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samedi 24 mai 2014

La grotte de Saint-Anne


J'aime beaucoup la dévotion populaire, celle qui faisait qu'on allait avec Grand-mère Gustine chez Trivière acheter des fleurs en plastiques pour mettre au cimetière ou y mettre des fleurs normales, qu'on cultivait au jardin, là-bas, derrière le puits. Dahlias, glaïeuls, marguerites, arums, hortensias...

Un petit vase sombre ou un grand bocal leur servaient de réceptacles, qu'on enfonçaient bien dans le petit lit de graviers blancs qui recouvraient la tombe de Grand-mère Françoise, la mère de Grand-mère Gustine, décédée quelques années avant ma naissance.

Les grottes, les oratoires peuplent nos campagnes. Des statues de saints ou de saintes plus ou moins improbables, y recevaient un hommage occasionnel, au détour de quelque détresse consolée, ou régulier, à la faveur de quelque pèlerinage ou cérémonie.

Ces lieux portaient d'humbles marques de reconnaissance : ex votos, fleurs, etc...Des curés en chasubles ou surplis y processionnaient entourés de la croix et de bannières, entonnant des hymnes.

Aujourd'hui, seul le cantique du vent qui caresse en toutes saisons ces oratoires bucoliques, vient célébrer ces saints délaissés.

Ou presque.

Je suis retourné à la chapelle de Lessaints, sur Guénouvry, ce haut-lieu de dévotion à Sainte-Anne. J'ai gravi la petite route qui mène au sommet de la colline. Là, sur l'esplanade que domine encore le petit édifice, nul âme qui vive, comme souvent.

Mais la chapelle était ouverte. J'en ai profité pour faire un petit coucou à un saint sympathique, le bon Saint Corneille (ou Cornély) protecteur des enfants ou des animaux, selon les régions. 

Ma mère m'a raconté qu'à son époque, un Saint Cornély accueillait les fidèles à l'entrée gauche de l'église de Guémené : un petit tronc anodin permettait de recevoir les dévotions intéressés des paysans pour la santé de leurs bêtes...et d'améliorer le casuel du curé...

Celui de la chapelle de Lessaints loge dans une petite niche, à gauche en retrait de l'autel.























A ses pieds un bovin. Il porte des habits pontificaux (Cornely, pas la vache...) puisqu'il fut pape. Quelques roses viennent s'harmoniser avec le plâtre rosâtre de la statue. Tout cela est bien sobre.

Du coup, j'en ai profité aussi pour jeter un coup d’œil à la composition disposée sur l'autel : il s'agit bien entendu d'une Sainte Anne qui selon la tradition est représentée en train d'enseigner la lecture à sa fille Marie.

On admire les joues rouges des deux personnages en plâtre, rehaussant leurs chairs rosées, non moins que leurs lèvres sang-de-bœuf du plus bel effet. Sainte Anne est bien nourrie si l'on se fie à son visage poupin et bien rempli.

Les sourcils de pin-ups sont en revanche de très mauvais goût.

Marie a un petit diadème dans les cheveux tandis que Sainte Anne à le chef couvert d'un voile blanc qui fronce gracieusement sur son front. Et les deux femmes, revêtues de robes bleu pastel serrées à la taille de ceintures dorées, sont couvertes d'une cape marron.

Le livre à la tranche rouge que tiennent la maman céleste et sa fille, ressemble à une sorte de missel (mais c'est un anachronisme, bien sûr).

Selon un certain angle de vue, l'anneau de fer peint où se rejoignent les barres qui tiennent les murs de l'édifice, forme même une sorte d'auréole au-dessus de la sainte, c'est magique !

























Mais le vrai motif de ma venue était plutôt la grotte de Sainte Anne qui se trouve en contrebas de la chapelle. Pour s'y rendre, il suffit d'emprunter le petit chemin qui descend vers la Vallée et de tourner tout de suite à droite. Vingt mètres d'une pente douce et nous voilà devant la grotte.

A flanc de roche, dans un écrin minéral entouré de verdure, un objet blanc se détache.

Quand on se rapproche, on remarque aussi une espèce de socle maçonné couvert de lierre et, tout de suite à sa droite, un étroit et raide escalier aux marches de ciment qui tournicote jusqu'à une sorte de balcon à la rambarde métallique verte.

Là, posée sur une partie de roche aplanie, une statue blanche de la mère et de la fille lisant à nouveau un livre.

Deux types d'objets, principalement, jonchent le petit sanctuaire : des fleurs et des ardoises.

Les fleurs sont majoritairement en plastique, "comme dans le temps". Mais on en trouve cependant quelques unes naturelles, fraîches ou fanées.

Derrière la statue, on aperçoit bien une plaque scellée dans la parois du rocher : d'une écriture gauche, une marque de reconnaissance à la Sainte.

Mais en matière de plaques, plus curieuses sont les nombreuses ardoises portant des inscriptions qui semblent de la main d'enfants...plus ou moins grands : remerciements, amour exprimé à sa maman,...deux prénoms, l'un masculin, l'autre féminin...
































Puis, ne voulant pas abuser du beau temps exceptionnel et relatif qui m'avait permis cette excursion, je m'en suis retourné, laissant cette colline à ses habitants, c'est-à-dire à ses statues de saints jadis populaires.

Gerbaud de potence


La IIème République est peu connue. L'intransigeance du Premier Ministre de Louis-Philippe face au besoin de réformes finit, en 1848, par coaliser contre lui des forces politiques hétéroclites qui le renversent.

S'ensuit une éphémère République qui meurt une première fois en décembre 1851, lors du coup d'Etat de Louis-Napoléon Bonaparte contre la Chambre dominée par les monarchistes (et contre ce qu'il reste d'opposition républicaine), puis une seconde fois avec la proclamation du Second Empire, un an plus tard, le 2 décembre 1852.

Entre temps, elle a eu le temps de décevoir toutes les velléités démocratiques et sociales justifiées par la terrible crise qui frappe la France au milieu du XIXème siècle, mettant au chômage des centaines de milliers de personnes.

Né dans la confusion, ce régime continua sa brève existence dans la confusion et la réaction, pour finir en dictature bonapartiste.

Fidèle à mon point de vue selon lequel l'Histoire finit toujours par venir lécher les rives les plus improbables de la Société ; fidèle à mon autre idée que la vie est un théâtre de bouffonnerie, je propose de suivre une péripétie guémenoise de cette période historique ayant pour décor un tribunal.


Le 16 juin 1851, la Cour d'Assise de Loire-Inférieure a à connaître d'une affaire ayant pour cadre Guémené.

Ce jour-là comparait en effet Jean Gerbaud, charpentier du bourg de Guémené, âgé de 45 ans, marié et père de deux enfants, dont la femme est peut-être aubergiste (les documents sont peu lisibles).

Pèse sur le charpentier l'accusation "d'avoir cherché à troubler la paix public et à exciter les citoyens au mépris les uns des autres".

Plus précisément, le 4 mai 1851, Jean Gerbaud s'est rendu coupable de certains "cris et propos" : "Vivent les Rouges ! Vivent les Montagnards ! A bas les Blancs ! Il faut les fusiller !..."

L'Autorité civile locale est pourtant tenue en de bonnes et fermes mains. Fidèle Simon, maire insubmersible, est passé allègrement de la fidélité à la royauté louis-philipparde, puis à celle à la Seconde République, avant de rejoindre bientôt l'Empire, comme il se doit. 

La maréchaussée, pour sa part, est représentée par le brigadier Brissot, 43 ans, marié sans enfants ; le gendarme Blondin, du même âge, marié et nettement plus prolifique (quatre enfants) et le gendarme Pierre Serre. 

La paroisse est desservie par le curé René Daniel, originaire de Pierric, en place depuis 1839, qui mourra à Nantes, mais se fera ensevelir à Guémené vingt-huit ans après l'avoir quitté. Il n'est pas marié à proprement parler, mais vit avec ses deux vicaires. Il est le commanditaire de l'orgue de Guémené qu'il fit installer dans l'église de l'époque et que l'on peut encore admirer dans l'église actuelle.

Le président du Tribunal, est le Conseiller Taslé. Il procède à l'interrogatoire des huit témoins.


Le premier d'entre eux est le brigadier Brissot. C'est à l'évidence un homme plein de bon sens et d'esprit qui ne se sert de la force dont il est dépositaire qu'à bon escient, c'est-à-dire sans s'exposer.

Il explique en effet à la Cour que le fameux 4 mai dernier beaucoup de bruit venait de la maison de Gerbaud qui, de temps à autre, "en signe de réjouissance", tirait des coups de fusils... 

Et là, sans avoir l'air d'y toucher, le pandore glisse dans sa déposition "qu'il ne crut pas prudent d'aller faire des observations à cet homme égaré par l'ivresse...craignant qu'il ne lui fût fait comme au curé de la paroisse".

Evidemment le Président, titillé par cette dernière allusion, veut savoir quel sort Gerbaud a fait subir au bon prêtre.

Le brigadier explique fort benoîtement qu'en mars 1848, sans doute pris dans l'exaltation de la Révolution toute fraîche, Gerbaud aperçoit l'abbé Daniel passer à proximité de son logis. 

Le charpentier est armé de son fusil. Il apostrophe un peu rudement le saint ensoutané :" Sacré chouan de Pierric, voici assez longtemps que tu es debout, il faut que je te couche !". Sur ce, il lâche la détente.

On ne peut pas croire que l'accusé ait pris le curé pour un gros volatile sombre du genre de ceux dont on entend "le vol noir sur nos plaines" ... Heureusement, par la probable intercession du Bon Dieu, le coup ne partit pas.

Pendant ce temps, une ouvrière du bourg, Julienne Guenet, et la femme du gendarme Blondin vaquaient dans les parages. A la vue du carnage en cours, les deux femmes s’embrasent : "On assassine Monsieur le curé !", éructent-elles.

A ce bruit, ne connaissant que son devoir, le brigadier Brissot, qui venait à peine de dépasser la scène du crime, fait aussitôt demi tour, diligente une prompte enquête, puis se précipite auprès du maire, Fidèle Simon, et lui fait son rapport.

Ayant pris connaissance des faits, ce magistrat, n'écoutant que son courage, décide crânement de se rendre sur le champ au domicile du criminel. Il souhaite y pénétrer seul, laissant le gendarme en faction à l'extérieur.

Presque aussitôt après, le maire ressort héroïquement avec le fusil du forcené à la main. C'est une arme fort délabrée, mais on constate avec effarement que le chien en est toutefois abattu sur la capsule de fulminate de mercure (dont l'écrasement est censé mettre la poudre à feu, faire partir la balle et tuer les curés...).

Le brigadier procède d'abord à des vérifications de police scientifique, introduisant une baguette dans le canon pour vérifier la présence de la balle. 

Il passe ensuite à la partie administrative de l'affaire et dresse un procès-verbal qu'il adresse "en double expédition à M. le lieutenant commandant la gendarmerie". Il fait ensuite porter la pièce à conviction au tribunal de Savenay, "par voie ordinaire de la correspondance". Le gendarme ajoute qu'il n'a plus entendu parler de cette histoire, depuis...Normal...

Le gendarme esquisse enfin bref portrait moral du prévenu qu'il qualifie d'ivrogne près à s'en prendre à tout le monde et coutumier du fait.

L'affaire se corse encore avec le deuxième témoin, le gendarme Simon (?) qui visiblement n'a rien à dire sur l'affaire elle-même mais en profite pour parler d'autre chose.

Ce brave embicorné se rappelle ainsi le tirage au sort de la dernière classe, occasion évidemment de rassemblement des conscrits du canton. Voilà-t-il pas que certains se mettent à vociférer des "Vive la République démocratique et sociale!...", des "A bas les Blancs "!...", et les impudents de chanter des refrains patriotiques, de surcroît !

