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samedi 15 décembre 2012

Histoire du pont de Beslé


J'ai toujours aimé les bouts du monde : ils ouvrent sur le mystère. D'une certaine façon, Beslé a constitué (et constitue encore) un bout du monde de Guémené. C'est là, bien sûr, que la commune vient échouer, au pied du fleuve, au port ou au pont, selon les époques. C'est aussi une limite du monde de mon enfance : les excursions à Beslé étaient fréquentes, mais on allait pas vraiment au-delà.

Beslé est indissolublement lié dans ma mémoire aux radieux (?) étés de mon enfance, comme une sorte de Nogent-sur-Marne : un fleuve pour pécher, un bistrot pour boire un coup (ma mère me commandait toujours un détestable Orangina, écoeurant et poisseux !). On imagine bien des pique-niques sur l'herbe, un transistor pour guincher. Je crois d'ailleurs que c'est ce qu'on faisait un peu.

Le côté finis terrae (bout du monde, quoi...) de Beslé vient sans doute aussi du souvenir, visuel et sonore, de son pont provisoire d'après-guerre. Son spectaculaire enchevêtrement de poutrelles autour des piles, joint au boucan quand on y passait en voiture, lui conférait un indéniable caractère de précarité, à l'instar d'un pont de planches bricolé sur un cours d'eau, qui mènerait vers un inconnu, une zone non encore cartographiée.



Et d'ailleurs, vous le voyez bien à la façon dont je suis préoccupé sur la photo ci-dessus qui date probablement de 1960 : mon regard sévère scrute le lointain, guettant le danger.


***

Longtemps, le passage de la Vilaine s'est effectué à Beslé par bateau. On peut voir sur la carte ci-dessous la situation aux alentours de 1830 (et sans doute bien avant). Le bourg de Beslé est en retrait de la Vilaine et son port (à droite sur la photo) se trouve en contrebas : c'est de là que partait le bac vers Langon.



Le développement des campagnes au cours du XIXème siècle, du commerce agricole, des foires, rendait nécessaire l'établissement d'une liaison plus commode entre les deux rives.

Les autorités oeuvrèrent donc, ici comme ailleurs, à la construction de ces ouvrages.


Décidé dans son principe vers 1850 par le Conseil Général de Loire-Inférieure, le pont de Beslé fut commencé en 1865. Un décret du 18 mars 1865 en fixait le principe. Comme c'était l'usage à l'époque, ce serait un pont à péage, la société concessionnaire en jouissant pendant 9 ans.

Le pont de Beslé fut construit en 1866 sur l’initiative du Service vicinal de la Loire-Inférieure,  par les Etablissements Joret et Cie de Paris.

Le choix de cet entrepreneur était plutôt un gage de qualité (que l'avenir démentira d'ailleurs). En effet,  les Etablissements Joret construisirent le premier pont français en acier "Bessemer" pour l'Exposition Universelle de 1867. Ce pont fut démonté après l'Exposition et remonté pour franchir la Vilaine à Port-de-Roche, près de Saint-Anne-de-Vilaine (Il s'appelle le "pont Napoléon" : on voit d'ailleurs de grands "N" et "E" majuscules sur les piles).

La construction du pont de Beslé n'alla pas sans retards. Les culées (extrémités près des rives où se cale l'ouvrage) furent terminées en novembre 1865. Les crues avaient empêché l’entrepreneur de couler le caisson dans lequel il devait fonder la pile centrale, alors que le tablier métallique (partie plate du pont) était déjà construit dans les ateliers.

Le pont sera finalement livré à la circulation en 1866. Sa largeur entre les garde-corps sera en définitive de 5 mètres 80 : une double voie charretière (pour deux charrettes ordinaires de front) de 4 mètres 60 au total et deux trottoirs de 0 mètre 60 de largeur chacun.

Ce pont ne resta pas longtemps à péage. Dès 1868, les deux départements mitoyens s'entendirent en effet pour racheter la concession.

Les années qui suivent sont l'occasion de nombreux travaux d'entretien et de complaintes corrélatives et réitérées des Conseil Généraux concernés. Cela tenait à ce que n’ayant qu’une ossature métallique extrêmement "grêle" pour un ouvrage présentant deux travées de 40 mètres de long avec double voie charretière, ce pont présentait des faiblesses.

Des dispositions durent finalement être prises pour ménager l'édifice. Ainsi, le Service vicinal de la Loire-Inférieure, qui était chargé de la surveillance de cet ouvrage, estima à la suite d’un examen sérieux vers 1900, qu’il convenait, afin de prévenir tout danger, de réduire le tablier du pont à une seule voie charretière, en élargissant les trottoirs.

Néanmoins, on dut encore prendre des mesures de sécurité en limitant les chargements susceptibles de passer sur le pont à 4.000 kg.

Cette limite de charge donnait lieu à une grande gêne pour la circulation et, d’autre part, le platelage (plancher) en charpente très vite fatigué par le roulage, occasionnait des réparations continuelles et des renouvellements en grand qui se chiffraient tous les 5 ou 6 ans environ par une dépense conséquente. Il en résultait que le renforcement ou la réfection du tablier s’imposait à bref délai.

A l’automne 1912, les travaux de réfection conduits par le département de Loire-Inférieure n’ont pas avancé comme prévu. M. du Halgouët, notable qui siège au Conseil Général d’Ille-et-Vilaine, s’en émeut et apporte des précisions.

Au train où vont les choses, il sera bientôt le 15 novembre, se plaint-il, et la date limite d’interdiction de passage sur le pont sera atteinte. Certes les deux culées et la pile centrale sont établies, mais le pont (tablier métallique) n’est pas en place (un mois de retard).

Sans doute les choses finirent par s'arranger avant la guerre de 14 et je n'ai pas trouvé d'autres informations sur ce pont jusqu'à la guerre suivante.

A l'évidence cette dernière fut fatal à l'ouvrage. Mais les avis que j'ai recueillis divergent sur la question des responsabilités de la destruction : miné par les Allemands ou bombardé par les Américains ?

Il s'écoula sans doute quelque temps avant la reconstruction. Car, ma mère qui vivait alors à Paris vint à Guémené début août 1946. Le train la laissa à Beslé où elle s'arrêta chez une cousine, en attendant un car pour Guémené. Et elle se souvient que toute la bourgade bruissait d'un accident qui venait de se produire : le boucher de Beslé, voulant ramener une vache dans une barque à partir de l'autre rive de la Vilaine, avait chaviré avec son esquif, et s'était noyé.

Vint pourtant le temps du pont provisoire qu'on entrevoit derrière ma photo, du début de cet article. Il semble légèrement décalé par rapport au pont détruit, car on voit qu'il n'est pas dans l'alignement de ses culées. Ce pont provisoire devait être remplacé par un grand pont moderne pour 1966, annonçait-on vers 1963-1964.

En fait, le pont actuel avec la route a du être reconstruit dans les années 68-70, d'après une de mes aimables sources, par les soins de l'entreprise Dodin.

Nul doute que de nouvelles découvertes vont venir éclairer le sujet. A bientôt donc pour en reparler.

Je joins pour finir une série de cartes montrant le pont de Beslé dans différents états, tirées de ma collection. On en trouve d'autres, bien entendu, sur Internet.







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