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dimanche 12 mars 2017

Retour des choses à Guénouvry


Comme on sait, Guémené possède ses trois bourgs, ses trois anciennes paroisses et sous-paroisses. Ces dernières étaient dénommées "trèves" et il s'agit bien sûr de Beslé et Guénouvry.

Lors de la Loi de Séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905, on décida que tous les biens contenus dans les églises et ceux possédés par ce qu'on appelait la "fabrique", organisation qui gérait les aspects matériels de la vie paroissiale, devaient faire l'objet d'un inventaire.

L'inventaire portait sur tout objet ou toute valeur appartenant à la paroisse : objets et vêtements de cultes, objets décoratifs, meubles, valeurs (titres ou espèces), instrument, bref tout ce qui était présent dans l'église et qui n'était pas le bâtiment lui-même. Par exemple un bénitier, une cloche ou la chaire pouvait entrer dans le champ de l'inventaire.

Car les "fabriques" étaient vouées à disparaître et il fallait donc connaître l'étendue de leurs possessions pour les transmettre - en principe - à de nouvelles associations cultuelles.

A cet effet, les percepteurs ou de "simples" inspecteurs de l'Enregistrement de nos bourgs - quand ils ne se dérobaient pas par conviction catholique à cette tâche - se devaient d'aller faire ce fameux inventaire. 

Si dans l'ensemble de la France, cela s'est passé sans trop de difficulté, il est arrivé ici et là, particulièrement dans l'Ouest, que les choses soient plus compliquées.

Dans ces cas-là, il pouvait advenir que les curés ne remettent pas les clés des églises ou fassent des protestations verbales, comme à Guémené-même (voir mon article du 30 novembre 2014 relatant cet épisode).

Il arrivait aussi que, rameutant les paysans, comme au bon vieux temps de la Chouannerie, ces braves ensoutanés ne s'opposent physiquement à l'action publique (par exemple, à Dréfféac où demeurait alors Marie Rolland qui, laïque convaincue et future figure de l'enseignement à Guémené, faillit être lynchée par la foule chauffée à blanc par la Calotte). La troupe pouvait devoir être requise.

Quoiqu'il en soit, et à l'évidence, on n'y mettait guère de bonne volonté, dans nos contrée.

A cette époque, 1905 ou 1906, la trève guémenoise de Guénouvry était une paroisse (depuis 1846). A ce titre, elle était dotée de tout l'attirail qui va avec : église, curé et "fabrique".

Le curé était un monsieur Jacques Dugast, né à Vieillevigne (commune de Loire-Atlantique au sud de Nantes) en 1843, en poste depuis 1891 à Guénouvry.

Ordonné prêtre en 1872, il avait roulé sa bosse dans la région  comme vicaire (Sion, Haute-Goulaine, Chapelle-Basse-Mer), puis aumônier des Oblates à Pornichet (1888). Un vieux de la vieille, en quelque sorte, dont on peut donc dire qu'à l'évidence ce n'était pas vraiment un "enfant de cœur".

En face, la commune de Guémené avait un percepteur qui se nommait François Sécher, né à la Bernardière en Vendée le 2 mai 1860, fils de maréchal-ferrant.

Cet agent du Fisc avait l'esprit républicain, et sa conscience ne s'embarrassait pas de scrupules religieux.

Aussi, lassé de relancer le trésorier de la "fabrique" de Guénouvry qui faisait la sourde oreille à ses demandes de recouvrement de l'argent liquide de la paroisse, il décida de passer à l'action.

Voici comment l'Union Bretonne, journal bonapartiste nantais fondé en 1849, nous narre l'anecdote dans un article intitulé "Vol autorisé - Un percepteur facétieux -".

L'article est un peu "centriste" : il ne prend pas vraiment le parti du curé et ne stigmatise pas non plus trop l'agent du Fisc.

Le 29 juillet [1906], après plusieurs sommations faites à l'ancien trésorier de la Fabrique et finalement à Monsieur le Curé, d'avoir à lui livrer l'argent de la Fabrique, le percepteur de Guémené agissant en qualité de séquestre, s'est enfin décidé lui-même à venir chercher cette somme tant convoitée.

Il faut donc imaginer notre bonhomme Sécher, trottinant avec sa charrette sur la route de Guénouvry par un beau dimanche ensoleillé (probablement) de juillet, pendant que le peuple du canton se rue dans les églises. Posée à côté de lui, une valise...

Il s'est présenté, comme ceux qui font les mauvais coups, de bonne heure. Il était à Guénouvry peu de temps après la dernière messe.

Autrement dit, il s'est débrouillé pour trouver le curé à la sacristie, une fois la foule des fidèles rentrées dans ses foyers. Bref, beaucoup de préméditation.

Arrivé en présence du coffre-fort, il en saisit les clés ; il l'avait déjà ouvert et se préparait à en retirer l'argent de la Fabrique, lorsque M. le Curé lui rappela qu'il n'entendait pas le laisser agir sans revendiquer la propriété de ce qu'il s’apprêtait à ravir.

Voilà donc notre percepteur - plutôt poli - forcé d'écouter le prêche du curé de Guénouvry :

"Monsieur, je ne ne puis me dispenser de protester énergiquement contre l'acte que vous venez accomplir. Cet argent dont vous venez, dites-vous, prendre possession, appartient à l'église de la paroisse de Guénouvry et restera toujours sa propriété. 

Je proteste donc de toute la force de mon âme contre cet acte de spoliation. Il sera toujours vrai de dire que la force ne représente pas le droit."

On sent que le curé avait aussi préparé son coup : son petit sermon lui permet de se draper dans le confort moral de son bon droit face à la "force" impie.

La gazette nous apprend ensuite qu'elle était la destination des fonds contenus dans le saint coffre-fort.

Cette somme d'argent, qui a été enlevée, avait été péniblement économisée pour faire à la pauvre église de Guénovry les réparations dont elle a un besoin urgent. Aussi le fit-il remarqué à l'agent du Fisc, au moment où celui-ci terminait sa besogne.

A peine âgée d'une soixantaine d'année, le pauvre temple était donc déjà en mauvais état, à l'instar de sa situation récente que les travaux entrepris par la Municipalité de Guémené, toujours en cours, visent à corriger.

Visiblement l'admonestation du curé Dugast n'eût pas l'air et l'heur d'émouvoir le fonctionnaire des impôts. Mais bon, même impavide, froid et cruel, un agent du fisc n'en est pas moins homme et au bout d'un moment, les jérémiades du prêtre commencent à lui courir sévère sur le haricot. Aussi le cave se rebiffe-t-il :

Surpris sans doute d'entendre encore une protestation, l'agent du Fisc releva la tête et répondit (sans rire) : "Mais M. le Curé, cet argent vous retournera peut-être !!" Et sur ce bon mot, l'agent du fisc disparut, sans oublier sa valise bien entendu.

Les voies du Seigneur sont décidément impénétrables. Aujourd'hui, cent-dix ans après cet épisode, la commune de Guémené retape à grands frais sa vieille église de Guénouvry : la prédiction du percepteur s'est réalisée et l'abbé Dugas, du haut de son petit nuage paradisiaque, peut bien remercier Monsieur le Maire.


















Crédit photos IB

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