Rechercher dans ce blog

dimanche 9 octobre 2016

Vieux portraits de famille


Grâce à la gentillesse de la première adjointe à la Mairie de Guémené, j'ai pu récupérer quarante-trois photographies datant du tout début du XXème siècle, réalisées à l'aide de la technique de la plaque de verre commercialisée par les frères Lumières à partir de 1890.

Ces images donnent à voir un Guémené ancien, fait de foires dans le bourg, d'amusements au bord de l'eau, de familles de milieux sociaux variés. Parfois, on arrive à situer la prise de vue.

Mais, faute de documentation, les personnes ne sont pas identifiées, pas plus que l'auteur de ces témoignages, souvent magnifiques, de ce monde disparu.

J'ai choisi aujourd'hui, de vous présenter trois photos concernant des familles, deux paysannes et une plus "bourgeoise".

Naturellement, je suis preneur de tout éclairage sur ces héros oubliés.


Famille N°1 :

Il s'agit d'une grande famille composées de deux adultes et de six jeunes garçons, tous alignés devant un mur chaulé. On imagine bien le photographe donnant ses ordres, et l'on sent bien que le petit groupe n'est pas très détendu face à l'appareil photo.

Aucune joie ne s'exprime sur les visages, et l'on perçoit même une attente anxieuse (ne pas bouger), voire une incompréhension : que signifie cette prise de photo, ce loisir coûteux d'un autre monde, dont on n'est pas sûr de tirer bénéfice (récupérer le portrait de famille).

Dans le fond, il n'y a rien de naturel à faire une photo : on donne son image à quelqu'un, pour un usage qu'on ne maîtrise pas. Mérite-t-on même d'être subitement le héros, le sujet de cette image : les pauvres sont les jouets des riches.






















Les parents sont encore assez jeunes (une quarantaine d'années). La femme porte la coiffe de Guémené et l'homme est vêtu d'un sarrau. Les stigmates de la vieillesse - de l'usure - commencent de marquer leurs visages.

























Les enfants portent tous un sarrau sombre comme le "père". Sauf un, au premier plan, au regard sournois, en gilet et cravate. 

Tous ces petits crânes sont recouverts d'une courte toison de cheveux. On perçoit plus de sérénité, face à l'objectif, auprès des deux plus âgés. Le benjamin cherche refuge auprès de son frère plus grand, blottissant sa petite tête au regard triste contre son bras.

Parfois, longtemps après, on a le sentiment que le regard bouleversé des gens photographiés porte la vision du futur qui les attend. Comme s'ils avaient vu l'échéance fatale, comme si, par le mutisme de l'image, cet avenir se révélait indicible : comment ne pas penser que ces garçons vont, dans dix ou quinze ans, connaître l'horreur des champs de bataille où leur jeunesse s'éteindra peut-être ?



























La question des mains est le dernier point d'embarras de la pose : qu'en faire ?

La mère aux mains ridées de paysanne à une réponse affectueuse ; les enfants ne savent pas trop, en général, et les laissent pendre. L'un, toutefois, les rapproche gauchement sur son ventre.


























Famille N°2

Nous sommes devant une maison paysanne : une porte s'ouvre sur une pièce sombre, une fenêtre, un volet, un mur vaguement crépi. Trois personnages sont debout et regardent l'opérateur (ou son appareil) : la mère, la fille et le fils. Point de mari : il est au champ ou au cimetière.

Les femmes portent la coiffe du pays. La jeune est habillée d'une robe claire à carreaux et d'un corsage "écossais". La mère est plus sobre dans son habillement : un corsage (ou une robe) sombre et un tablier uni. le petit garçon est en gilet et tient un grand chapeau de paille.

















Le visage des membres de cette famille expriment des sentiments bien différents. Il y a une joie enfantine dans le pauvre et maladif sourire de la jeune fille ;  une douceur et une bonté ineffable dans le regard et le port de tête de la maman ; une crispation expectative dans l'expression fermée du garçonnet. Que va-t-il advenir ?

























Les mains sont à nouveau l'autre élément expressif des corps en pose. Celles de la fille, gauches et maigres, se nouent sur elles-mêmes : aurai-je un mari ? La mère exhibe son alliance et les croise doucement : caresses, famille et travail. Les petites mains encore potelées du fils, s'accroche au couvre-chef comme à une bouée.























Si le travail et la survie son sans doute au coeur de leur existence, il reste une part pour l'art, ou la beauté, la décoration, le superflu : un pot de fleur repose sur le bord de la fenêtre.

























Famille N°3

Nous changeons de monde. Voici une famille aisée, du bourg probablement. Peut-être est-ce celle du photographe.

Nous nous trouvons dans un jardin clos, devant une porte de bois. Derrière la porte un autre bâtiment se devine, dont on aperçoit, en hauteur, une fenêtre à petits carreaux.

le statut social s'annonce à l'accoutrement des jeunes gens, plus varié, plus coloré, plus urbain. Sans doute aussi à cette absence d'inquiétude face à l'objectif : l'exercice photographique n'est pas nouveau, on sait ce qu'il va donner, on sait comment se comporter.

Pour l'occasion, on a sorti la grand-mère qui, à l'évidence, a un coup de mou et roupille gentiment dans le fauteuil qu'on a disposé pour elle.

Forcément cela fait se marrer les sacripants de derrière qui retiennent à peine un fou-rire en entendant les ronflements de l'ancêtre. Mais le garçonnet de gauche fait semblant de rien, et la petite fille de droite fait montre de compassion attristée.














Les garçons, vestes ou costume marin, ont de grandes oreilles décollées et quelques airs de ressemblance : nez, sourcils. La petite fille porte une jolie robe rayée à carreaux et ses cheveux sont ramenés en arrière de sa tête. Elle penche son visage vers celui de l'aïeule, en un mouvement symétrique de celui du garçon à costume marin.





























La mère à l'arrière-plan a l'air de donner des consignes : "Allons, tenez-vous bien les enfants !". Et si elle porte la coiffe du pays, elle a un air d'autorité naturelle des gens qu'on respecte et qui n'ont pas à s'incliner devant le noble ou le propriétaire.

La grand-mère est aux fraises, certes. Son visage buriné, parcheminé, tanné, parcouru de rides et ponctué d'une verrue sur la joue droite, est apaisé. Gris, il est rehaussé par la coiffe d’une blancheur éclatante et le corsage noir. On distingue à hauteur d'épaules deux épingles qui fixent le devant de son habillement sombre.

















Les mains savent à quoi se prendre. Celle du jeune marin tient l’accoudoir du fauteuil de la vieille endormie ; celles de la fillette, mutines, se tiennent gentiment ; celles de la douairière tricotent pour l'éternité...











A suivre.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire