun ? val de la peur), roches de schiste couvertes de lichen, collines couronnées de pins et de châtaigniers, prés et champs jetant une note claire sur l'ensemble du tableau".

Tant qu'à faire, un peu d'histoire et de philologie fantaisistes ne nuisent pas : "La construction de l'édifice semble remontée au XVIIè siècle et le nom de Liessaint pourrait être une altération de de celui des "Sept-Saints" dont le culte, si populaire en Basse-Bretagne donne lieu au fameux pèlerinage du Tro-Breizh (Tour de Bretagne)." Ben voyons...

Et comme si cela ne suffisait pas à bien marquer les choses, le barde d'Ouest Éclair ajoute : "En tout cas, les bretons du Pays Nantais, dans leur pèlerinage au sanctuaire de Sainte-Anne de Guénouvry suivent les traditions de leurs frères du Pays de Léon et de Trégor et accomplissent pieusement les mêmes dévotions."

Plus on avance dans le temps, plus la liste des paroisses environnantes participantes s'allonge : "A la procession prennent part...des délégations de fidèles de Guémené, Conquereuil, Pierric, Massérac, Guénouvry, Marsac, le Gâvre, Nozay, etc."

Telle une grosse chenille, la procession chemine : "Partant du Tahun, elle suit les lacis d'un sentier qui gravit la colline au milieu des bruyères..."

Notre journaliste en profite pour filer son délire bretonnant, en indiquant que la procession atteint "un placître établi au-dessous d'une reproduction de la grotte de Lourdes". Un placître est en fait la partie herbeuse dans les murs d'un enclos paroissial breton, alors que l'endroit qualifié de tel n'est qu'un espace en sous-bois à flanc de colline, au pied d'une petite falaise rocheuse...






















Le chant des vêpres, un sermon par M. l'Abbé Landais, vicaire de Nozay, puis le chant du "Credo" en l'honneur de Sainte Anne terminent la cérémonie religieuse.

Notre ami de la Bretagne, rassuré après cette belle journée de fête, ainsi de conclure : "on sent que ce coin de terre de Bretagne, si semblable aux ravissants paysages qu'on découvre des Monts d'Arrhée, garde fidèlement le culte de l'antique patronne de l'Arvor." J'allais le dire...


Echos des années 30

Dans ces années-là, les choses se gâtent. Un article de 1934, paru dans l'Espérance du Peuple fournit une relation circonstanciée des événements, mais surtout le résumé d'un sermon qui se fait l'écho du malaise de cette période. 

Tout commence comme souvent par un un peu d'histoire (approximative) : "La dévotion à Sainte Anne est très ancienne à Lessaint... Elle remonterait au XIIIe siècle, ou peut-être même au XIe..., dominant la vallée du Don, se dresse la chapelle actuelle, vieille de deux siècles environ, qui a remplacé d'autres chapelles tombées en ruines au cours des âges..."

Et de peinture bucolique des lieux :  "...Les bois de pins, de chênes, de châtaigniers, qui, dans le voisinage, forment de gros bouquets de verdure et présentent à l’œil un spectacle délicieux et reposant de fraîcheur, font à cette chapelle un entourage coquet et magnifique."

On souligne aussi le rayonnement du pèlerinage par la présence massive de fidèles des communes avoisinantes : "...des pèlerins venus des paroisses voisines de Conquereuil, Marsac, Derval, Guémené, du Coudray, de Blain et au-delà, se rendaient en cars, en autos, à bicyclette ou simplement à pied vers le sanctuaire de Sainte Anne."

Puis, comme à l'accoutumé, après la messe du matin et la présentation de l'ostensoir en l'église de Guénouvry, le cortège se met en marche, truffé de membres du clergé du coin : "un cortège présidé par M. l'Abbé Paillusson, curé de Derval, et dans lequel nous avons remarqué : MM. les Curés de Guémené-Penfao, du Coudray, de Conquereuil, plusieurs vicaires et séminaristes de paroisses voisines..."

Cette procession vers le sanctuaire de Lessaint est en tous points semblable à celle décrite en 1906 : "Tandis qu'on y gravissait, sous un soleil ardent, la route abrupte qui y conduit, longue de deux kilomètres au moins, le chant des litanies de la Sainte Vierge et des cantiques en l'honneur de Sainte Anne n'ont cessé de se faire entendre."

Les pèlerins, évalués à quatre mille, sont massés au pied de la grotte en contrebas de la chapelle. C'est là que sont chantées les vêpres, suivies du sermon du Chanoine Lemoine (!), vicaire général de Nantes (donc une "huile")

Le bon père n'y va pas par quatre chemins : il faut que l'auditoire s'unisse dans ses prières pour "faire le siège de Sainte Anne" afin "qu'elle hâte la venue d'un sauveur". C'est que tout va mal : c'est la crise. 

Et le chanoine de développer : 

D'abord la crise économique qui frappe les campagnes : "...vos greniers crèvent sous le poids du blé dont personne ne veut".

En second lieu, bien sûr, la crise morale et le spectre corrélatif de désordres sociaux effrayants : "Maintenant beaucoup de gens vivent avec l'unique souci du corps et des biens terrestres. L'âme, la vie future, ils ne s'en préoccupent pas... N'est-ce pas pour cela que s'est formée l'armée des "damnés de la terre" prête à marcher à l'assaut de ceux qui possèdent parce qu'elle exige, elle aussi, sa part de biens et de bonheur ici-bas !". Mon dieu !

Ensuite, la crise nationale, fruit des "scandales les plus hideux qui ont porté atteinte à notre honneur national."

Enfin, la crise internationale : "Qui nous dit que nous ne reverront pas les sombres jours de 1914 ?"

L'orateur, s'interroge évidemment sur l'origine de tous ces désordres et apporte une réponse : "...parce qu'on a organisé le monde comme si Dieu n'existait pas." A partir de là, toute licence est rendue possible : "...Si Dieu n'est pas dans ma conscience pour m'enseigner le respect du bien et de la personne d'autrui, qui m'empêchera de voler, de supprimer ceux qui sont un obstacle à mon bien-être ?" En effet.

Mais il existe encore une solution pour remédier à ces horreurs : "...la restauration de la foi et de la morale chrétienne dans les âmes et les familles." Et le prédicateur achève "en suppliant Sainte Anne de nous rendre des mœurs pures et d'étendre dans les âmes le règne de Jésus-Christ."

Le curé de Guénouvry prend ensuite la parole pour remercier le chanoine et enfin, la foule répète l'antique rite : "...monte vers la chapelle et fait trois fois le tour de celle-ci en chantant de tout coeur et à pleine voix un cantique à Sainte Anne. Puis elle pénètre dans le sanctuaire pour invoquer une dernière fois l'aïeule vénérée de Jésus, devant son antique statue."


Nous sautons quatre années et retrouvons Ouest Éclair en 1938.

La relation des faits y est succincte. Il fait très chaud et il y a cependant beaucoup de participants.

Comme d'habitude : grand-messe le matin à Guénouvry et procession l'après-midi jusqu'à la chapelle où l'on célèbre les vêpres. Un autre chanoine y prononce "un sermon éloquent et très spirituel".

L'originalité de cette fête tient à ce qui suit, à savoir la "bénédiction d'une statue de Sainte Anne pour remplacer celle de Notre-Dame de Lourdes qui avait été brisée voilà déjà deux ans", épisode qui avait fait grand bruit dans les chaumières et les sacristies.























Singulière enfin, l'allocution du curé de Guénouvry qui conclut cette journée en "remerciant vivement les nombreux pèlerins qui avaient eu l'amabilité de se déranger pour venir en si grand nombre assister à cette bénédiction..." Les braves gens !


L'année d'après, 1939, nous sommes renseignés par "l'Echo du dimanche". C'est l'année de la guerre, bien sûr, dont nous ne sommes qu'à une petite poignée de semaines, en ce dimanche 30 juillet.

Les gens sont préoccupés : à la grand-messe du matin, la foule "demandait à la Bonne Mère de veiller sur notre pays et d'étendre sa protection à toutes les familles de Guénouvry..."

Pour couronner le tout, il ne faisait pas beau : "Après le Salut du Saint-Sacrement... la procession partit vers les coteaux de Lessaint. La pluie commençait de tomber, mais les pèlerins ne se découragèrent pas", tous entraînés qu'ils étaient par leur clergé : "M. le Doyen de Derval...récitait le chapelet. M. le Doyen de Guémené dirigeait les chants."

Arrivée à la grotte de Sainte Anne, la foule assiste aux vêpres. Hélas, il se met à pleuvoir de plus belle. Cette épreuve ne surprit pas les fidèles qui "n'oublièrent pas que la pénitence doit faire partie d'un pèlerinage et ils restèrent courageusement à prier sous l'averse."

Mais pour s'attendre à la pénitence on n'en est pas moins prévoyant de la météo : "Le R.P. Jacques commença son sermon devant une impressionnante assemblée de parapluies. Il ne voyait aucun de ses auditeurs."

A la fin, le curé de Guénouvry remercia l'orateur et les pèlerins et "les invita à faire individuellement leur visite à la modeste chapelle de Sainte Anne".

Mais bon, il faisait un temps de chien : "La foule se dispersa bien vite, passant rapidement devant les baraques des forains qui envahissaient l'esplanade." Il paraît cependant que les gens rentrèrent chez eux contents car : " du haut du Ciel, Sainte Anne les avait bénis...". Il faut peu de choses...


C'est à Ouest Éclair que revient le mot de la fin. En cet été 1940, la fête à lieu le 28 juillet : la défaite est consommée et l'Armistice est signé depuis six semaines. Que dire de plus : " La grand-messe fut célébrée à 12 heures (heure allemande)...". On ne saurait mieux dire, en effet...