Pour moi, le nom de Trivière est d'abord synonyme de peintre et de cimetière.
Je me rappelle les visites à la petite boutique de la rue des Porteaux qui se trouvait entre le Boulevard et l'avenue Jean-Friot, en face le cinéma Saint-Michel, tout près du calvaire qu'on voit toujours au coin de la place qui se trouve derrière l'église.
On n'y venait guère que pour acheter des fleurs artificielles pour la tombe de la grand-mère (mon arrière-grand-mère). Il ne me semble pas, cinquante années plus tard, qu'il y ait eu grand choix.
Le Trivière de mes lointains souvenirs qui y avait élu domicile, était un homme assez aimable, à casquette, et je crois bien, quand j'y pense, que c'est sa femme que je revois dans la boutique. C'était il y a plus de cinquante ans et on ne parlait pas de son frère missionnaire.
Ce n'est que bien plus tard, récemment, que j'ai entendu parler du Père Léon Trivière, grâce aux feuillets dactylographiés que ce dernier avait commis à propos de Guémené et son histoire : Souvenirs du vieux Guémené.
Léon Trivière a eu une vie voyageuse, orientale et religieuse à la fois. Auteur encore lu d'articles sur la Chine, il est donc également l'auteur de quatre fascicules issus d'archives diverses, narrant des faits plus ou moins historiques concernant Guémené.
Léon est né le 3 février 1915 à Guémené-Penfao, dernier des quatre enfants de Pierre Trivière, peintre, et de Marie Joséphine Bernard, née à Nantes où le couple s'est d'ailleurs marié. La famille s'installa à Guémené après 1904.
Le fils aîné Pierre, né en 1900, mourut à 37 ans après avoir pris froid au travail en peignant un pont. Il avait également une sœur, Maria née en 1904 et un frère, Henri, né en 1911 qui est celui que j'ai connu.
Le jeune Léon est élève à l’école primaire St Michel à Guémené avant de poursuivre ses études secondaires au petit séminaire de Guérande (5ème et 4ème), puis à l’Institut Notre-Dame des Couëts à Bouguenais (de la 3ème à la classe de philosophie). Ayant passé ses deux bacs, il obtient aussi deux mentions au concours de l’université catholique d’Angers
Il entre alors au grand séminaire de Nantes et y fait deux années de philosophie scolastique de 1934 à 1936.
Son service militaire de septembre 1936 à novembre 1938 le met au contact des malades en hôpital. En 1938, il est amené à aider l’aumônier de l’hôpital du Val de Grâce. Etant à Paris, il a pris contact avec le Séminaire des Missions Etrangères. Il y est admis quelques jours après sa demande, le 23 mai 1938, et y entre effectivement le 14 octobre de cette même année.
Il fait ensuite une première année de théologie au grand séminaire de Bièvres. Année réduite en fait à cinq mois, de novembre 38 à mars 1939, date où il est rappelé sous les drapeaux. En 1940, il participe à la campagne de France et est fait prisonnier sanitaire jusqu’en 1941. Il peut ensuite terminer ses études de théologie au Grand séminaire de Paris et est ordonné prêtre le 20 mars 1943.
Agrégé officiellement aux Missions Etrangères le 15 septembre 1943, il reçoit sa destination pour Moukden en Mandchourie. En pleine guerre, il n’est évidemment pas question de partir et le jeune prêtre fait ses premières armes comme vicaire à la paroisse St Pierre St Paul de Fontenay-aux-Roses. En 1944-45, il est vicaire à St François Xavier des Missions Etrangères et aumônier du lycée Duruy à Paris. C'est un peu moins exotique...
En juin 1945, la Chine étant toujours fermée, il prend du service comme volontaire dans l’armée de Lattre, ce qui l’engage pour trois ans jusqu’en juin 1948 et lui fait manquer les premiers départs en Chine en 1946. Il est d’abord aumônier régimentaire au 21è R.I.C. (Alsace, Allemagne), mais il suit bientôt le corps expéditionnaire en Indochine. En 1947 il est aumônier divisionnaire à la 9ème D.I.C. et des Forces françaises d’Extrême-Orient, et aumônier de garnison à Hanoï.
Ces postes lui valent le grade de capitaine et des décorations : Croix de guerre 1939-45 (3 citations au régiment, à la Brigade, à la Division), Médaille coloniale avec agrafe d'Extrême-Orient.
Après la capitulation du Japon en août 1945, la Chine a de nouveau ouvert ses portes. Libéré de ses obligations militaires, Léon Trivière peut se rendre à Shanghai dès janvier 1948. Il s’y met à l’étude du chinois jusqu’en octobre. Il poursuit ensuite son apprentissage de la langue à Pékin pendant deux mois pour revenir sur Shanghai à la fin de l’année.
Les missionnaires étudiants en langue sont alors évacués de la capitale qui passe sous contrôle communiste. Léon Trivière assure la direction du groupe des Missions Etrangères dont la petite équipe se réfugie à Macao jusqu’en mai 1949 après un bref passage à Hongkong fin janvier.
En juin, leurs supérieurs décident d’envoyer ces étudiants en langue sur le continent malgré les incertitudes de la situation. La Mandchourie étant déjà sous contrôle communiste et donc exclue, Léon Trivière et un collègue sont dirigés sur Chengdu au Sichuan.
Le 19 juin, les jeunes missionnaires arrivent à Chungking par avion. Ils s’y attardent quelques semaines. Dès leur arrivée à Chengdu, le père Trivière reprend son étude du chinois avec un professeur civil. Il est placé à Yitongqiao (I T’ong K’iao) paroisse où un curé zélé développe la Légion de Marie, un mouvement très structuré de participation des laïcs à la mission de l’Eglise.
Mais Léon Trivière est nommé en second à Guiwangqiao (Kwei Wang K iao) où le curé se ressent des fatigues de presque 50 ans de mission.
Les nouvelles autorités communistes sont déjà en place. L’arrivée des "rouges" est fêtée par la population comme une libération. Dans l’euphorie de l’indépendance et de la lutte contre toute oppression, la présence des étrangers commence à être mise en cause.
Le 14 octobre, les étrangers de la ville doivent retirer un nouveau permis de séjour valable 6 mois. Les bénédictins qui viennent d’ouvrir une nouvelle école à Chengdu doivent fermer leur Institut et quitter le pays. Les établissements scolaires sont entièrement pris en charge par l’Etat.
Malgré la menace qui pèse, la vie paroissiale est aussi active que possible. L’atmosphère change rapidement l’année suivante. Les églises sont frappées de lourds impôts au profit des plus défavorisés. Tout le monde doit travailler pour assurer sa subsistance et servir le peuple.
En 1951, Léon Trivière se consacre au travaux publics. Il fait une semaine comme terrassier dans les rues de la ville. La presse locale évoque cette expérience : " Il a éprouvé beaucoup de joie à partager par expérience l’existence du peuple et a obtenu en fin de stage une mention d’honneur pour son ardeur au travail ". Cela va de soi.
Le 9 novembre 1951, Trivière est interné en même temps que d'autres prêtres. Toute cette équipe de missionnaires prisonniers est finalement expulsée en fin d’année et parvient à Hongkong le 12 janvier 1952.
Après quelques jours de repos, Léon Trivière est affecté à la rédaction du Bulletin de la Société des Missions Etrangères à Hongkong.
Léon Trivière acquiert alors ses titres de noblesse comme journaliste. Il recueille ainsi une information très précieuse sur l’évolution de la situation religieuse en Chine en une époque de grands bouleversements. D’autres confrères expulsés comme lui de Chine publient d’ailleurs le récit de leurs épreuves.
En 1956, alors que Mao lance la Chine dans la campagne éphémère des Cent fleurs, il se rend en Europe où il est invité à témoigner de son expérience chinoise.
En France du 19 mars au 23 mai, il a bien sûr la joie de retrouver sa famille à Guémené Penfao. Mais en avril, il est à Bruxelles où il prend part à une réunion de la Commission internationale contre le régime concentrationnaire.
S’étant fait davantage connaître en France et à l’échelon international, il reprend son travail à Hongkong. Les documents qu’il fournit en 1957 sont particulièrement utiles car ils permettent de préciser comment s’est formée l’Association Patriotique des Catholiques de Chine en juillet 1957, sous l’impulsion du Premier ministre Zhou Enlai. De 1957 à 1961, Léon Trivière publie 38 articles sous la rubrique "Eglise catholique en Chine continentale".
Pendant ce temps, la situation se tend en Chine. Une violente campagne anti-droitière a succédé aux Cent Fleurs. Le contrôle politique sur l’Eglise se fait plus direct. En avril 1958, deux premiers évêques sont consacrés à Wuhan sans l’accord de Rome.
Le père Trivière n’est pas à Hongkong à ce moment là car il vient d’entreprendre un grand voyage autour du monde.
Il se rend d’abord à Taiwan . Cette République de Chine se présente au monde comme «la Chine libre». Le représentant du Saint Siège s’y est réfugié après avoir été expulsé du Continent. La vie de l’Eglise dans ‘l’Ile-trésor’ est alors en plein essor.
De nombreux réfugiés du continent reçoivent le baptême et le gros de la population aborigène devient catholique ou protestante. A Hualien sur la côte est de l’île, le père Trivière rencontre les confrères venus de Mandchourie, de Shnatou, du Guizhou et même des confins du Tibet.
De Taiwan il passe au Japon. De là, il rejoint l’Europe.
Au retour de ce long périple, il se remet à la rédaction du Bulletin à Hongkong où il reste jusqu’en septembre 1960. C’est alors que le nouveau supérieur des Missions, ancien de l’Inde, le rappelle à Paris.
Le père Trivière prend en charge la Revue des Missions Etrangères de Paris le 4 octobre. Il écrit beaucoup. Il s’insère dans les milieux d’études de l’actualité, entre autres comme membre correspondant de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer.
Ses études portent sur de nombreux pays d’Asie - Thailande, Malaise, Inde, Corée, Japon - et même sur Madagascar où plusieurs anciens de Chine ont pris du service. Sa passion pour le monde chinois ne faiblit d’ailleurs pas. Dès 1961, Missions Etrangères de Paris publie ses articles sur «L’Eglise et les Chinois du monde libre en 1960». A l’heure où De Gaulle est le premier des chefs d’Etat à reconnaître le gouvernement de Pékin en 1964, il écrit l’article intitulé «Le poids de la Chine dans le monde».
En janvier 1966, il tombe gravement malade. La revue Missions Etrangères de Paris disparaît d’ailleurs en avril 1967.
À peine remis de sa maladie en mai 1966, Léon Trivière est invité à coopérer à une troisième publication des Missions : Les Echos de la Rue du Bac. Il y reprend ses enquêtes sur l’actualité dans les divers pays d’Asie. A partir du N°18 de ces nouveaux Echos, l’apport de Léon Trivière devient une rubrique régulière intitulée "le mois en Asie".
A partir de 1967, il collabore en outre à "Epiphanie", une autre publication lancée en 1962. Léon Trivière accepte d’alimenter la rubrique "L’actualité en Asie". Il y publie des études d’une approche générale géopolitique telles que «La Seconde Révolution chinoise» (N°32, octobre 1967), «le Mouvement étudiant en Asie»( N°37, 1969) «La rivalité des trois géants en Asie (Etats-Unis, Union soviétique, Chine)» (N° 40, septembre 1969), « A propos du Saint-Siège et de la Chine ( 1971).
Le 4 novembre 1973, le père Trivière est frappé d’une hémiparésie droite. Le 30 du même mois, il demande à être déchargé d’une partie de ses responsabilités de publication.
De nouveaux développements dans la vie de l’Eglise contribuent d’ailleurs à faire revivre cette passion et à lui ouvrir de vastes horizons.
Léon Trivière saisit au vol ce nouveau courant d’intérêt pour la Chine. Inquiet peut-être des aléas de sa santé physique, il met dans le coup un confrère tout disposé à sympathiser avec ses objectifs. Tous deux coopèrent à un dossier commun qu’ils intitulent «Le défi de Mao aux Chrétiens».
En 1976, il entreprend un voyage dans cette Chine qu’il avait dû quitter un quart de siècle auparavant. La Chine qu’il découvre est encore bien marquée par l’esprit de la grande Révolution culturelle prolétarienne mais c’est une Chine qui a été admise aux Nations Unies en octobre 1971 et qui cherche à s’ouvrir au monde depuis la visite de Nixon en 1972.
Le voyage a lieu du 29 septembre au 18 octobre, à peine un mois après la mort de Mao Zedong. Léon Trivière fournit une information détaillée. Le groupe visite les monuments les plus célèbres, mais aussi des usines, des communes populaires, des instituts d’éducation et un hôpital. Les aspects sociaux et idéologiques du régime sont présentés aux visiteurs.
Le père Trivière note avec soin toutes les informations qu’il peut recueillir concernant les conditions de travail et le niveau de vie. Le dimanche à Pékin, il assiste à la messe au Nantang, seule église alors ouverte au culte dans toute la Chine, à l’usage des étrangers - messe en latin, le dos tourné aux quelque 35 fidèles étrangers. «Les Catholiques chinois , lui dit-on, ont développé leur conscience politique et s’abstiennent, d’eux-mêmes de participer au culte public».
