Quand on dépouille la presse ancienne, on trouve très peu de chose à propos de la succursale orientale de Guémené que représente la section de Guénouvry. A vrai dire on n'y entend guère parler que de la fête de Sainte Anne...
La célébration de Sainte Anne, qui culmine par les cérémonies qui se tiennent sur le site de Lessaint, près Guénouvry, est ancienne. Se déroulant fin juillet, elle attirait une grande foule de Guémené et des communes environnantes, et a donné lieu à de nombreux comptes-rendus.
Voici donc l'écho de jours festifs de 1906, 1920, 1921, 1934, 1938, 1939 et 1940, puisé à différents organes : le Nationaliste de l'Ouest, Ouest-Éclair ou l'Espérance du Peuple.
La journée de célébration suit un schéma à peu près stable : en fin de matinée, grand-messe à l'église de Guénouvry (qui est une paroisse à part entière, alors), Salut au Saint Sacrement en début d'après-midi, puis procession jusqu'à la chapelle de Lessaint (2 ou 3 kilomètres !) où, enfin, on chante les vêpres. Diverses prises de paroles accompagnent plus ou moins ces différentes phases qui meublent une bonne partie de la journée.
Cette fête religieuse est également une fête tout court : elle donne par conséquent lieu, à l'instar des "pardons" de la Bretagne occidentale, à des réjouissances profanes pourvues par des forains installés autour de la chapelle : on comprend que les buvettes à cidre ne manquent pas...
Beaucoup de commentateurs s'émerveillent de la beauté du site de Lessaint associé au village du Tahun, tout proche.
N'oublions pas enfin, qu'à l'époque, Guémené et sa région sont administrativement partie de la Bretagne.
Echo de 1906 (Nationaliste de l'Ouest) :
Ma grand-mère Gustine avait alors 11 ans : peut-être s'y trouvait-elle...
Dans cet article, l'accent est mis sur la procession depuis l'église de Guénouvry et sur les festivités, religieuses et profanes, prenant place sur la colline de Lessaint.
L'article fait explicitement référence aux "pardons" bretons : "...fête religieuse en même temps que profane, un vrai pardon de Bretagne. Plusieurs milliers de personnes étaient venues des campagnes voisines pour honorer en ce beau lieu la bonne Mère Sainte-Anne."
On signale le rayonnement régional exceptionnel de cette fête en pointant les "...nombreux visiteurs venus de Conquereuil, de Marsac, de Vay et de Guémené, la capitale de la contrée."
La procession de l'église à la chapelle est en elle-même un exploit : "Pendant trois kilomètres, les fidèles ont récité le chapelet et chanté à leur patronne les cantiques traditionnels."
A leur arrivée, les processionnaires sont accueillis...par une fanfare : "A quatre heures, clairons et tambours annoncent l'arrivée de la procession..."
Pour finir, "le Curé de Massérac qui préside la procession, ... fait trois fois le tour de la chapelle, en chantant un cantique à Sainte-Anne de Lessaint. Le prédicateur monte sur une estrade élevée en plein air et donne de substantiels enseignements aux pèlerins".
Il est temps désormais de boire un coup et de s'amuser : " les pèlerins se dispersent sur la colline et se désaltèrent avec le cidre du pays. Ils restent quelques heures à contempler les attractions habituelles des fêtes foraines..."
Echo de 1920 (Ouest Éclair) :
L'article, sobre et factuel, commence par rappeler que la fête a lieu :"entre Marsac et Guémené-Penfao, au lieu-dit Lessaint, dans un des sites les plus pittoresques de cette région, sur une colline qui tombe à pic sur la vallée du Don..."
Cette année-là, un événement particulier suscite une affluence encore plus importante que d'habitude : "M. le Curé de Guénouvry ayant eu l'heureuse idée de placer cette année au pied de la colline, sur laquelle est érigée la chapelle, dans une anfractuosité du roc, une très belle statue de l'Immaculée-Conception, le pèlerinage de dimanche dernier avait pris une ampleur inaccoutumée pour l'inauguration de cette statue."
On peut mesurer aisément l'aire d"influence de cette fête à l'examen des croix et bannières qui conduisent la procession : "A quatre heures, les paroisses de Guénouvry, de Conquereuil, de Marsac et du Gâvre, précédées de leurs bannières et de leurs croix, arrivaient processionnellement au pied de la statue..."
L'article confirme que les vêpres sont ensuite chantées devant une foule de plusieurs milliers de personnes. Celles-ci bénéficient à cette occasion d'un Salut au Saint-Sacrement et d'un sermon, avant de pouvoir vaquer...
Echo de 1921 (Ouest Éclair) :
Le journaliste qui couvre l'événement en cette année de naissance de ma mère (je ne crois pas qu'elle en conserve un grand souvenir personnel...), est visiblement un chantre un peu enfumé de la "bretonnitude" et il s'emballe un peu : "Élevée au sommet d'un coteau situé au bord du Don, la chapelle domine un magnifique paysage : falaise abrupte bordant le Tahun (Traon Aoun ? val de la peur), roches de schiste couvertes de lichen, collines couronnées de pins et de châtaigniers, prés et champs jetant une note claire sur l'ensemble du tableau".
