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mercredi 30 octobre 2013

Moïse pas sauvé des os


Le terme "Grée" signale toujours une éminence, dans notre région.  En quittant la Grée-Caillette, le cheval tira donc la carriole à descendre la route de Beslé, à gauche, pour se diriger vers le bourg de Guémené. Il faisait un temps à se promener, un temps de début juin 1932.

Au bout de quelques centaines de mètres, on aperçut le cimetière, son mur centenaire, son monument aux morts taillé par Nicot planté devant le carré des enfants morts, groupés comme à l'école, dont la blancheur des tombes sous le soleil renvoyait un éclat aveuglant ; la chapelle des Simon,  aussi, ces dynastes municipaux éteints, unique en son genre en ce jardin lithique et funéraire ; et enfin les croix des autres tombes, celles de la foule.

Evidemment, on pense à la vie et à ceux qui l'ont perdue, parents, amis, voisins, aux morts récents. Mais les passagers de la carriole n'étaient pas de Guémené. C'est à Conquereuil qu'étaient les leurs, et c'est à Conquereuil que paisiblement ils s'en retournaient.

Car il s'agissait de Moïse Gautier, cultivateur âgé de 49 ans et propriétaire à la Daniellerie en Conquereuil qui, en voiture hippomobile, s'en retournait chez lui accompagné des Morel, parents de sa première épouse.

Sa jeune et vigoureuse bête marchait bon trot dans la descente vers le centre du bourg, passant sans ciller les cafés des Naël, Pesneau, Marie Rondel ou Boussard. La bâtisse imposante de la Mairie de Guémené barrait le fond de la rue de Beslé comme un décor de théâtre. La carriole de Moïse se précipitait vers cette scène dramatique pour accomplir son Destin.

Car soudain, un peu avant la "Maison Commune" de Guémené, à peu près à hauteur du magasin de tissus que tient avec sa fille et son gendre la Veuve Thébault, magasin qui fait l'angle avec la rue de la Poste, la jument prit le mors aux dents et s'emballa.

Moïse Gauthier n'était pourtant pas un novice. Et dans sa vie d'homme fait, il avait dompté bien d'autres cavales, bien d'autres haquenées dévoyées.

L'enragement de l'animal était tel cependant, qu'il ne put plus, dès lors, le retenir. L'attelage en folie pris le tournant  derrière la Mairie bien trop court. Emporté par la vitesse, la roue gauche de la voiture heurta brusquement le trottoir de granit et sauta par dessus.

Un choc terrible se produisit alors, projetant violemment Moïse Gauthier - et Moïse Gauthier seul -  hors du véhicule.

Adieu, la tragédie, bonjour la comédie :

Compte tenu des lois de la balistique, Moïse tomba droit sur la tête.

Madame Veuve Thébault, qui avait vu l'accident se produire, s'empressa autour du blessé évanoui et, aidée de quelques bonnes volontés (il y en a toujours), le rentra chez elle. On lui fit une couche sur le comptoir où l'on métrait coton, rubans et galons. On administra quelques premiers soins, on tamponna la tête meurtrie de charpie issue de quelques chutes de bons tissus.

Les docteurs Gauthier et Benoist furent appelés à la rescousse. Ainsi, tout ce que la science médicale comptait à Guémené vint se pencher au chevet de Moïse Gauthier mourant. N'y voyez certes pas une paire de vieux Knock. Bien au contraire. Ces deux braves personnes durèrent dans la commune, y furent respectés et y habitaient de grandes demeures bourgeoises.

Fort à propos, nos Esculapes locaux diagnostiquèrent une fracture du crâne.

Le blessé perdait son sang par la bouche et l'oreille droite. Une heure durant, Moïse Gauthier resta dans le coma, ce qui probablement lui évita d'entendre le pire. Ce dernier détail laisse à penser d'ailleurs qu'on attendit qu'il revint à lui pour lui fournir quelques perspectives.

Le traitement proposé par les médecins ne peut mieux être exprimé que par la formulation suivante : "MM. les docteurs, jugeant son état grave, conseillèrent de le transporter au plus vite à son domicile." Où l'on voit que le plus important pour la santé est de mourir chez soi.

On n'ose imaginer le trajet de retour du blessé vers son lit de mort, les six kilomètres jusqu'à la Daniellerie, en Conquereuil...

Heureusement, tout est bien qui ne finit pas complètement mal. Car comme on le lit encore : "Des deux personnes restées dans la voiture, aucune n'a été blessée." Et on se prend à rêver de l'existence, en 1932, des ceintures de sécurité pour les passagers et les conducteurs des attelages.

Mais les nouvelles les plus rassurantes provinrent de la jument :"Bien qu'affolé par la secousse, l'animal fut maîtrisé au bout de peu de temps."


***

Ci-dessous deux clichés du "théâtre du drame" : la mairie de Guémené et la pente fatale que suivit la jument de Moïse avant de tourner à gauche ; en violet, l'ancien magasin magasin de la Veuve Thébault.



En supplément, la source où j'ai puisé : Ouest-Eclair, édition de Nantes, numéro du 11 juin 1932 p. 7.

lundi 28 octobre 2013

Vacherie à la foire de Guémené


C'est la foire à Guémené et le monde afflue dans les nombreux cafés du bourg. Une foire est toujours un événement, mais celle de cet automne 1927 marquera quelques esprits plus particulièrement.

Par exemple, une jeune boulangère, Mme Marie Poulain, (une fille Boussard qui a tout juste vingt et déjà un enfant), qui observe tout de son magasin et qui, contemplant dehors le singulier spectacle fourni par un marchand de bestiaux, ne peut s'empêcher de faire cette réflexion : " Au lieu de laisser tomber cela à terre, on devrait le mettre dans un récipient et le donner aux pauvres."


Ou encore M. Jarnot, fils âgé de quinze ans de l'aubergiste de la place de l'Eglise, lui aussi témoin de l'étrange manège du marchand de bestiaux, qu'il entendit répondre à la boulangère vers qui il s'était tourné : " Vous en voulez ? Allez chercher une casserole !". Et c'est d'ailleurs ce que s'empressa de faire la jeune Mme Poulain.

Puis, au bout d'un moment, il vit que le marchand ramenait avec ses souliers de la terre près de l'animal auprès duquel il s'était affairé, comme pour faire disparaître toutes traces suspectes. L'opération terminée, l'homme entra dans l'auberge de Victor Jarnot.


Quand le marchand s'encadra dans la porte de l'estaminet-charcuterie Jarnot, les clients attablés jetèrent un œil distrait à cet homme jeune (vingt-cinq ou trente ans peut-être), vêtu d'une blouse noire et coiffé d'une casquette grise, une silhouette trapue de taille moyenne (un mètre soixante cinq, probablement) dont le seul élément remarquable était la paire de moustaches qui barrait le visage, des bacchantes "taillées à l'américaine"... 

Seul un autre maquignon habillé d'une blouse noire et portant des souliers jaunes, qui partageait un verre avec un autre homme, remarqua l'imperceptible clignement d'yeux que lança le nouvel entrant à son intention, l'air de dire que tout était au point...

Cela faisait un moment que les deux hommes attablés étaient assis et trinquaient joyeusement. Celui des deux qui était le marchand racontait des "gaudrioles" et amusait celui qui apparemment était un cultivateur. Ils fêtaient la vente de la vache de ce dernier au profit du premier et de son associé qui venait d'entrer les rejoindre. Encore une bolée et tous trois sortirent pour conclure l'affaire.

La vache de Monsieur Quérard attendait, attachée à une clôture tout à côté. Elle était bien loin de son Langon natal, là-bas à la Gourlais de l'autre côté de la Vilaine, mais cela ne semblait pas altérer sa placidité. Et d'ailleurs, contrairement à la chèvre de Monsieur Seguin, elle n'avait rien à craindre, car c'est une autre victime que les "loups" qui s'approchaient d'elles avaient déjà choisie..

Les trois hommes se dirigeaient maintenant vers elle et l'un d'eux, tout radieux, portait une sorte de seau : c'était son maître qui s'apprêtait donc à la céder aux deux marchands. Les conditions de cette transaction avaient été fixées par les deux commerçants : 80 francs par litre tiré.

L'heure de l'ordalie avait sonnée. Les deux acheteurs se positionnèrent de part et d'autres de la bête tels deux huissiers, solennels et conscients de leur rôle : ils surveillaient le brave homme - qui s'était accroupi plaçant le seau sous les mamelles du bovidé -, et la bête, qu'ils avaient déjà marquée sur le dos à leurs initiales...

La traite démarra et le lait venait à jets puissants résonner sur le fond métallique du récipient. Soudain pourtant, M. Quérard se releva, tout secoué de colère : "Bon d' là de bon d' là ! ça par exemple, s'écria-t-il, c'est extraordinaire. On a dû traire ma vache...Le lait ne vient plus...Elle m'en donne ordinairement un seau entier..." 