Et il ne manquait plus que Gerbaud pour couronner le tout : le gendarme Simon (?) affirme, qu'à l'unisson des conscrits séditieux, celui-ci menaça la gendarmerie à qui il reprochait une vieille condamnation pour un délit de chasse : la jonction du soulard et des (futurs) soudards était donc en marche...

Viennent ensuite à la barre témoigner le gendarme Blondin qui n'a rien de particulier à dire et un clerc de notaire resté anonyme. 

Celui-ci signale en effet, sans que cela soit en lien avec l'affaire, qu'il a été témoin direct de la mauvaiseté de l'exalté Gerbaud : n'a-t-il pas en sa présence, "proféré les injures les plus grossières contre la garde nationale, contre le capitaine de la compagnie, contre le maire" ?

Et encore ce n'est rien : l'aide-tabellion lui-même s'est vu menacé d'un coup de fusil "s'il voulait sortir dans la rue" !

La litanie des témoins se poursuit : voici maintenant des voisins proches du prévenu. Que de bons voisins, aux premières loges pour apprécier les faits et gestes de Gerbaud.

Le cordonnier Dubreuil confirme les propos du clerc, et a lui-même entendu le charpentier crier :" Vivent les Rouges ! A bas les Blancs !", et là il ne s'agissait pas d'une opinion sur les différentes sortes de vins.

Un couvreur dénommé Garion (?) atteste également de la violence verbale faite au clerc de notaire, mais, bon bonhomme, précise que Gerbaud - désarmé - ne savait pas ce qu'il disait.

Le menuisier de la porte à côté, François Jéhanne, sans doute habitué à tailler des costards (en sapin), déclare que ce fatal 4 mai Gerbaud injuriait tout le monde et notamment le maire qu'il traita de "ficelle", de "ganache" et de "canaille" (c'est forcément des injures, pas la vérité).

Gerbaud aurait enchaîné par cette mâle apostrophe à l'endroit du menuisier : "...si tu te sens capable de venir sur le terrain, j'ai mon fusil chargé...", ponctuée quelques instants plus tard d'un coup de feu. Ensuite,  le menuisier voit Gerbaud, rechargeant son arme, crier par sa fenêtre : "Vivent les Rouges ! A bas les Blancs ". C'est une manie...

C'est maintenant Antoine François, employé des Contributions Directes, un homme sérieux, qui vient nous narrer les facéties subversives du charpentier. Lui, le 4 mai fatidique, il a entendu pendant une grande partie de la journée le prévenu, qui jouait aux quilles avec des amis (circonstances aggravantes, probablement : lancer des boules, lancer des balles...), proférer des cris séditieux.

Il a aussi vu l'accusé faire à sa fenêtre des gestes d'un homme ivre (lever le coude ?) et tirer des coups de fusil. 

Et puis Antoine François ayant eu, un jour, la judicieuse idée de demander à Gerbaud ses opinions politiques, est à même d'éclairer la Cour sur ce point : "Ce que je veux, dit le charpentier, c'est un bon guerrier, un bon empereur, parce que ceux qui resteraient auraient de meilleurs salaires". Rien de mieux en effet qu'une bonne guerre pour mettre de l'ordre dans les questions sociales.

C'est maintenant au tour du Procureur de la République de prendre la parole. M. Dubeux réagit d'abord aux propos convergents des témoins. 

Constatant avec regret que c'est à maintes reprises que des "cris coupables" sont proférés dans le bourg de Guémené, il fait observer que "ces propos séditieux" conduisent à la Cour d'assise et que ce doit être un avertissement pour les jeunes gens de l'endroit. A bon entendeur, salut !

Cela posé, le Proc' tire la leçon déplorable de cette histoire : une minorité agissante pleine d'audace est capable de semer le trouble face à l'hésitation des gens de biens (voilà la source des maux de l'époque : le bourgeois n'est pas courageux...). 

Ainsi, à Guémené, depuis trois ou quatre ans ce Gerbaud malfaisant n'a cesser de faire de l'agitation et a développé son ascendant maléfique de meneur sur une fraction de la jeunesse locale, qu'il fourvoie.

Mais, s'enflamme-t-il, "partout et toujours, la voix du ministère public se fera entendre" et "les perturbateurs du repos public" seront poursuivis avec sévérité et persévérance.


M. Dubeux rappelle ensuite les antécédents lamentables du prévenu, impliqué dans une grave affaire d'accaparement de blé avant la Révolution, puis qui a menacé de mort "son" curé.

Il termine son réquisitoire en félicitant le commandant des gendarmes de Guémené (zèle, dévouement extrême, intelligence de ses devoirs, bla bla bla...).

La parole est à la défense. 

Me. Ménart contre-attaque. Non, son client n'est pas la terreur du pays. Non, son client n'est pas un des chefs politiques de son endroit.


La vérité est bien plus simple, la vérité est dans le vin. Car cet homme a une physionomie qui annonce douceur et honnêteté. En réalité, c'est une victime, celle de la funeste habitude de l'enivrement, lequel le conduit à tenir des propos insensés certes punissables, mais qui ne sont pas le fait d'un mauvais sujet.

Deuxième temps, les faits rapportés à charge ou les antécédents judiciaires sont nuls et non avenus. En effet, si ce que racontent les témoins avaient la moindre consistance, il y aurait forcément eu des poursuites judiciaires : comme il n'y en point eu, c'est que les témoins exagèrent. Quant aux antécédents, ils sont sans gravité ni en rapport avec l'affaire.

Troisième temps, la contre-offensive. Des "notabilités" de Guémené ont fourni des attestations qui soulignent le bon fond du prévenu lorsqu'il est "sorti des vapeurs funestes de l'ivresse" (animé de bons sentiments, bon père de famille laborieux, bon ouvrier, bla bla bla...).

L'avocat assène enfin un dernier argument visant à ruiner l'intention séditieuse et politique des propos incriminés et à accréditer l'idée de paroles confuses d'un ivrogne.

Il fait ainsi remarquer que Gerbaud, dans son délire, lance des slogans politiquement et chromatiquement contradictoires : "Vivent les Blancs, Vive Napoléon !". Mieux, son client s'en est certes pris aux Blancs et aux Rouges, mais ils a aussi "proféré des outrages...contre les Noirs, contre toutes les couleurs ; contre le maire, son bienfaiteur ; contre tout et contre tout le monde". C'est dire...

Le Président de la Cour refait surface. Il résume l'affaire en ramenant le débat à sa juste cause : on ne poursuit pas Gerbaud pour cris séditieux mais pour trouble à l'ordre public et excitation des citoyens les uns contre les autres, en particulier le 4 mai. Il semble néanmoins que Gerbaud ait un rôle éminent dans la conduite des troubles qui agitent Guémené.


Puis le Jury fait enfin son office. Il reconnaît que Gerbaud est coupable mais lui accorde des circonstances atténuantes. Pour la peine, il prend dix jours de prison.

Pour avoir renversé la République, Louis-Napoléon Bonaparte, lui, n'a rien pris.

dimanche 18 mai 2014

La route à 4 grammes


Le manoir de Trémelan remonte dit-on au XIIIème siècle. En arrivant en voiture de Plessé, on peut en admirer furtivement la tour et les fenêtres à meneaux, ou quelques vieilles dépendances de pierres rejointoyées de frais.







Dans les années 30 du siècle passé, c'était encore une grosse métairie des châtelains du Boisfleury, dont le domaine est situé à quelques centaines de mètres de là.

Ma mère connut à Trémelan son premier travail "chez les autres", à douze ans et demi, vers 1933 ou 1934, par conséquent. Elle y était pour garder les vaches. Quelques souvenirs lui en restent comme par exemple l'arrivée de l'électricité, en présence des Boisfleury. 

