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lundi 31 décembre 2012

Crèche de Noël

Bon, finissons bien l'année par un dernier message.

Il sera bref : merci pour votre fidélité à ce blog et bonne année 2013 à tous.

En guise de point final à cette année guémenoise et bloggiste, je vous propose un petit reportage photographique sur la crèche de l'église de Guémené, une crèche à l'ancienne.

On la doit au talent et au dévouement de deux personnes  : l'une de Massérac que je salue amicalement ; l'autre de Guémené, dont j'ai beaucoup entendu parlé, mais que je n'ai pas encore rencontrée).

Que le produit de ce travail soit partagé, à travers ces quelques clichés, avec tous les guémenois qui n'ont pu se déplacer pour l'admirer et qui me font l'amabilité de venir consulter (de plus en plus nombreux) ce petit site.

Je tiens de bonne source (ma mère...) que les figurines peuplaient déjà les crèches de Guémené de l'entre-deux-guerre : on leur pardonnera donc quelques "marques d'usage", quelques outrages des ans, quelques misères de vieillesse...

A très bientôt.






















dimanche 30 décembre 2012

Monument aux soldats (de 1870 ?), inconnu.


Profitant de mes vacances, je me suis rendu au cimetière pour jeter un oeil à mes tombes familiales qui requièrent toujours un petit entretien. Mais ce devoir est aussi un prétexte tant je trouve d'intérêt à parcourir ce lieu.

Comme souvent, on a beau passer et repasser au même endroit, on ne voit pas des objets qui méritent pourtant attention et qu'on s'étonne donc de "découvrir". 

C'est ainsi que, sans doute obnubilé par le monument aux morts et sa sculpture de Nicot (dont j'ai pas mal parlé sur ce blog) et l'esprit toujours accaparé, je dois dire, par le cimetière "blanc et miniature" des enfants qui le jouxte, je n'avais pas, jusqu’à ce jour, remarqué une croix un peu singulière qui, à mon sens, à tout à fait droit à un peu de publicité.

Au moment où j'écris ce petit article, je n'ai pas trouvé sur Internet (ou ailleurs) des détails qui pourraient éclairer l'histoire de cet ornement, et probablement il n'y en a pas. C'est, en quelque sorte, un monument inconnu.

En réalité, ce n'est qu'une croix pas bien haute sur un tout petit socle de maçonnerie. Elle est d'apparence verdâtre et se trouve en lisière des autres tombes, derrière le monument aux morts "officiel".

Ce qui fait - outre sa taille modeste et son emplacement - son originalité, c'est que chaque élément de cette croix est composé d'un objet militaire : le bras vertical est une hampe avec le drapeau enroulé autour ; le bras horizontal est un fusil. Et pour ce dernier, non pas, comme j'ai pu le croire, le fameux Lebel de la Guerre de 14, jadis fabriqué notamment à l'usine d'Etat de Chateaubriand, mais plus probablement un Chassepot, modèle 1866 (merci à Sylvain pour m'avoir signalé mon erreur), ce qui tendrait à identifier cette croix avec un monument commémoratif privé ou collectif de la Guerre de 1870.

Au pied, deux poignards (ou baïonnettes) sont planté(e)s en terre d'où ils sortent en "V". Un rameau de feuilles de chêne serpentent autour des bras.

Quand on regarde de prêt, on arrive à distinguer une inscription sur la partie supérieure du drapé : "MORT POUR LA PATRIE".

Voici, pour illustrer, quelques photos ensoleillées...








vendredi 28 décembre 2012

D'un Petit Joseph l'autre


Les cartes postales anciennes sont toujours une invite à la nostalgie. Elles sont d'autant plus intéressantes (et chères) qu'elles sont "animées", c'est-à-dire qu'elles comportent des personnages.

Celle que je présente ci-après - que je me suis procurée pour une tierce personne - en comprend de nombreux. Je n'ai pas besoin de situer le cadre de cette prise de vue. L'enseigne atteste cependant qu'à l'époque du cliché (vers 1920), l'Hôtel du Petit Joseph est tenu par un autre Joseph : Joseph Haméon.

Celui-ci avait repris l'établissement au vrai Petit Joseph, Herbert, le maître de danse et clairon volumineux bien connu, décédé en 1915.

J'ai ajouté sur certaines des personnes figurées sur la carte un numéro, ce qui me permet ensuite d'en fournir l'identité. Je dois ce privilège à une aimable correspondante de Nantes, que je remercie vivement au passage.













Voici donc les noms et parfois les qualités des personnages numérotés :

1 - Madame Raflé, épouse du Receveur des Contributions Indirectes et / ou Juge de Paix ;

2 - Thérèse Goupil, domestique à l'hôtel ; reprendra l'établissement ultérieurement ;

3 - Marie-Josèphe Haméon, patronne de l'hôtel et cuisinière réputée ;

4 - Joseph Haméon, patron de l'hôtel ;

5 - Pierre Raflé, Receveur des Contributions Indirectes et / ou Juge de Paix ;

6 - Honoré (dit Noré) Libeau, valet à l'hôtel ;

7 à 10 - Jean, Paul, Marcel (futur "champêtre") et Joseph Haméon ;

11 - Madame Passard (dont je ne sais rien).

Vous remarquerez qu'un panonceau est apposé sur le mur de façade, près de la fenêtre de droite. On peut y lire : "Hôtel recommandé". Recommandé, en fait, par le Touring Club de France, dont on reconnaît le "logo" circulaire, au centre du panneau.

J'aime assez la scène où les hommes trinquent, au centre, qui confère à ce qui est une carte postale, le naturel d'une photo de famille ou de vacances. On distingue presque nettement des bouteilles avec leur bouchon, une carafe d'eau, un siphon à Eau de Seltz.

Il manque beaucoup de noms encore. La plupart des enfants anonymes a dû naître entre 1890 et 1910. Ma grand-mère Gustine naquit à quelques pas de l'hôtel, en 1895. Je me prends à rêver que quelqu'un pourra fournir un renseignement les concernant (ou les adultes non identifiés, d'ailleurs) ?

jeudi 27 décembre 2012

Du Pont(-de-Beslé) Lajoie


L’histoire que j’entreprends de narrer, qu’on se rassure, n’est pas aussi dramatique que celle du célèbre film d’Yves Boisset : il n’y aura pas de morts, ou alors de très petite taille.

Elle offre à mes yeux l'intérêt, au-delà d'une incursion pittoresque dans nos contrées d'il y a un siècle et demi, leurs moeurs et leurs usages, de conserver peut-être une certaine forme d'actualité. Jugez-en.

L’action se situe fin 1869 : le Second Empire agonise sans le savoir, partagé entre autoritarisme et libéralisme.
Elle a pour cadre Beslé et Guémené. Elle a pour protagonistes principaux : la populace avinée de Beslé ; deux gendarmes de Guémené ; le brigadier commandant la gendarmerie de Guémené ; le maire de Guémené ; le procureur impérial de Saint-Nazaire, et un brave type.

Le drame que je vais vous rapporter a été décrit dans deux journaux : la Presse et le Phare de Nantes. La Presse est un journal parisien important, marqué par la personnalité de son fondateur, Emile de Girardin. Girouette, il est à la fin du Second Empire favorable à la faction libérale du bonapartisme d’alors. Le Phare de La Loire, dont s’inspire le précédent pour cette histoire, publié à Nantes et lointain ancêtre de Presse-Océan, appartient aussi à la mouvance gentiment libérale de l’époque.

A cet égard, l’article dont je m’inspire largement se comprend aussi comme une dénonciation illustrée du régime impérial autoritaire. En voici l’argument : un honnête homme, vivant de son génie et de son travail, est victime de la haine populacière de l’étranger et de l’arbitraire des autorités locales, jusqu’à ce que le bon sens d’une autorité supérieure fasse triompher le droit, sinon la justice

Avant d’entrer dans les trois actes du drame, il faut en présenter un peu la victime.


Prologue : Jacques Lassus, victime (ou héros)

Il s’agit probablement de Jacques Lassus ou Jacques Lassus dit Coutouné ou encore Jacques Lassus-Coutouné, né le 26 décembre 1816 à Andoins, canton de Morlaas, tout près de Pau (Basse-Pyrénées, depuis Pyrénées-Atlantiques). Il est le fils de Jean Lassus dit Coutouné et de Catherine Casanave, mariés le 14 décembre 1814 à Andoins, âgés chacun de 19 ans. Son père meurt le 22 juin 1826 âgé de 30 ans laissant deux enfant (Jacques et Anne, née le 9 février 1820).

On sait que Jacques embrasse d’abord la profession de laboureur de son père, à Andoins.

Mais Jacques va donner un cours nouveau à sa vie : le Catalogue des brevets, édition de 1855, nous apprend en effet qu’il a pris le 8 juin 1854 un brevet de 15 ans pour son procédé de destruction de la taupe-grillon, appelée encore « courtilière ».

Cette horrible bestiole, pour ceux (comme moi) qui l’ignoreraient, est la terreur des jardins (« courtils »). Cet insecte omnivore gros comme un grillon, vit sous terre et creuse des galeries comme une taupe. Il mange littéralement les pissenlits (et les autres ornements végétaux de nos potagers) par la racine, causant d’immenses dégâts. Son éradication est donc cruciale pour les jardiniers.

Le rayonnement de l’invention de Jacques Lassus va s’étendre. Un journal local des Pyrénées (le Mémorial) vante la puissance du procédé breveté : il permettrait de détruire dix courtilières à l'heure, huit fois plus que par tout autre système connu et cela en toute saison…

On y apprend en outre que « M, Lassus-Coutouné est porteur de nombreux certificats attestant les heureux résultats obtenus ...Il se charge d'opérer dans chaque commune moyennant une rétribution de 100 francs payable par 25 fr. ».

Une autre gazette, le Journal de Toulouse dans son édition du  14 avril 1858, se fait l’écho, au détour d’une annonce, des talents, des tarifs et de l’honnêteté de l’inventeur : « M. Lassus-Coutouné, inventeur d’un procédé reconnu bon par une commission de la Société d’horticulture de Toulouse, pour la destruction de la Courtilière ou Taupe-Grillon, se rendra, moyennant la somme de 20 fr., chez MM. les propriétaires du département de la Haute-Garonne qui le feront appeler, et de 30 fr. pour les autres départements. Le paiement n’aura lieu qu’après réussite des expériences ».

Enfin, la Presse du 3 décembre 1869, nous confirme la valeur et de l’inventeur et de son procédé :  « M. Lassus est l’inventeur d’un procédé […] qui lui a valu de nombreuses mentions honorables dans plusieurs comices agricoles, une médaille d’argent et, le 14 novembre dernier, une mention de la nouvelle Société d’horticulture de Nantes ».

Ainsi donc, depuis pas mal d’années, Jacques Lassus, expérimenté et reconnu, parcourait-il les campagnes, exploitant son procédé devenu son seul moyen d’existence, quand il se pointe à Beslé par un beau jour d’automne…


Acte I : La loi des poivrots

Jacques Lassus arrive à Beslé le dimanche 21 novembre 1869 et se rend à « l’auberge du Pont-de-Beslé » (comprendre sans doute « l’auberge du Port », près du pont sur la Vilaine nouvellement construit). Il y prend son dîner, mais voilà : « Plusieurs personnes qui passèrent une partie de la nuit à boire dans cette auberge le menacèrent de le faire arrêter. »

Pourquoi ? : « L’ennemi des courtilières porte avec lui divers petits instruments, piochette, sac en cuir, entonnoirs, dont l’originalité éveilla la curiosité et la défiance dans des esprits déjà prévenus et décidés à voir dans tous étranger un incendiaire ».  De bonne foi, Jacques tente en vain de raisonner l’assistance : « La présentation de ses papiers, passeport, certificats, journaux, médailles, rien ne fit ; c’était un incendiaire, il ne fallait pas en douter. »

La nuit, il entend même tirer des coups de fusil sous ses fenêtres, mais aussi quelqu’un déconseiller à d’autres de le faire arrêter tant il paraissait  un honnête homme, doté des certificats les plus honorables. « La nuit se passa sans incident nouveau. Le lundi, M. Lassus parcourut la commune, faisant ses offres de services. »

Mais vers cinq heures du soir, deux gendarmes de Guémené viennent demander à l’auberge s’il y avait des voyageurs…


Acte II : Une instruction bâclée

Tout se gâte à nouveau, comme on peut en juger : « M. Lassus montra aux gendarmes son passeport, des journaux parlant de lui, des certificats et autres pièces établissant sa parfaite honorabilité. Malheureusement, le passeport était périmé de quelques semaines. »

Les gendarmes privilégient évidemment ce qui cloche sur ce qui va dans le sens du suspect : « On l’arrête alors, et il est conduit devant le maire (Fidèle Simon) et le brigadier de gendarmerie de Guémené-Penfao (Pierre Jorreau) ».

Les deux personnes (apparemment) les plus puissantes de Guémené vont alors faire preuve de leurs capacités : « Malgré ses protestations énergiques, on dit [à Jacques Lassus] que les instruments dont il est porteur ne sont pas destinés à détruire les courtilières ; on lui dit qu’on va le mettre en prison, pour ensuite être conduit devant le procureur impérial, à Saint-Nazaire. » .

Et puis comme il est dangeureux et têtu, il va voir ce qu’il va voir : « Reconduit à la gendarmerie, M. Lassus est fouillé avec brutalité, on retourne ses poches, on s’empare de tous ses papiers, on cherche dans ses bottes, on défait sa cravate pour en visiter les moindres plis, on lui prend 40 fr. qu’il avait dans son porte-monnaie, mais on oublie 40 c. au fond d’une poche de gilet ; on lui enlève son mouchoir de poche, mais on lui laisse sa montre et sa médaille d’argent. ».

Je n’ai rien à ajouter à l’ironie de la description de la fouille par le journaliste de la Presse qui enchaîne : « Ces précautions prises, on le renferme avec d’autres détenus dans une prison où il ne faisait pas plus clair à midi qu’à minuit. Sur sa demande, on veut bien lui apporter pour son dîner deux sous de pain, deux sous de fromage et un verre d’eau. »

L’infortuné inventeur n’est pourtant pas au bout de ses peines : « Le lendemain matin, on apporta à chaque prisonnier un morceau de pain ‘ très noir ‘… Il demande un de ses livres d’agriculture pour essayer de trouver les heures moins longues : on le lui refuse. Il demande du papier pour écrire : on le lui refuse. Il demande un peu d’eau pour se laver la figure : on la lui refuse. »

Et comme on ne sait jamais : « Vers deux heures, on le fait sortir de prison et il subit un second interrogatoire. Toutes ses prières et ses dénégations sont vaines. »


Acte III : La victoire de la Raison

Au bout du tunnel réside la lumière : « Le troisième jour, à midi, on le fait partir pour Saint-Nazaire, attaché par une chaîne de fer à un autre prévenu, un marchand de bijoux. »

Pour autant, le voyage n’est pas que d’agrément. En effet, les gendarmes, après avoir maltraités l’inventeur, foulent aux pieds ses effets dans le fourgon, attestant de leurs mœurs de lourdauds mal élevés. Jacques Lassus témoigne ainsi de sa peine de: « … voir les gendarmes marcher avec leurs bottes pleines de boue sur mes pauvres livres, mes papiers, mon portefeuilles qu’on avait ficelés ; ces messieurs fumaient et crachaient dessus ». Et le pauvre de ravaler son indignation car, se lamente-t-il : « … je n’osais rien dire, car ils étaient les maîtres ».

Enfin il arrive chez le procureur impérial. Son état n’est pas florissant. Il raconte : « Pendant quatre jours et quatre nuits, on n’a rien voulu me donner, même en payant avec mon argent qu’on me disait confisqué et que ne reverrais plus, ajoutait-on ironiquement. Pendant tout ce temps, je n’eus que trois fois de la soupe et du pain noir. Depuis quatre heures du soir le jeudi jusqu’au vendredi à une heure de l’après-midi, on ne nous a rien donné, et quand je parus devant le procureur impérial de Saint-Nazaire,… je n’avais rien mangé depuis vingt et une heures. »

A peine auditionné par le proc’ qui, bien qu’impérial, est quand même une personne d’une intelligence élevée, ce dernier ordonne la libération de Jacques Lassus…


Morale

La Presse tire évidemment la leçon qui s’impose de toute cette navrante histoire : « Cette décision rapide est un blâme suffisant de tout ce qu’avaient fait et le maire de Guémené, chevalier de la Légion d’honneur, et le brigadier de gendarmerie. ». Au passage, tout chevalier de la Légion d’honneur qu’on est, on n’en est pas moins un gros pignouf de bonapartiste étriqué.