Hélas, on mesura le liquide tiré : il y en avait juste deux litres et quart ! Le pauvre M. Quérard eut beau se démener, tempêter, crier qu'il était volé, il dut céder sa vache au prix dérisoire de 170 francs (une centaine d'euros). Les deux compères, qui s'empressèrent de déguerpir avec la bête, avaient encore trouvé moyen de le rouler de 10 francs sur le prix convenu. Décidément, le père Quérard était aussi naïf en affaires qu'ignorant des règles de multiplication...

Il avait d'ailleurs bonne mine, face aux gendarmes, quand il fit sa déposition à la gendarmerie de Guémené où il était venu déposer plainte pour cette escroquerie.

Ce n'est pas la boulangère, la jeune Mme Poulain, qui se plaignit : elle avait gagné un demi-litre de lait gratuit que le marchand tricheur lui avait fourni tandis qu'il vidait la vache de son lait pour en faire baisser le prix et pendant que le père Quérard cédait aux charmes de la bolée de cidre avec son compère.

***

Il n'y a pas d'épilogue à cette histoire que j'ai trouvée dans Ouest-Éclair, comme souvent. Sinon que le journal reçut quelques temps après une protestation des marchands de bestiaux de Guémené qui dénonçaient l’amalgame de l'article qui prétendument généralisait à toute une profession saine les pratiques malhonnêtes de quelques uns.

S'ils le disent...

dimanche 27 octobre 2013

Comment Anne-Marie découvrit la civilisation


Il y avait bien toujours la possibilité d'aller travailler à Nantes, chez les O., la fille du pharmacien de la place de l'église.

Mais Lucie Guiton, voisine de l'Epinay, avait entendu dire chez le boulanger qu'une place était à prendre à La Baule, pour un mois.

Bien des discussions eurent lieu à la maison : Gustine, la mère, en tenait pour les O. de Nantes, mais le père était favorable à La Baule. Et c'est le père qui l'emporta, contre la mère qui, pour autant, restait sur sa position : après tout, on ne connaissait pas ces gens-là, alors que les O., enfin la famille du pharmacien, des gens de Guémené, on voyait bien à qui on avait affaire. C'était quand même important de ne pas se tromper : après tout, Anne-Marie, la fille, n'avait que quatorze ans et partir de la maison pour un premier travail, "au loin", ce n'est pas rien pour une jeune fille.

C'était l'été, et cette année-là (1935), il fut très beau. On fit quelques préparatifs et l'on remplit une vieille valise. La mère Gustine malgré ses préventions (ou à cause d'elles, justement) décida d'accompagner sa fille par le train. Guémené - La Baule prenait alors un certain temps, il fallait changer, prendre un casse-croûte en route, les arrêts un peu partout...une aventure, en somme.

On arriva à La Baule et l'on fit connaissance avec les patrons et leur maison.

Ils demeuraient dans une villa qui se situait Avenue Drevet, à côté de l'hôtel "Cécilia", non loin de l'hôtel "Royal". Le casino municipal se trouvait à deux pas, ainsi que le Remblai - et donc la plage.

Cette villa disposait d'un petit jardin où poussaient des tomates et des épinards. Des épinards ! On (Anne-Marie) n'en avait jamais vu à Guémené !

La famille qui employait Anne-Marie était franco-italienne : le mari était un officier transalpin ayant épousé une française. Ils avaient une fille de douze ou treize ans. Une amie les accompagnait dans leur villégiature, une Madame Deloncle apparemment, veuve récente, peut-être d'un politicien.

A cette société se joignait aussi une gouvernante anglaise qui logeait à l'hôtel tout proche.

A la grande surprise de la jeune bonne de Guémené, c'était l'officier italien qui faisait la cuisine. Et quelle cuisine ! De la tomate partout, en salade, en sauce,...!

Anne-marie écrivait à sa mère pour la rassurer. Elle lui racontait cette famille - des italiens ! - et l'étrange traitement culinaire auquel elle était soumise, parmi tant d'autres étonnements : la plage, les villas, les marchands de journaux qui criaient les gros titres sur le Remblai, les marchands de glaces avec leurs petites voitures, etc...

La Mère Gustine lisait ces comptes-rendus avec consternation, trouvant dans les curiosités que lui rapportait sa fille matière à renouveler ses appréhensions et à la renforcer dans la conviction que sa fille aurait bien mieux fait décidément d'aller travailler chez des gens "normaux", les fameux O. de Nantes, par exemple.

Comme elle "bobillonnait" pas mal avec les "bonnes femmes" du pays, elle leur narrait toutes les aventures peu ordinaires de sa fille à La Baule. Et ça brodait là-dessus. Et plus ça allait, plus les "bonnes femmes" encourageaient la Mère Gustine dans sa résistance à ce séjour à La Baule, ce lieu de perdition. Les discussions s'éternisaient à la maison et à l'évocation de sa fille égarée chez les mangeurs de tomates italiens, la Mère Gustine y alla plus d'une fois de sa larme.