Et pour bien marquer qu'elle ne menait pas une vie de château dans ce "manoir" (dont chacun envierait la possession aujourd'hui), elle ne manque pas d'ajouter sur un ton dépréciatif, que la tour n'est qu'un escalier.

Elle menait ses vaches de l'autre côté de la route. A hauteur du passage à niveau de la ligne de Beslé à Blain inaugurée en 1910, un chemin partait vers le Don et desservait quelques champs en bordure de la rivière.




C'est probablement celui que j'ai emprunté ce matin, sous le soleil, un chemin comme autrefois, bordé d'herbes folles et d'une haie touffue, un chemin comme ceux par lesquels, enfant, j'allais chercher avec ma Grand-mère Gustine, son panier d'osier sous le bras et son petit couteau pliant à la main, de "l'herbe pour les lapins".










Ce chemin était le lieu de "résidence" des "romanichelles" de l'époque. Ma mère se souvient de son effroi d'enfant à devoir passer avec ses bêtes au milieu de cette troupe, comprenant notamment la célèbre Grande Jeanne, ses enfants ("mal peignés"), leur roulotte...

La pâture où elle se rendait faisait face au jardin de la propriété de Trégroaz appartenant au Docteur Benoist (décédé en 1944...), qu'elle se rappelle avoir aperçu quelques fois, en train de pêcher.

La ligne de chemin de fer qui passait là, désaffectée dès avant guerre et démontée après, a laissé place à une petite route bordée d'arbres qui rejoint vers le Nord la route de Redon, jusqu'à l'ancienne gare, du côté du village de la Bourdonnière.

De ce passé ferroviaire subsistent certes bien des traces (gare, maisons de garde-barrière, tracé de la ligne sous forme de chemin ou de bande d'arbres,...). Mais la relique la plus monumentale est certainement le pont construit pour enjamber le Don.

Les premières cartes postales représentant cet ouvrage révèlent une certaines nudité du paysage, due probablement à ce que les travaux de terrassement se sont faits au détriment de la végétation préexistante.



Depuis, et depuis longtemps, la nature à repris ses droits et sur les bordures non cultivables des champs qui longent l'ancienne voix ferrée, comme sur les berges du Don au voisinage du pont, des arbres ont pris possession des lieux.

Quoi de plus élégiaque, de plus apaisant, que cet endroit par une tiède matinée de printemps ! A quelques mètres après l'ouvrage, sur la gauche en remontant vers la route de Redon, un passage à été aménagé dans la pente : des pierres ont été disposées ici et là, un peu comme des marches, afin de faciliter montée et descente.

Ce sentier tourne rapidement vers la rivière et débouche au pied du pont. On peut longer la rivière à partir de là, soit vers l'aval, soit vers l'amont. Dans cette dernière éventualité, la plus intéressante, on suit un petit sentier ponctué de petits ponts de pierre ou de bois, aux confins d'un parc où ont poussé d'immenses pins.







Ces pins forment de leurs longs fûts un étroit passage, un grand "U" sombre, qui remonte vers le Nord, sans doute vers le manoir de Tregroaz.














Un pêcheur avait lancé dans tout ce coin de nombreuses lignes : je ne me suis donc pas attardé, malgré l'enchantement du lieu, et j'ai regagné la route à hauteur du pont.

Celui-ci n'est guère large et ses parapets n'offrent pas le sentiment d'une robustesse à toute épreuve... On en appréciera néanmoins le motif "nouille", bien de son époque.

La petite route qui le prolonge de part et d'autre, plus que secondaire (elle ne figure pas sur la carte IGN au 25.000ème , par exemple), se caractérise par une circulation plutôt importante, surtout l'après-midi.













Des amis bien plus au fait que moi des us et coutumes guémenois à qui je parlais ce matin de ma promenade, m'ont raconté que c'était là le chemin de traverse qu'empruntaient les automobilistes éméchés qui voulaient éviter le bourg et ses gendarmes dotés d'éthylomètre...

D'où son surnom de route "à 4 grammes". Mais la maréchaussée connaîtrait le truc : on ne la lui fait pas...