Beslé est une succursale de Guémené dotée d'un pont qui franchit la Vilaine. De l'autre côté du fleuve, ample, commence la commune de Langon au lieu-dit le Pâtis-Vert. Comme aucun bourg ne paraît de l'autre côté de la rivière, juste gardée par l'ancien et imposant hôtel Sergent posé au débouché du pont, c'est un peu de Beslé encore de ce côté-là.
Beslé fut un centre ferroviaire important (c'est aujourd'hui encore, de fait, la gare de Guémené) entre Nantes et Rennes, Redon et Châteaubriant, ces quatre points cardinaux de tout guémenois.
C'est là que se croisaient jadis les deux anciennes lignes qui desservaient le bourg de Guémené : la ligne de Redon à Châteaubriant et la ligne de Beslé à Blain, vers Nantes, dont l'emplacement a laissé encore de nos jours de grandes cicatrices boisées dans le paysage.
Beslé a toujours été un point de passage, que ce soit sur la Vilaine (il y avait un bac, avant la construction du pont à la fin du XIXème siècle) ou sur terre, grâce au chemin de fer.
Un nombre important de cheminots habitaient donc Beslé dans l'entre-deux-guerres (mondiales).
Parmi ceux-ci, Pierre Rimbaud, originaire de Derval, marié à une jeune femme de Pierric, Angélique Guérin.
Ce couple aura quatre enfants : Marie, née en 1913 ; Léon, née en 1914 ; Yvonne, en 1916 et Jean-Baptiste en 1918. Ou bien cinq : ajoutons Léontine.
Quand ils se sont mariés, en juillet (ce qui n'est guère une période paysanne) 1912, les époux étaient en principe cultivateurs. Le métier ferroviaire de Pierre Rimbaud est donc assez récent quand naît son dernier fils.
Jean-Baptiste Rimbaud voit le jour le 30 octobre 1918, quand la Première Guerre Mondiale expire enfin.
Comme souvent, on ne sait rien de son enfance, ni de son adolescence.
On apprend que, plus tard, Jean-Baptiste était employé chez Monsieur Baudu à Langon, au Pâtis-Vert. Celui-ci était marchand de bestiaux.
Ses faits d'armes sont documentés et ne sont pas négligeables. Ainsi, il transporte des armes et des munitions de Beslé à Langon. Il participe également au sabotage de lignes souterraines de téléphone entre Rennes et Redon (à la Chapelle Sainte-Melaine et à Guipry).
Plus tard encore (en juin d'une année non spécifiée), on le retrouve impliqué dans le sabotage de freins sur une rame de wagons allemands entre Guémené et Avessac.
En juillet 1944, il est associé au convoyage de six aviateurs américains de Bain-de-Bretagne à Saint-Ganton et Massérac.
Il fut hélas arrêté par la Gestapo entre Guémené et Plessé, alors qu'il transportait trente kilos d'explosifs et un revolver.
Il se trouve ensuite embarqué dans le convoi de Rennes, au début d'août 1944, à destination de l'Allemagne.
Il est dirigé vers le Fort Hatry de Belfort. Puis il est déporté le 29 août 1944 de Belfort vers le Camp de Concentration de Neuengamme (matricule 43790).
Dans ce train se trouvent 722 hommes parmi lesquels 444 décéderont. On dénombrera 194 rescapés. La différence est formée de disparus ou de personne dont le sort est inconnu.
Parmi ces hommes, Bernard Danet, ce résistant de Beslé également, de deux ans le cadet de Jean Baptiste Rimbaud, et Pierre Baudu, l'ancien employeur du jeune homme.
Ce dernier, qui habitait le bourg de Beslé en 1931, sa femme Hélène et leur fille Antoinette sont en effet arrêtés au Pâtis-Vert, près de Beslé, le 21 juin 1944, sur dénonciation.
Pierre Baudu faisait partie du réseau Buckmaster. Lui et sa famille reviendront des camps.
Pas Jean-Baptiste Rimbaud, qui décède le 20 janvier 1945 au camp de Wilhelmshaven.
Un arrêté du 14 décembre 1997 a fait porter la mention "Mort en déportation" sur son acte de décès.
Jean-Baptiste Rimbaud passa un peu moins de quatre mois à Wilhelmhaven qui était une succursale (un "kommando") de Neuengamme.
On dispose d'un témoignage qui permet d'imaginer ce que furent les derniers jours de la courte existence du jeune Résistant.
Wilhelmshaven était à l'extérieur du camp de Neuengamme, situé sur la mer du Nord, créé à partir du mois d'août 1944 et opérationnel dès le 4 septembre 1944. Le convoi de Jean-Baptiste Rimbaud "étrenna" en quelque sorte l'établissement.
"Celui-ci, n'était pas terminé et il fallu d'abord éliminer un énorme tas de terre glaise qui obstruait la Place d'appel, effectuer des transports de briques à la brouette, sous la surveillance de kapos et de… SS qui étaient français. Nous étions logés dans des baraquements désaffectés de la jeunesse hitlérienne (...).
Ensuite, affectation à l'Arsenal de la Kriegsmarine où nous nous rendions à pied (4 à 5 km.). Dans cet immense complexe industriel, des ateliers de fabrication avaient été isolés et nous étaient réservés. Ils comportaient :
- Un grand hall où nous devions travailler comme tourneurs, usiner des pièces d'acier sous le contrôle de contremaîtres allemands, ramasser les copeaux de métal à main nue (...), fabriquer des câbles en acier, souder des pièces de toutes sortes – très grosses ou très petites – au chalumeau ou soudure électrique, presque sans protection, couper d'énormes plaques de métal à l'aide de machines immenses (souvenir : un Français s'est coupé les deux mains devant moi – suicide ?), effectuer différents modèles à l'emporte-pièce (...).
A part, se trouvaient d'autres ateliers, dont :
- la menuiserie où étaient fabriqués, entre autres, des manches de grenades et des fûts de fusils ;
- la forge où étaient usinées des pièces en fonte pour les navires de guerre. Poste très dur car les déportés étaient soumis à une intense chaleur pendant leur travail, pour être ensuite en contact avec le froid du dehors, et leurs vêtements étaient troués par les éclats de métal incandescent.
Tous ces bâtiments étaient entourés de rangées de barbelés et étroitement surveillés par les gardes.
Le travail se faisait 24 heures sur 24, par deux équipes, une de jour, une de nuit, de 12 heures chacune, avec une pause d'une demi-heure pour ingurgiter une maigre pitance. A la suite des bombardements alliés, des équipes furent constituées pour déterrer les bombes non éclatées ou à retardement (...).
Fin mars 1945, nous avons commencé à déblayer les ateliers détruits par les bombes. Devant l'ampleur du désastre – navires coulés, sous-marins ventre à l'air,… - un rayon de joie éclairait notre visage et nous étions devenus heureux – pour un temps (...)."
Jean-Baptiste Rimbaud n'eut pas le temps de partager cette joie.
Bien que né à Guémené, c'est à Langon, de l'autre côté de la Vilaine, que sa mémoire est honorée : une simple plaque sur le monument au mort porte son nom, à côté de celui de cinq camarades.
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