Au vrai, pourtant, la vie n'était pas mauvaise sur la Côte d'Amour, tant s'en fallait. Le travail par exemple n'était pas trop dur : les courses, la vaisselle, un peu de ménage...le travail d'une bonne, en somme. L'officier italien parlait à Anne-Marie avec un certain respect. Il lui avait dit par exemple que si elle avait l'habitude d'aller à la messe, elle pouvait bien entendu y aller. Visiblement, cette habitude n'était pas celle de la famille.

Le dimanche, on pouvait sortir et aller s'acheter une glace (la première jamais mangée, et qui était bien bonne...) ou voir la mer. Il y avait le spectacle inédit d'une station de vacances pour gens chics (même si les choses n'étaient plus comme avant la crise). Il y eut notamment ce concours d'élégance automobile qui se tint le vendredi 16 août après-midi : de belles autos, de belles toilettes, de belles femmes, sillonnèrent la ville. Les riches faisaient le spectacle.



Sur le Remblai, les crieurs de journaux aboyaient leurs manchettes : Ouest-Éclair ; Paris-Soir ; la fin tragique de la Reine des Belges, la Princesse Astrid, cette Diana des années 30 qui se fracassa en voiture contre un arbre, le 29 août 1935...



A la villa, on parlait. L'officier italien trouvait normal que l'Italie cherche à conquérir l'Ethiopie : après tout la France avait bien des colonies aussi...

A Guémené, on parlait. La Mère Gustine pleurnichait sur les malheurs supposés de sa fille. De guerre lasse, le père céda aux instances de Gustine. Un beau jour, il se présenta à la villa pour venir chercher Anne-Marie et la ramener à la "civilisation", c'est-à-dire à la médiocrité rurale du Guémené de l'époque et à la société des gens qu'on connaît, comme les O. de Nantes, la fille du pharmacien de la place de l'église.

Le père discuta un moment avec l'officier italien, seul à seul. Celui-ci commenta ensuite auprès d'Anne-Marie cet échange, disant que son père était un homme "bien" et qu'il fallait l'écouter. Sans doute la "Grande" guerre vint-elle dans leur conversation...Et aussi les disputes avec la Mère Gustine dont l'expérience de la vie était plus bornée que celle du père qui avait vécu à Nantes et servi chez les bourgeois (il était cocher).

L'aventure de La Baule s'arrêta là. On s'en revint à Guémené par la route comme le père était venu : Louis Gauthier, un "bourgeois" de Guémené qui faisait des affaires à La Baule (et qui monta plus tard un élevage de poulets), les ramenant dans son auto.

Anne-marie n'eut rien des 120 frs (90 euros environ) du salaire promis (sa première paye !). Il est à croire qu'ils furent remis au père. Et encore pas la totalité, car le prix du voyage en train avait été avancé...

Peu de temps après, Anne-Marie finit par partir à Nantes, faire la bonne chez les O., la fille du pharmacien, lesquels ne cuisinaient pas à la tomate. Elle y resta assez longtemps, se défendant des avances insistantes du mari.

Retour à la civilisation.

dimanche 20 octobre 2013

Du Tregroaz dans la Pampa


Voici à nouveau le bon docteur Benoist qui soigna tant de guémenois à la fin du XIXème et dans les premières décennies du XXème siècle et dont j'ai parlé à plusieurs reprises déjà.

Son talent et sa fortune s'allièrent pour lui permettre de se construire une demeure de gentilhomme. Cette gentilhommière est sur la route de Redon, au 29 : c'est le Manoir de Tregroaz. Certes, il est moins photographié et "cartepostalisé" que les autres châteaux de Guémené. Mais il n'a que 100 ans depuis 4 ans : c'est un jeune castel, entré que récemment dans la carrière des belles demeures de Guémené.

Voici deux cartes postales néanmoins qui donnent une idée du bâtiment. Mais si l'on tape "Tregroaz" dans le moteur de recherche de Google, on tombe sur un site familial dont la frise de la page d'accueil contient diverses photos de la propriété avec un parc qui doit descendre jusqu'au Don.



Enfant, ma mère garda les vaches dans le pré en face de la propriété, de l'autre côté de la rivière : la silhouette du Docteur lui apparut à l'occasion (pour une fois qu'il ne s'agit pas d'une bergère voyant une Sainte-Vierge...). Il paraît d'ailleurs qu'il arrachait aussi les dents (brutalement d'après ma mère) ; il vint aussi au village de l'Epinay visiter ma tante Madeleine atteinte, dans son enfance, d'une attaque de poliomyélite.