Tant qu'à faire, un peu d'histoire et de philologie fantaisistes ne nuisent pas : "La construction de l'édifice semble remontée au XVIIè siècle et le nom de Liessaint pourrait être une altération de de celui des "Sept-Saints" dont le culte, si populaire en Basse-Bretagne donne lieu au fameux pèlerinage du Tro-Breizh (Tour de Bretagne)." Ben voyons...
Et comme si cela ne suffisait pas à bien marquer les choses, le barde d'Ouest Éclair ajoute : "En tout cas, les bretons du Pays Nantais, dans leur pèlerinage au sanctuaire de Sainte-Anne de Guénouvry suivent les traditions de leurs frères du Pays de Léon et de Trégor et accomplissent pieusement les mêmes dévotions."
Plus on avance dans le temps, plus la liste des paroisses environnantes participantes s'allonge : "A la procession prennent part...des délégations de fidèles de Guémené, Conquereuil, Pierric, Massérac, Guénouvry, Marsac, le Gâvre, Nozay, etc."
Telle une grosse chenille, la procession chemine : "Partant du Tahun, elle suit les lacis d'un sentier qui gravit la colline au milieu des bruyères..."
Notre journaliste en profite pour filer son délire bretonnant, en indiquant que la procession atteint "un placître établi au-dessous d'une reproduction de la grotte de Lourdes". Un placître est en fait la partie herbeuse dans les murs d'un enclos paroissial breton, alors que l'endroit qualifié de tel n'est qu'un espace en sous-bois à flanc de colline, au pied d'une petite falaise rocheuse...
Le chant des vêpres, un sermon par M. l'Abbé Landais, vicaire de Nozay, puis le chant du "Credo" en l'honneur de Sainte Anne terminent la cérémonie religieuse.
Notre ami de la Bretagne, rassuré après cette belle journée de fête, ainsi de conclure : "on sent que ce coin de terre de Bretagne, si semblable aux ravissants paysages qu'on découvre des Monts d'Arrhée, garde fidèlement le culte de l'antique patronne de l'Arvor." J'allais le dire...
Echos des années 30
Dans ces années-là, les choses se gâtent. Un article de 1934, paru dans l'Espérance du Peuple fournit une relation circonstanciée des événements, mais surtout le résumé d'un sermon qui se fait l'écho du malaise de cette période.
Tout commence comme souvent par un un peu d'histoire (approximative) : "La dévotion à Sainte Anne est très ancienne à Lessaint... Elle remonterait au XIIIe siècle, ou peut-être même au XIe..., dominant la vallée du Don, se dresse la chapelle actuelle, vieille de deux siècles environ, qui a remplacé d'autres chapelles tombées en ruines au cours des âges..."
Et de peinture bucolique des lieux : "...Les bois de pins, de chênes, de châtaigniers, qui, dans le voisinage, forment de gros bouquets de verdure et présentent à l’œil un spectacle délicieux et reposant de fraîcheur, font à cette chapelle un entourage coquet et magnifique."
On souligne aussi le rayonnement du pèlerinage par la présence massive de fidèles des communes avoisinantes : "...des pèlerins venus des paroisses voisines de Conquereuil, Marsac, Derval, Guémené, du Coudray, de Blain et au-delà, se rendaient en cars, en autos, à bicyclette ou simplement à pied vers le sanctuaire de Sainte Anne."
Puis, comme à l'accoutumé, après la messe du matin et la présentation de l'ostensoir en l'église de Guénouvry, le cortège se met en marche, truffé de membres du clergé du coin : "un cortège présidé par M. l'Abbé Paillusson, curé de Derval, et dans lequel nous avons remarqué : MM. les Curés de Guémené-Penfao, du Coudray, de Conquereuil, plusieurs vicaires et séminaristes de paroisses voisines..."
Cette procession vers le sanctuaire de Lessaint est en tous points semblable à celle décrite en 1906 : "Tandis qu'on y gravissait, sous un soleil ardent, la route abrupte qui y conduit, longue de deux kilomètres au moins, le chant des litanies de la Sainte Vierge et des cantiques en l'honneur de Sainte Anne n'ont cessé de se faire entendre."
Les pèlerins, évalués à quatre mille, sont massés au pied de la grotte en contrebas de la chapelle. C'est là que sont chantées les vêpres, suivies du sermon du Chanoine Lemoine (!), vicaire général de Nantes (donc une "huile")
Le bon père n'y va pas par quatre chemins : il faut que l'auditoire s'unisse dans ses prières pour "faire le siège de Sainte Anne" afin "qu'elle hâte la venue d'un sauveur". C'est que tout va mal : c'est la crise.
Et le chanoine de développer :
D'abord la crise économique qui frappe les campagnes : "...vos greniers crèvent sous le poids du blé dont personne ne veut".
