On dit que Zeus envoya deux aigles dans le ciel et qu'ils se rencontrèrent à Delphes, sanctuaire de la Pythie, dans le Mont Parnasse en Grèce, où se trouvait le Nombril du monde. Quand on visite ce site antique, sa majesté et sa beauté s'imposent et rien ne permet de douter qu'il ne soit en effet ce pivot de l'univers.
Quand je suis arrivé avant-hier au fond de la vallée du Don, en descendant du village de Mézillac, le printemps matinal imposait sa douceur. Au creux de la descente, la route qui longe le ruisseau qui descend de l'étang fait un brusque coude à droite et se dirige entre les ruines de vielles maisons paysannes vers le château de Juzet dont la blancheur veille à l'Est.
Mais là, au creux de la descente, c'est le gué, au confluent du ruisseau de Mézillac et du Don, dont le lit s'étale un peu. C'est là que nous venions avec mes parents, pêchions ou bien nous baignions, l'été. Bien d'autres ont dû le faire aussi, mais je n'ai pas le souvenir que nous ayons jamais partagé l'endroit avec qui que se soit, de sorte que cet endroit était "à nous"...
Non loin vers l'Ouest, la falaise de Juzet paraît fermer le passage : le Don s'engouffre dans un étroit passage. Mais de là et en remontant vers le château de Juzet, une prairie plane se déploie dans sa splendeur printanière, fermée d'un côté par la vielle route et, de l'autre par la colline de Juzet.
Ce matin je suis seul et le soleil inonde le site d'une chaleur douce et bienfaisante.
Je dois bien dire que diffusément je pense à Delphes : les deux aigles sont peut-être nos élans d'antan qui nous amenaient régulièrement ici pendant les vacances, et mes élans d'aujourd'hui qui me ramènent à Guémené et, à chaque fois que je peux, en ce lieu précis. Cette partie de la vallée du Don est le Delphes de Guémené. La falaise de Juzet est notre Mont Parnasse. Comme à Delphes, le silence permet d'entendre la rumeur des foules passées de pélerins, ou l'écho muet des rires des enfants qui ont grandi et des parents qui ne sont plus là.
Et puis ce site magnifique est prodigue en légendes.
Quittant la rive gauche du Don au niveau du coude que fait la vielle route, je me suis engagé sur la passerelle qui l'enjambe à cet endroit et d'où jadis nous attrapions des poissons-chats. A gauche, un sentier dans les herbes folles en suit le cours agité. Je vois l'autre rive où nos lignes s'emmêlaient dans les arbustes.
On arrive bientôt aux contreforts du bois de Juzet qui déboule jusque là du Rocher des Amoureux. Un ruisseau le sépare de la prairie. Dans ce coin de la Vallée, il y a une petite grotte sur un gros rocher. C'est l'Oratoire de Notre-Dame de la Vallée ou, encore, de la Vierge des Quatre-Chemins.
Cette curiosité est tout à fait anodine par son aspect extérieur et, pour un peu, on passerait à côté sans la remarquer. A l'orée du bois, il faut enjamber un ruisseau et la grotte est juste en face, collée à un arbre qui, en surplomb, monte la garde auprès d'elle et dont les grosses racines tentaculaires semblent la protéger d'une étreinte maladroite.
Voici quelques photos et une représentation ancienne :
Le sentier qui longe le ruisseau vers le Nord, descend du bois de Juzet et rejoint la passerelle au Sud. D'Ouest en Est, un autre chemin suit le cours du Don, du Château vers Lizien, à l'entrée Sud de Guémené. Voilà comment avec deux chemins, un carrefour, on en fait quatre...
Plusieurs histoires courent sur l'origine de ce petit sanctuaire. J'en dois la connaissance à une lectrice attentionnée qui ne manque jamais de m'aider et que je remercie une fois de plus pour un texte d'Eugène Cogrel, fervent défenseur de la culture guémenoise, qu'elle a déniché dans ses archives.
La première histoire attribue la création de cet oratoire dédiée à la Vierge au voeu d'un habitant de la Vallée. Engagé dans la marine, il promit de déposer une statue de la Vierge dans la grotte pour que les passants y récitent un Ave Maria, s'il réchappait d'une tempête qui menaçait son navire et sa vie. On peut voir qu'il s'en sortit.
La deuxième histoire se fait l'écho des dangers auxquels s'exposaient les voyageurs d'antan. Un riche marchand s'en venant en diligence par la grande allée du bois de Juzet, en haut de la colline, fut attaqué par des brigands. Quoique défendu par ses serviteurs, le marchand apeuré s'enfuit en dévalant la colline : arrivé au bas, il avisa la grotte et s'y tapit (il ne devait pas être bien grand...), réussissant à échapper à ses poursuivants. Il remercia le Ciel pour sa vie sauve, en installant une statue de la Vierge pour qu'elle protège les voyageurs des mauvaises rencontres.
Enfin, la dernière histoire attribue le mérite de ce sanctuaire à un lointain et très chrétien Seigneur de Juzet. Passant dans le coin des quatre chemins au détour d'une chasse à cour, il découvre la grotte. Il s'enquiert auprès d'un érudit de son entourage qui lui explique qu'il s'agit d'un sanctuaire où les druides honorent la déesse du fleuve, la celte Dana. Bien entendu, son sang ne fit qu'un tour, et dans un saint réflexe, le Sire de Juzet exigea qu'on place dans cette grotte une statue de la Vierge afin d'en chasser la divinité païenne et les effluves druidiques.
Ex-voto, Vierge propitiatoire, temple d'une déesse celte ou de son substitut chrétien, qu'importe : des milliers de voyageurs ont, depuis des temps immémoriaux, rendu grâce à ce tas de rochers sylvestres de leur donner un point de repère salvateur dans les pérégrinations de leur vie.
On voit dans les ruines de Delphes le Nombril du monde, l'Omphalos. Allez voir dans la Vallée, au lieu dit les "Quatre-Chemins", le Nombril de Guémené, le petit oratoire de la Vierge. Il a bien longtemps qu'il se languit de l'hommage des voyageurs.
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