Je ne sais pas ce que signifie "Tregroaz". Mais Internet nous révèle que le Docteur Benoist nourrissait une passion, celle de l'élevage canin qu'il associait, on le verra, au nom de sa propriété. Les conséquences de cet engouement sont encore perceptibles de nos jours.

Parmi les chiens que le médecin de Guémené naissait et élevait, plusieurs eurent les honneurs des expositions canines de la région. Et plusieurs, essentiellement des Pointers, y remportèrent des prix dans les années 20 et 30 du siècle passé.

Ainsi, à Nantes en juin 1924, le Docteur emporte un 2ème Prix avec Uhlan de Tregroaz (catégorie Pointers Field-trailers chiens).

En juin 1925, le médecin éleveur présente ses bêtes à Rennes. Nouvelle moisson de Prix : 1er Prix parmi les field-trailers pour Uhlan de Tregroaz qui gagne également le 2ème Prix en classe ouverte chiens ; Ukraine de Tregroaz fait encore mieux en obtenant non seulement le 1er Prix en classe ouverte chiennes, mais aussi parmi les field-trailers chiennes.

En 1926, c'est à nouveau en juin l'exposition de Nantes. C'est une année faste : le Docteur Benoist y rafle avec ses Pointers pas moins de six prix. Uhlan de Tregroaz à lui seul en rapporte deux (2ème Prix en classe ouverte chiens et 1er Prix parmi les field-trailers chiens). Ukraine de Tregroaz s'adjuge quant à elle le 1er Prix des field-trailers chiennes et Yole de Tregroaz, le 1er Prix en classe ouverte chiennes. La série est close par le 3ème Prix chez les jeunes chiens du prometteur Zug de Tregroaz.

En juin 1927 se tient la dixième exposition canine de Rennes. Les Pointers du Docteur lui procurent un 2ème Prix avec Zug de Tregroaz et une mention Très Honarable avec son frère, Zodiaque de Tregroaz. En août de la même année, se déroule l'exposition internationale canine de La Baule. Les Pointers du docteurs y sont en lice et honorent une fois de plus leur propriétaire :Uhlan et Yole de Tregroaz obtiennent chacun un 1er Prix avec la note Très Bien.

Yole de Tregroaz fait encore sensation quelques temps après, début juin 1930, à l'exposition canine de Vannes avec une 2ème prix en classe ouverte chiennes.

Signalons encore l'exposition canine de Rennes en juin 1932 et le 2ème Prix d'Elkala de Tregroaz en classe ouverte femelles. A noter qu'à la faveur de cet événement le Docteur diversifiait ses succès avec un Basset fauve de Bretagne, Dartagnan qui, en classe ouverte mâles, fut récompensé d'un 1er Prix.

Il y a eu sans doute bien d'autres récompenses dans bien d'autres expositions de la région que je n'ai pu tracer. Mais qu'importe. Car le succès d'éleveur du Docteur Benoist est bien ailleurs.

A la fin des années 20, un médecin argentin, Antonio Nores Martinez, assisté de son frère, joue au docteur Frankenstein et décide de fabriquer une race canine argentine capable de chasser le sanglier et le puma. Programme ambitieux !

En voici la recette : vous prenez un chien de Pelea (vieux chien de combat de la province argentine de Cordoba). Vous lui ajoutez une pincée de Dogue allemand, ce qui lui donnera une bonne taille.

Ensuite, vous le mélangez avec de l'Irish Wolfhound pour obtenir du courage et de la rapidité.

Vous le blanchissez avec du Mâtin des Pyrénées et lui renforcez la mâchoire avec du Bulldog anglais.

Pour faire enfler la tête, administrez un zeste de Dogue de Bordeaux, et un "doigt" de Mastiff pour la carrure et l'obéissance.

Assaisonnez d'une bonne dose de Boxer, pour l'endurance et l'agilité.

Enfin, trouvez un Pointer de grande qualité pour donner du nez à votre chimère canine.

Pour obtenir, justement, un chien ayant un "nez" exemplaire, le frère du Frankenstein argentin des chiens importa précisément de France l'étalon Pointer 
 Zug de Tregroaz du bon Docteur de Guémené.


C'est ainsi que, grâce aux talents d'éleveur cynophile d
u Docteur Benoist, un peu de Guémené-Penfao gambade dans la Pampa après pumas et sangliers...

dimanche 13 octobre 2013

Le corbillard de grand-mère Legendre


Elle était née en 1860 au village de L'Epinay. Jeanne-Marie Guenet, épouse Legendre, était la grand-mère paternelle de ma mère.