Il reste que le héros de cette fable est le dindon de la farce, comme le fait remarqué le journaliste : « Mais qui dédommagera M. Lassus des vexations de toutes sortes qu’il a dû subir, du temps qu’on lui a fait perdre, des traitements odieux dont il a été victime ? Sera-t-il indemnisé et essayera-t-on de réparer le tord moral et matériel qu’on lui a causé ? »

Je vos laisse deviner la réponse en imaginant ce qu’elle serait, encore de nos jours, si une mésaventure de cette sorte arrivait encore (est-ce possible ?) à quelques « étranger étrange » parcourant nos contrées…

J’aurais aimé connaître la fin que fit Jacques Lassus-Coutouné, l’inventeur-paysan béarnais, l’éradiqueur de courtilières, la terreur des taupes-grillons. Mais son destin se perd après l’épisode de Beslé.

lundi 24 décembre 2012

Coup de pompe

Les arrêtés de police sont un plaisir à nul autre pareil pour leur lecteur, 150 ans après leur rédaction.

C'est à chaque fois une intrusion dans le Guémené de tous les jours. A certains égards, ces textes au style déterminé où perle l'impuissance publique face aux incivilités des uns et des autres, sont des photographies. Dans cette archéologie de l'infini quotidien que j'affectionne, ils forment donc une pièce de choix.

Dans ces années 1860 finissantes, Fidèle Simon est toujours maire de Guémené. Un fléau menace le bourg. N'écoutant que son sens du devoir et du bien-être des populations dont il a la charge, il va donc édicter l'arrêté suivant :

"21 avril 1868

Nous Maire de Guémené, chevalier de la Légion d'Honneur,

Considérant que la pompe au puits public est de nécessité absolue pour la population, que jusqu'à ce jour on s'est permis d'y laver du poisson, des légumes etc..., même d'y abreuver les chevaux, ce qui est contraire à la salubrité publique ;

Considérant aussi que les enfants ont à plusieurs reprises détérioré la pompe,

Arrêtons ce qui suit :

Art. 1er. Il est interdit de laver des poissons, légumes, etc... ainsi que d'abreuver les chevaux à ladite pompe ;

Art. 2. Il est recommandé aux parents de surveiller leurs enfants, car si la pompe venait à être détériorée par leur fait, les parents en seraient responsables.

Art 3. M. le Brigadier commandant la gendarmerie de Guémené est chargé d'assurer l'exécution du présent arrêté.

En mairie à Guémené le 21 avril 1868

Le Maire (signature)"


Je n'ai pas réussi à localiser dans le bourg l'emplacement de ce puits et de cette pompe.

Le texte atteste en tout cas qu'on mangeait du poisson à Guémené sous Napoléon III et Fidèle Simon.

Evidemment, tous ces usages détournés du puits publique devaient provoquer pas mal de saletés : restes de denrées croupissant dans l'eau, crottin parsemant les abords du puits... Et les enfants devaient patauger là-dedans : pas étonnant qu'ils aient fini par se venger sur la pompe.

Sans doute Pierre Jorreau, Brigadier commandant de gendarmerie, ou ses quatre gendarmes devaient-ils rôder dans les parages de temps en temps, pour veiller au grain. L'histoire ne dit pas si tout s'arrangea.


dimanche 23 décembre 2012

Fidèle la Pudeur

Fidèle Simon était maire de Guémené en juin 1868. Sans doute faisait-il beau en cet été débutant et même chaud. De quoi donner envie de se baigner.

Las ! Il faut donc qu'un bon maire veille à tout ! Jugez-en plutôt par l'arrêté de police suivant, pris sous son autorité :

"Arrêté de Police

20 Juin 1868, Arrêté concernant les bains

Le Maire de la commune de Guémené, chevalier de la Légion d'Honneur,

Considérant que des abus ont eu lieu les années précédentes à l'occasion des bains pris dans la Rivière du Don, que des plaintes ont été portées à ce sujet ;


Considérant qu'il importe de ne pas voir se renouveler ces abus dans l’intérêt des moeurs,

Arrête :

Les personnes qui voudront prendre des bains dans la Rivière du Don, à partir du Petit-Bois au Gué du Orais sous Pussac, ne pourront le faire que revêtues d'un caleçon ou d'un pantalon. Les contrevenants au présent arrêté seront poursuivis conformément aux lois et règlement de police.

Le commandant de la gendarmerie de Guémené est chargé de son exécution.

En mairie à Guémené, le 20 juin 1868,

Le Maire 
(signature) "


Il ressort clairement de cette extrait de littérature municipale que l'habitude avait été prise par certains guémenois, au temps où mes arrière-grands-parents étaient enfants, de se baigner nus dans le Don.

On comprend qu'il s'agissait probablement plus d'une coutume masculine (référence au caleçon et au pantalon) que féminine. Soit les femmes se baignaient habillées, soit elles ne se lavaient pas.

Je parle "d'habitude" puisque l'arrêté mentionne que les abus ont eu lieu "les années précédentes".

Et d'ailleurs, à la tournure de la phrase on devine que les abus ne sont pas liés au fait de se baigner nu, l'exposition à la vue du public pouvant en soi représenter une offense aux bonnes moeurs, mais qu'ils découlent de cette nudité lors de baignade.

On imagine à tout le moins des bacchanales endiablées, un déferlement de stupre bucolique, une fornication champêtre effrénée dans les eaux fraîches du paisible cours d'eau.

La gendarmerie de Guémené est commandée à l'époque par le Brigadier Pierre Jorreau , un homme de sens. Âgé de 39 ans, marié et père de 5 enfants, il dispose de quatre gendarmes pour l'aider dans sa mission. Nul doute qu'ils ont dû passer de bons moments.

Le Gué du Orais sur le Don, se situe au sud du village de Pussac, à l'endroit où Avessac vient faire un coin à angle droit dans Guémené. Un lieu traître pour les moeurs : méfiez-vous si vous y allez à la belle saison.

samedi 22 décembre 2012

Noël d'une petit fille de L'Epinay


Il ne fait pas chaud du tout. Mais pour rien au monde il ne faudrait manquer la messe de minuit.

On laisse Grand-mère Legendre à la maison : elle est trop fatiguée. Et puis Monsieur le Curé est passé la confesser l'autre jour, et elle lui a dit que cette année elle ne pourrait pas y aller. Comme elle est très sourde, c’est sur une ardoise que le prêtre lui a concédé que ce n’était pas grave.

Dehors, le village s’ébroue dans la nuit parcourue d’un petit vent aigrelet ; quelques mots s’échangent et l’on se dirige vers la route de Redon, dans l’obscurité et la brume du Don, pour accomplir les 3 ou 4 km du village à l’église. Au fil de la marche, d’autres villages - le Port-Jarnier, La Nouasse, Orvault, le Pont de la Rondelle, le Pigeon Blanc...- se joignent de sorte que, aux abords du bourg, on finit par former une petite troupe.

Mots échangés furtivement. Des enfants emmitouflés, portés par des hommes, criaillent un peu. Personne n’a de lanternes et l’on patauge dans les flaques. La nuit finit par s’éclaircir par habitude de la pénombre. Les étoiles diffusent une légère teinte bleutée : Grande Ourse, Petite Ourse, Etoile polaire…

Au loin à l’horizon, une lueur roussâtre. Quelqu’un fait la remarque. Des vieilles chuchotent que c’est signe qu’il va y avoir une guerre. De fil en aiguille on se rappelle un Noël pas si loin, d’avant 14, où untel et untel, aujourd’hui disparus, marchaient pour la Sainte messe et non pour tuer des Boches.

Derrière les murs sombres d’une haute maison tintent les premiers douze coups de minuit. On hâte le pas vers la place où les passants glissent en silence pour s’installer dans l’église : des bouffées de vive clarté jaillissent au fur et à mesure des entrées.

Une fois dedans, en effet, la lumière de mille cierges inonde l’espace et éblouit. Les haleines fument. Un petit signe de croix machinal extrait du bénitier. On se reconnaît d’un léger mouvement de tête.

Les enfants veulent voir la crèche et  leurs papas donnent parfois un sous que d’un doigt gourd ils introduisent dans une figurine : le garçon noir en bois avale la pièce en hochant la tête de bas en haut, comme pour dire merci. On voudrait bien mettre un autre sous, mais bon, les parents n’en ont guère. Souvenir inoubliable.

Le petit Jésus visiblement n’a pas froid.

Tandis qu’on gagne sa place, le prêtre est entré par la sacristie et exécute une génuflexion, dos à l’assistance. Nobliaux et notables sont là dans leurs habits du dimanche et leurs manteaux de prix, aux premiers rangs derrière le prie-dieu à leur nom, comme il se doit.

Les hauts piliers sont décorés de bougies. C’est Noël, c’est la fête à Jésus.

Un couinement de l’orgue que des enfants de cœur en aube alimentent en vent, à grand renfort de gestes énergiques qui les réchauffent. Une voix de ténor retentit : c’est Edouard Barbier, le menuisier, qui entonne un cantique :

« Salut, ô sainte crèche,
Berceau du Roi des rois,
Faite de paille fraîche
Et de mousse des bois. »


Quelques vieilles et des enfants tentent de l’accompagner un peu, puis il reprend seul le premier couplet.

« Nous sommes des rois mages
Nous de pauvres pasteurs.
Nous t'offrons nos hommages
Nous te donnons nos cœurs. »

Les cœurs s’échauffent dans l’église froide. Les voix s’affermissent…

« Salut, ô sainte crèche,
Berceau du Roi des rois,
Faite de paille fraîche
Et de mousse des bois
. »

Des raclements de gorges, des toux et dans le bruit de chaises qui grincent sur le sol, Barbier élance son chant grave :

 « Prends-nous sous ton empire ;
Règne sur nos troupeaux
Prends l'or, l'encens, la myrrhe ;
Prends nos plus beaux agneaux. »

Les images de la nativité défilent. La fatigue est oubliée. Plus hardi, on reprend le refrain et le chœur gronde :

« Salut, ô sainte crèche,
Berceau du Roi des rois,
Faite de paille fraîche
Et de mousse des bois. »


Enfin Barbier, tout à son affaire, termine le cantique accompagné une dernière fois
par l’assemblée :

« Jésus, dans maints royaumes
Nous t'irons proclamer.
Jésus, sous d'humbles chaumes
Nous te ferons aimer.

Et les mages partirent
Tout joyeux du saint lieu ;
Et les bergers sortirent
En chantant gloire à Dieu. »


Le temps passe et l’office suit ses méandres. Enfin la messe est dite. Il va falloir regagner la maison dans l’obscurité de la nuit froide.

Quelques échanges sur le retour ; la troupe s’étiole au gré de la distance parcourue : le Pigeon Blanc, le Pont de la Rondelle, Orvault, La Nouasse, le Port-Jarnier... Il est bien deux heures passées quand on rentre enfin dans la maison. Par contraste, il y fait presque bon. Mais le feu est éteint. Grand-mère s’est assoupie.

Un Jésus en sucre, une orange, une chemise ou une culotte. Voilà les cadeaux des enfants pauvres.

 Grand-mère Jeanne-Marie Legendre
Née Guenet

dimanche 16 décembre 2012

Le fric aux Fricaud


Je reviens sur la vie et l'oeuvre - surtout - des abbés Fricaud que j'ai pourtant déjà copieusement traitées au mois d'août dernier.

Le point de départ de cette curiosité biographique venait alors de leurs tombes, au cimetière de Guémené, en particulier de celle de l'un d'entre eux, René, surmontée d'un buste.

Je remets ci-après, d'ailleurs, la photo que j'ai postée à l'époque.



Pour mémoire et en très résumé, trois frères originaires d'une même famille Fricaud de Guémené furent prêtres de part le monde (Inde, Loire-Inférieure,...) vers le milieu du XIXème siècle.

Je viens de récemment découvrir une pièce supplémentaire de leur parcours mondial, à savoir celle qui rend compte - dans une certaine mesure - de leur ensevelissement guémenois. Et naturellement, je me devais de vous faire partager cette information. Voici les faits.

Le 29 mai 1867, le Conseil municipal de Guémené s'est réuni. Il y a là le Maire, M. Simon, ses Adjoints MM. Durand et David, les autres conseillers : MM. Chenet, Clavier (et Clavier bis), Houllier, Tessier, Gicou, Fournel, Desvaux, Bernard (et Bernard bis), Potiron de Boisfleury, Frèrejouan du Saint, Heuzé, Alliot.

Bref, la fine fleur de la notabilité guémenoise, que des noms qui fleurent leur terroir et qui ont un air de déjà entendus.

L'ordre du jour est chargé. Après avoir approuvé divers comptes de 1866, voté le budget vicinal de 1868, traité diverses questions de terrains, le Conseil délibère d'une proposition des "abbés Fricaud".

En effet, l'un de ces vénérables, demeurant "rue Trézel N°1 Batignolles - Clichy" (donc sur Paris), a envoyé une lettre en date du 11 mai 1867, par laquelle il informe le Maire de Guémené de son intention, ainsi que celle de son frère, de faire un don au Bureau de Bienfaisance.



La somme, comme on voit, est de 1.200 francs, les économies de deux pieuses vies peut-être. Il est toujours difficile de fournir l'équivalent en monnaie actuelle d'une somme ancienne, mais cela peut représenter environ 4.000 euros d'aujourd'hui.

Les abbés, pleins de sens (de l'économie), assortissent toutefois leur don d'une condition.

Il faut, disent-ils, que "la somme soit placée en rente sur l'Etat, pour le revenu en être versé aux pauvres de la commune".

Comme le taux d'intérêt devait tourner autour de 5% par an dans cette période, le revenu annuel du placement des 1.200 francs devait donc avoisiner l'équivalent de 200 euros actuels. Ou il y avait peu de pauvres à Guémené sous Napoléon III, ou bien...

Toutefois, c'est dans ce genre de circonstances qu'on voit si, en matière de représentation politique, l'on a affaire à un grand homme public ou pas.

Le Maire de Guémené poursuit ainsi l'exposé du dossier en "se faisant l'organe de la population" (c'est bien le moins) : il propose qu'on commence par voter des remerciements aux bons prêtres et aussi, bien sûr, que le Conseil accepte l'offre, si caractéristique du dévouement de ces messieurs aux pauvres de la commune.

Mais voilà, son petit doigt lui a aussi dit que les bons prélats mourraient d'envie (si j'ose dire) d'être enterrés dans leur terre natale.

Sublime, il suggère donc que le Conseil leur accorde GRATUITEMENT une concession à perpétuité dans le cimetière communal ! Wow, la teuf, quoi.

On imagine la suite : le Conseil, ému aux larmes, debout sur les tables, cède à toutes les instances de son Maire et l'autorise avec enthousiasme à prendre les sous des Fricaud et à se débrouiller pour les placer comme il se doit. Emporté par ce bel élan, le Conseil accorde également la perpèt' au bons Pères.

C'est beau comme de l'Antique.

samedi 15 décembre 2012

Histoire du pont de Beslé


J'ai toujours aimé les bouts du monde : ils ouvrent sur le mystère. D'une certaine façon, Beslé a constitué (et constitue encore) un bout du monde de Guémené. C'est là, bien sûr, que la commune vient échouer, au pied du fleuve, au port ou au pont, selon les époques. C'est aussi une limite du monde de mon enfance : les excursions à Beslé étaient fréquentes, mais on allait pas vraiment au-delà.

Beslé est indissolublement lié dans ma mémoire aux radieux (?) étés de mon enfance, comme une sorte de Nogent-sur-Marne : un fleuve pour pécher, un bistrot pour boire un coup (ma mère me commandait toujours un détestable Orangina, écoeurant et poisseux !). On imagine bien des pique-niques sur l'herbe, un transistor pour guincher. Je crois d'ailleurs que c'est ce qu'on faisait un peu.

Le côté finis terrae (bout du monde, quoi...) de Beslé vient sans doute aussi du souvenir, visuel et sonore, de son pont provisoire d'après-guerre. Son spectaculaire enchevêtrement de poutrelles autour des piles, joint au boucan quand on y passait en voiture, lui conférait un indéniable caractère de précarité, à l'instar d'un pont de planches bricolé sur un cours d'eau, qui mènerait vers un inconnu, une zone non encore cartographiée.



Et d'ailleurs, vous le voyez bien à la façon dont je suis préoccupé sur la photo ci-dessus qui date probablement de 1960 : mon regard sévère scrute le lointain, guettant le danger.


***

Longtemps, le passage de la Vilaine s'est effectué à Beslé par bateau. On peut voir sur la carte ci-dessous la situation aux alentours de 1830 (et sans doute bien avant). Le bourg de Beslé est en retrait de la Vilaine et son port (à droite sur la photo) se trouve en contrebas : c'est de là que partait le bac vers Langon.



Le développement des campagnes au cours du XIXème siècle, du commerce agricole, des foires, rendait nécessaire l'établissement d'une liaison plus commode entre les deux rives.

Les autorités oeuvrèrent donc, ici comme ailleurs, à la construction de ces ouvrages.


Décidé dans son principe vers 1850 par le Conseil Général de Loire-Inférieure, le pont de Beslé fut commencé en 1865. Un décret du 18 mars 1865 en fixait le principe. Comme c'était l'usage à l'époque, ce serait un pont à péage, la société concessionnaire en jouissant pendant 9 ans.

Le pont de Beslé fut construit en 1866 sur l’initiative du Service vicinal de la Loire-Inférieure,  par les Etablissements Joret et Cie de Paris.

Le choix de cet entrepreneur était plutôt un gage de qualité (que l'avenir démentira d'ailleurs). En effet,  les Etablissements Joret construisirent le premier pont français en acier "Bessemer" pour l'Exposition Universelle de 1867. Ce pont fut démonté après l'Exposition et remonté pour franchir la Vilaine à Port-de-Roche, près de Saint-Anne-de-Vilaine (Il s'appelle le "pont Napoléon" : on voit d'ailleurs de grands "N" et "E" majuscules sur les piles).

La construction du pont de Beslé n'alla pas sans retards. Les culées (extrémités près des rives où se cale l'ouvrage) furent terminées en novembre 1865. Les crues avaient empêché l’entrepreneur de couler le caisson dans lequel il devait fonder la pile centrale, alors que le tablier métallique (partie plate du pont) était déjà construit dans les ateliers.

Le pont sera finalement livré à la circulation en 1866. Sa largeur entre les garde-corps sera en définitive de 5 mètres 80 : une double voie charretière (pour deux charrettes ordinaires de front) de 4 mètres 60 au total et deux trottoirs de 0 mètre 60 de largeur chacun.

Ce pont ne resta pas longtemps à péage. Dès 1868, les deux départements mitoyens s'entendirent en effet pour racheter la concession.

Les années qui suivent sont l'occasion de nombreux travaux d'entretien et de complaintes corrélatives et réitérées des Conseil Généraux concernés. Cela tenait à ce que n’ayant qu’une ossature métallique extrêmement "grêle" pour un ouvrage présentant deux travées de 40 mètres de long avec double voie charretière, ce pont présentait des faiblesses.

Des dispositions durent finalement être prises pour ménager l'édifice. Ainsi, le Service vicinal de la Loire-Inférieure, qui était chargé de la surveillance de cet ouvrage, estima à la suite d’un examen sérieux vers 1900, qu’il convenait, afin de prévenir tout danger, de réduire le tablier du pont à une seule voie charretière, en élargissant les trottoirs.

Néanmoins, on dut encore prendre des mesures de sécurité en limitant les chargements susceptibles de passer sur le pont à 4.000 kg.

Cette limite de charge donnait lieu à une grande gêne pour la circulation et, d’autre part, le platelage (plancher) en charpente très vite fatigué par le roulage, occasionnait des réparations continuelles et des renouvellements en grand qui se chiffraient tous les 5 ou 6 ans environ par une dépense conséquente. Il en résultait que le renforcement ou la réfection du tablier s’imposait à bref délai.

A l’automne 1912, les travaux de réfection conduits par le département de Loire-Inférieure n’ont pas avancé comme prévu. M. du Halgouët, notable qui siège au Conseil Général d’Ille-et-Vilaine, s’en émeut et apporte des précisions.

Au train où vont les choses, il sera bientôt le 15 novembre, se plaint-il, et la date limite d’interdiction de passage sur le pont sera atteinte. Certes les deux culées et la pile centrale sont établies, mais le pont (tablier métallique) n’est pas en place (un mois de retard).

Sans doute les choses finirent par s'arranger avant la guerre de 14 et je n'ai pas trouvé d'autres informations sur ce pont jusqu'à la guerre suivante.

A l'évidence cette dernière fut fatal à l'ouvrage. Mais les avis que j'ai recueillis divergent sur la question des responsabilités de la destruction : miné par les Allemands ou bombardé par les Américains ?

Il s'écoula sans doute quelque temps avant la reconstruction. Car, ma mère qui vivait alors à Paris vint à Guémené début août 1946. Le train la laissa à Beslé où elle s'arrêta chez une cousine, en attendant un car pour Guémené. Et elle se souvient que toute la bourgade bruissait d'un accident qui venait de se produire : le boucher de Beslé, voulant ramener une vache dans une barque à partir de l'autre rive de la Vilaine, avait chaviré avec son esquif, et s'était noyé.

Vint pourtant le temps du pont provisoire qu'on entrevoit derrière ma photo, du début de cet article. Il semble légèrement décalé par rapport au pont détruit, car on voit qu'il n'est pas dans l'alignement de ses culées. Ce pont provisoire devait être remplacé par un grand pont moderne pour 1966, annonçait-on vers 1963-1964.

En fait, le pont actuel avec la route a du être reconstruit dans les années 68-70, d'après une de mes aimables sources, par les soins de l'entreprise Dodin.

Nul doute que de nouvelles découvertes vont venir éclairer le sujet. A bientôt donc pour en reparler.

Je joins pour finir une série de cartes montrant le pont de Beslé dans différents états, tirées de ma collection. On en trouve d'autres, bien entendu, sur Internet.







samedi 8 décembre 2012

La Ligne 464 000 passe à la Rabine


Il est difficile d’avoir passé tant de temps à la Hyonnais, dans mon enfance, d’avoir descendu et remonté le Boulevard à pied et à vélo tant de fois, sans que la Gare (du Nord) de Guémené et les vestiges de la ligne de chemin de fer qui la desservait ne soient de quelque importance dans ma cosmogonie mémorielle (les hauts lieux de mes souvenirs, pour le dire en français…).

Il y a bien sûr le bâtiment de la gare qui reste attaché pour moi à la figure du père et de la mère Mudet, qu’on saluait en passant avec Grand-Mère Gustine, et qui, de leur petit jardin où fut jadis le parking de cette gare, répondaient bien gentiment. Le bonhomme avait été le dernier chef de gare et ma grand-mère avait travaillé au début des années 60 chez son gendre, au bas du Boulevard, à s’occuper des enfants dont la quantité était, à mes yeux, incalculable.

Mais au nombre des autres vestiges pour moi significatifs de ce passé ferroviaire qui me concerne, j’ajouterais la maisonnette du passage à niveau, près du Pivert, avec son puits à haute margelle cylindrique, et, bien sûr, vers la Rabine, le fantôme de la voie abandonnée, dénudée de ses rails, traverses et ballast, emplie d’herbes folles où l’on disait les vipères pulluler.


Contrairement à l’autre ligne de chemin de fer qui plus tardivement traversera Guémené du Nord-Ouest au Sud (dont j’ai parlé récemment sur le blog), cette ligne-là ne fut pas empruntée par de grands trains. Non, c’était une petite ligne de liaison.

Son tracé (qu'on peut toujours suivre à l'oeil nu sur Google map !), venant de Beslé, partait sur Massérac puis bifurquait au niveau du village de la Thébaudière, passait à la gare de Coismo où une halte s’effectuait.

Ensuite la voie était parallèle à la route de Massérac à Guémené, longeant au Nord St-Yves, Friguel et Feuilly. A ce niveau, elle poursuivait jusqu’au-dessus du Pont-Esnault vers lequel elle passait sous un pont à rebords métalliques sur la route de Beslé, puis s’intercalait entre la route de Guémené et les villages de Launay-Richard et de La Grée Caillette.

Peu après, c’était la Gare de Guémené-Penfao, trônant en haut du Boulevard (aujourd’hui « de Courcelles »). Je ne peux d’ailleurs m’empêcher de faire un parallèle entre le Boulevard de Guémené où la majestueuse Gare républicaine répond, au Nord, au chevet de l’imposante Eglise située au Sud, et les Champs-Elysées à Paris où l’Arc-de-Triomphe et l’Obélisque de la place de la Concorde sont l’alpha et l’oméga de cette grande et fameuse artère.

Passée cette gare, la ligne continuait en suivant la rue de la Rabine, traversant à un moment la route du Brossay (maisonnette de passage à niveau de la photo ci-dessus). Elle devait se poursuivre par St-Joseph du Nain (maisonnette de passage à niveau), la Helberdais, le Gros Chêne. Elle traversait la route de Pierric (maisonnette de la Cour Neuve) et continuait vers l'actuelle déchetterie qu'elle longeait au Nord.

Le tracé se rapprochait progressivement de la route de Derval, quittant bientôt le territoire de Guémené. Le train s’arrêtait ensuite à mi-distance de Conquereuil et Pierric au lieu dit « la Gare ».

Il est, au passage, curieux de noter que les gares ou les haltes sont toujours loin des bourgs : la gare de Coismo est à 1 km au moins de Massérac ; la gare du Nord à Guémené est à plusieurs centaines de mètres du centre bourg ; la gare de Conquereuil-Pierric à 3 ou 4 km de ces deux bourgades ! On imagine, selon les époques, le ballet des charrettes, le car, voire une Celtaquatre Renault peut-être …

Voici maintenant ce qu’on peut dire de l’histoire de cette ligne dont le nom est soit « ligne de Chateaubriand à Massérac » soit «Ligne de Saint-Vincent-des-Landes à Massérac », mais qui porte le numéro 464 000 du réseau ferroviaire national.

La ligne fut inaugurée par la Compagnie des Chemins de Fer de l’Ouest le 11 avril 1881. Elle reliait Chateaubriand, via Saint-Vincent des Landes, Derval, Conquereuil-Pierric, Guémené et Massérac, à la ligne Rennes-Redon, peu après qu’elle quitte Beslé. La gare de Massérac fut créée pour l’occasion.


Trois trains, dans les années 20 du siècle passé, desservaient cette ligne, dans les deux sens. Au demeurant le trajet n’était pas spécialement rapide et il fallait plus d’une heure pour se rendre de Guémené à Chateaubriand situé pourtant à seulement 40 km. Il faut bien dire que train s'arrêtait toutes les 10 à 15 minutes...

Trois trains de voyageurs partaient de Chateaubriand, le matin tôt, à l’approche de midi et en soirée. Idem au départ de Redon.

Ces trains arrivaient à Guémené vers 6 heures - 6 heures et demi, le matin ; vers 13 heures  - 14 heures ensuite et enfin vers 17 heures ou vers 20 heures 30, le soir.

Cette ligne portait cependant un trafic marchand assez important. Dans les années 30 tourmentées et inquiètes de la montée en puissance de l’Allemagne, ma mère se souvient que des wagons de pommes transitaient, en route vers ce pays. Elle conserve dans l’oreille une réflexion que les gens faisaient parfois à ce propos : «  On envoie les pommes en Allemagne, les allemands pourraient bien nous retourner des pépins ».

C’est d’ailleurs dans l’année de la déclaration de guerre avec le Reich hitlérien que cessa le trafic voyageur. Le père Mudet n’en fut pas quitte pour autant car le trafic marchand se poursuivit avec intensité pendant la guerre. Ce dernier ne cessa que le 18 mai 1952 avant que la ligne ne soit déclassée, le 12 novembre 1954. Ainsi s'acheva 70 ans d'histoire ferroviaire à Guémené.

Mais il s’en sera fallu de peu que je ne vois passer les trains à Guémené.

Je tiens enfin à signaler un excellent site "ferroviaire" auquel j'ai emprunté pour cet article et le précédent :

http://rail-bretagne.forumbreizh.com/t226-ligne-de-chateaubriant-a-masserac-1881-1939-1952