Le corbeau…
Sous l’Occupation, le Régime de Vichy tente de s'appuyer sur le monde agricole. Il met en
place fin décembre 1942, la « Corporation
paysanne », organisation pyramidale très hiérarchisée, contrôlée par
le Ministère de l’Agriculture, disposant d’une Direction Nationale relayée par un réseau de syndics régionaux patrons « d’Unions régionales corporatives ». Ces dernières sont
elles-mêmes subdivisées en syndicats locaux au niveau communal.
Cette courroie de transmission de Vichy accorde par exemple aux syndics locaux la charge de fixer les
impositions individuelles et de les notifier aux agriculteurs. Autant dire que
gérer un tel organisme dans une petite commune comme Guémené doit valoir pas
mal de réactions diverses à son responsable.
Ou sa responsable. Car par chez nous, en ce temps-là
(1943), une certaine Veuve Guérin est « gérante » du syndicat.
Mais, à l’évidence, sa gestion lui vaut quelques rancœurs et
voici que l’un des plaignants choisit un mode de rétorsion bien de l’époque.
Depuis quelque temps, en effet, des lettres contenant des
allégations calomnieuses sont adressées à des habitants de Guémené.
Elles sont en général, signées du nom de la veuve Guérin, ou
bien elles portent la mention « Envoi
de Mme Vve Guérin ».
Comme dit le journal qui fait état de ces incidents, « cet état de chose n’a pas été sans
amener une certaine perturbation dans la localité ».
La Veuve Guérin, a fini par se lasser et a porté plainte.
Comme le conclut l’article : « Une
enquête est ouverte ; il est à souhaiter qu’elle aboutisse à la découverte
de l’auteur de cette lâcheté ».
…et le renard…
Il faisait nuit depuis longtemps ce 11 mars 1943 quand dans
la pénombre rôdait un inconnu. Les poules étaient bien rentrées et les renards
n’avaient rien à espérer. Sauf un …
Au village de Coisfoux, comme ailleurs, les habitants s'étaient calfeutrés chez eux, des rideaux ne laissant en principe rien filtrer
vers l’extérieur des lumières de l’intérieur.
Ce soir-là, vers
22 h 30, Pauline Levant (née Plantard) qui tient la ferme familiale depuis la
mort de son mari, Joseph Levant, et qui y demeure avec sa fille Fernande, âgée
de 19 ans, voit soudain entrer l’inconnu.
Celui-ci apostrophe les pauvres femmes inquiètes en se
présentant comme un policier. Et même, un « policier
étranger », pour reprendre la formule de l’article dont je m’inspire.
Un « policier étranger »…voyons,
voyons…Un policier anglais ?...non…Américain ?...non…Non, décidément,
je ne vois pas de quelle nationalité il peut bien se prévaloir…
Toujours est-il qu’il déclare aux deux femmes être venu leur
dresser contravention pour non camouflage de lumière, celle-ci filtrant
légèrement au travers d’un carreau de la porte d’entrée.
Les dénégations des femmes n’y font rien : l’inconnu
à la nationalité inconnue tire de sa poche un carnet, y graticule
quelques mots, détache la feuille et la tend aux contrevenantes. Celles-ci
quelque peu incrédules y découvrent le montant réclamé : la somme incroyable de 650
fr. (150 euros) !
Trouvant l’amende exagérée, la cultivatrice discute. L’inconnu
passe alors à l’intimidation et menace la femme Levant de revenir la chercher
pour la faire envoyer en Allemagne ! (Tiens, pourquoi
l’Allemagne ?...)
Enfin, le « kommissar » étant bon enfant, il finit
par transiger à 325 fr. (75 euros) dont la veuve et sa fille s’acquittent. Puis
il les laisse en disant qu’il avait d’autres infractions à relever.
Les deux
femmes « crouillent » leur porte. Soulagées certes, mais toutes
émotionnées quand même, elles finissent par aller se coucher.
L’inconnu poursuit sa tournée dans le voisinage où
d’autres femmes seules résident. Il va ainsi frapper à la porte de Marie Guérin,
quinquagénaire célibataire, unique occupante de la ferme où jadis vivaient avec
elle son frère et sa sœur. Elle en est de 650 francs (150 euros).
Puis c'est au tour de Julienne Amossé, veuve du caporal Pierre-marie Fournel tué à
l’ennemi en septembre 1915, qui a alors plus de 60 ans. Le policier mystérieux
vient troubler également sa solitude nocturne et lui prend 325 francs (75 euros).
Au matin, Coisfoux s’éveille et les commères se racontent
leur mésaventure. Bien sûr, à froid, tout est plus simple et, remarquant entre
elles qu’il parlait vraiment bien le français (sans accent) pour un policier
« étranger », elles en concluent qu’elles ont été victimes d’un
escroc bien de chez nous.
Ensemble, elles sont ensuite parties porter plainte à la gendarmerie qui espère tirer
parti de la fiche d’hôtel du malfaiteur pour le retrouver. A condition qu’elle
soit exacte…
…et les trois petits cochons
Une administration pyramidale avait été dédiée à cette tâche. Au niveau local, des « chefs de district » étaient soumis à l’autorité de « directeurs départementaux », eux-mêmes soumis aux services de l’administration centrale du Ravitaillement basée à Vichy et à Paris.
Pour Guémené, le fonctionnaire en charge de la question avait
nom (cela ne s’invente pas) M. Sieg : « Victoire » en allemand.
Était-il allemand d’origine ? Il pouvait en tout cas bien l’être de cœur…
Ainsi, par une belle journée de juillet 1942, M. Sieg se
met à suivre à bicyclette les traces des roues d’une camionnette. On voit
immédiatement qu’il y a du détective chez tout bon chef de district du
Ravitaillement.
Sa traque finit par le mener dans la cour de M. Jarnot, charcutier,
place de l’Eglise.
Hélas, le sagace et zélé fonctionnaire n’y voit pas trace du
véhicule qui est à l’évidence reparti.
M. Sieg décide
cependant de poursuivre son enquête et se présente à la charcuterie. Je ne sais
s’il est alors salué d’un Sieg
Heil ! retentissant, mais toujours est-il que, sur sa demande, on le
conduit à la « tuerie ».
Et que trouve-t-on à la « tuerie » du charcutier
Victor Jarnot ?... Hein ?...Eh bien, on y trouve trois porcs enfermés
dans des sacs, preuve du flair quasi animal du fonctionnaire du Ravitaillement.
On s’étonne d’ailleurs que M. Sieg ait pu se (Zig et Puce !) rendre aussi
efficace tout seul…une petite dénonciation de derrière les fagots, peut-être…
Enfin, le compte du charcutier est bon : Sieg avise
aussitôt les gendarmes.
Entendu par ces derniers, M. Jarnot reconnaît que les
animaux ont été abattus par lui-même à la campagne et ce irrégulièrement. Il refuse cependant de livrer le nom des vendeurs, ce qui
est tout à son honneur.
Quant à la camionnette qui avait si fort à propos aiguisé la curiosité du
chef de district au ravitaillement, elle ne transportait qu’une cuisinière
électrique pour Mme Jarnot mère…
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