C'est le printemps à Guémené : un vent frisquet parcourt la campagne, roule les nuages et nettoie par moment le ciel : le soleil (qui a fini son rendez-vous avec la lune) sourit.
N'est-ce pas l'occasion d'une petite promenade, d'un pèlerinage vers quelque joli site, vers quelque endroit où jadis mon enfance est venue trouver un cadre à son bonheur ?
Et puis j'ai récupéré cette semaine une ancienne carte postale dont le prix était à première vue la principale motivation d'achat, tant le sujet en est banal : la Vallée, avec au loin le château et le moulin de Juzet.
Tout au plus, le caractère dit "précurseur" de l'objet, c'est-à-dire datant d'une époque (avant 1904) où l'on écrivait au recto la correspondance et au verso uniquement l'adresse, ajoutait-elle à l'envie du collectionneur au petit pied que je suis devenu.
La Vallée...les barbotages estivaux dans le Don....les pêches sans poisson du haut de la passerelle...les hameçons dans les arbustes....les vaches paisibles dans un cadre idyllique....les maisons abandonnées....le château du genre "Belle au Bois Dormant", aussi....
La vieille carte postale est pâle : elle montre, saisie du haut du Rocher de la Fée Carabosse qui la surplombe, une vue de la Vallée probablement à la fin de l'automne ou au début du printemps, car les arbres paraissent sans feuille.
Cette fadeur est corrigée par l'adresse peu banale du destinataire : un certain Camille Jallais, au Petit Séminaire de Guérande.
Mais un coup de loupe plus tard, cette carte prend assurément un certain relief. En effet, on y distingue nettement le village tel qu'il était quand il était encore intact et, alignés en rang d'oignon sur la passerelle, des habitants du hameau : hommes, femmes et enfant.
Comme toujours, l'enquête commence.
Dater la carte ou son envoi.
On ne peut lire de date avec certitude sur les oblitérations et aucune date n'est inscrite par celui qui a envoyé ce document. Un indice permet cependant d'encadrer la période : cette carte a été confectionnée par Albert Bergeret et Cie, imprimerie basée à Nancy.
Or, l'imprimeur Albert Bergeret a dirigé cette entreprise sous cette appellation entre 1898 et 1905. La carte a dû être écrite et envoyée vers 1901, ce qu'atteste par ailleurs le timbre (10 centimes Droits de l'Homme, type "Mouchon"), en usage entre la fin 1900 et le milieu de l'année 1902.
Pour revenir un instant aux oblitérations, on y croit deviner l'indication du mois de juin. La carte aurait donc été envoyée en juin 1901. La photo a donc dû être prise autour de 1900.
Identifier les personnages photographiés.
On dénombre à coup sûr huit personnes sur la passerelle dont un enfant (plus petit, à gauche) et au moins deux femmes (une au milieu et une à droite) dont une présente un tablier blanc.
Le recensement de 1901 signale quatre foyers dans le hameau de la Vallée, dont celui du meunier Noël (ou Nouel) qui correspond aux habitants du moulin sur l'étang, juste au-dessus, en descendant de Mézillac, du groupe de maison représenté sur la carte postale.
Le plus probable est que les personnes photographiées appartenaient aux trois autres foyers.
Il s'agissait d'une part de la famille Barbier : Pierre (82 ans) ; Marie Robin, son épouse (77 ans) ; Marie (45 ans), Pierre (43 ans) et Victor (34 ans), leurs enfants ; Mélanie Lanoë (34 ans), l'épouse de ce dernier ; Marie (10 ans), Geneviève (6 ans) et Mélanie (4 ans), les filles de ces derniers.
Un deuxième foyer ne comportait qu'une femme seule, cultivatrice également : Françoise Plumelet (57 ans). Et le troisième était composé de Marie Fondin, veuve Plédel (64 ans) ; son fils, Julien Plédel (27 ans) et un domestique, François Moquet (17 ans).
Soit en tout treize personnes alors que la photographie en comporte cinq de moins (ou quatre, car un des personnages au centre pourrait tenir un enfant dans ses bras).
Ce n'est que pure conjecture, mais je penche pour la famille Barbier, avec peut-être à droite, entre les deux piles de la passerelle, le patriarche et son épouse. Toutefois, l'enfant situé à gauche semble être un garçon, et donc plutôt le fils du meunier (Xavier Nouel, 6 ans) que Marie, la petite-fille aînée des Barbier. On ne saura jamais...
Le site.
Bien sûr, l'endroit est facile à repérer : en bas du chemin qui descend de Mézillac, passe le long de l'étang, au confluent du ruisseau et du Don, au premier plat de la Vallée. S'il le fallait encore, la passerelle avec ses piles à section carrée qui existe encore indique on ne meut mieux où l'on se trouve.
La carte postale recèle un secret, celui de l'ancien hameau, paquet dense de maisons où aucune route ne semble passer.
On aperçoit à droite l'auge circulaire où l'on concassait les pommes à cidre, près de laquelle des perches sont dressées contre la colline. En face, un four et peut-être une tête de puits et, derrière, un pré avec ce qui semble bien une petite meule de foin.
Puis ce sont des bâtiments agricoles (pas de cheminées) qui s’enchaînent d'un côté, et des maisons (des cheminées), de l'autre. Une grande maison dont le grand pignon est percé d'une ouverture se présente en premier lieu. D'autres suivent derrière.
Sans doute la création de la route telle qu'on la connaît aujourd'hui a-t-elle modifié sensiblement l'aspect de l'endroit : il ne reste plus aujourd'hui de reconnaissable que la ruine du premier bâtiment au-dessus de l'auge à pommes.
Les correspondants.
La carte comporte assez peu de texte, mais visiblement de deux scripteurs différents :
"Bonjour Camille à bientôt
Bonjour à Ath Vinces [?], Deniaud et aux amis [signature illisible]
Bonjour à toi et aux anciens camarades [D. Lehuédé]"
Mais je n'ai rien trouvé sur ce Lehuédé. Pas plus d'ailleurs que sur Camille Jallais. C'était probablement un séminariste plutôt qu'un enseignant du Séminaire, car ce nom ne figure pas parmi les résidents (prêtres) de cet établissement, à cette période.
Voici quelques vues de la Vallée d'aujourd'hui...
...et de ses ruines...
quel fin limier vous faites !
RépondreSupprimerau passage si ça vous intéresse, les journées des métiers d'art à Redon : une restauratrice en photos 'qui s'y connait aussi en cartes postales y sera (grenier à sel, samedi 28 et dimanche 29)