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dimanche 3 janvier 2016

Hélène Martin, du réseau "Turquoise"


Le nom de Martin n'est pas inconnu de ce blog, en particulier quand il s'agit d'y accoler le prénom Hippolyte, personnage évoqué dans deux articles de mars et décembre 2013, que je résume ci-après.

C'était un fameux instituteur de Guémené qui enseigna de 1890 à 1913, maître puis directeur de l'école publique.

Sa précédente renommée avait conduit le maire de l'époque à aller le chercher à Fay, c'est du moins ce qui se disait. Sa fille aînée, Emilie, née de son mariage avec une dame Mercier, devint elle-même institutrice et enseigna au côté de son père.

Son épouse décéda assez jeune, en 1902, laissant au pauvre Hippolyte, en plus d'Emilie, six petits Martin supplémentaires, nés en rafale à Guémené et d'un âge compris entre trois et dix ans.

Sans doute habitué à manœuvrer des grandes plantées d'enfants (on prétend qu'il enseignait à sept classes), il réussit probablement à élever cette maisonnée comme il se doit.

Médaillé d'argent pour son action pédagogique, il se retire dans la région et termine ses vieux jours en compagnie de sa fille aînée l'institutrice, à Pornichet où il décède en 1939 ayant atteint l'âge respectable de 87 ans.

Il ne vit donc pas l'effondrement de la République dont il était un des hussards, ni les horreurs qui s'ensuivirent. Heureusement.


Hélène Martin était la plus jeune des filles de l'instituteur de Guémené. Elle était née le 18 mars 1898 au bourg de Guémené, peut-être à l'école de garçons où résidaient les instituteurs d'alors.

On ne sait pas grand-chose de sa vie, sinon qu'elle épousa un clerc d'huissier, peut-être déjà huissier d'ailleurs, ou bien militaire, Albert Forget, grand gaillard brun d'un mètre soixante-quatorze natif de Saint-Etienne-de-Montluc, entre Savenay et Nantes. Cette union se déroula à Clisson, le 21 mai 1919, Clisson où en 1909 déjà, Albert exerçait la profession de clerc d'huissier.

Le couple eut plusieurs enfants dont une fille prénommée Emilie également, née à Varsovie en 1920. Que faisaient donc ces gens en Pologne, à cette époque en pleine guerre avec l'URSS naissante ?

Albert Forget avait dix ans de plus que son épouse et, préférant sans doute l'uniforme à la défroque d'huissier, il ne cessa de rempiler, une fois son service militaire achevé.

Sa carrière militaire active s'étend ainsi de la fin 1909 à 1923. Il y poursuit une filière d'artilleur dans différents régiments, finissant sous-lieutenant avant de se retirer à Nantes, au 8 rue Anizon, dans le centre ville.

La Guerre de 14 est au coeur de son engagement militaire. Il y fait bonne figure, en tout cas selon les critères de l'Armée : il décroche citations et médailles. Il est ainsi titulaire de la Croix de guerre étoile d'argent et deux de bronze ainsi que de la Médaille militaire. La Légion d'honneur viendra en 1932 compléter ce tableau.

Il est probable qu'Albert Forget ait fait partie des quatre cents conseillers de la Mission militaire française pour la Pologne, venus encadrer l'armée de ce pays en guerre contre l'URSS. D'où l'accouchement à Varsovie.

Il reprend à un moment donné son métier d'huissier. On retrouve la trace de la famille Forget à Quimper pendant la seconde guerre mondiale où ils demeurent rue Valentin depuis quelques temps (après 1936), à moins que ce ne soit à Plonévez-Porzay. 

Ils ont une autre fille en plus d'Emilie : Jeanne née le 1er décembre 1926 à Quimper, ce qui accréditerait l'idée que la famille demeurait déjà dans cette ville dès cette époque. Et peut-être quatre autres enfants : Albert, Madeleine, Françoise, Hélène.


Peut-être faut-il penser que l'éducation du Père Martin, le vieil instituteur de Guémené, avait donné des principes à ses enfants et notamment à sa fille Hélène. Peut-être que cela n'a rien à voir.

Toujours est-il que les parents Forget et leur fille aînée Émilie s'engagent dans la Résistance, au sein d'un réseau appelé "Turquoise".

Ce qui suit vient de forums ou de sites spécialisés.

Le réseau "Turquoise" - ou "Blavet" - comptera trente-trois membres (connus) : quatorze seront déportés dont six en mourront ; deux seront fusillés, deux seront grièvement blessés. Le réseau couvrira toute la Bretagne, associé à d’autres réseaux.

La double appellation de se réseau provient de ce que, dans les messages, le nom de code "Turquoise" désignait les affaires de renseignements ; celui de "Blavet", les opérations maritimes.

Rapidement le réseau se mit en place à Rennes, St-Brieuc, Guingamp, Morlaix, Laval, Paris, Lyon, Macon, avec les radios, les boites aux lettres, les agents de renseignements et de liaison, les asiles, 

Le secteur particulièrement surveillé par le réseau est la zone côtière d'Avranches à Saint-Malo.

Les renseignements recueillis par ce réseau étaient abondants et précis :

- Les effectifs et armements des troupes allemandes par arme, corps et lieux d'implantation,
- Les mouvements de trains d'intérêts stratégiques,
- Les résultats des sabotages effectués ; le bilan des bombardiers alliés,
- Les faits de résistance, les actes d'héroïsme, les répressions allemandes.

Toutes ces informations sont transmises lors des vacations radios ou acheminées à Londres par des liaisons maritimes. Celles-ci sont faites à l'Ile d'Er par une vedette anglaise, en principe tous les quinze jours.

Fin 1943 et début 1944, ce réseau de Résistance fonctionne apparemment bien. Or à ce moment la Gestapo commence à recueillir les fruits de son travail, suppléée de certains français notamment d'indépendantistes bretons. Le service de renseignement allemand arrive ainsi à établir presque entièrement les organigrammes des organisations de Résistance.

A la mi-avril 1944 le drame se précipite. A Paris, la centrale Phidias, qui coiffait plusieurs réseaux dont "Turquoise" est anéantie, A Rennes, un dénonciateur qui sera condamné à mort et fusillé en 1945, vend à la Gestapo pour 80 000 Francs l'adresse du 11 rue Gutenberg comme lieu d'allées et venues suspectes. C'en est fini du réseau "Turquoise".

Voici, ci-dessous, le témoignage de Jeanne Forget, autre fille du couple, née en 1926 à Quimper et alors étudiante à Nantes, sur l'arrestation de sa famille :

" J’ai vu Zeller pour la première fois le 22 avril 1944 au soir. Il s’est présenté chez mes parents comme membre de la Résistance. Il était seul. Il a dit qu’il était « Fernand » que nous attendions et a demandé ma sœur Emilie. Celle-ci n’était pas rentrée et ma mère à qui j’ai parlé de cette visite m’a dit de me méfier et de répondre que ma sœur n’était pas là, ce que j’ai fait. Zeller est parti.

Cinq minutes après son départ, la police allemande a sonné chez nous et deux membres de la Gestapo ont perquisitionné. Après cette perquisition qui n’a rien donné, les Allemands sont restés chez nous pour nous surveiller. Dans la soirée, Zeller est revenu. Il était environ 20h30. Il a demandé mon père et il l’a interrogé en compagnie des allemands. Il a recommencé la perquisition.

Pendant ce temps, je suis parvenue à monter dans le grenier où étaient les papiers de mon père et à brûler ceux-ci. En même temps que Zeller, était rentrée chez nous une jeune fille Le Corre, agent de liaison du groupe « Turquoise ». Elle n'a pu ressortir et elle a été interrogée par Zeller et maltraitée car elle n’a pas voulu parler. Elle a été giflée. 

A la suite de cela mon père et cette jeune fille ont été emmenés. Zeller et la Gestapo sont restés chez nous. Ils se sont mis à interroger ma mère, je crois qu’ils l’ont giflée, puis ils l’ont emmenée à son tour. 

Après ils s’en sont pris à moi. Zeller m’a interrogée et a recommencé à fouiller avec moi les pièces de la maison. Comme je lui posais une question, il m’a répondu : « Depuis quatre ans que je fais ce métier, ce n’est pas toi qui va m’apprendre ! » Et il me dit aussi : « Ce n’est pas parce que tu n’as pas 18 ans que tu ne seras pas emprisonnée ! » Là encore, ils n’ont rien trouvé et ils m’ont emmenée à la Gestapo, laissant ma petite sœur âgée de 11 ans seule à la maison.

A la Gestapo, mon interrogatoire a recommencé, dirigé par Zeller qui m’a menacé d’une tournée comme je n’en avais jamais reçue. Il m’a giflée. Ils ont fini par croire ce que je leur racontais et ils m’ont relâchée en me faisant jurer de leur rapporter les papiers. J’ai juré, mais bien entendu je n’ai jamais rien rapporté. J’ai été surveillée pendant plusieurs jours à la suite de cela. Je ne suis pas restée longtemps à Quimper où ces faits se passaient, je suis venue à Nantes.

....

Ma sœur Emilie a été arrêtée par surprise par Zeller. Il l’a rencontrée dans la rue et il l’a invitée à se rendre dans une maison amie pour qu’elle échappe à la Gestapo. Elle l’a suivi et il l’a conduite dans la maison même où était celle-ci, et il l’a arrêtée."


Sur les huit membres du réseau « Turquoise » arrêtés le 22 avril 1944, six sont morts en déportation.

Hélène Forget, née Martin, arrêtée  pour son appartenance au réseau avec son mari et sa fille, est d'abord internée à la prison Saint-Charles de Quimper, puis sera transférée à la prison Jacques Cartier de Rennes. Elle est déportée le 2 août 1944 vers Belfort puis vers Ravensbrück, le 1er septembre 1944 (Matricule 62824). Autre lieu de déportation: Genshagen.

De son convoi de cent quatre-vingt-dix femmes, dont sa fille Emilie, près des deux tiers revinrent. 

Pas elle : elle décède le 21 juin 1945, en Belgique, à l'hôpital d'Etterbeek près de Bruxelles lors de son rapatriement. Sa fille mourut le 28 janvier 1945 à Ravensbrück et son mari Albert, le 7 février 1945 à Dachau.

Une plaque, à Clisson, commémore ces trois martyrs de la Résistance.

Photo François VERMAUT


2 commentaires:

  1. Merci encore une fois pour tout ce travail de recherches. Parce qu'on parle de lieux connus, même les personnes inconnues nous semblent proches, c'est très émouvant; D'habitude on dit que les murs parlent, ici c'est toute la campagne environnante qui résonne.

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  2. Merci de ce témoignage. Je m'appelle Albert FORGET née en 1956, fils d'Albert FORGET né en 1921, fils lui même d'Albert FORGET membre du réseau Turquoise décédé à Dachau.
    Actuellement je fais des recherches et possède des documents originaux

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