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dimanche 13 décembre 2015

Quand cousin Blain faisait Lager...


Tout s'en mêle : la recherche urgente de l'histoire familiale, que la disparition des témoins anciens rend plus nécessaire encore ; les effets positifs des célébrations du centenaire de 14 18 qui conduisent à la publication en ligne de nouvelles données ; le hasard qui met sur le chemin d'un document dont on n'imagine pas qu'il nous touche d'un peu près.

Parallèlement à la tenue de ce blog, je suis ainsi l'actualité des ventes en ligne de documents relatifs à Guémené sur le site www.delcampe.fr. Il s'agit très souvent de cartes postales anciennes dont il m'arrive de me servir comme supports ou prétextes d'article. Mais parfois aussi, d'autres objets remontent à la surface : photos, faire-part de deuil, ....

C'est ainsi, qu'il y a quelque temps une carte postale a attiré mon attention : elle représentait un groupe, apparemment des militaires de la guerre de 14. Écrite par l'un d'entre eux, il y est question d'un certain Olivier Bl(a)in de Guémené Penfao. Guémené-Penfao : je l'ai donc acquise.

J'ai découvert aussi, très récemment, que le Comité International de la Croix Rouge avait mis en ligne ses archives de la Première Guerre mondiale concernant les prisonniers français en Allemagne, ce qui ne manque par de m’intéresser puisque tel fut le destin de mon grand-père Legendre, le père de ma mère. 

Des milliers de fiches, contenant peu de choses en fait, mais permettant de préciser parfois certains éléments cruciaux : lieu et date de capture ; arrivée au camp ; évacuation vers un autre camp...

Voilà comment naît un article...

La carte postale montre trente hommes disposés sur quatre rangs posant pour une photo. La photo. Étrangement, deux enfants figurent au centre (un garçon en costume marin et une petite fille), enlacés par les bras de l'un des hommes. 












Au dernier rang, troisième à partir de la gauche, un petit bonhomme à moustache et toupet, le regard clair, est vêtu d'une redingote et d'une chemise (on devine une cravate). Il est le seul à regarder ailleurs, au loin.




















Le groupe pose devant un mur de briques percé d'ouvertures. Complètement à gauche, une inscription floue et hélas indéchiffrable, entre un tréteau et une des fenêtres. On pourrait se trouver à l'intérieur d'un bâtiment industriel.






Les accoutrements sont variés : vestiges d'uniformes, tenues civiles ; chemises, vareuses, marinière même ; bretelles, larges ceintures autour du ventre... L'un des individus au fond arbore même une cravate...

Quelques-uns des photographiés (cinq exactement) portent des casquettes qui ne semblent pas issues de la panoplie du soldat français (des anglais ?).

On est bien loin des canonnades ! Il émane au contraire de ce cliché beaucoup de sérénité et de paix. Beaucoup de camaraderie et de tendresse, aussi.

Bien sûr ce sentiment est alimenté par l'attitude de cet homme avec les deux enfants au milieu. Ceux-ci semblent s'abandonner à cette étreinte qui paraît naturelle, fruit d'une habitude et donc témoignage des bonnes relations régnant entre ces personnes.





Mais il y a aussi ces mains qui se posent sur les uns et les autres, comme pour marquer une chaîne de solidarité et d'amitié. Comme si le sujet de cette photo, son enjeu, était de bien marquer, de bien immortaliser, ce sentiment humain entre ces déracinés.








Comme le révèle le verso de cette photo, il s'agit de prisonniers de guerre et plus précisément d'un kommando.

Il est probablement issu du camp de Zossen, près de Berlin.

Peut-être ce kommando est-il affecté à une usine dont le petit bonhomme en redingote serait le directeur (les deux enfants du milieu, seraient les siens)...Je pencherais pour quelque célébration : Noël 1914, par exemple...

Des numéros figurent sous certains personnages accroupis et, si on regarde bien, également au-dessus de trois des hommes au dernier rang (troisième, quatrième et cinquième en partant de la droite).





Une grande flèche presque effacée (ou bien est-ce une vague trace sur le mur ?) paraît surplomber le personnage central du haut, celui qui a mis ses deux mains sur les épaules de son voisin de devant. Est-ce celui qui écrit la carte ?