Elle était si sourde que le curé devait écrire sur une ardoise pour la confesser...Mais malgré tout, le 17 octobre 1927, dans son lit de sa maison de L'Epinay, en présence de ses enfants et petits-enfants, elle entendit l'appel du Ciel, et rendit l'âme.

On l'assit pour lui faire sa toilette et on envoya les jeunes enfants de la maisonnée chez des voisins. Quelqu'un arrêta l'horloge.

Un menuisier fabriqua un cercueil. L'Etat-civil, le curé, les amis, parents et alliés furent prévenus.

Le jour de l'enterrement,  un voisin prêta un cheval pour tirer le corbillard hippomobile ; puis d'autres chargèrent le cercueil sur le corbillard. On assit mon (futur) oncle Julien qui n'avait que quatre ans à côté du conducteur. Le voici, quelques années avant cet événement :


Ma mère, avec les parents, suivit à pied jusqu'à l'église : quatre kilomètres de marche funèbre. Elle avait six ans, à peu près comme sur la photo ci-après :


D'après ma mère, c'était un enterrement de 2ème classe. Cela paraît devoir signifier la présence de tentures autour du "baldaquin", au-dessus du cercueil. Une couronne de perle exprimait la considération de la famille pour la défunte. Ces perles avaient une odeur...qui, 87 ans plus tard presque jour pour jour, la poursuit encore.

Il ne subsiste plus grand-chose de ce cortège. Seule ma mère et l'odeur des perles de la couronne existent encore. Et peut-être le corbillard.

On trouve en effet depuis peu sur le site de vente entre particuliers Leboncoin.fr une annonce pour un véhicule de cette nature, sur Guémené. Je joins deux photos qui figurent avec l'annonce :



J'ai signalé l'annonce à la Mairie qui pourrait, à l'instar d'autres municipalités, sauver ce morceau du patrimoine de Guémené, cet objet qui fut si "proche" de tant de nos ancêtres qui l'empruntèrent en un dernier voyage ou qui y posèrent leurs yeux humides. 

Je suis prêt à participer à ce sauvetage, mais je n'ai pas où "héberger" ce témoin du passé un peu volumineux : Il faut que quelque chose se passe et que Guémené conserve son corbillard antique !

En attendant des nouvelles des édiles, je vous dis à bientôt...

samedi 12 octobre 2013

La croix et la manière (5)


Voici un petit additif à la série en quatre épisodes consacrée naguère aux croix et calvaires de Guémené. Petit additif, car je n'ai que deux spécimens à ajouter aux vingt-cinq croix ou calvaires déjà montrés dans les posts précédents. Mais ces deux nouveaux cas sont intéressants, l'un par son originalité, l'autre par la ferveur (et donc l'entretien) qu'il semble susciter. Heureuse symétrie, l'un appartient au bourg, l'autre à la campagne guémenoise.

Il y a quelques années encore, je prenais mon vélo et quittais ma Hyonnais par la route étroite et champêtre du Brossay. Dans le premier virage, après la borne rouge du "Service d'eau", une voie part à gauche vers la ferme de La Courtinais (au fait : que sont devenues les "filles de La Courtinais" de mon enfance, ces jeunes Cogrel qui venaient de temps à autre, l'été, partager nos simulacres de messes, de mariages ou de battages dans nos cabanes et dans nos granges ?). 

Puis bientôt on atteint une autre route, perpendiculaire, qui sillonne la campagne selon un axe Nord Sud, escaladant une côte (la côte de La Violette) déjà rude dans mes jambes d'enfants, trop rude pour que je la monte encore avec mes jambes d'aujourd'hui.

Bientôt on aborde des hameaux : La Foie, Castres, Le Jarrier. On tourne à droite et deux routes plus loin on repart au Nord : un carrefour, c'est La Daviais. Encore un effort et sur la droite apparaît une croix perdue dans un fouillis végétal, adossée à un champ de maïs, entourée de jeunes arbres, nichée dans un buisson exubérant et décorées de quelques roses couleur coquelicot qu'une main a déposées.




Cette croix (27) repose sur un socle maçonné cubique comportant une petite niche où un statuette a trouvé à se loger. C'est une de ces petites vierges de Lourdes en plastique, qui se remplissaient d'eau dudit lieu. En déménageant ma maison à La Hyonnais pour des travaux, j'ai mis la main sur un exemplaire semblable, au fond d'un vieux placard. Elle était pleine de liquide et cette eau n'était pas croupie, car par miracle elle s'était commuée en eau-de-vie ! 

