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dimanche 25 octobre 2015

A Gannedel


Au Nord-Est, le Pays de Guémené est bordé - et baigné - par la Vilaine qui en marque pourtant la limite avec le reste du monde : l'Ile-et-Vilaine.

On passe progressivement de Guémené à Beslé, puis insensiblement de Beslé à Massérac (ces trois bourgs ont le même code postal). Mais Massérac est un finistère : encore un peu de terre, puis cette commune se dissout dans la platitude des marais jusqu'à la Vilaine.

Un pont enjambe le fleuve et c'est encore les marais et la Chapelle-de-Brain. Avant d'arriver au bourg de cette dernière commune, fusion datant de 1976 des deux bourgades de la Chapelle-Sainte Melaine et de Brain-sur-Vilaine, on prend la route à gauche sur quelque distance et l'on atteint le gros hameaux de Gannedel qui borde le marais du même nom lequel est symétrique, par rapport à la Vilaine, du Lac de Murin situé côté Massérac.



L'endroit est paisible et se distingue par ses vieilles maisons, son puits du XVIème siècle et son calvaire, disposés le long d'une voie qui descend vers le marais.























Le puits est sans doute ce qui est le plus remarquable.

Un long cylindre de pierre s'enfonce dans la terre. Il est surmonté d'une tête en pierre bleue du pays qui a la forme d'une gosse niche oblongue et assez haute. Sur le devant un gros palis de schiste barre le bas de l'ouverture et une grille de fer ferme le reste. Au-dessus d'un mince linteau, une autre petite niche protégeait jadis quelque saint protecteur.

La tête du puits porte sur son faîte une croix de schiste, vaguement pattée, toute frêle.

L'intérieure révèle un rouleau de bois sur le côté droit. Une manivelle extérieure permettait de tourner le rouleau où s'enroulait une chaîne qui passait aussi par un crochet au plafond de la voûte.











































Puis, non loin du puits, se trouve un calvaire dont l'entretien laisse un peu à désirer. Des plaques commémoratives rappellent aux passants le sacrifice de héros, hélas oubliés, de la guerre de 14, de 40 ou de celle d'Algérie.
Ces plaques, sales et ébréchées, sont posées au pied de la croix, sur la table de schiste bleu qui recouvre le socle de maçonnerie sur la façade duquel trois croix blanches ont été apposées.

Tous ces garçons étaient originaires de la Chapelle-Sainte Mélaine. Voici pour leur mémoire et celle de la bêtise répétitive et meurtrière des gouvernants :

Le canonnier-servant Jean-Marie Gloux n'a pas eu le temps de voir la fin du conflit : il s'est éteint le 6 novembre 1918 à l'hôpital de Gisors, victime de granulie (tuberculose généralisée) ; Armand Gloux fut quant à lui tué à l'ennemi le 13 avril 1916, dix jours après son vingtième anniversaire ; le jeune Joseph Gloux succomba patriotiquement de ses blessures le 14 juillet 1917, il n'avait pas 21 ans.

A part ces trois Gloux, il y a aussi le jeune caporal de 25 ans Isidore Bérard qui disparaît victime d'une pneumonie le 12 novembre 1918, en Allemagne (Wesphalie) ; le soldat Henri Goulouand, tué dans le secteur de Vaux (Meuse) en août 1917, année de ses 21 ans ; Joseph Berthelot, soldat de 31 ans mort au Mont Haut dans la Marne, le 28 avril 1917 ; et Pierre Mariage, 20 ans, tué dans l'Oise en juin 1915 et enfin Joseph Mariage, 24 ans, disparu dans la Somme le 15 juillet 1915.

Pour sa part, Jean Guéheneu avait eu 21 ans la veille, quand il mourut de maladie le 23 janvier 1940. Marcel Laigle fut lui tué au combat à Saleux, dans la Somme, le 27 mai 1940, âgé de 25 ans à peine.

L'âge de mes fils pour ainsi dire...

Marcel Rio devait être un sous-officier. Il mourut six mois avant la fin du conflit algérien, intervenue en juillet 1962.












Le marais se meurt aussi, victime du lointain barrage d'Arzal qui a modifié le régime du fleuve et la sédimentation. Dire que jusqu'au 9ème siècle, venait ici mourir un bras de mer...

samedi 17 octobre 2015

La tombe fendue


Voilà certes quatre mois que je n'ai rien écrit. Je dois en particulier remercier tous ceux qui ont exprimé quelques regrets à ce mutisme, et tous ceux qui ont continué à jeter un œil sur ce blog dont la fréquentation s'est certes réduite, mais est cependant demeurée consistante. Je remercierai aussi celles et ceux qui sont venus, lors des Journées du Patrimoine, partager avec moi les histoires de quelques bâtiments de Guémené et celles du cimetière, lors des quatre flâneries où le soleil a bien voulu nous accompagner.

Le cimetière, justement. J'y suis revenu depuis, pour vaquer à quelques devoirs privés de souvenir et d'entretien. C'est ainsi que l'avant-dernier week-end, je passai.

C'était le samedi matin et le soleil était à nouveau au rendez-vous : un soleil d'automne encore assez fort pour jeter quelque douceur dans l'air, un soleil matinal peu élevé dans le ciel, qui diffusait une lumière rasante.

Mes tombes familiales s'éploient dans la partie basse et ancienne du cimetière, tout près d'antiques tombeaux, ternes, froids, oubliés et bien souvent désolés.

Combien de fois ai-je jeté les yeux sur ces vieilles pierres que la piété familiale passée a posé là, dans nos pieds, forçant notre chemin, et que le temps a ruiné sans possibilité de secours ? Mais qui regarde encore ces vestiges en voie de dislocation de gloires sociales ensevelies ?

Car il s'agit bien de cela : ces croix rouillées ou de pierres ternies et usées, ces enceintes de fer tordues ou en loques, ces larges pierres usées et effritées que le lichen a rongé, ces monticules de pierres qui cèdent sous le poids des ans et l'oeuvre destructrice du vent et de l'eau, sont des hommages qui se voulaient éternels à de nobles et riches familles qui, un temps tenaient le haut du pavé de Guémené, mais qui depuis longtemps en ont déserté les rives.

Elles ont laissé dans leur fuite, comme l'auraient fait des voleurs ou des populations menacées, leurs tombeaux, ce pourquoi peut-être elles auraient juré un attachement infini, une fidélité inébranlable...

Et eux, pauvres morts dépouillés de toute considération humaine, sociale ou affective, prisonniers désespérés de cette minéralité massive qui les oppresse et les confine dans la terre de Guémené, abandonnés à jamais dans leur concession perpétuelle, ils semblent, en une protestation muette, s'ébrouer, enfin regimber et, las de tant de solitude, ébranler leur paquet pesant qui s'éboule autour d'eux.

Ainsi en ce matin d'octobre illuminé et doux, je passai près d'une tombe dont la pierre bleue rectangulaire, qui en recouvre la maçonnerie de pierres grossières qui se disjoignent, est complètement fendue.



Comme à l'accoutumée, elle se trouvait sur mon chemin, importune, amas chétif, ruiné et inintelligible. Mais à ma grande surprise, mon regard fut arrêté par des inscriptions que la lumière particulière de cet instant permettait enfin de révéler. Un petit miracle, en somme.







Avec un peu d'application, on arrive à décrypter le début de la pierre tombale :

ICI REPOSE LE 
CORPS DE 
MONSIEUR 
JOSEPH DE 
BADEREAU DE 
ROCHEVILLE 
ÉPOUX DE DAME 
ADÈLE JOSÉPHINE
DE MONTRAIN
DÉCÉDÉ EN SON 
CHÂTEAU DE 
TREGUEL LE 10 
MARS 1820 
......
......

La fin semble définitivement perdue.

Joseph Badereau de Rocheville (soit disant "de" Badereau) est en effet mort à Tréguel, le 10 mars 1820, à trois heures de l'après-midi. C'est François Simon, premier d'une longue dynastie municipale guémenoise, officier d'état-civil, qui enregistre le décès du "chevalier" Joseph, rentier.

