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dimanche 31 mai 2015

Cimetière d'asile


Un décret signé par Napoléon, en date du 12 juin 1804 (23 prairial an XII), réglemente les inhumations. Ce texte concerne notamment l'obligation d'abandonner les anciens lieux d'inhumations (églises, cimetières de bourg), au profit de nouveaux emplacements "situés à trente cinq à quarante mètres au moins" de l'enceinte des bourgs. Ces nouveaux cimetières appartiennent aux communes.

Le décret napoléonien stipule en son article 3 que : "Les terrains les plus élevés et exposés au nord seront choisis de préférence ; ils seront clos de murs de deux mètres au moins d'élévation. On y fera des plantations, en prenant les précautions convenables pour ne point gêner la circulation de l'air."

L'article 6 se livre à un petit calcul permettant à chaque maire de déterminer la surface du nouveau cimetière : celle-ci sera égale à cinq fois la surface nécessaire à l'enterrement de la population annuelle des décédés. Le législateur donne ainsi cinq ans à la terre pour dissoudre les morts et rendre possible le réemploi d'une fosse...

Au passage, l'ancien cimetière doit rester en l'état pendant cinq ans précisément, avant qu'il ne soit possible d'en disposer pour tout autre chose : et encore n'a-t-on pas le droit d'y construire(faire des fondations, creuser), mais tout au plus d'y semer ou d'y planter (article 9).

Ce texte fondateur de nos usages funéraires modernes comporte encore d'autres passages intéressants, notamment des dispositions fixant la largeur et la longueur des fosses, leurs distances respectives. Il prévoit le partage de l'espace par religion, en cas de pluralité confessionnelle dans la commune...

A Guémené, l'ancien cimetière était situé contre l'ancienne église, à l'emplacement de l'actuelle place Simon, un lieu du bourg on ne peut plus central. Il était clôturé, comprenait huit entrées et une croix y était disposée. Les chemins du bourg le traversaient.

L'ancien cimetière doit être la parcelle n° 1876
du cadastre de 1834





















Je l'ai par le passé déjà évoqué, le nouveau cimetière fut établi en 1832, sur la route de Beslé, au lieu-dit "Les Loups Pendus".  Comme prescrit, il fut bien situé plutôt au Nord du bourg et sur un point plutôt élevé ; comme prescrit également, un haut mur l'entourait. La délibération du Conseil municipal de Guémené le prévoyant date du 17 mai 1832 et fut prise par Pierre-Michel Frèrejouan du Saint, Maire de Guémené à ce moment-là.

Sur ce extrait du cadastre de 1834, on voit que l'ancien 
cimetière correspond à la partie sud est de l'actuel













Une croix de fer posée sur un socle de maçonnerie en pierres bleues du pays (qu'on voit encore : elle porte la date de sa création) y fut installée. Cette distinction religieuse ne suffisait pas à l'Eglise en pleine reconquête post révolutionnaire : elle fit des pieds et des mains pour en bénir le terrain.






















Cette cérémonie prit place le 16 mai 1832 (soit la veille de la décision municipale), conduite par un chanoine de la cathédrale de Nantes et en présence de la foule des grands jours : clergé nombreux, autorités locales, fidèles...

En 1846, la superficie du nouveau cimetière est un peu supérieure à trois mille mètres carrés. Bientôt des agrandissements seront nécessaires : 1855, 1884, 1886..., preuves, s'il en faut, de la vitalité de la commune : le nombre des morts est bien lié à celui des vivants.

Pour compléter ce sujet, je propose de continuer avec une histoire tirée d'un conte publié par Eugène Cogrel dans son recueil "Raconte". Ce conte s'intitule "Les portes du cimetière" et l'auteur le dit inspiré d'une légende locale. L'action se situe dans le dernier tiers du XIXè siècle, à l'époque de mon arrière-grand-mère.


Il gelait à pierre fendre. Comment donc était-il arrivé chez la mère Ernestine par ce soir froid de février ? - Dieu seul le sait ! 

Albert était grand et sec, épais comme un lacet de chaussure du dimanche. Une toux perpétuelle secouait sa grande carcasse. Il avait mendié un bout de pain et un endroit pour dormir. 

Pour sûr, le pauvre homme avait eu de la chance : la mère Ernestine était une bonne personne et elle lui offrit une soupe chaude et une paillasse pour dormir dans le fournil, près du four à pain.

Le temps passant, le vagabond prit ses aises, rendant service aux uns et aux autres, pour un quignon, pour un gros sou, crachotant toujours. 

L'été vint après la mauvaise saison, mais les voisins disaient à Ernestine :

- Ton fermier va bientôt cracher ses poumons !
- Mon fermier, répliquait la mère, c'est pas mon fermier !
- N'empêche, disaient les autres, un beau jour on le retrouvera raide comme un barreau d'échelle !

Hélas, bientôt la sinistre prédiction se réalisa et c'est Marcel, venu faire cuire sa fournée, qui avisa le malheureux recroquevillé sur sa paillasse, serrant dans ses mains froides et décharnées quelques pièces de monnaie.

En voulant prendre les sous que les doigts raidis retenaient, on découvrit, sur un bout de papier griffonné, le message suivant :"Pas d'église, pas de cimetière, pas de nom".

Ernestine, qui respectait les usages, décida de suivre les volontés du mort. Pour l'église, c'était facile vu que le curé ne faisait rien pour rien : pas de sous, pas de messe d'enterrement. Et puis il fallait bien quelque argent pour le cercueil du menuisier.

Pour le nom, c'était encore plus facile : on n'avait jamais même songé à le lui demander...

Restait le cimetière : on pourrait toujours enterrer le malheureux dans le commun, au-dessus, mais il fallait que le maire soit d'accord.

Quand Fidèle Simon (celui-là même qui fit construire la nouvelle mairie à l'endroit où elle se trouve parce qu'il y avait un café en face, ce qui est bien pratique après le conseil municipal), vint constater le décès et qu'il entendit parler du dernier vœu, il leva les bras au ciel et se mit à brailler bien charitablement et fort municipalement : 

- Au commun ? En voilà une idée ! Au cimetière comme tout le monde ! Il est mort, il n'a plus son mot à dire ! 

Le lendemain, le cercueil en sapin arriva devant le cimetière porté par le grand corbillard noir tiré par un maigre cheval. Le cocher descendit pour ouvrir les portes. Les quatre porteurs s'emparèrent du cercueil et s'apprêtaient à entrer dans le cimetière quand tout à coup les portes se refermèrent !

Ébahi, l'un deux lâcha : 

- Qu'est-ce qu'il se passe donc, nom de d'là ?

Le cocher rouvrit les portes. Au moment où ils s'en approchèrent à nouveau, elles se refermèrent aussitôt.

- C'est pas Dieu possible !, glapit un autre.
- C'était un sorcier !
- N'en avait pas l'air, pourtant...

Sur ce, le cocher ouvrit à nouveau les portes et les cala avec deux gros cailloux blancs. Hélas, la manœuvre échoua encore, les portes emportant irrésistiblement les cailloux à chaque tentative de passage du funèbre convoi.

- Bon d'là, nous v'là bien !
- Faut faire venir le maire.
- Non, c'est de la sorcellerie, c'est le curé qu'il nous faut !

Ce dernier rappliqua par curiosité. Puis, dans un grand élan purificateur, le tonsuré aspergea tout ce qui l'entourait, portes, corbillard, murs, cocher, porteurs et cheval. Seul le cercueil du fauteur de trouble resta à sec.

Revigorés par cette sainte aspersion, les porteurs repartirent à la charge et passèrent les portes sans encombre. Le cercueil ne pesait guère, mais plus ils remontaient l'allée centrale du cimetière, plus le mort devenait lourd. 

Arrivés près du trou préparé le matin par le fossoyeur, c'est comme s'ils avaient porté du plomb : et ils laissèrent tomber sans ménagement le paquet dans la fosse.

Bien contents de l'ouvrage enfin accomplie, la petite troupe partit se désaltérer. Au soir, le fossoyeur revint pour fermer les portes du cimetières. Las, sitôt closes, sitôt elle se rouvraient.

- Bon sang, s'écria le croque-mort, à matin elles voulaient pas s'ouvrir, maintenant elles veulent plus se fermer !

L'affaire était sérieuse. Trois semaines durant on s'agita : le curé bénit les portes à se démancher les saintes rotules ; le maire leva les bras au ciel et ne les redescendit que pour boire un coup. Rien n'y fit. 

Le Conseil municipal se réunit, on délibéra, on vota : même si ceux qui sont dedans auraient pas de raison d'en sortir et ceux qui sont dehors sont pas pressés d'y entrer, les portes du cimetière peuvent pas rester ouvertes !

A la fin, Fidèle Simon n'écouta que son sens civique et alla trouver le fossoyeur :

- Tiens l'ami, voilà cinq sous. Déterre le vagabond et mets-le de l'autre côté du mur.

Sitôt dit, sitôt fait : que le mort était léger, léger comme une plume. Sans peine on le chavira de l'autre côté du mur.

