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dimanche 25 novembre 2012

Les fayots de l'Empire

Comment résister à mettre en lumière, une fois de plus, la médiocrité moutonnière des "Autorités"...

L'arrière-plan historique de ce que j'aborde aujourd'hui, est un des nombreux attentats auxquels Napoléon III fut confronté.

Le 6 juin 1867, un jeune Polonais exilé à Paris, fils de bonne famille par ailleurs, apprend que le Tsar de toutes les Russies, l'infâme égorgeur de la Pologne, j'ai nommé Alexandre II, vient faire un petit tour à l'Exposition Universelle organisée, cette année-là, dans la capitale de notre Hexagone.

Son sang ne fait qu'un tour, et il décide de trucider le César russe, histoire, pense-t-il, de libérer sa patrie polonaise qu'on assassine.

Il se poste près de l'hippodrome de Longchamp vers 17 heures, le 6 juin 1867, et tire sur le souverain de Moscovie qui revenait de la revue militaire, ses deux fils et l'Empereur français à ses côtés.

Pas de chance : le pistolet à deux canons explose ; le tireur est blessé à la main et maîtrisé par la foule bouleversée ; la balle vient quand même tuer un pauvre cheval qui n'avait rien fait.

La nouvelle parvient dans les chaumières, l'onde de choc fait trembloter les jabots des notables, et les conseils municipaux s'empressent de témoigner leur soutien ému à l'Empereur. Voici donc ce que cela donne à Guémené, six jours après le drame :


"Vote d'une adresse à l'Empereur
12 juin 1867

A la nouvelle de l'odieux attentat commis par une personne d'origine étrangère contre l'hôte illustre de Votre Majesté et de la France, le pays tout entier a frémis de surprise et d'indignation.

Nous remercions la Providence d'avoir préservé vos jours si nécessaires à la Patrie et ceux d'un auguste souverain.

Au nom de nos concitoyens, nous vous renouvelons, Sire, la respectueuse assurance de notre dévouement et de notre fidélité.

Les membres du Conseil municipal et les fonctionnaires de Guémené ont signé :..."

S'ensuit une grande plentée d'autographes où l'on distingue bien sûr les membres du Conseil (Fidèle Marie Simon, le Maire ; Durand son premier adjoint et David son deuxième adjoint ; et bien d'autres), mais aussi :

Moncuit, Percepteur
Juvin, Secrétaire de Mairie
Revault, Receveur des Contribution Indirectes
Dubourg, Deuxième suppléant au Juge de Paix
Policard, Receveur Buraliste
Jorreau, Brigadier de gendarmerie
Arnaud, Gendarme
David, Gendarme
Pinczon (Julien), Huissier

Bref, la Loi, les Impôts et l'Armée à la rescousse de la Patrie. Et un huissier, sans doute pour constater les dégâts...

On appréciera, par les temps qui courent, la délicate allusion à l'origine étrangère de l'impétrant assassin de tsars : bien sûr, c'est pas un vrai français qu'aurait pu faire ça...non, c'est bien un ingrat d'étranger qu'on a nourri à notre sein. Comme d'hab'.

Pour ceux qui voudraient avoir un éclairage sur ce polonais tsaricide, je renvoie à l'article Wikipédia où j'ai puisé :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Antoni_Berezowski

samedi 24 novembre 2012

Le gilet de peau (rimiaux)

Une fois de plus la cupidité paysanne est le thème de ce conte en patois rapporté par l'Abbé Chenet et transcrit ci-après : au fond, rien, même pas l'Enfer, ne peut détourner le paysan qui va mourir de garder l'argent mal acquis.

A vrai dire c'est sa femme, qui joue le rôle de conseillère, qui rationalise, auprès de son bonhomme au bord du gouffre éternel, le refus de se séparer de l'argent. En tant qu'héritière, elle a évidemment tout intérêt à trouver un bon argument.

Cette fois, le récit est écrit en vers octosyllabes dont j'ai un peu "limé" par endroit la version originale.

Et voici donc, où l'on apprend que le feu de Lucifer n'est qu'un inconvénient dont il est facile de s'accommoder.


Ça t'ait un gars du bourg de Mouais,
Un vrai voleur. Je vous l'assure,
Y'en a partout, c'est ben vrai. Mais
Ce copain-là passait la m'sure.
Il t'ait roublard, mais pas trop fin,
Sa fomm' tait cor' la plus avide,
Ça t'ait la fille à Jean Bertin,
Et tout comm' li, ell' tait cupide.
Un jour Julien tombit malade
Et fut sur l' point de terpasser.
Y s'confessit d'un air maussade
Au bon vieux cureu bien casseu
Qui dit : "Julien, l'argent d'autrui
Est à lui, il n'est pas à vous.
Faudrait l'rendre dès aujourd'hui
Car le demain n'est pas à nous.
Tous les voleurs vont en Enfer,
Vous le savez depuis longtemps,
Y brûler l'été comm' l'hiver
S'il ne le rend'nt auparavant."
Comme il l'avait fait tout' sa vie,
Julien voulut encore un coup
Consulter sa Jeanne-Marie
Qui devait dir' son mot sur tout.
- Jeann' lui répondit : "Mon pauvre homme,
L'Enfer, bien sûr, ça fait grand pou.
Tu t'y habitueras en somme,
Les premiers du temps c'est pas doux !
Mais rappell' te ton gilet d' peau
Qu' t'as pris après ta pluresie.
Les premiers jours sans aucun r'pos
Tu gémissais comm' un' harpie.
Et puis, à c't heur' t'es ben content :
On s'fait à tout, tout s'adoucit.
N' va donc pas rendre ton argent,
A l'Enfer, tu t' f'ras ben aussi.

Le remède à deux fins (rimiaux)


Je reprends la publication des rimiaux de l'Abbé Chenet. 

J'ai "mixé" deux versions du texte : l'une issue de l'édition de 1939 ; l'autre, peu différente, trouvée sur Internet. J'ai en principe vérifié que chaque vers soit bien un alexandrin...

Voici donc aujourd'hui l'histoire d'un remède à double emploi.

Ce conte stigmatise une fois de plus l'avarice des paysans et met en scène leur pragmatisme brutal. Il rappelle aussi, au détour de l'histoire, leur ivrognerie foncière.

Il égratigne également au passage les médecins, dont, en somme, la moitié guérit les malades sains...

Enfin, l'épilogue démontre qu'à défaut de sauver les animaux malades, le vétérinaire de Guémené (Bec-à-vin !) pourrait bien soigner les femmes...

Have fun ! comme on dit en (Grande) Bretagne.


Je n’ voudrais bien sûr point dir’ du mal des méd’cins :
C’est du mond’ comme les autr’ ; et y’en a d’ ben honnêtes,]
La moitié vous guériss' mêm’ quand vous n’avez rin.
Et y’en a qui val’ ben les siens qui soign’ les bêtes.
Mais dam’ y prenn’ pu cher, et ça vous coût’ des sous.
Et comm’ disait dans l’ temps, Jeulien d’ la Bazina
Perd’ sa bonn’ fomm’, ça compt’, mais perd’ sa vach’, c’est tout.]
Et j’ va vous dir’ l’histoir’ qu’arrivit à c’ gars là.
L’année, ou y’eut tant d’ cid’ qu’on l’ donnait aux gorets]
Et qu’on s’ soulait pour rin, quasiment sans piaisi
Sa vache avait enflé, enflé sauf vout’ respect
Comme la treuille à Nanon, et en mêm’ temps, voici
Que sa fomme aussi elle enflait comme un’ bouzine
Y’s’ dit : « Dam’, c’est pas rin, deux malad’ à soigneu.
Ben sûr, j'vas me ruiner à payer d’ la méd’cine,
Le méd’cin et l’hongreur. Faudra-t-y en donneu ! !
Mais à quoi bon les deux, pisque la pauv’ garette
Et Nan’ Marie, ma fomme, ont la mêm’ maladie.
Quérir deux médecins ? Dam’ point j’ se pas si bête
Le mêm’ f’ra ben l’affair’ et leur sauv’ra la vie.
Le méd’cin est pu cher: j’ vas chez l’ vétérinaire,
J’ vas li parleu d’ ma vache, y m’ donn’ra un’ potion
Et pour mes deux malad', dam’, ça f’ra ben l’affaire. »
Y fut donc à Guém’neu, trouveu Jean Bec-avin :
Il l’y prit pas trop cher, vantié ben deux pistoles
Dam’ ça n’ tait pas l’ voleu, auprès d’un vrai méd’cin.
Y l’y donnit qu'eq chous' de naill' dans un’ p'tit’ fiole.
Et Jeulien en fit boir' la moitié à sa Nane
Et l’ restant à sa vach’ qui malgré yell’ le prit.
Vous m’ crerez si vous v’lez, mais d’ la sacrée tisane,
La bourgeoise en guérit, s’ment la vache en kervit.

dimanche 18 novembre 2012

Conscrits de 1922 (et d'avant)

Je vais encore vous parler de mes aïeux. Cette fois, c'est surtout de mon grand-oncle François Ferré qu'il est question.

Il était né le 2 décembre 1902 : il s’apprêterait donc à fêter ses 110 ans si un sort funeste n'avait depuis belles lurettes contrarié cette belle perspective.

En fait, je n'ai que deux souvenirs de lui : sa photo en militaire majestueux et moustachu qui trône dans la grande pièce de la maison à Guémené ; et puis cette photo retrouvée au fond d'une boite, où il figure avec ses camarades de la classe 22 de Guémené, déguisé en conscrit.



La photo doit donc dater de début 1922. Grand-tonton est le jeune freluquet assis à gauche : rien d'un Hercule belliqueux, comme on voit.

Je vais ici terminer la navrante histoire de ce jeune François à l'air si peu martial, afin de passer ensuite à d'autres choses plus instructives et édifiantes.

Ayant échappé par son jeune âge à la guerre de 14-18, il mena une existence paisible et paysanne à La Hyonnais, à Guémené, chez maman (mon arrière-grand-mère Françoise Brard), célibataire et taciturne (ma mère ne l'aimait pas).

Mobilisé pour la guerre suivante, il alla par une nuit sans lune saluer des amis habitant le Boulevard (de la Gare, aujourd'hui  : de Courcelles). Bien mal lui en prit !

A peine sorti de ces adieux hivernaux (nous sommes la nuit, le 31 décembre 1939 ou bien même le 1er janvier 1940), et sans doute bien chargé de gniaule pour affronter la pénombre et le froid, voilà que grand-tonton s'égare et tombe en contrebas de cette artère (dans une carrière), se rompant le cou. Fin de carrière de mon grand-oncle, si j'ose dire...

Ce refus d'obstacle face à l'ardente obligation de partir défendre la Patrie Sacrée n'échappa pas au curé de Guémené de l'époque qui, paraît-il, refusa un temps, au grand dam de ma pauvre arrière-grand-mère Françoise, de l'enterrer religieusement au motif qu'il l'aurait fait exprès pour éviter la guerre. Ah,  charité chrétienne, quand tu nous tient...

Enfin, R.I.P...

Mais je reviens à ma photo : que sait-on de nos jours des fêtes de conscrits d'antan qui faisaient résonner les bourgs et les campagnes, avec leurs déguisements et tout le reste ?

Je vous propose deux éclairages successifs.

D'abord un peu d'histoire puisée à la source Internet, où je ne me lasse pas de me désaltérer.

Déjà en vigueur antérieurement, une (nouvelle) loi sur la conscription, sous le Second Empire, imposait à tous les jeunes gens, un tirage au sort. Un simple numéro puisé dans une urne avec une frange tricolore décidait si le conscrit allait partir pour 7 ans ou s'il était dispensé. Différents moyens permettaient, cependant, d'éviter le pire.

La loi de 1872, au début de la Troisième République, établit l'obligation militaire pour tous. Cependant un tirage au sort subsistait pour départager ceux qui allaient servir pour 5 ans, puis 4 ans, et ceux qui ne devaient servir que 6 mois ou 1 an.

La loi de 1889 fixa une durée du service militaire égale pour tous à 3 ans. Le tirage au sort subsista symboliquement.

La loi du 21 mars 1905 abolit le tirage au sort et fixa la durée d'incorporation à 2 ans.

Jadis donc, le tirage au sort était important dans la vie des hommes, l'orientant pour plusieurs années. Ce tirage au sort avait lieu en public au début de chaque année, dans tous les chefs-lieux de canton en présence du préfet, assisté du maire de la commune. 


Les jeunes gens en âge de ce tirage au sort se réunissaient la veille, pour chanter, boire et danser pendant le banquet qui durait toute la nuit.

Ils revêtaient un complet noir et un gibus qui n'étaient ensuite utilisés que le jour de leur mariage. La première année, bien avant ce que j'évoque, en 1798, deux jeunes gens se présentèrent au tirage au sort dans cette tenue car ils n'avaient pas eu le temps de changer de vêtements.

Par la suite tous les conscrits ont gardé cette tenue et l'habitude de la fête.

Cela étant dit, je ne résiste pas au plaisir de vous transposer une sainte lecture : un article tiré de la "Vie diocésienne : bulletin de l'activité catholique", n°8 en date du 25 février 1893 faisant écho à la réaction non seulement patriotique, mais également spirituelle et religieuse de nos braves garçons de 20 ans du canton de Guémené, précisément de Pierric.

"...Les conscrits ont donné un exemple admirable.
Le tirage au sort avait lieu le mardi 31 janvier, jour d'une réunion spéciale pour les hommes [tu m'étonnes ! NDLR]. Malgré une pluie battante et une distance de trois lieues séparant Pierric du chef-lieu de canton (Guémené-Penfao), nos jeunes gens, sans nulle exception, se mettant en route immédiatement après le tirage de leurs numéros, ont fait une entrée triomphale à l'église juste au commencement du sermon. Ils avaient fait retentir les rues du bourg du chant enthousiaste de l'Ave Maria."

C'est beau, mais qu'est ce début, à côté de la suite admirable :

"Et les hommes de Pierric, réunis en foule, électrisés et fiers d'un si magnifique exemple, chantaient à pleine voix et d'un coeur joyeux : "Je suis chrétien, voilà ma gloire !""

Le goupillon n'est décidément jamais bien loin du sabre.

 

Il s'en passe de belles à Beslé


J'ai mentionné récemment avoir visité quelques points d'intérêt des alentours de Guémené avec une personne de grand talent : je ne résiste pas à l'envie de vous faire partager ma chance, d'une certaine façon.

Si vous êtes un lecteur ou une lectrice attentive à la page culturelle de Ouest-France (!), si vous n'êtes pas abonné à ce journal seulement pour la page des morts (comme l'était ma Grand-mère Gustine), alors peut-être avez -vous vu et lu, début mai dernier, l'article illustré ci-dessous :


Ce n'est pas rien, quand même, des artistes de cette trempe, et même une soprano internationale, chez nous, dans l'église de Beslé !

Et ce qui est passionnant, c'est que le pianiste est des nôtres, un voisin, ce qui est, je puis en témoigner, la moindre de ses nombreuses qualités.

Pour ceux (dont je suis, hélas) qui n'auraient pas eu la chance de pouvoir assister à ce concert, je vais augmenter vos regrets en vous en fournissant le programme : 


Il ne faut pas être grand amateur de bonne musique pour s'aviser de l'excellence de cette matinée musicale.

Si l'on ne connaît pas ces oeuvres,  si l'on ne dispose pas de leur enregistrement à domicile, il est cependant un moyen simple et commode d'en apprécier un peu l'intérêt et la beauté. Il suffit en effet de se rendre sur le site DEEZER ( http://www.deezer.com/fr ). Vous pourrez alors, comme je viens de le faire, y écouter tous les morceaux listés dans le programme ci-dessus (et bien plus encore !).

Pour ceux qui ne connaîtraient pas déjà ce site, voici le mode d'emploi succinct : en haut à droite de la page d’accueil, se trouve une petite fenêtre pour faire les recherches de titres. Il suffit d'y écrire le titre (et le compositeur) : plusieurs choix (en général) apparaissent alors, qu'il suffit de cliquer.

Aussitôt la musique démarre. Il s'agit à ce stade d'un extrait de 30 secondes. Pour pouvoir jouir de l'intégralité de la pièce musicale, il faut un compte DEEZER. Toutefois, si vous disposez déjà d'un compte Facebook (cette horreur) vous avez directement accès à l'écoute intégrale des titres.

Anecdotiquement : pour les amoureux des chats, dont je suis, je recommande l’inénarrable duo des chats de Rossini (Duetto buffo di due Gatti). Pour les nostalgiques de leur enfance, Au clair de la Lune (attribué à Lully) fera amplement l'affaire....

Je vais finir ce post en vous donnant (photo ci-après) les pedigrees (si j'ose dire) de ce trio d'artistes tels qu'ils figurent au dos du "flyer" de ce concert. S'agissant de l'instrumentiste, vous y apprendrez qu'il est l'organiste attitré de Guémené. Voilà sur quoi j'aurais l'occasion de revenir.


Comme on dit : Enjoy !

samedi 17 novembre 2012

L'Oratoire de Saint-Benoît de Massérac


Je poursuis ma petite relation massérasséenne et bénédictine pour évoquer aujourd'hui l'Oratoire de Saint-Benoît.

Comme on peut le constater à l'examen de l'extrait de carte ci-dessous, ce site est à quelques centaines de mètres du centre historique de l'épopée de Saint-Benoît à Massérac : le village de Paimbu et le bourg lui-même.

J'ai mentionné également sur ce plan l'emplacement de la Fontaine Saint-Benoît, sujet que j'ai traité dans le post précédent.


L'oratoire est en fait un aménagement assez vaste qui s'appuie sur des rochers (les rochers de Paimbu ou Penbu), comprenant, en surplomb, un calvaire et une statue peinte de Saint-Benoît, et, en contrebas, un petit autel et une chaire avec une balustrade de fer peinte en blanc. Une grille blanche surannée enclot le tout, au bord d'un chemin. Un escalier de grosses pierres branlantes permet d'accéder par les côtés à la partie supérieure.

L'ensemble, couronné de grands arbres, regarde et domine le marais qui vient mourir à ses pieds et, dans l’humidité ambiante, semble un peu à l'abandon.




La composition, dans son état actuel, fut inaugurée le 4 septembre 1859 par un certain Abbé Louvel. Une plaque métallique, fixée au pied de la chaire d'où les prédicateurs devaient haranguer la foule, conserve le souvenir de cet évènement où l'on imagine un grand rassemblement de peuple endimanché.



Je retourne à ma source, Paul Sébillot qui cite à nouveau le Marquis de l'Estourbeillon, ce nobliau et historien régional qui a rédigé entre autres ouvrages une monographie intitulée "Saint Benoît de Macérac (sic)". Le Marquis rapporte les éléments suivants :

"...sur un coteau qui domine la vallée de la Vilaine, on voit une masse de rochers, appelés dans le pays la chaire de saint Benoît : C'est là, disent les paysans, que sainct Benoist preschait au paouvre monde, et disait à nos anciens de tant si belles chaouses sur noutre divin seigneur Dieu ."

Il semble qu'une procession soit organisée chaque année (est-ce encore le cas ?), le 28 octobre. A bon entendeur, salut ! et prenez une petite laine...

dimanche 11 novembre 2012

La Fontaine Saint-Benoît


Je suis venu quelques jours à Guémené la semaine passée. L'occasion d'y rencontrer pour la seconde fois un homme remarquable et talentueux sur lequel je reviendrai, car il a beaucoup à nous dire et faire entendre...

Grâce à lui, j'ai parcouru le territoire de Massérac dont on peut bien parler dans ce blog guémenéen. Car qui plus que cette bourgade limitrophe peut faire partie du Pays de Guémené ? 

Comme on sait, cette bourgade endormie a son sort lié à celui de Saint-Benoît qui en est le père fondateur, et dont le souvenir religieux est toujours vivace.

C'est donc tout naturellement que nous avons marqué toutes les étapes d'un pèlerinage digne de ce nom. Parmi celles-ci, se trouve la Fontaine Saint-Benoît dont on peut admirer l'état actuel par la photo ci-dessous. 

Elle vient d'être rénovée par le propriétaire de l'étang que l'on aperçoit à l'arrière-plan. Un petit cartouche "2012", placé au fronton de l'édifice, rappelle et date cette bonne action.

On note au fond de la fontaine, derrière la grille, une petite niche avec une statuette de facture récente.

En contrebas de la grille, à quelques dizaines de centimètres, il y a de l'eau, plutôt claire.



Elle tire son nom de ce que les moines (Saint-Benoît même, peut-être...) venaient aux temps anciens y puiser leur eau, mais aucun caractère miraculeux n'y est spécialement attaché.

Il existe un éclairage sur ce qu'était cette fontaine antérieurement (notamment la statuette centrale) et sur les pratiques religieuses qu'elle inspirait.

Une fois encore, c'est à Paul Sébillot, déjà maintes fois sollicité dans ce blog, folkloriste et anthropologue du Pays Gallo, que je dois ce témoignage ("Petite Légende Dorée de la Haute-Bretagne", Nantes 1897, page 112) :


Non loin de l'ancienne église, au nord de la paroisse et au bord du marais, existe une ancienne fontaine, dite de Saint-Benoît : elle est construite en gros appareil, dans le genre du XIIIème siècle et est surmontée d'une croix de granit.


Au centre de son excavation existe encore une antique statue de Saint-Benoît en bois peint, de trente centimètres environ.

Elle représente un moine imberbe, vêtu de bure, la tête recouverte du capuce. La main droite retient, appuyé sur la poitrine, un livre peint en rouge ; la gauche, brisée au poignet, est tendue en avant et semble avoir tenu une crosse.

On vient prier devant cette petite statue, et plus d'un ancien, après avoir bu l'eau de la fontaine, embrasse la statue avec une religieuse ferveur.




La réfection évoquée dans la gravure ci-dessus date de la toute fin du XIXème siècle, puisque l'ouvrage de Sébillot a été édité en 1897.

On trouve facilement cette fontaine : elle est devant l'étang qui se trouve derrière la route qui passe derrière la gare ferroviaire. Elle est, plus simplement, derrière la gare...

Saint-Yves à Guémené (3)


Voici venu le moment du troisième et dernier petit conte autour de la figure de Saint-Yves, tiré des mêmes sources que les deux posts précédents.

Revenant de Paris (où il fit sa scolarité) à cheval (ce qui rappelle qu'il était de noble extraction), Saint-Yves s'égare et son cheval déferre. Un tailleur du coin, au lieu de l'aider, le rabroue et le saint le rend boiteux comme son cheval. Voilà pourquoi les tailleurs claudiquent !

Il est évidemment curieux de voir affirmer que les "couturiers" boitent en général, ce qui, au passage, emporte une autre idée aussi étrange par sa généralité : les tailleurs n'ont pas de religion. En tout cas, le petit père Saint-Yves n'avait pas trop le sens de l'humour.

Tout le "truc" de l'histoire repose sur un parallèle (une sorte de jeu de mot) entre le Saint assimilé à un "carme déchaussé (deschaux)" et le cheval dont le pied se trouve sans fer.

L'Ordre monacal des Carmes Déchaussés allait pieds nus dans des sandales, et donc sans chausses ni chaussures. Mais Saint-Yves n'appartenait pas à cet ordre...Bref, on est un peu dans la littérature.


Je renvoie à l'article wikipedia consacré à ce Monsieur, qui apporte un éclairage intéressant sur ce curieux personnage :


http://fr.wikipedia.org/wiki/Yves_H%C3%A9lory_de_Kermartin


En attendant voici...

...Pourquoi les couturiers sont généralement boiteux : 

Un jour que Monsieur Saint-Yves revenait de Paris en Basse-Bretagne il se perdit sur le tard dans 1es grandes landes de Montnoël entre Guémené et Massérac.

Le saint était fort ennuyé, car les chemins étaient mau­vais et sa monture avait perdu un fer. Mais ayant entendu chanter, il reprit bon espoir et aperçut bientôt un tailleur de la Cavelais qui revenait de sa journée.

Notre saint l’aborda aussitôt et le pria de le remettre dans son che­min en lui indiquant le bourg le plus voisin, pour qu'il puisse faire referrer sa bête.

Mais au lieu d'obliger Saint-Yves, notre tailleur qui n'avait guère de religion, se mit à le railler et lui dit, que « puisque les moines allaient deschaux, sa bête pouvait bien faire de même, car il était juste que le valet manquât de souliers du moment que le maître n’en portait point ». 

Mais Saint-Yves trouva 1a plaisanterie mauvaise, et voulant punir aussitôt ce gouailleur, il lui déclara qu'à l'avenir, lui et tous ses confrères qui n'auraient pas plus de religion que lui, auraient comme son cheval une jambe défectueuse.

Et voilà pourquoi la plupart des tailleurs sont boiteux aujourd'hui.

samedi 10 novembre 2012

Saint-Yves à Guémené (2)


Le second texte concernant Saint-Yves s'intitule " Comment le diable emporta la servante qui avait voulu voler la statue du Saint ". Je le tire des même recueils du Marquis de l'Estourbeillon et de Paul Sébillot que le texte publié dans le post précédent.

Le point de départ de l'histoire se situe dans un village du voisinage de la chapelle Saint-Yves, à la veillée où les filles filent le lin. Cela rappelle que la Bretagne, libérée par le blé noir de la contrainte alimentaire, avait pu développer des cultures complémentaires comme celle du lin. D'où les nombreux tessiers, texiers ou tissiers (tisserands) que l'on retrouve dans les registres paroissiaux.

Quand on s'intéresse aux moulins de Guémené, on s'aperçoit d'ailleurs qu'à côté des moulins à farine, on comptait pour la préparation des étoffes, dans la première moitié du XIXème siècle, une tannerie (à Subrette) et des moulins à foulon (Moulin des Piles, à la Ménardais, au bas du village des Rivières, sur le Don).

Sur un mode simplissime, ce petit conte nous narre, l'histoire d'un mauvais troc d'une jeune présomptueuse : mon âme (mon être) contre un objet futile (un tablier de soie) au service de la vanité (paraître).

La fin, assez spectaculaire (édifiante comme une éxécution publique), sauve la morale. Et qu'on se le dise, il n'y a pas de rédemption pour le crime blasphématoire commis puisqu'il n'y a plus de corps à ressusciter à la fin des temps. Voici :


Au village de la Landezais, tout proche la chapelle de Monsieur Saint-Yves, était une jeune chambrière (servante), la plus accorte (dégourdie) de tous les environs. Raffolant de la toilette et ne songeant qu'a paraître la plus belle aux assemblées d'alentours, sa maîtresse lui avait souvent dit qu'elle vendrait son âme pour un bout de ruban. A coup sûr, elle ne pensait point dire si vrai, car cela arriva comme elle l'avait prédit.

Un soir de fileries (assemblée des gens d'un village réunis pour filer le lin à la veillée d'hiver), un de ses prétendus lui ayant demandé si elle était peureuse, elle ne craignit pas de dire qu'assurément elle n'avait peur de rien et que si on voulait lui donner une davantière (un tablier) de soie pour la prochaine assemblée, elle promettait d'aller dès le soir, au coup de minuit, chercher toute seule, la statue de Saint-Yves dans sa chapelle, distante d'un kilomètre environ, pour la rapporter au village de la Landezais.

Plusieurs jeunes gens tinrent la gageure et lui promirent la davantière demandée, si elle voulait exécuter sa promesse.

Hélas ! mal en prit à notre chambrière, elle partit au coup de minuit comme elle s’y était engagée, mais elle ne revint pas. 


Le diable l'avait emportée et son bourgeois (son maître), la cherchant le lendemain, ne trouva dans le chemin de la chapelle que sa chevelure pendue à un arbre, et la statue du saint qu'elle avait volée, entre ses deux sabots.

Saint-Yves à Guémené (1)


Saint-Yves fut, au XIIème siècle, un prêtre official de Tréguier, un official étant prêtre gradué en droit canonique ou en théologie qui avait compétence en beaucoup de matières, notamment en ce concerne les crimes commis par les clercs.

Ainsi Saint-Yves, fêté le 19 mai, est-il le patron des gens de justice, de la ville et du diocèse de Tréguier (et de plein d'autres lieux, d'ailleurs). De nombreuses chapelles lui sont dédiées en pays bretonnant et en pays gallo (Quintin, Saint-Helen, Caro...).

Dans notre paroisse de Guémené-Penfao, sur le bord de l'ancien grand chemin qui conduit à Massérac, existe aussi une vieille chapelle dé­diée au bienheureux Saint-Yves, que j'ai d'ailleurs déjà eu l'occasion d'évoquer (post : Parlons chapelles)

Non seulement cette chapelle et ses alentours sont remarquables et bien entretenus, mais cette partie Nord-Est de Guémené qui domine le Don est fort belle et je prends toujours beaucoup de plaisir à parcourir le bout de route qui, du moulin du Pont-Esnault conduit à Massérac en passant par Feuilly, le château de Friguel et la chapelle Saint-Yves.


Dans les villages des environs (Pussac, Pussaguel, la Landezais,...), qui sont évoqués dans ce qui va suivre, certains de mes ancêtres ont vécu. Enfin, je dispose d'un petit bois vers le village de la Gaharais qui me rapproche encore de ce coin de Guémené.

On dit que Saint-Yves, puissant protecteur, se souvenant sans doute de son ancien métier d'avocat, plaide volontiers en Paradis la cause de tous ceux qui l'invoquent avec piété et confiance. Mais, aussi digne que compatissant, il tient par contre a ce qu'on ne lui manque pas de respect...

Trois légendes illustrent ce dernier point. On peut les lire dans différents recueils du XIXème siècle accessibles sur le site de la BNF (gallica). La version que j'en donne provient des travaux du Marquis de l'Estourbeillon (Légendes du pays d'Avessac), reproduits dans un ouvrage de Paul Sébillot (Petite légende dorée de Haute-Bretagne).

Voici, pour ce matin, la première, intitulée : "Le Geai de Saint-Yves" qui semble destinée à illustrer bien entendu la puissance du saint et, sans doute, à expliquer la présence d'un objet particulier dans la chapelle (un oiseau de cire, aujourd'hui en tout cas disparu).

Il ne fait pas bon se moquer des saints. Il y a nombre d'années un homme du village de Pussac, situé, comme chacun sait, tout proche de la chapelle Saint-Yves, et que ses nombreux tours avaient fait surnommer le grand farçou (farceur) déblatérait sans cesse contre le saint pa­tron de la frairie, au grand scandale de ses voisins, et ne manquait pas de dire souvent, entre autres autres plaisanteries, aux gens dévotieux que, si Saint-Yves avait besoin qu'on veille si souvent à sa chapelle pour l'amuser, il trouverait bien lui, quelque jour, un bon moyen de le distraire.

Mais notre homme était un fanfaron et son essai ne lui réussit guère. A quelque temps de là en effet, ayant pris un jeune geai en revenant un soir de la foire de Fougeray, il n'eut rien de plus pressé, passant devant la chapelle, que d'y jeter, malgré ses cris, le malheureux oiseau en criant bien fort ;  " Tiens, Saint-Yves, toi qui n'a rien à faire, amuse te (toi) donc o (avec) cela !"

Mais à peine le grand farçou avait-il prononcé son blasphème, que ses jambes refusèrent de le mener plus loin et que, saisi d'une fièvre ardente, il dut se faire porter chez lui par ses compagnons de route. Il ne fut guéri qu'en promettant réparation à Saint-Yves et que lorsqu'il lui porta en pèlerinage un oiseau de cire, qu'on vit encore longtemps depuis dans sa chapelle.

mardi 6 novembre 2012

Croix de Messidor

Je l'appelle la Croix de Messidor, mais au fond je ne connais pas son nom. On la trouve sur la route de Guénouvry, après Gascaigne et avant le château de Bruc, le dos à la lisière du bois de Juzet, acculée, protégeant de ses bras cette forêt d'on ne sait quelle attaque venue du sud, éblouie de soleil.

Il y a, dans ce monument esseulé, quelque chose de dérisoire et d'héroïque aussi, gardien d'une mémoire qu'on peine à pénétrer et partager, en ce lieu improbable où nul passant ne s'arrête, où aucun hommage n'est donc possible.