En 1820, Joseph Badereau a à peine 43 ans, étant né le 16 mai 1777, à Nantes, rue des Jacobins. Il est le fils d'un magistrat, procureur du Roi, Armand Babereau, chevalier de Bois-Corbeau.

Il fait partie d'une fratrie de huit enfants. Il épousera Adèle de Montrain avec qui il aura au moins six enfants dont trois naîtront à Guémené : Charles, en avril 1813, Elisabeth en janvier 1815 et Pierre en juin 1817, tous orphelins de père en bas âge, par conséquent.

La famille a dû investir Tréguel vers 1812.

Les Badereau habitaient Nantes auparavant, Quai Dugay-Trouin, en face l’Ile Feydeau. Les propriétaires précédents du château et de la terre de Tréguel, les Corpron, trafiquants négriers nantais retirés à Guémené au début de la Révolution où ils avaient acquis la Terre de Tréguel vendue comme bien national, demeuraient précisément à Nantes dans l'Ile Feydeau : il est donc probable que ces gens, voisins, se connaissaient et que la veuve Corpron ait fini par céder la propriété de Tréguel au fils Badereau.

La terre et le château seront d'ailleurs à nouveau vendus peu après. Un placard publicitaire de 1822, annonçant la mise en vente, permet de disposer d'une description du cadre de vie des Badereau.

La propriété était composée du château et de ce qui l'entourait ("la terre de Tréguel"), mais aussi de cinq métairies.

La terre de Tréguel couvrait 80 journaux de Bretagne, soit près de 40 hectares (un journal, surface qu'un homme pouvait travailler en une journée, valait 48 ares environ dans cette province. Ma grand-mère comptait encore la superficie de ses champs en "journaux", dans les années 60, 70 du siècle passé...).

La terre de Tréguel comprenait donc un château et son pourpris. Ce dernier correspondait à ce qui était contenu dans la propriété proprement dite, en dehors du château : "cour, ménagerie de toute espèce, superbe jardin, vergers, bois de décoration, avenues, charmilles, taillis, cerclières (châtaigneraie en taillis pour le cercle des futailles...), prés, prairies et terres labourables".

Les cinq métairies étaient : la métairie de la Porte (58 journaux / 28 hectares) ; la métairie de la Cour (40 journaux / 19 hectares) ;  la métairie des Ecobues (40 journaux / 19 hectares) ; la métairie de Fry (200 journaux / 96 hectares) et celle de Launay-Richard (40 journaux / 23 hectares).

Ces trois derniers sites sont encore des hameaux identifiés, de nos jours, les deux premiers devant se trouver autour du château.

Le total représentait de 220 à 230 hectares, s'allongeant de part et d'autre du château de Tréguel (zone plus ou moins dans l'ellipse ci-dessous), au nord-nord-ouest du bourg.



Pour en revenir à la sépulture de feu le chevalier Joseph, on pourrait s'étonner, à juste titre, de trouver dans le cimetière actuel de Guémené une tombe aussi ancienne. En effet, ce cimetière date de 1832, soit douze ans après la disparition du châtelain de Tréguel. Et ce n'est pas un cas isolé.

Il faut croire que des translations de tombes (et de corps ?) ont eu lieu après l'abandon de l'ancien cimetière qui se situait à l'emplacement de l'actuelle place Simon. Sans doute les tombes "en dur" étaient-elles le fait des seuls notables et nobliaux et que ceux-ci ont eu à coeur de "reloger" leurs défunts. Il est probable d'ailleurs, vue la localisation de ces vielles tombes, que ces transports ont eu lieu assez vite après l'abandon du vieux cimetière.

Si cela est vrai, cela veut dire aussi que douze ou treize ans après sa mort, le chevalier et rentier Joseph Badereau de Rocheville, pouvait se consoler de ce que sa famille, retirée à la Ferrière-en-Gâtinais, dans le Loiret, pensait encore un peu à lui...

Ça n'allait pas durer.