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samedi 25 août 2012

La Halte des Pélerins


Nous sommes au sortir de la rue de la Chevauchardais, à l'angle du pré qui borde la rue du Séquoïa, pratiquement déjà sur la route de Beslé. Là, non loin du cimetière, est un petit bâtiment bas récemment restauré, isolé du reste des édifices les plus proches.

Vue de la rue principale, on en distingue un mur percé de deux étroites fenêtres et un pignon de hauts palis. Il pourrait passer pour une vague pissotière, si l'on se trouvait dans une part plus centrale du bourg (par exemple près de la Mairie ou de l'église). Là, excentré, dans ce qu'il y a 30 ou 40 ans - même moins - était un des confins de l'agglomération, ç'aurait pu être aussi un vestige rural, un hangar à outils, un bâtiment à bestiaux (mais de petite taille alors).

Passant devant, je me suis longtemps demandé - mais sans approfondir, me contentant d'un léger étonnement, d'un grésillement passager de l'esprit, en somme -  par quel miracle il tenait d'ailleurs toujours debout et n'avait pas encore été abattu ou recyclé.

Il est amusant de constater que le monde moderne, peu avare de signalétique, l'a affublé de deux panneaux : un "sens interdit" et un panneau "interdit aux chiens", alors que précisément il s'agit d'un ancien lieu de liberté et d'accueil, lieu ouvert au passant en mal d'abri ou de repos.


Car nous sommes confrontés à une ancienne  halte pour les pèlerins de Compostelle (elle figure sur le cadastre de 1834).

Sans doute étaient-ils peu nombreux vue l'exiguïté du lieu. Ou alors ils effectuaient des haltes courtes et se remplaçaient les uns les autres.


L'intérieur en est frustre. D'autres longs palis séparent la pièce par le milieu. Était-ce pour ménager une place à chaque sexe à la manière des dortoirs ? Mais pouvait-on seulement s'y allonger tant l'espace paraît réduit ?























Toutes ces questions sont en fait de peu de poids par rapport à un autre mystère, tout récent celui-là : par quel miracle les chiens font-ils pour comprendre le panneau leur interdisant l'entrée de cet abri ouvert à tous vents ?


vendredi 17 août 2012

Le Père Montnoël est une ordure


Il fait beau et il fait chaud à Guémené. Les vacances s'achèvent : il faut en profiter encore une fois.

D'un autre côté, je suis peu inspiré à poster des messages sur le blog en ce moment : trop de sujets qui nécessitent beaucoup de travail. Pas mûrs. Pas courageux.

J'ai donc décidé d'aller me balader dans le bourg et d'y prendre quelques photos.

Mes pas m'ont notamment porté vers le Grand Moulin où est apposée une pierre tombale ancienne qui pavait jadis la Chapelle St-Jean que l'on devine dans le cliché ci-dessous. 

























Le Grand Moulin

Cette ancienne chapelle, située naguère en bas de l'actuelle Place Simon vers l'Office du Tourisme, a eu le malheur, malgré des siècles de services loyaux et bons, de se trouver dans l'alignement de la nouvelle route et du nouveau pont de Guémené sur le Don. Un édile guémenois épris de progrès décida donc de son éradication vers 1880.

De profundis, la Chapelle St-Jean. Place à la circulation moderne.

Je n'insiste pas sur l'histoire de la chapelle (j'ai déjà raconté). Il faut juste se rappeler qu'à la fin des articles y consacrés, on fait en général mention de la pierre tombale sus-mentionnée.
























Pierre tumulaire d'un Chevalier de Montnoël

Car en effet, cette pierre, appelée pierre "tumulaire", est tout ce qu'il en reste, finalement, de la chapelle : son dernier souvenir, en somme.

On s'en contente forcément et, comme tout le monde dans un premier mouvement, on pense avec émotion à cette sainte relique. 

Sainte et noble : car il s'agit "probablement" d"un seigneur de Montnoël du XIVème (siècle), cette famille ayant pris  l'habitude d'enterrer les siens dans cet édifice. (Je ne ferai l'injure à personne de rappeler que Montnoël est à gauche, vers Massérac, tout près de mon bois, si toutefois ça peu aider.)

Bref, par la rareté du vestige et son origine, une aura de valeur, de préciosité, entoure ce rectangle granitique vaguement buriné.

Mais d'un autre côté, à y réfléchir, une autre lecture se présente au passant.

Car, il faut bien admettre que l'objet est peu spectaculaire et même franchement pâlichon. Et on a l'impression quand même que pendant cinq cents ans, on s'est bien essuyé les pieds dessus.

Du coup le Père Montnoël, il a une drôle de binette. Il donne le sentiment, même si sa pudeur ou son orgueil se refuseraient à l'admettre, que faute de pouvoir bouger et échapper à cette injure répétée, il s'est fait une sorte de raison et a pris le parti d'en rire. Jaune et crispé, certes, mais rire quand même.

A y regarder de près, il a en effet la bouille ronde et fendue, le bonhomme, et possède des petits yeux vifs de cochon ou d'éléphant. Au total, un brave gars qui subit avec une bonhomie forcée les injures du temps et des hommes. Un scaphandrier de carnaval, un grotesque.
























Bouille de Zébulon du Père Montnoël

Et puis, là, tout contre le Grand Moulin, sur ce lieu de passage, c'est comme un pauvre clochard qui ferait la manche adossé au mur du Grand Moulin, sans conviction, et qui n'aurait toujours pas compris dans son abrutissement que la route de Guémené ne passe plus par là depuis longtemps. Il doit être sourd et aveugle.
























Ancienne route de Guémené - Passerelle

Sans doute enfin, à la vesprée, harassé d'avoir attendu un vain hommage, une vaine aumône, se glisse-t-il pour dormir sous l'arche de Condé ou sous une pile de la passerelle.

Englouti dans son néant, chevalier des nénuphars, bercé par le coassement des grenouilles, lui qui n'est plus qu'un détritus, une ordure improbable de l'Histoire, il s'en va enfouir sa bille de clown dans la nuit du Grand Moulin.




lundi 13 août 2012

Savez-vous tirer les chèvres ?


Je dois à l’amitié d’ A. P., qui m’a déjà fourni tant de renseignements utiles sur Guémené, d’avoir entendu parler d’une vieille tradition.

Il s’agit d’une pratique liée à la célébration de la Saint Jean, et qu’il a vu faire à son grand-père, à Guémené, sans doute encore autour de 1950.

Cette coutume s’appelle « tirer les joncs (ou les chèvres)».

J’ai trouvé en cherchant sur Internet trois témoignages concordants, que je restitue ci-après, qui permettent d’en saisir les modalités et qui montrent également que cette coutume a été, un temps, partagée par toute la Bretagne : la Haute (Pays Gallo) comme la Basse (Pays Bretonnant).

Je transcris également à la fin de l'article un extrait d'un ouvrage de 1886 (Les coutumes populaires de Haute-Bretagne, par Paul Sébillot) qui évoque cette question.

Les témoignages semblent indiquer que cette coutume était en voie d’extinction il y a déjà 60 ans ou plus. Mais j’aimerais bien savoir si quelqu’un d’autre à Guémené en a gardé quelque souvenir ?


Dans le pays de Saint-Pol-de-Léon

Dans le Léon, dans le Nord-Ouest de la Bretagne donc, lors des feux de la Saint-Jean, on faisait chanter les bassines de cuivre à l'aide de brins de joncs.

Au crépuscule, au moment de l'embrasement du tantad (feu de joie), les sonneurs se mettaient en action. 

Une bassine au fond rempli d'eau est posée sur un trépied. Tandis qu'un sonneur tient les brins de jonc contre le bord, l'autre y fait glisser ses doigts humides et le frottement engendre une vibration qui se transmet au chaudron. 

Le son produit est un bourdonnement puissant et continu, qui s'entend de très loin, comme un vacarme qui envahit la nuit.


Dans la région de Rennes

A la Saint-Jean, le feu flambe sur une hauteur pour être vu de tous côtés, et la paesle (bassine) d'airain est posée sur un trépied renversé. 

Une personne prend cinq à six brins de joncs, les confie à une deuxième personne qui s'assoit près de la paesle et les tient fermement. L'autre fait glisser ses doigts sur les joncs en les humectant de temps à autre dans l'eau. Le mouvement rappelle celui de la traite d'où les expressions "tirer les joncs", "tirer la chèvre".

Le grincement des joncs devient un bourdon uniforme, à peine modulé, le volume du son atteint des sommets. Les gens se mettent à chanter autour de la paesle. Le tireur baisse le son et s'accorde au rythme du chant, alors le chant passe dans la paesle sonnante et est amplifié.

Un homme pose son couteau sur le bord de la paesle, qui se met à tressauter en émettant un bruit de martellement, le chant s'arrête. Le tireur redonne du volume en conservant le rythme de la chanson précédente. L'homme enlève son couteau. Le son devient lancinant et une mélodie qu'on dirait aléatoire se met à danser sur la note grave du bourdon. Les ridelles de l'eau s'organisent en un schéma qu'elles ne quitteront plus. Chaque paesle dessine un motif différent.



***

Sur un trépied, raconte un autre témoin, on disposait une bassine en airain souvent appelé pelle, au-dessus de laquelle on tendait une ou plusieurs tiges de joncs qu’une personne maintenait en contact avec la bassine. 

Une autre personne, disposée en face, faisait alors glisser le jonc entre ses doigts pour le faire vibrer. Lorsque la vibration était suffisante celle-ci se propageait à la pelle qui émettait alors un son grave et continu. 

Cette tradition a été connue sur toute la Haute Bretagne, en milieu rural. La pratique était courante jusqu’aux portes de Rennes, même si, dans l’entre-deux-guerres : « c’était déjà des gens qui le faisaient pour refaire comme avant … Pour montrer les traditions des anciens ! »


D'après l'ouvrage de 1886 de Paul Sébillot


Dans la Haute-Bretagne, la Saint Jean est célé­brée par des feux de joie, qu'on appelle rieux ou raviers. Cet usage, pourtant, n'est pas absolument général : en Ille-et-Vilaine, je connais des communes où l'on n'allume pas de feux de joie, bien que le patron de la paroisse soit Saint Jean
Mais dans ces communes, de même que dans nombre de pays d Ille-et-Vilaine et des Côtes­-du-Nord, il est d'usage, la veille de la fête, de "tirer les chieuves », ou de « tirer les joncs ».

Voici comment on s'y prend : on pose sur un trépied un bassin de cuivre dans le fond duquel on met une clé, et qu'on arrose avec du vinaigre ou du cidre aigri. On tend dessus des joncs qu'on fait raidir comme les cordes d'un instrument et on passe les mains sur ces joncs avec un mouvement de va-et-vient analogue à celui d'une per­sonne qui tire (qui trait) les chèvres. C'est de là sans doute que vient l'expression.

Au bout de quelque temps, la vibration se transmet du jonc au bassin et produit un son qui a quelque ana­logie avec celui de la vielle, et qui, bien que doux, s'entend de fort loin. Ailleurs, on «tire les chieuves» quelque temps avant d'allumer le rieu ou feu de joie. Parfois, on « tire les chieuves » en plusieurs endroits différents de la même commune, et l'éloignement produit des différences de son très agréables.

dimanche 12 août 2012

Fricaud Pères et Frères



René Fricaud et Julienne Roué se sont mariés en 1786, en février comme il se doit quand on exploite la terre et qu’il n’y a pas de temps à perdre pour cela.

Ils sont tous les deux originaires de Guémené. La famille Fricaud est même traçable de longue date dans cette partie de Guémené, sur les hauteurs qui dominent la rive droite du Don : Montnoël, Friguel, Pussac,…

En cette fin de XVIIIème siècle pré-révolutionnaire, les Fricaud sont métayers à Montnoël. C’est là que vont naître tous leurs enfants qui seront au nombre de sept au moins, un chiffre sacré.