En second lieu, bien sûr, la crise morale et le spectre corrélatif de désordres sociaux effrayants : "Maintenant beaucoup de gens vivent avec l'unique souci du corps et des biens terrestres. L'âme, la vie future, ils ne s'en préoccupent pas... N'est-ce pas pour cela que s'est formée l'armée des "damnés de la terre" prête à marcher à l'assaut de ceux qui possèdent parce qu'elle exige, elle aussi, sa part de biens et de bonheur ici-bas !". Mon dieu !
Ensuite, la crise nationale, fruit des "scandales les plus hideux qui ont porté atteinte à notre honneur national."
Enfin, la crise internationale : "Qui nous dit que nous ne reverront pas les sombres jours de 1914 ?"
L'orateur, s'interroge évidemment sur l'origine de tous ces désordres et apporte une réponse : "...parce qu'on a organisé le monde comme si Dieu n'existait pas." A partir de là, toute licence est rendue possible : "...Si Dieu n'est pas dans ma conscience pour m'enseigner le respect du bien et de la personne d'autrui, qui m'empêchera de voler, de supprimer ceux qui sont un obstacle à mon bien-être ?" En effet.
Mais il existe encore une solution pour remédier à ces horreurs : "...la restauration de la foi et de la morale chrétienne dans les âmes et les familles." Et le prédicateur achève "en suppliant Sainte Anne de nous rendre des mœurs pures et d'étendre dans les âmes le règne de Jésus-Christ."
Le curé de Guénouvry prend ensuite la parole pour remercier le chanoine et enfin, la foule répète l'antique rite : "...monte vers la chapelle et fait trois fois le tour de celle-ci en chantant de tout coeur et à pleine voix un cantique à Sainte Anne. Puis elle pénètre dans le sanctuaire pour invoquer une dernière fois l'aïeule vénérée de Jésus, devant son antique statue."
Nous sautons quatre années et retrouvons Ouest Éclair en 1938.
La relation des faits y est succincte. Il fait très chaud et il y a cependant beaucoup de participants.
Comme d'habitude : grand-messe le matin à Guénouvry et procession l'après-midi jusqu'à la chapelle où l'on célèbre les vêpres. Un autre chanoine y prononce "un sermon éloquent et très spirituel".
L'originalité de cette fête tient à ce qui suit, à savoir la "bénédiction d'une statue de Sainte Anne pour remplacer celle de Notre-Dame de Lourdes qui avait été brisée voilà déjà deux ans", épisode qui avait fait grand bruit dans les chaumières et les sacristies.
Singulière enfin, l'allocution du curé de Guénouvry qui conclut cette journée en "remerciant vivement les nombreux pèlerins qui avaient eu l'amabilité de se déranger pour venir en si grand nombre assister à cette bénédiction..." Les braves gens !
L'année d'après, 1939, nous sommes renseignés par "l'Echo du dimanche". C'est l'année de la guerre, bien sûr, dont nous ne sommes qu'à une petite poignée de semaines, en ce dimanche 30 juillet.
Les gens sont préoccupés : à la grand-messe du matin, la foule "demandait à la Bonne Mère de veiller sur notre pays et d'étendre sa protection à toutes les familles de Guénouvry..."
Pour couronner le tout, il ne faisait pas beau : "Après le Salut du Saint-Sacrement... la procession partit vers les coteaux de Lessaint. La pluie commençait de tomber, mais les pèlerins ne se découragèrent pas", tous entraînés qu'ils étaient par leur clergé : "M. le Doyen de Derval...récitait le chapelet. M. le Doyen de Guémené dirigeait les chants."
Arrivée à la grotte de Sainte Anne, la foule assiste aux vêpres. Hélas, il se met à pleuvoir de plus belle. Cette épreuve ne surprit pas les fidèles qui "n'oublièrent pas que la pénitence doit faire partie d'un pèlerinage et ils restèrent courageusement à prier sous l'averse."
Mais pour s'attendre à la pénitence on n'en est pas moins prévoyant de la météo : "Le R.P. Jacques commença son sermon devant une impressionnante assemblée de parapluies. Il ne voyait aucun de ses auditeurs."
A la fin, le curé de Guénouvry remercia l'orateur et les pèlerins et "les invita à faire individuellement leur visite à la modeste chapelle de Sainte Anne".
Mais bon, il faisait un temps de chien : "La foule se dispersa bien vite, passant rapidement devant les baraques des forains qui envahissaient l'esplanade." Il paraît cependant que les gens rentrèrent chez eux contents car : " du haut du Ciel, Sainte Anne les avait bénis...". Il faut peu de choses...
C'est à Ouest Éclair que revient le mot de la fin. En cet été 1940, la fête à lieu le 28 juillet : la défaite est consommée et l'Armistice est signé depuis six semaines. Que dire de plus : " La grand-messe fut célébrée à 12 heures (heure allemande)...". On ne saurait mieux dire, en effet...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire