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dimanche 26 mai 2013

Au Douard et à l'oeil


L'hôtel de l'Union à Beslé entre dans le système des points de repère de mon enfance. J'en garde en particulier le souvenir d'une sortie familiale, par une journée d'août de la fin des années 60 : mes parents, mes cousines, leurs parents, ma grand-mère et "Ma tante-Madeleine-qui m'a élevé".

Une video, déjà postée sur ce blog, nous montrant tous endimanchés dans les jardins de cet établissement, mon père roupillant sur la pelouse, immortalise ce moment.

J'ai dû y retourner une fois bien plus tard, ayant la vague impression d'y avoir dormi, mais je confonds peut-être avec "le Chalet", à Guémené.

Ce qui est sûr, c'est que mon passage familial n'a pas donné lieu à ce que la presse s'empare de l'événement, contrairement à l'épisode que je vous propose aujourd'hui pour lequel j'ai beaucoup emprunté à l'article de Ouest-Eclair qui relate l'histoire.


Nous sommes dans les années 30, 1933 ou 1934. Un beau jour, une belle Talbot (photo) toute rutilante s'arrête devant l'hôtel de l'Union, à Beslé.


L'homme qui la conduit sort, botté, la casquette à la main. Il va ouvrir la portière arrière de la sublime auto. Une femme élégante s'en extrait. Elle reste près du véhicule et apprécie la situation en connaisseuse. Son regard circulaire embrasse l'église de Beslé et les maisons du carrefour dont les occupants commencent à sortir, intrigués :

"- Bon d'là en v'là-t-i' du cas, 'core ! Qui ça peut ben être ?..."

La jeune femme donne le bras à un personnage plus âgé, vêtu avec recherche, une écharpe de soie blanche négligemment posée sur le col. Le régisseur chauffeur, à nouveau casquetté, s'empare des bagages et la troupe pénètre dans l'hôtel.

Madame Douard, la patronne, est accourue afin d'accueillir ces hôtes de qualité. Elle termine d'essuyer dans son tablier ses mains rougies par le labeur et prie ce brave monde de bien vouloir se donner la peine d'entrer s'il vous plait.

Madame Douard, c'est bien connu dans la région, est une bonne hôtesse. Douce, modeste, charitable, elle a conservé dans sa maison les bonnes traditions de l’hospitalité française de jadis. Aussi son établissement a-t-il acquis une juste renommée, et les voyageurs, les touristes, les amateurs de pêche à la ligne, savent que chez Madame Douard ils trouvent un excellent menu et un charmant accueil.

L'hôtelière s'enquièrent des desiderata des nouveaux venus qui lui déclarent leur intention de passer deux jours à Beslé. Madame Douard attribue sa meilleur chambre au couple et, sur la demande pressante de l'élégante cliente, une chambre assez confortable au chauffeur.

Le registre est rempli au nom de "Harmant" et les voyageurs gagnent leur chambre.

Les deux jours passent, d'autres s'ajoutent : les riches hôtes semblent prendre plaisir à leur séjour et amusent de leur présence les populations autochtones.

" - C’est une comtesse », murmure-t-on. On dit que l'mari a été blessé à la guerre, c'est pour ça qu'il est complètement sourd : un obus..."

Et en effet, quand on s'adresse à lui, M. Harmant met sa main en cornet acoustique autour de son oreille, sans que jamais on arrive à lui faire entendre quoique ce soit. Pas même la douce Madame Douard, surtout quand elle lui parle argent.

Les semaines et les mois s'écoulent. Madame Harmant vantent à l'envie les charmes du pays, la bonté de la cuisine, l'affabilité des gens. Deux fois par semaine on va à Nantes. Le reste du temps est occupé par de joyeuses parties au bord de la Vilaine, dans les délicieuses cités des alentours et surtout en forêt du Gâvre. 

Madame Harmant adore stationner longuement devant le pavillon de chasse qui s’élève à la jonction de plusieurs magnifiques allées forestières, à six kilomètres de Blain. Madame Harmant qui aime beaucoup les chevaux, rêve d’être invitée à une de ces chasses à courre, organisées au Gâvre.