D’ailleurs, les Fricaud ne sont sans doute pas de ces libres penseurs voltairiens fort éloignés de la chose religieuse. Cela, en tout cas, serait bien étonnant car trois de leurs enfants vont devenir prêtres.

Deux seront enterrés à Guémené, côte à côte mais pas dans le même tombeau.

Voici donc quelques images et quelques mots pour ranimer le souvenir de ces trois religieux originaires de Guémené.


Pierre, né le 17 avril 1788 fut, vicaire à Rougé (1818), à Sucé (1822), curé de Ruffigné (1823) et de la Chapelle Heulin (1824), toutes communes de Loire-Inférieure. Mansionnaire (chanoine résident) à Notre-Dame-de-Bon-Port à Nantes en 1836, il décéda en sa demeure, 69 quai de la Fosse à Nantes, face aux chantiers navals, le 19 octobre 1868. Sur sa pierre tombale à Guémené, outre une faute d’orthographe sur « Penfao » écrit « Painfao », on relève une ligne gravée à moitié effacée demandant « une prière SVP pour le repos de son âme ».

Voilà qui est fait.
























Tombeaux de Pierre et René Fricaud



Nantes, Quai de la Fosse, fin XIXème

René, né le 30 août 1801, ancien missionnaire, décédé à Tours le 27 avril 1879. C’est celui dont je connais le moins de choses, pas même de quelles Missions il fut le soldat. Ce n’était pas les Missions Étrangères en tout cas. Mais, fait exceptionnel, son effigie, polie et souillée par les ans, domine sa tombe.

Buste de René Fricaud 

On peut bien entendu se demander par quel cheminement intellectuel, quelqu'un en est venu à imaginer cette ornementation funéraire. Peut-être était-ce simplement un cadeau d'adieu de ses ouailles, ainsi recyclé....


Joseph Fricaud naquit le 8 novembre 1802. Il n’y a rien de lui au cimetière de Guémené et pour cause puisqu’il n’y est pas inhumé. Mais comme il s’était enrôlé aux Missions Étrangères et que celles-ci ont des archives très complètes et très accessibles, sa carrière ecclésiastique est parfaitement connue. En voici le cursus :

Après son ordination qui eut lieu le 19 décembre 1829, il exerça le ministère en qualité de vicaire à Ligné, 1829-1832 ; à Héric, 1832-1835 ; à Arthon-en-Retz, 1835, d'où le 12 décembre de la même année il entra au Séminaire des Missions Étrangères.

Le 4 mars 1836, il partait en Inde pour la mission Malabare (Pondichéry). Voici la liste à peu près complète des postes qu'il occupa : Covilour-Darmaboury (1841-1845) ; Tirouvadi (1847) ; Attipakam (1847-1849) ; Vadouguerpatti (1849-1850.)

Il fut ensuite durant deux ans procureur de la mission à Pondichéry, puis professeur.

On le trouve ensuite à Covilour-Darmaboury (juillet 1858-octobre 1859) ; à Vellore (1859-1861) ; à Oulgaret (1861-1863) ; de nouveau à Vellore (1864-1865) ; à Vadouguerpatti (1867-1869) ; à Akkravaram (1868-1880). Il mourut dans ce poste, le 18 septembre 1880 et c’est là probablement qu’il dort de son dernier sommeil.

L’orthographe des sites indiens est celle des Missions et il n’est pas toujours facile de retrouver les lieux en question. Mais globalement, la carrière indienne de Joseph Fricaud, s’exerça dans le Sud de l’Inde autour de Pondichéry et dans le Tamil Nadu (Pays Tamoul).

dimanche 5 août 2012

Cimetière monumental


J'ai déjà mentionné dans le post consacré à la tombe de Marie Stevent, la fidèle servante des de Becdelièvre, que "mes" tombes se situaient dans la partie ancienne du cimetière, ce qui m'offre, à chaque fois que je m'y rends pour les visiter, l'opportunité de traverser et de regarder le grand nombre de vieilles croix qui en peuplent le ciel et de vieilles tombes qui en jonchent le sol.

Le cimetière d'une petite commune concentre de nombreux centres d'intérêts. D'abord, il est peuplé d'ancêtres et de cousins : c'est, en somme, un rassemblement familial de grande ampleur, une sorte de "cousinade post mortem" : on s'y sent un peu chez soi, entre soi.


Ensuite, les vivants, souvent peu soucieux de décorum domestique pour eux-mêmes si leur statut social ne le requiert pas, sont à l'inverse préoccupés de rendre hommage aux morts et de leur faire une "belle" tombe si, toutefois, leurs moyens les y autorisent. L'art, quelques fois, y surgit d'un élan de douleur privée : tombeaux imposants, chapelles élancées, bustes sculptés, croix ouvragées....

Mais ce qui m'amène aujourd'hui à parler du cimetière de Guémené est un petit monument discret, situé également dans "mon quartier" qu'on ne remarque plus guère. Longtemps d'ailleurs, je l'ai bêtement pris pour une tombe.

Il s'agit de la croix du cimetière, probablement le dernier vestige authentique des tous débuts de cette cité des morts de Guémené.

En voici trois photos.



























C'est donc une croix forgée, légère, dont les bras et le corps sont composés d'une alternance de losanges et de cercles. Une étoile cerclée ponctue chacune des trois extrémités libres de l'emblème.

La croix est ancrée dans un socle de maçonnerie, qui s'affine vers le sol, composé de longs morceaux de schiste bleu. Une pierre d'ardoise d'un seule tenant, ouvragée, recouvre ce socle.

On remarque qu'au pied de la croix un millésime est indiqué : 1832, année où ont, en ce lieu, débuté les sépultures.

Je ne connais pas les artistes, maçons, sculpteurs de pierre, ferronniers qui ont participé à cet ouvrage vieux désormais de 180 ans.

La décision d'inhumer dans le nouveau cimetière, celui que nous connaissons aujourd'hui, date du 17 mai 1832 et fut prise par Pierre-Michel Frèrejouan du Saint, Maire de Guémené à ce moment-là. Je reproduis ci-dessous la transcription dans le registre des délibérations municipales.



L'ancien cimetière était grosso modo situé au lieu et place de l'actuelle Place Simon.

Le premier défunt à profiter (si j'ose dire) des nouvelles "commodités" fut une femme.

C'était en effet peut-être Perrine Geffriaud, âgée de 77 ans, native de Conquereuil, décédée le 15 mai au 1832 au matin, au Bourg. A moins qu'elle n'ait été la dernière enterrée au vieux cimetière et alors,  Perrine Briand, décédée au matin du 27 mai suivant à la Grée Caillette, âgée de 66 ans et native de Guémené, aurait inauguré l'endroit.


jeudi 2 août 2012

Fidélités



Enfants, j’ai, comme bien d’autres, beaucoup fréquenté le cimetière de Guémené. Ma Grand-mère Gustine connaissant beaucoup de monde, elle assistait à pas mal d’enterrements. Elle avait pris l’habitude de m’y emmener. De plus, on venait régulièrement déposer sur la tombe de mon arrière grand-mère glaïeuls et dahlias (c’était les vacances d’été) qu’elle faisait pousser dans son jardin à dessein. 

Finalement, elle avait raison : les cimetières étaient des lieux que l’on fréquentait peu en ville et celui de Guémené pouvait faire ainsi office de lieu d’excursion original pour le petit citadin que j'étais...

Les tombes de ma proche famille sont situées à assez peu de distance de l’entrée principale du cimetière, route de Beslé. C’est un vieux coin et avec des tombes de toutes sortes. Il y en a de cossues, des carrés de famille nobles ou de notables ; de pesantes, qui maintiennent à jamais sous terre des curés oubliés, des employés de chemin de fer que la carrière a égarés par chez nous ; de délabrées, éventrées, la croix de travers, la plaque de schiste bleue moussue et brisée, esquifs du souvenir, épaves des dévotions passées, échouées, souffrant mille meurtrissures des temps traversés.

Mon regard d’enfant était fasciné par ces vielles sépultures à l’abandon où l’on pouvait lire péniblement des dates incroyables : 1850, 1860. Des crevasses et des béances dans le monument funéraire invitaient parfois à voir la mort ou le mort. Ces tombes renvoyaient à un temps mystérieux et au tabou de la mort : elles étaient bien de nature à exciter l’imagination et donc à « divertir » l’esprit…

Il y a quelques années la Municipalité de Guémené avait manifesté la volonté de reprendre certains emplacements en déshérence et des petits panonceaux invitaient les familles concernées (pour peu qu’elles subsistent !) à « renouveler le bail » ou à devoir libérer la place.

Je ne sais si cela à un rapport, mais dans la foulée de cette injonction communale, une tombe en particulier a fait l’objet d’une réhabilitation qui ne peut laisser indifférent et donne à réfléchir sur la notion de fidélité.

Cette sépulture se trouve très proche de mes deux tombes familiales et elle m’est donc très familière. Par son aspect et sa proximité, les quelques bribes de texte déchiffrées dans la pierre, elle s’est toujours trouvée, dans le fond, au centre de ma curiosité : il s’agit de la sépulture de Marie Stevant, décédée il y a aujourd’hui plus d’un siècle et demi.

Marie Stevant  est morte le 24 février 1860 à Guémené, au château du Brossay, célibataire.

Le lieux de son décès et sa condition de « fille » renvoient à son état : elle était en effet domestique au service du Marquis Louis Marin de Becdelièvre et de la Marquise, née Leclerc de Vezins.

Mais Marie était née dans la commune de Péaule, département du Morbihan, environ située à  20 km à l’ouest de Redon et à 100 km au nord-ouest de Nantes. Son village natal, précisément, s’appelle Carado et se trouve à peu de distance de la Vilaine, de même finalement que le Brossay, son lieu de décès.

Elle était la fille Jean Stevant et de Jeanne Santerre. Son père exerçait à Péaule le métier de cordonnier. Elle eut plusieurs frères ou sœurs.

Quand Marie décède, elle est âgée de 53 ans selon le registre des décès de Guémené et serait donc née en 1806 ou 1807.

Toutefois, on ne trouve pas de « Marie Stevant » née dans ces années-là. Il s’agit donc soit de Jeanne-Marie, née en décembre 1805, soit de Laurence née le 22 février 1808.

Peut-être d’ailleurs le prénom de Marie correspond-il à un prénom de travail, donné par les patrons comme cela se faisait…, plus commode pour eux que Jeanne-Marie ou Laurence. Cette incertitude a peu d’importance.

Marie Stevant est présente au château du Brossay en 1846, soit 14 ans avant sa mort. Possiblement même avant : elle faisait sans doute partie de la maisonnée.

Après sa mort, elle est donc enterrée à Guémené et ses patrons lui érigent un tombeau sur la pierre duquel ils gravent un hommage à sa fidélité que l’on pouvait lire encore récemment, malgré l’érosion.

La tombe actuelle, rénovée, reprend le texte de l’épitaphe ancienne, en lettres d’or. Mais l’originale plaque de schiste a laissé place à une dalle de marbre poli.

Que reste-t-il de Marie Stevant sous cette pierre ? Que reste-t-il de ses patrons ? Que reste-t-il du lien de fidélité et de reconnaissance qui les unissaient ? – Rien, fatalement. Aucune pression sociale, aucune obligation morale, ne contraignent plus quiconque à rendre des devoirs à la servante disparue il y a 150 ans.

Aussi, je trouve particulièrement émouvant et remarquable le geste des descendants des patrons de la domestique qui, pourtant, gratuitement, contre toute nécessité sinon celle de la fidélité à leur nom et à leur histoire familiale, ont renouvelé l’hommage à la pauvre et dérisoire Marie Stevant : fidélité au souvenir, fidélité à soi et à la famille.