Au pied de la niche abritant la vierge de Lourdes, un cartel signale au passant, en grosses majuscules, que cette croix doit son salut à la "FAMILLE DEGRE : DESVAUX". Qu'ils en soient sincèrement remerciés, car en général, malheureusement, ce patrimoine abandonné sur les chemins, souffre des outrages du temps.



La croix est décorée d'arabesques métalliques. Au milieu, un petit Christ rouillé expie patiemment les péchés du Monde.





L'autre croix dont je veux parler n'a rien à voir avec cette humble démonstration de la piété des campagnes. Combien de fois suis-je passé devant sans la voir, et pourtant elle se doit de figurer à tout inventaire de cette nature.

Cette croix (26) est belle par son ampleur, sa matière, sa forme, son socle.

On la trouve à la sortie du bourg, sur la route de Redon, à l'entrée du chemin qui conduit au manoir de Tregroaz. Cette demeure fut celle du docteur Émilien Benoist dont j'ai célébré la thèse de médecine tout récemment. Il y rendit l'âme d'ailleurs.


La couleur sombre des éléments de ce monument se fondent sur la végétation et c'est sans doute pourquoi l’œil n'est pas accroché. Tout à côté se trouve une maison de brique rouge dont l'angle comporte une fenêtre aveuglée où une peinture a été réalisée : un balcon avec un pot de fleurs, un oiseau et un chaton sur fond de rivière et de pont, au loin. Voilà pour point de repère.



A gauche de cette maison quand on la regarde, se dresse la magnifique croix de Tregroaz : une croix de pierre, une ardoise nue, luisante et élancée, d'un bleu profond, qui fait penser - en moins élevée - à la croix qui fait sentinelle à l'entrée de la propriété de Tréguel, sur la route de Beslé (19).

Aucune inscription ne vient éclairer son origine, l'intention de ses commanditaires, son âge.


A sa beauté hiératique se joint celle de son socle, ensemble de pierres de schiste moussues, enguirlandé de lierre, ayant la forme d'une haute barque dont la proue regarde la route de Redon et paraît tourner le dos à la rivière du Don située en contrebas.





Ainsi s'achève l'inventaire des croix et calvaires de Guémené...à moins que le hasard ne m'en fasse découvrir d'autres, le cas échéant avec votre concours....

Comme pour les articles précédents, je republie ci-après les deux cartes de la commune avec les numéros des croix, intégrant celles étudiées ce jour. A très bientôt.



dimanche 6 octobre 2013

Les Pieds nickelés à Massérac


Il ne devait pas se passer grand-chose dans les campagnes dans les années 1930, misère mise à part. Ni d'ailleurs à la rédaction de Ouest-Éclair. En tout cas, c'est l'impression que donne la couverture par ce journal d'un vol survenu à Massérac le 6 février 1933.

De quoi s'agit-il ? Deux gamins de Guémené, Louis Guérin, 22 ans, manœuvre sans domicile fixe et Eugène Lebreton, 17 ans, domestique à la ferme de La Cavelais, ayant soit-disant subis plusieurs condamnations (et étant donc connus des services de police, selon l'expression consacrée), déambulent désœuvrés dans le bourg de Massérac.

Ils avisent la chapelle Saint-Benoit et profitant de la solitude des lieux, cassent le tronc. Pas de chance, il ne contient que 40 centimes. Ils quittent les lieux sans s'apercevoir, dans leur dépit, qu'au pied du réceptacle à offrandes 1 franc 25 sont tombés par terre...


La couverture de l'affaire par Ouest-Éclair est marquée au coin de l'exagération : ce sont les termes employés, les adjectifs, la complaisance littéraire dans laquelle paraît se vautrer le journaliste qui relate les faits...Cette aventure d'un Ribouldingue et d'un  Filochard de campagne prend tous les dehors d'une affaire sérieuse. Voyez vous-même ci-dessous (je mets les extraits des articles en italique).

D'abord, c'est une grosse affaire, par la malignité des malfaiteurs : "d’adroits malfaiteurs [ont] fracturé un tronc et pris la poudre d’escampette sans être inquiétés".

Mais aussi par l'ampleur et la qualité des moyens mis en oeuvre pour la résoudre : "La brigade de Saint-Nicolas de Redon, au cours de l’enquête serrée qu’elle avait ouverte dès l’annonce de l’événement, eut des présomptions."  et "...les gendarmes de Guémené-Penfao, prévenus par leurs collègues ...réussissaient à rejoindre nos deux lascars."

Ces deux énergumènes sont évidemment de mauvais sujets puisque ils sont réprouvés par l'opinion publique de Guémené : "Guérin et Lebreton avaient acquis dans le pays une réputation déplorable. Lebreton surtout était fort mal considéré." Et d'ailleurs ce dernier, confronté à l'hostilité des braves gens à son égard envisageait une rupture radicale : "Il avait décidé en dernier lieu de s’engager pour 5 ans dans la Marine."