A nouveau, selon la tradition qui veut qu'à la fin de tout effort on a soif à Guémené, fossoyeur et porteurs repartirent boire un coup.

A la troisième tournée quelqu'un vint les trouver et s'écria dans le café : 

- Alors là-bas, c'est toujours portes ouvertes !?

Malgré le cidre qui lestait leurs estomacs, les bonhommes se levèrent d'un coup et accoururent sur place. A deux sur chaque battant, ils poussèrent en soufflant. Le cidre, en sueur, dégoulinait sur leurs visages. Mais rien à faire : pas plutôt on fermait les portes qu'aussitôt elles se rouvraient.

Un sage parmi eux décida à la fin que puisqu'on n'y pouvait rien, valait mieux laisser les choses comme ça. Et tous partirent boire un coup.


Et c'est comme ça qu'aujourd'hui encore, les portes du cimetière de Guémené s'ouvrent et se ferment quand on veut.

Quand à Albert, le vagabond de la mère Ernestine, depuis qu'on a agrandi le cimetière, il est désormais avec les autres, dans l'allée du milieu...

dimanche 17 mai 2015

Gros baiser de Feuilly


Il arrive qu'on trouve des cartes postales un peu rares, qu'on achète et dont on ne voit jamais d'autres exemplaires. Tel est le cas de celle que je soumets à votre appréciation pour cet article de reprise, après quelques temps de repos.

Il est rare en effet de disposer de cartes figurant un village. La chance a voulu que j'en trouve une qui représente Feuilly, au Nord-Ouest de Guémené, en allant sur Friguel et Saint-Yves.

Comme on sait, il suffit de sortir du bourg par la route de Beslé, de tourner à gauche au Pont-Esnault, devant le vieux moulin à vent, pour prendre la route de Massérac et de filer : bientôt on aperçoit, sur l'espèce de plateau qui domine le Don, une ancienne maison de garde-barrière et la route commence une chicane qui traverse le vieux et gros village de Feuilly autour de laquelle les maisons sont groupées.

Comment était-ce vers 1900 ? - Sans doute assez isolé et très peuplé : on y dénombre ainsi une trentaine de foyers abritant au total cent quinze personnes, hommes, femmes et enfants.

Voici l'image qu'en fournit la carte postale :












Je prends le parti de considérer que cette photo a été prise vers 1900, l'anonyme qui l'a envoyée l'ayant datée du 3 novembre 1903.

La scène représente un "place" de ce hameau jonchée de bois, peut-être de fagots, entre deux ou trois maisons. 






















Une bande d'une douzaine d'enfants prend la pose devant l'objectif.


















Quand on regarde un peu attentivement, on s'aperçoit qu'il n'y a que des garçons, âgés probablement de cinq à douze ans. Ils sont vêtus de sarraus et portent sabots pour certains ; d'autres ont des bottines et des pantalons de golf ; tous ou presque arborent un couvre-chef, béret, chapeau ou casquette.

Ils s'amusent à la guerre : deux d'entre eux ont l'arme (une pelle, une canne) à l'épaule ; deux autres mettent en joue le photographe ; un troisième brandit une bassine...



























Un jeune sniper s'est perché sur une échelle tandis qu' à l'arrière-plan, juché sur on ne sait quoi, un des jeunes gens toise le champ de bataille....






















Le chef, peut-être, est assis sur une chaise devant toute la troupe.

















Qui étaient-ils ? - Voici, parmi d'autres noms possibles, les noms de ceux qui peut-être un beau jour virent surgir de nulle part, dans leur petit univers tranquille du hameau de Feuilly, un drôle de bonhomme avec un énorme appareil photo sur l'épaule (âge en 1900) :

François Guihot, 7 ans ;
Ernest Michel, 4 ans ;
Louis Poulain, 8 ans
François Constant, 9 ans ;
Eugène Gilbert, 6 ans ;
Paul Boussard, 9 ans ;
René Rousseau, 5 ans ;
Pierre Marie Pacory, 6 ans ;
Jean-Marie Amossé, 7 ans ;


Cette carte est en quelque sorte revenu à Guémené par la récupération que j'en ai fait. Et elle revient de loin. Elle fut envoyée en effet de Guémené à Assi Bou Nif, colonie près d'Oran en Algérie, à une demoiselle Jeanne Olivi y résidant apparemment.

Sans doute l'expéditeur n'avait-il pas grand chose à raconter à cette personne, ou bien, l'usage étant alors d'écrire au recto des cartes postales et non au verso, n'a-t-il pas voulu le maculer de phrases creuses, au plus grand profit de l'image. Toujours est-il qu'il se contenta d'un baiser, certes gros, écrit dans le ciel de Feuilly.