Sans trop de commentaires sur cette misère de la religion, Léon Trivière note soigneusement quelques signes de l’évolution politique. A Suzhou le 10 octobre, il apprend la nouvelle du projet de construction d’un mausolée en l’honneur de Mao Zedong et la confirmation du pouvoir de Hua Guofeng.
A Shanghai, le 14 octobre, alors qu’il se rend avec son groupe au Palais de l’exposition industrielle, il repère un attroupement autour de deux affiches murales et apprend plus tard qu’il s’agit d’une première attaque contre la fameuse «Bande des quatre» dirigée par Jiang Qing, la veuve de Mao Zedong.
Depuis septembre 1974 et encore plus à la suite de son voyage, la grande majorité des articles de Léon Trivière dans les Echos sont consacrés à la Chine. Ses dernières contributions aux Echos en 1982 et 1983 portent pratiquement toutes sur les religions en Chine
Attentif à l’évolution de la Chine, le père Trivière multipliait conférences, dossiers et articles. Les médecins l’avertissaient pourtant qu’il n’en avait plus pour longtemps à vivre s’il continuait à ce régime. Il décida alors de renoncer à toutes ses activités concernant la Chine et de se mettre au service des vieillards et des malades dans une maison de convalescence.
Il avait de la famille à Fontainebleau. C’est ainsi qu’il s’installe alors à la maison Saint Joseph de Fontainebleau comme aumônier. Outre son ministère à la Maison St Joseph, il se rend tous les samedis à Avon, pour y célébrer la messe dans une autre maison de convalescence. Il fait aussi beaucoup de visites.
Fin 1992, il est hospitalisé pour un problème de hanche. Mais son problème de hanche n’était pas le plus grave. A la Maison Saint Joseph, on reconnaît qu’il a beaucoup baissé. Il a des absences, des réactions inattendues. Il lui arrive de dire la messe à une allure folle. Ses homélies, par contre, sont de plus en plus interminables. C’est qu’il est déjà atteint par la maladie de Alzheimer. Bref, il lui faut penser à une retraite définitive.
Il se retire à Montbeton le 3 février 1993. Condamné pratiquement à l’inaction après tant d’années d’activité intense, il entre peu à peu dans un état d’apathie, ne parle plus et reconnaît à peine les amis qui viennent le voir. Il s’éteint complètement le 21 novembre 1998. Il repose dans ce cimetière de Montbeton.
C'est à la fin de la guerre, à partir de 1944, que Léon Trivière rédige ses notes historiques concernant Guémené. Celles-ci se présentent sous la forme de quatre fascicules dactylographiés représentant environ 90 pages de notes.
Il s'agit d'un rassemblement de données éparses plus qu'un ouvrage construit. Certains thèmes sont d'ailleurs évoqués à plusieurs reprises (la Révolution). On ne peut parler non plus d'un travail d'historien car les sources ne sont pas critiquées et bien des choses méritent d'être revues.
Mais bon, ces quatre fascicules restent intéressants et je n'ai pas encore exploité leur contenu.
En voici les sommaires :
Fascicule n°1 :
1- Guémené ; 2 - Le nom de Guémené ; 3 - Le nom de Penfao ; 4 - Place Simon ; 5 - Rue de Chateaubriant ; 6 - Castres ; 7 - Rue du Grand-Moulin ; 8 - Rue Garde-Dieu ; 9 - Bruc ; 10 - La Fée Carabosse ; 11 - Rue Garde-Dieu ; 13 - Grand-Luc.
1 - La Révolution ; 2 - Rue des Ponts ; 3 - La Bataille de Conquereuil ; 4 - La rue de la Chevauchardais ; 5 - La chasse de Saint Hubert ; 6 - La Révolution ; 7 - Les Frairies
1 - La Vieillecour ; 2 - Place Simon (suite) ; 3 - Rue du Lavoir ; 4 - Rue Saint-Clément ; 5 - Juzet ; 6 - La Révolution ; 7 - Le Boisfleury ; 8 - Rue de l'Hôtel de Ville
Fascicule n°4 :
1 - Trémelan ; 2 - La Révolution ; 3 - Friguel ; 4 - Les armoiries de Guémené ; 5 - Le Brossay ; 6 - "..plus de voleurs que de chevaux" ; 7 - Tréguel ; 8 - Callac ; 9 - Saint-Benoît de Massérac
Faudra qu'on en reparle.
quelle parcours en effet ! que de gens intéressants à Guémené.
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