Je suis passé ici à pied par une fin d'après-midi lointaine, dans le vent et la pluie, l’obscurité qui gagnait. C'était à la fin de l'hiver, aux vacances de février 1973 : avec un camarade, nous venions  à Guémené tenter d'oublier, de conjurer, l'horrible et très récent décès d'un condisciple.

Nous avons cru peut-être y réussir sur le moment, mais aujourd'hui encore je crois que ce n'est pas le cas.

Comme le souvenir de cet évènement,  comme celui de ce passage juvénile devant cette croix désormais reculé dans le temps, le souvenir de ce qu'elle commémore est perdu, pour ainsi dire, et la peine qui y est associée nécessairement est également incompréhensible, intransmissible.

Enfin, revenons à l'Histoire.

On ne l'aperçoit qu'en arrivant dessus, nichée dans un parterre de fougères que l'automne a bruni.


C'est une croix simple, peinte d'un affreux marron clair, fichée dans un socle maçonné de pierres bleues, à l'ancienne, et qui n'est pas sans rappeler celui de la croix du cimetière qui date de 1832. Sans doute ce mémorial remonte-t-il du XIXème siècle, sans qu'il soit possible d'être plus précis.

Un écusson, peint de la même couleur que le reste, est présent à l'intersection des deux bras de la croix. Il affiche que ce monument commémore le "combat du XXII Messidor an III".


Messidor, premier mois de l'été, "mois des récoltes", littéralement. Le 22 Messidor an III correspond au 10 juillet 1795.

Des soubresauts agitent l'Ouest, et en juin un débarquement royaliste s'est produit à Quiberon que le général Hoche va réduire. Parallèlement, un millier de chouans conduits par le colonel Terrien (dit "Coeur de Lion"), chef de la région de Chateaubriand, se sont rués sur Guémené-Penfao tuant paraît-il huit républicains.

Même si huit vies sont beaucoup de choses, à l'échelle de l'Histoire la moisson est cependant médiocre pour le parti réactionnaire.

En ce Messidor an III, la République tient bon en Guémené. D'ailleurs, elle vaincra d'ici peu.

dimanche 4 novembre 2012

Place aux Simon (3) : Joseph

Au cours de l'Histoire, il y eut bien trois Simon à occuper un siège de député à l'Assemblée Nationale, ou à ce qui en a tenu lieu.

Le temps est venu de parler de Joseph ou Joseph-François.


Ah, n'a-t-il pas fière allure, le Joseph, dans sa petite redingote cintrée, le toupet au vent,  des rouflaquettes qui ont l'air d’amarrer la tête au corps, nonchalamment accoudé au rebord du fauteuil, tenant sa canne comme une béquille (politique ?) ?

C'est aussi le fils du fondateur de la dynastie politique guémenéenne, François, et le frère de Fidèle, premier du nom, maire et député dont il a déjà été question dans un post précédent. On peut donc dire que François Simon a enfanté deux fils maires (et députés. Oui je sais, c'est facile...).

Je vais m'attacher à vous fournir quelques données afin que vous puissiez apprécier le personnage à sa juste mesure.

Né le 4 février 1801 à Guémené où ses parents résidaient, il devient maire de St-Nicolas-de-Redon en 1840. Il cumulera le mandat municipal à un mandat de conseiller général de ce canton.

C'est un bourgeois de province bon teint, qui fait profession de marchand de bois de construction. Du solide, donc.

Sans doute devait-il s'ennuyer car, fin 1857, il est élu haut la main député de Loire-Inférieure, en sa troisième circonscription.

Candidat officiel du parti impérial ("majorité dynastique", comme aujourd'hui on parle de "majorité présidentielle"...), il recueille 23 720 des 23 748 suffrages exprimés. La bonne nouvelle : il n'y a que 28 "opposants" ; la moins bonne : il est visiblement seul en lice. A vaincre sans péril,...on triomphe au Corps Législatif impérial.

Il se représente en 1863 et affronte alors un opposant. Réélu avec 18 121 : visiblement il y a quelques déçus du simonisme...Et cela se renforce en 1869 puisque il tombe à 15 532 voix. 

Il n'ira d'ailleurs pas au bout de son troisième mandat de député pro-Napoléon III. Ayant adopté comme un bon député godillot qu'il est, tout ce que le Pouvoir Impérial pouvait souhaiter, pour finir, il vota la guerre avec la Prusse. Ce dernier succès politique fut sa fin : il quitta tous ses mandats et se retira.

On ne sait pas bien où, ni quand, il mourut. Sans doute alla-t-il cacher sa peine quelque part, dans le silence : comme on sait, les grandes douleurs sont muettes.