Ah ! elle ferait un bien belle amazone ! Dans le fracas des sonneries de cors, au milieu des hurlements de la meute déchaînée, elle poursuivrait, à la suite des châtelaines des environs, le cerf, telle une Diane de légende, à l’hallali !

Bref la compagnie s'amuse, bientôt rejointe par deux autres membres de la famille Harmant.

A Beslé, on suit avec une curiosité respectueuse le va-et-vient de l’étrangère.

De temps à autre, l’hôtelière, inquiète, vient réclamer son dû. Mais Madame Harmant lui montre  alors des lettres de notaire, alourdies d’impressionnants cachets, dans lesquelles on parle d’un fabuleux héritage. Mais cet héritage est malheureusement discuté par des « chicaniers ». Il faut, pour le toucher, attendre la fin des procès en cours. Madame Douard, à demi rassurée, n’insiste pas trop et consent même des avances à sa cliente qui paraît si raisonnable par ailleurs : car si la « comtesse » et son entourage savent apprécier les spécialités de l’Hôtel de l’Union, ils ne font point pour autant d’orgies de boissons. Et Mme Harmant a une conversation si distinguée, par dessus le marché.

Épilogue :

Bien entendu, la tribu disparut sans crier gare au bout de six mois de grivèlerie. Un message qui devait contenir de bien mauvaises nouvelles précipita cet envol. La note en souffrance atteignait 35.000 francs (environ 26.000 euros...).

Mme Harmant, alias la marquise Rolla de Rozincski, alias Claude d'Azy, alias Pola de Rosyeth, alias la Comtesse de Sommery alias etc.... s'appellait en réalité Renée Saffroy. C'était une ancienne danseuse nue du Ba-Ta-Clan, la salle de spectacles parisienne (photo) ...


Elle a écumé la province avec ses complices faisant de nombreuses victimes qui, à l'instar de Madame Douard - qui rime avec "bonne poire" -, se laissaient "embobiner". Peu de plaintes furent déposées, souvent par crainte du ridicule.

Renée Saffroy fut arrêtée dans l'Ain à la fin de 1935 et fut incarcérée à la prison Saint-Joseph de Lyon.

Madame Douard s'en remit.

La carte postale ci-après figure l'hôtel Douard et provient de ma petite collection. Elle est rédigée par une certaine Marie Provost qui travaille dans cet hôtel depuis trois jours quand elle l'adresse à ses anciens patrons. Elle y déclare qu'elle s'y plaît "très bien" mais que chez la douce Madame Douard, "la place n'est pas si douce" que celle qu'elle a quittée...


samedi 25 mai 2013

La dent de l'amer


Je n'ai pas connu mon grand-père Legendre, le père de ma mère. Sinon par un portrait en soldat qui trônait au-dessus du lit de coin de ma grand-mère, cadre qu'elle époussetait les jours de grand ménage et que j'ai replacé au-dessus de la cheminée. Et quelques photos de sa vie antérieure, avant la guerre de 14, avant son mariage, quand il était cocher, quand il était parti à la ville où il avait "servi", sortant pour la première fois depuis des générations innombrables de ce coin du pays où Guémené touche à Avessac, et de la condition de paysan à laquelle l'atavisme et la nécessité ne tardèrent pourtant pas à le ramener.

Non seulement il n'est pas mort à Verdun, mais ne fut pas même blessé. Prisonnier à partir de février 1916, interné à Chemnitz en Basse-Saxe avec tant d'autres nationalités de pauvres gens maltraités par l'Histoire, il ne revint pas indemne de ce conflit absurde.

Malgré deux ans de front, sans blessure apparente, "épargné" par trois ans d'internement, il ne jouit pas à son retour de la compassion et de la reconnaissance témoignées aux anciens combattants. J'imagine que certains ne manquèrent pas de lui dire qu'il avait eu de la chance. Ce fut un homme amer.

Les deux années de guerre active ont toutefois suffi à lui tournebouler la tête. A la fin, l'alcool a fait le reste.

Il est mort en 1941 à l'Hôtel-Dieu de Nantes et fut enterré dans cette ville, c'est-à-dire trop hors de portée pour que le sujet même de sa vie puisse jamais venir, au détour des innombrables passages au cimetière que ma grand-mère me fit faire dans mon enfance.

Ma mère n'en parle jamais car, comme elle a fini par me dire ce matin avec émotion, elle n'a de son père "que des souvenirs de chagrin ", même si elle ajoute que ce ne sont pas "des souvenirs de honte". Bref, je ne sais rien de lui, ou si peu.


En "feuilletant" les archives de l'édition de Nantes du journal Ouest-Éclair, je suis tombé, tout à l'heure, sur un article relatant un fait divers dont mon grand-père fut le "héros" (ou la victime).

En réalité, il faudrait parler de deux articles plutôt qu'un, ce qui, compte tenu de la bénignité des faits, serait déjà étonnant, mais, circonstance plus surprenante, deux articles dans la même édition, l'un au-dessus de l'autre de surcroît, comme si on rapportait simultanément deux témoignages, ce qui paraît d'ailleurs le cas (un de la gendarmerie, un d'un témoin, probablement).

Voici l'affaire, où j'entrelace les deux versions avec des petits compléments de mon cru, dont les intertitres. Le style des rédacteurs est involontairement (?) décalé et assez drôle. En tout cas, il me paraît suffire à "porter" la scène sans que j'en rajoute de mon côté. Il y a, à un moment, un détail involontairement cocasse qui semble sorti (si j'ose dire !, vous comprendrez...) de la bouche même de mon grand-père...


***

Le contexte :

M. Legendre, habitant de l’Epinay, avait vendu ces temps derniers une charretée de paille à M. Leroux de la Vieille-Ville. Le prix n’en fut point débattu sur l’heure, et, dimanche l’après-midi, M. Legendre vint pour se faire payer.

Le mardi 24 mai dernier, M. Legendre Julien, 44 ans, cultivateur à l’Epinay, commune de Guémené-Penfao, livrait à M. Leroux Baptiste, 45 ans, cultivateur à la Vieille-Ville, une tonne de paille environ. On ne fixa aucun prix, pour la raison qu’on ignorait, d’un côté comme de l’autre, le cours des céréales. Hier (dimanche 29 mai 1932), M. Legendre s’étant documenté, se rendit chez son débiteur et lui réclama 200 francs (120 euros environ).


La discussion :

Comme la coutume le veut, ils prirent un verre, puis un autre, enfin, il faut le dire, ils n’étaient pas à jeun…

« Je t’ai vendu de la bonne paille, dit Legendre à Leroux, tu me la paieras 200 francs. » Celui-ci n’était pas du même avis, n’évaluant la marchandise qu’à 70 francs (40 euros environ).

Échauffée par le bon cidre, la conversation prit une tournure critique...

M. Leroux jugea la somme excessive et n’offrit que 70 francs. L’autre crut à une plaisanterie et semonça vertement le mauvais farceur.


La bagarre :

...exaspéré, Leroux poussa brutalement son visiteur...

Ce dernier (Leroux) tomba à bras raccourcis sur son créancier et lui administra une sévère correction.

(Legendre)  trébucha, tomba et se blessa.

Legendre perdit, dans le pugilat, une dent sur laquelle il avait fondé de grandes espérances. La canine, en effet, devait maintenir un dentier (!..).


L'épilogue :

Il (Legendre) a porté plainte.

La victime (Legendre) s’est fait délivrer un certificat médical par le docteur Benoist. 


L'éclairage :

Leroux prétend que son adversaire s’est blessé en tombant sur le sol, mais que personnellement, il ne lui a donné au visage aucun coup.


Un témoin de la scène, M. David Louis 68 ans, journalier à la Croix Verte, confirme en tous points les déclarations faites par M. Leroux à la gendarmerie.


***

Les Leroux font partie des gens qui peuplèrent la scène de mon enfance guémenoise. A la Hyonnais, en effet, habitait Estelle, la femme de "p'tit L'roux", ce "Batisse" qui fut parait-il l'ennemi juré de mon grand-père, celui avec qui il se bat dans la scène ci-dessus. J'ai bien connu aussi Agnès, la "bru" amie de ma mère, décédée hélas récemment, et "Jeannot", son fils.

Estelle n'était pas bien aimée au village et certains l'appelaient "la vieille". Nous les enfants, l'associions à la rangée de hauts yuccas piquants qui bordait sa maison, où nos écarts de vélo et nos bousculades nous entraînaient parfois. Elle portait une blouse imprimée avec des couleurs (quand ma grand-mère était vêtue de sombre) et, l'été, un grand chapeau de paille ajouré. Elle appartenait à un autre monde social.

Je me souviens pourtant de quelques verres de liqueur de cassis qu'elle nous offrait d'un air froid, sans qu'on comprenne pourquoi, dans cette maison d'à côté où elle nous faisait prendre des patins pour ne pas abîmer le parquet...

samedi 18 mai 2013

Cousin Emile, Chef de la Clique


J'étais enfant (et même en assez bas âge) quand disparut Cousin Emile. Il n'est pas sûr d'ailleurs que ma Grand-mère en fût bien émue et soit allée à l'enterrement, ce dont elle raffolait comme d'une séance de ciné, car ce n’était pas un Cousin très fréquenté (mais savait-on même que c'était un cousin ?).

Je vous ai déjà parlé, naguère, de ce Cousin Emile vieux garçon, qui habitait au bourg chez sa belle-sœur et était clerc de notaire principal chez M° Geffray, au détour d'un article consacré à l'Assemblée générale de sa profession tenue avec faste à Guémené en 1931 et dont le Cousin fut l'un des héros.

Cousin Emile fut à vrai dire une personnalité de Guémené dès les années 30, et c'est à ce titre qu'il mérite que je lui consacre un petit hommage. C'est d'ailleurs pour la même raison que la majuscule paraît s'imposer, s'agissant du Cousin. C'était, à vrai  dire, un Cousin majuscule à tous égards, et son tour de taille n'était pas pour rien dans l'affaire.

Mais ce n'est ni son cousinage, ni même tant sa profession, qui pourtant lui valut une certaine visibilité, qui pourraient justifier vraiment l'hommage qu'on doit lui rendre. Non, Cousin Emile était surtout l'infatigable Chef de la Clique de Guémené, l'animateur inusable de la Société des Gymnastes de l’Étendard et peut-être même le Secrétaire de la Société des courses de Guémené-Penfao.

Son nom retentit dans les pages des journaux de l'époque qui célèbrent ses exploits : ce sont naturellement ses activités "syndicales" au service de la profession des clercs et employés des études qui lui valent quelques citations flatteuses : on l'a bien vu dans l'article que j'ai mentionné ci-dessus et on le voit déjà en 1930, où il préside à l'hôtel "Fleur-de-Thé" de Pornichet, s'il-vous-plaît, (l'hôtel existe toujours) l'assemblée générale annuelle de ses pairs de l'arrondissement de Saint-Nazaire, et, sans doute, le banquet qui lui est consubstantiel.

Mais son engagement fanfaresque et gymnique trouve encore plus d'écho et de rayonnement.

Le voici par exemple à la tête de ses troupes en la commune voisine de Massérac, le dimanche 2 décembre 1934, lors de la grande fête des Anciens Combattants. Cousin Emile, martial, y dirige la Clique de l’Étendard qui ouvre et ferme le ban lors d'une remise de décoration. Suivie d'un vin d'honneur, quand même.

On le retrouverait encore à la fête de Jeanne-d'Arc, le 11 mai 1938, à Guémené. Une bien belle fête d'ailleurs. A la grand-messe de 11 heures, l'Abbé Martin, d'une voix mâle, prononce une bien belle allocution patriotique du haut de sa chaire. Puis c'est au tour, l'après-midi, des jeunes filles de la Jeunesse Agricole Catholique (J.A.C.) de Guémené de se produire à la salle Saint-Michel où elles interprètent une pièce de théâtre restée dans les mémoires : Chanteuse de rue.

Mais tout cela ne dut pas égaler la retraite d'après-dîner, organisée par la Clique du Cousin Emile. Suivie par une foule nombreuse, elle fit retentir tambours et clairons dans les rues du bourg illuminé tout au long de la soirée, jusqu'à ce qu'un Salut à l'église vienne sublimer cette journée patriotique, catholique, musicale et française (pour les mécréants : un Salut est une cérémonie religieuse comportant principalement la bénédiction du Saint-Sacrement...).


Cousin Emile Carudel était né le 24 juillet 1875 à Conquereuil. Dernier des six enfants de Pierre Carudel, charpentier à l'aise, et de Julienne Ferré, ménagère ; enfant de "vieux" (son père a 48 ans et sa mère 46 ans, à sa naissance), il ne tarde pas à devenir orphelin de ses deux parents (1888).

Sa mère et le père de ma Grand-mère Gustine étaient cousins germains.

Il mourut à Guémené le 28 mai 1961. Toutefois, le point d'orgue de son existence pourrait bien être survenu un peu avant.

Ainsi, le vendredi 4 juin 1937 est à marquer d'une pierre blanche, mais non pas parce que c'est la date anniversaire de la nomination de Léon Blum comme Président du Conseil.

Non, le matin de ce jour-là, Cousin Emile prit son café chez sa belle-sœur comme à l'accoutumé. Rasé de près de part et d'autres de son bouc et de sa moustache, il sortit et serra quelques mains jusque chez le marchand de journaux où il acheta l'édition du jour de Ouest-Eclair.

Un sourire perdu dans sa pilosité épanouissait néanmoins son visage, tandis qu'il portait son journal sous le bras avant de s'attabler pour une petite douceur au café Gilbert de la rue de l'église.

La source de cette béatitude se trouvait en page 12, où l'on apprenait qu'Emile Carudel de Guémené-Penfao, recevait une "Première Lettre de félicitation accordées pour services rendus aux sociétés d'éducation physique et de préparation au service militaire à la date du 30 décembre 1936".

Certes, d'autres guémenois en recevaient aussi, soit comme lui une première (Albert Meslier) soit même une troisième (Pierre de Boisfleury, Président des Gymnastes de l’Étendard).

Mais pourquoi bouder son plaisir ? Et c'est ainsi que quelques temps avant son 62ème anniversaire, une reconnaissance officielle vint consacrer les efforts du Cousin envers la jeunesse, la musique, la gymnastique, la défense de la France et les banquets.

Pour compléter cet hommage personnel, je vous propose quelques photos mettant en valeur le Cousin Emile dans toute sa plénitude (notamment la dernière, de profil). Je les dois à mon ami A.P., qui mériterait bien qu'on lui fasse un petit article aussi, si sa discrétion n'égalait sa gentillesse qui est infinie.

La première est prise dans la cour de l'école Saint-Michel avec la Clique. Dans la seconde on reconnaît bien évidemment la Mairie et dans la troisième, de même, la rue de l'église avec la maison du sabotier Cochetel. Appréciez...




dimanche 12 mai 2013

L'étang et le moulin de la Vallée


Descendre dans la vallée de Juzet, c'est un peu plonger au fond de la mer et y découvrir un univers retiré où les bruits du monde supérieur sont complètement amortis.

A l'instar de la plongée sous-marine, on procède par étape. Si l'on vient de la route de Guénouvry, on embarque à Mézillac au sortir duquel commence une première descente vers l'inconnu, sous les champs, dans une espèce de couloir d'arbres. On finit par atteindre un palier, le chemin s'évase à hauteur de l'étang. Curieusement aucune embarcation n'en ride la surface, ou alors c'était il y a bien longtemps. Même les nénuphars qui en tapissaient la surface sombre, ont pris congé. On pense à ces lacs acides des régions volcaniques où, dans une onde avenante, tout immanquablement se dissout.

On passe ensuite devant les ruines du moulin que l'on devine, fantomatique, dans l'enchevêtrement de la végétation. Et le deuxième temps de la plongée commence, avant de toucher le fond à l'endroit où le chemin fait un coude, près du gué où le ruisseau rejoint la rivière.

C'est tout un monde englouti qui s'offre à nous, clos par des collines hautes, ponctué de bâtiments délabrés qui s'estompent dans le paysage, livré au silence. Comme sur une planète différente, le soleil s'y lève et s'y couche à des heures particulières. Au fond, vers l'Est, un grand bâtiment aux fenêtres de plein cintre, toutes baies ouvertes face au moulin de Juzet, résiste à l'usure du temps au bord du déversoir du Thenou où le Don fait une pause.

Surgi de nulle part, blanc comme dans un rêve, le château de Juzet semble une merveille de carton pâte. De là peut commencer la remontée des profondeurs, avec une première halte à hauteur de l'entrée du château et de l'ancienne métairie. Et puis on retrouve le monde de tous les jours, on reprend sa respiration naturelle, au carrefour du chemin et de la route de Conquereuil où, sentinelle immobile, veille la vieille chapelle frairiale aux portes de Juzet.

Le moulin de l'étang. Il fonctionnait déjà à la fin du XVIIIème siècle quand Jan Geslin en était le farinier. Aujourd'hui, l'eau ne fait plus tourner sa roue dont il ne reste qu'un moignon moussu.

C'était un beau bâtiment sur deux ou trois niveaux, lové au creux de l'écluse, aujourd'hui éventré et gagné par les branchages. On voit encore ici ou là les trous où s'engageaient les poutres soutenant un plancher. Une cheminée s'obstine dans un effort surhumain à demeurer en suspens à un mur de l'étage. Ses corbelets de bois portent à bout de bras un gros linteau de chêne, inaccessible aux pillages. Sur un haut pignon, une fenêtre de plein cintre confère à la bâtisse mutilée un style étrange, une élégance inattendue.

Imperturbable au temps, le ruisseau dévale à son côté une forte pente parmi de gros cailloux.





















Les vieilles cartes postales du début du siècle passé révèlent encore sa splendeur d'antan (et celle de son cadre naturel) où l'on distingue deux bâtiments côte à côte. Mais on note surtout d'autres bâtiments, tout près, dont un hangar devant lequel est assis un personnage. Sur la deuxième, la fenêtre de plein cintre du pignon oriental du moulin est bien visible.









C'est là donc, dans les années d'enfance, que nous sommes venus, ignorants de ce passé, tout juste frissonnants au mystère de ces bâtisses abandonnées, jouir de l'étang et du bois.

Peut-être que la galette et la saucisse nous ont été distribuées par Yves Ménager (merci à Maryse A. pour l'information) au petit comptoir de la cabane de branchages que la carte postale suivante, datant de la fin des années 60 probablement, nous permet d'entrevoir sur la gauche. Un banc rustique, et une famille pas trop réchauffée contemple l'étang mangé de nénuphars.



Finissons avec le site de l'étang, tel qu'à ce jour, nettoyé des nénuphars comme du reste des vivants qui hantèrent ce lieu en luttant pour leur survie.





samedi 11 mai 2013

La croix et la manière (2)


Voici le reliquat de croix campagnardes et autres calvaires dont j'ai commencé et l'inventaire et la restitution sur ce blog et dont j'ai fourni il y a une semaine une première livraison.

S'agissant d'un reliquat, il n'y a pas vraiment d'unité géographique comme la dernière fois.

On pourrait chipoter sur le choix des termes. Calvaire fait plutôt référence à un dispositif à plusieurs  personnages et, à défaut, il faudrait plutôt parler de croix. Et dans ce dernier cas, distinguer les crucifix, quand le Christ est figuré, des croix, quand il n'y a pas de Christ...Mais bon, on se comprend, c'est l'essentiel...

Dans le post précédent sur ce sujet, j'ai produit une carte avec des numéros pour chacun des dix monuments étudiés. Je reprends la même et je poursuis la numérotation à partir de 11, par conséquent.

- Vers Beslé

En sortant du bourg de Beslé par la route de Guémené, on est vite confronté au premier spécimen à environ 1 kilomètre et demi, au lieu dit La Croix (11).

Cette croix est assemblée de blocs de granit que le lichen décore ici où là de sa petite lèpre jaune.

Aucune figuration : juste une plaque de marbre blanc avec une date (1886) et une sentence latine : "Salut ô croix, unique espoir". Tout ça n'est pas très gai.






En poursuivant la route sur 300 mètres, entre les premières maisons du Bas-Méauduc et l'élevage avicole, à droite de la route, se trouve le second objet de nos recherches (12).

Le socle de maçonnerie ne se voit pas car il est tapissé de lierre, mais il paraît assez rustique. La croix, complètement rouillée, est plantée dans un parallélépipède de ciment.

Il s'agit d'un crucifix du même modèle que celui de la sortie sud de Guénouvry (9) ou que celui du chemin de Trégueneuc, vers Le Verger (8). Le Christ lève les yeux au ciel, et la croix, décorée de motifs végétaux, est flanquée à droite d'une espèce de lys.





- A droite et à gauche

Voici des éléments plus épars. Le premier m'est très familier (et très cher) puisqu'il se trouve au bout du chemin qui mène à mon hameau de La Hyonnais, au débouché du chemin qui mène à la Vieille Ville (13).

Il est rustique, situé dans un bosquet d'arbres et d'arbustes. Quelques palis marquent la réminiscence d'une clôture et quelques rondins sur le fossé permettent de s'en approcher.

La croix est directement fichée dans une table de pierre bleue qui couronne un socle de maçonnerie classique.

La croix est en métal peint de gris argenté que l'humidité a couvert d'une fine mousse verte qui confère un petit aspect maladif à l'ensemble.

Une figurine probablement féminine est au centre du dispositif, mains jointes. La croix porte des guirlandes de lierre et est accompagnée à sa droite d'un petit bouquet de roseaux.

Au total, une composition plutôt originale.







On se transporte maintenant à l'antique village de Juzet où l'on découvre une autre composition originale (14). J'aime beaucoup Juzet qui, quoique traversé par la route de Conquereuil, garde, avec ses vieilles maisons, son vieux puits et sa vieille croix, un charme suranné.

Laissée à elle-même en bord de route, au dos d'une vielle ferme, dans un parterre d'hortensias fanés et d'orties, cette haute croix de dresse pourtant fièrement.

Il s'agit d'une petite croix de pierre claire (du granit sans doute) mangée de lichen gris, dont la hampe et les bras sont cylindriques et reposent sur une base à facettes. Le tout est disposé sur un double socle de maçonnerie de pierres bleues dont le crépi demeure par endroit.





L'étape suivante nous transporte aux confins sud de Guémené, sur la route de Blain, entre le village du Luc et celui de Ligançon (15).

Dans un bosquet clairsemé de hauts pins, les pieds dans de jeunes fougères, un grand Christ blanc domine la scène, cloué à une grosse croix de bois. Ce crucifix repose sur un gros socle de pierres à l'aspect massif et assez peu rustique.

Trois marches qui peinent à résister à la végétation envahissante, peinent aussi à donner le sentiment que la composition se trouve en hauteur. 

Une dédicace sur une plaque grise, précédée d'un "O CRUX AVE" (Salut ô croix, pour ceux que le latin rebute tout à fait...) nous révèle que ce monument fut érigé à la mémoire de Madame Arnous Rivière qui devait, du coup, être quelqu'un d'important qu'on a complètement oublié. Elle indique aussi une date (17 mai 1902) et que moyennant un Pater et un Ave, on peut gagner quarante jours d'indulgence. Cela vaut le détour, non ?

Un esprit malicieux noterait enfin que le Christ semble avoir un cor au pied droit, au niveau de la première phalange du doigt médian (ou "tertius").

Enfin, la bonne dame à laquelle la plaque fait référence est probablement Louise Arnous Rivière, née Say à Nantes le 21 janvier 1849, épouse de Léonce Arnous Rivière, et décédée au même Nantes, le 17 mai 1902 précisément. J'ignore les raisons de cet hommage local, sinon que cette famille avait des attaches à Plessé, tout à côté.













Voilà pour aujourd'hui, avec en prime la mise à jour des cartes, ci-dessous. A bientôt.