jeudi 27 octobre 2016
Adieu vieux, vaches, cochons...(2)
Il est toujours bon de repartir de là où l'on s'est arrêté.
Notre ami photographe (mais on ne peut exclure cependant l'hypothèse d'une femme : Mademoiselle Pinczon, la mystérieuse, opéra à titre privé à Guémené, en ces mêmes années), notre ami, disais-je, coincé à l'ombre dans son encoignure de la route de Chateaubriand, a, en plus de la photo de la procession de vaches descendant vers le bourg commentée la dernière fois, pris le cliché de la remontée des cochons.
Une observation attentive de cette seconde photo à cet emplacement montre qu'elle a été prise à peu près à la même heure du même jour (milieu d'après-midi vraisemblablement).
Quatre "preuves" viennent à l'appui de cette assertion : l'identité de l'angle de prise de vue ; l'égalité météorologique ; la proximité des orientations des ombres au sol ; et, surtout, la similarité du linge mis à sécher dans le jardin du débit de Madame Olivon, au fond.
Ce point étant établi, on note donc que le photographe a choisi de faire une photo de cochons. Je dis cela parce qu'aussi bien la photo de l'article précédent ne mettait en scène que des vaches (et leurs accompagnateurs, bien sûr), aussi bien celle-ci ne révèle que des cochons (hormis leurs maîtres et quelques enfants, cela va sans dire également).
Et de beaux cochons, bien gras. Un brave homme en blouse et canotier armé d'un bâton ouvre le chemin et les guide, tandis que deux autres, chapeautés de melons sombres, les poussent au cul.
Ceux-ci, dont le visage ombré paraît recouvert d'un bas sombre, ont un air de voleurs patibulaires. Les braves bêtes, qui ne font pas le même compas que les hommes avec leur pattes, gravissent tête basse la pente asphaltée en enchaînant des petits pas rapides qui font trembler leur chair (j'imagine).
On se demande à voir la scène si, tels des chiens renifleurs, les cochons ne sont pas à la trace des petites filles qui posent devant l'objectif.
Elles sont mignonnes avec leurs robes claires, leurs grands chapeaux de paille et leurs bottines. La plus jeune, qui tient son doudou, suce son pouce un peu inquiète, tandis que sa sœur (?), derrière, regarde gentiment vers l'opérateur en inclinant son visage.
L'aînée, scrute vers l'arrière, offrant au regard son profil juvénile, comme préoccupée des poursuivants qui se rapprochent !
Comme dans un western au moment critique, la scène est par ailleurs désertée. La porte du jardin Olivon est cette fois-ci fermée et on distingue vaguement la silhouette d'un chien en alerte derrière le mur, près de la première fenêtre du café.
Que va-t-il se passer ? J'aime la tension énigmatique que dégage ce cliché.
La deuxième photo est statique. Elle permets de faire une pause avant la suivante, plus riche et agitée.
Elle représente six porcelets dans une soue dont la porte est ouverte. Ils se tiennent compagnie, les uns contre les autres. Leur masse blanche reluit sous le soleil et se détache du reste du décor sombre de leur habitation de cochons.
De l'agglomérat de ces petites bêtes appétissantes, on n'aperçoit que trois têtes. C'est une Chimère, un monstre, que le photographe a capté sur sa plaque.
Pendant que le photographe ajuste sa photo, la propriétaire des animaux est tapie dans un recoin de la soue. Mais on la débusque, légèrement à droite derrière ses animaux : elle n'a pas réussi à complètement cacher son ventre couvert d'un tablier clair serré par un cordon noir.
On se demande pourquoi elle n'aurait pas pu figurer fièrement à côté de ses juvéniles petits cochons. Mais les paysans sont modestes et les photographes s'intéressent aux vrais sujets, bien sûr.
La troisième photo nous ramène à la foire et prouve que foire et forum entretiennent bien un fort lien de parenté. Elle montre en effet un espace où des gens tout à la fois marchandent, discutent, prennent l'air et regardent.
La scène se situe derrière la mairie à la double racine de la rue de Beslé, là où à l'époque de mon enfance encore se négociaient lapins et poules. Le photographe est installé à l'étage, dans le bâtiment municipal, et son œil plonge sur les producteurs, les clients, la "marchandise".
La photo est séparée en deux parties : la partie basse saisit le marché des cochons, dans la pénombre bienfaisante de la mairie (il a l'air de faire chaud). La partie supérieure montre les badauds qui déambulent, papotent, scrutent des étalages qu'on devine plus qu'on ne les distingue vraiment, etc...
La scène de marché proprement dite permet d'apercevoir de belles figures d'hommes en grande blouse et toujours chapeautés. Il y a plus de variété dans les couvre-chefs que dans les habits : admirons par exemple ce canotier ceint d'un ruban tricolore, ce beau melon noir ou ces chapeaux à rebords plats.
Les femmes, quoique de noir vêtues, ont aussi belle prestance. Cela tient à la coiffe blanche de Guémené qui fait une petite calotte de fraîcheur sur leurs silhouettes emmitouflées, mais aussi à ces petits châles triangulaires qu'elles arborent avec nonchalance sur leurs épaules. Et que dire du parapluie qu'au moins deux d'entre elles portent sous leur bras avec une désinvolture née de l'habitude.
Mais l'arrière-plan n'est pas moins intéressant et animé.
On y observe d'abord la devanture (unique) d'une habitation, avec ses montants en bois. C'était peu-être aussi un commerce. La porte en est ouverte et à y regarder de plus près, une petite vieille assise sur une chaise s'y encadre. Elle prend le frais, elle attend le chaland ou de la compagnie, elle vaque à quelque ouvrage de couture, elle baille aux corneilles, jouissant du spectacle de la rue...
Un peu plus haut, le long du trottoir (un haut trottoir à caniveau profond : on appréciera le confort urbain de cette époque), un petit groupe de femmes discutent tandis que deux messieurs, un tout noir et un tout gris un peu voûté et marchand avec un bâton, les dépassent en remontant vers le nord de la place.
A peine plus loin, trois femmes en costume traditionnel discutent assises sur un banc (un banc ondulé à dossier : on appréciera à nouveau le confort urbain de cette époque). Deux d'entre elles ont déposé leur panier à terre ; celle du milieu le tient sur ses genoux.
Enfin, tout au fond de la place, on devine des passantes arrêtées devant des étals tandis que deux femmes portant panier traversent la place par son milieu inondé de soleil.
Ces lieux sont sans voitures, hippomobiles ou automobiles. La vitesse qu'imprime le mouvement saisi par l'opérateur est celui des passants.
Tout est calme et bienfaisant.
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