Les gendarmes de Guémené doivent utiliser les grands moyens face à ces "lascars" qui se défendent avec vigueur des imputations qui leur sont faites : "Guérin et Lebreton protestèrent énergiquement de leur innocence. Néanmoins, on les conduisit au bureau de la caserne." Le "néanmoins" du début de phrase est suave et a un petit côté théâtral : comme si les choses avaient pu se passer autrement !


Face à deux voyous aguerris par des expériences précédentes, les gendarmes doivent mettre la pression pour obtenir des aveux : "Les détrousseurs [...] n’avouèrent qu’après un long interrogatoire." ou encore : "Leur interrogatoire dura jusqu'au crépuscule. A la fin, de guerre lasse, les vauriens se mirent à table."

Le procès-verbal de l'interrogatoire tel que réécrit par Ouest-Éclair permet de revivre les faits comme au cinéma ou au théâtre :

Premier acte : "Profitant de ce que l’église de Massérac était déserte, et flairant la bonne aubaine, ils s’étaient introduits dans le sanctuaire. Leurs regards s’étaient posés tout de suite sur le tronc de la chapelle Saint-Benoit, qui ne paraissait pas d’une solidité à toute épreuve. Avec une impatience fébrile, Guérin s’était attaqué au coffre, tandis que Lebreton surveillait les issues. Enfin le portillon céda. Immédiatement, le manœuvre plongea ses mains dans le trou béant."

Second acte : "Hélas ! le tronc, en fait de trésor, ne contenait que huit sous. Rageur, Guérin glissa les pièces de monnaie dans une poche de son veston et les deux gamins ne songèrent qu’à fuir. Dans leur précipitation, ils ne remarquèrent pas qu’une somme de 1 fr 25 se trouvait déposée au pied du coffre éventré."

Evidemment, malgré la médiocrité objective du larcin, les choses ne purent en rester là : les malfrats sont déférés à la Justice. Le théâtre continue : "Les deux prisonniers sont arrivés vendredi dans l’après-midi à Saint-Nazaire. Encadrés par les gendarmes de Guémené-Penfao, ils se sont rendus au Palais de justice où ils furent entendus dans la soirée et à une heure assez tardive par M. Lelièvre, juge d’instruction."

Evidemment aussi, ce juge d'instruction ne rigole pas : les deux bandits sont poursuivis pour leur méfait (poursuivis par Lelièvre : pas moyen d'y échapper !).

Et Ouest-Éclair nous fait bien sûr participer à l'audience de leur procès.

Les vauriens n'en mènent pas large : "...Guérin et Lebreton, dont toute la vitalité semble s’être concentrée dans les yeux, restèrent sans souffle et sans voix." 

Par leur aspect extérieur, ils offrent le spectacle du voleur rural, modèle miteux mais presque sain par rapport à son alter ego urbain dégénéré qui semble faire horreur à Ouest-Éclair : "Vêtus chichement, le visage pâle et défait, ils n’ont rien de ces éphèbes gominés, rusés, parlant un langage fleuri qui, à l’occasion, ne dédaignent pas de prélever sur les fonds du culte l’argent nécessaire à leur vie tumultueuse et désarticulée."

Et d'ailleurs, le journaliste rapporte un fait du procès qui atteste chez l'un des deux inculpés de la présence assez saine d'une certaine valeur morale : "Guérin, bravement, a reconnu qu’il avait joué le principal rôle. Alors que son ami surveillait les alentours, lui, en deux coups de poing, autopsiait le coffre recommandé à la charité des fidèles." (charité mesurée : 40 centimes !)

La plaidoirie de la défense est forcément réduite à ma portion congrue car les faits sont indéfendables. L'avocat tente quand même le coup, mais bon : "M° Pajeot, assiste les jeunes malfaiteurs. L’avocat fait ressortir l’état de Guérin, qui est fils naturel et seul dans la vie."

Face à ce crime abominable, la main de la Justice ne trembla pas : "Le tribunal condamne Lebreton et Guérin à un mois de prison chacun. Il avait répondu auparavant que Lebreton, mineur, avait agi avec discernement." C'est bien le moins.

Le journal régional ne consacre que trois mots au mobile du crime, et c'est dommage (quoique suffisant, on va le voir) car c'est évidemment l'information la plus importante et celle qui montre en quoi ces deux petits gars étaient bien des gars de Guémené.

Car s'ils ont pillé le tronc du bon Saint-Benoit, c'est parce que : "Ils avaient soif." Circonstance atténuante...