Le verso de la carte fournit des indications sur les personnages numérotés, à droite au-dessus de l'adresse : le numéro 1 est Bl(a)in Olivier, cravaté. Les autres ont nom Ellig (?), Grall, Chaudy et Olivier.

Le texte, écrit de biais, stipule :" Souvenir de Kommando de mon vieux camarade Olivier Blin Caporal au 62è de ligne cultivateur à la Saudraie par Guémené Penfao Loire-Inférieure".



Celui qui écrit ces mots n'est apparemment aucun des cinq numérotés sur la photo, encore moins Olivier Blain. Il n'est pas non plus Henri Dujon, destinataire de cette carte, interné pour sa part au camp de Doeberitz, non loin de Berlin également.

Ce Henri Dujon est un normand de Criquetot-L'Esneval (Seine-Inférieure, depuis : Maritime), canonnier du 1er Régiment d'Artillerie à pied, 28è Batterie. Il était affecté au Fort de Charlemont, à Givet dans le département des Ardennes, au début du conflit. Ce fort s'est rendu le 31 août 1914 : la guerre a donc tourné court rapidement pour ses occupants.

Cet artilleur est d'abord interné à Zossen où probablement il rencontra les autres membres du Kommando, avant d'être évacué sur Doeberitz, on ne sait quand. Au passage, une note signale qu'il fut atteint de coliques néphrétiques compliquées d'appendicite...

Olivier Blain était caporal au 262è Régiment d'infanterie, stationné à Noyon, en Picardie. Il a été fait prisonnier très tôt aussi puisque cette ville fut prise par les Allemands dès début septembre 1914. On trouve sa trace au camp de Zossen-Wunsdorf en novembre 1914, d'où il sera envoyé à Doeberitz le 1er septembre 1915.

Un rapport de la Croix-Rouge de janvier 1915, période qui correspond à celle de la photo, évoque ce camp neuf ou en voie d'achèvement, en des termes idylliques... En particulier, comme un camp idéal pour les artistes, les intellectuels, les jardiniers...

La correspondance, y lit-on, y est complètement libre même si "toute espèce d'essais ont été faits avec de l'amidon, de l'iode ou du lait Nestlé pour correspondre secrètement". Quant au confort sanitaire, il est vraiment incroyable :"des bains, des douches, ainsi qu'une blanchisserie qui a coûté 60.000 marks"...



Olivier Blain, héros de cette carte, était blond et avait les yeux bleus. Il mesurait 1 mètre 63 (comme tout le monde, à l'époque).





















Il avait fait son service militaire entre 1904 et 1906, d'où il sortit caporal.

Il avait épousé le 21 juin 1910 à Guémené Louise Marie Boussard, fille de Feuilly qui devait malheureusement décéder le 11 septembre 1911. Il iront vivre à Conquereuil, à la Saudraie, village au nord-ouest de cette commune limitrophe de Guémené, à côté des parents Blain qui y résident.

Il se remarie le 30 juin 1914 à Guémené avec Adèle Rialland, née native du Haut-Anguignac, village de Conquereuil tout près de Guémené et de la Saudraie, où le nouveau couple s'installe.

Au début de la guerre et de sa captivité, Olivier Blain aura pour marraine une institutrice laïque, Mademoiselle Ribeyrac, logée au village de la Butte aux Fougères, tout près du Haut-Anguignac.

Il fut nommé sergent le 4 septembre 1914 et fait prisonnier le 21 septembre suivant. Il ne devait rentrer chez lui, à Conquereuil, que le 21 mars 1919 !

Un fils Olivier né en 1919 et peut-être une fille en 1921.

Il s'éteindra le 21 août 1960, à Conquereuil, et sa seconde épouse, le 12 avril 1983, au Grand-Fougeray.

Olivier Blain était né à Guémené au village des Mortiers, non loin de la route de Redon, le 23 décembre 1883. Son père (déjà prénommé Olivier) avait épousé une certaine Julienne Ferré le 23 octobre 1881.

Vous avez dit Ferré ?... Eh oui, Julienne Ferré du hameau de Lépinay, fille de Julien Ferré et de Julienne Marguerite Janvresse, autrement dit : les grands-parents paternels de ma grand-mère Gustine (Ferré). Bref, cet Olivier Blain était un cousin germain de ma grand-mère, un parent, par conséquent. 

Le monde est décidément petit.

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