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dimanche 29 septembre 2013

Cinq Legendre à la Une


Mon grand-père maternel Legendre faisait partie d'une fratrie de six enfants : cinq garçons - dont deux jumeaux - et une fille. Etant données leurs années de naissance, les frères eurent tous le bonheur de servir leur Patrie quelque part entre 1914 et 1918. Par chance, aucun ne fut physiquement (ou visiblement) victime des combats : ni décès, ni blessure. Et si l'un d'eux mourut en 1916, ce fut platement de maladie.

On a déjà mentionné dans ce blog des victimes de la guerre de 14 - 18, des héros dont le nom orne les monuments aux morts de Guémené, de Beslé ou de Guénouvry, ou bien encore a-t-on retracé la vie de quelque valeureux survivant récompensé pour son action guerrière. Mais voici, pour une fois, le temps de survivants sans gloire, d'anti-héros qui n'en méritent pas moins le respect.

L'Epinay, ce gros village qui tire vers Avessac, vit la naissance des frères Legendre. Jean-Marie, l’aîné, vint au monde en juillet 1883. Il fut suivi des deux jumeaux en septembre 1887 : Aimé-Julien (mon grand-père) et Pierre. Puis ce fut le tour d'Emile en juin 1892 et d'Eugène, en juillet 1896. La fille (qu'on nommera ultérieurement la "Tante Jeanne") s'intercala en avril 1891.


Tante Jeanne en 1921

Au physique, ces futurs défenseurs de la France menacée ne payaient guère de mine. Les quatre plus grands mesuraient environ 1 mètre 60 ; il fallait qu'Emile se singularisât avec son mètre 56.

Leurs têtes ne racontaient visiblement pas grand-chose de particulier. Jean-Marie avait les yeux châtains, le nez et la bouches moyens, le menton rond et le visage ovale. Pierre possédait des cheveux châtains, des yeux noirs, un visage ovale, un front bas et un nez moyen. Aimé-Julien, son jumeau, était doté d'yeux gris, de cheveux et de sourcils châtains, d'un nez et d'une bouche moyens, d'un front et d'un visage ordinaires ainsi que d'un menton rond.

Emile révélait des yeux bleus, un nez busqué, un menton à fossette, un front moyen, un visage long et des cheveux châtains "moyens". Il fallait encore qu'il se singularisât par une cicatrice abdominale à droite...Eugène, le bien né, disposait quant à lui de cheveux châtains, d'yeux marrons, d'un nez moyen rectiligne, d'un front moyen vertical et d'un visage long.

Bref, ces assemblages de traits ordinaires, ces cinq représentants de la "race française", pour parler comme Céline,  issus de longues générations attachées à la glèbe et mal nourries, n'avaient rien de preux du Moyen-Age et ils ne possédaient guère cette beauté apollinienne des fiers guerriers des romans.

Mais ce n'est pas tout, hélas. L'aîné, Jean-Marie fut d'abord exempté en 1904 pour "bégaiement et surdité". Puis ce fut aux jumeaux Aimé-Julien et Pierre, d'échapper dans un premier temps au devoir national au bénéfice tous deux d'une exemption... obtenue jumellement en 1908 pour "surdité". Emile, déjà plus petit que ses frères, fut également exempté en 1914 pour faiblesse générale...Heureusement, le plus jeune n'offrit aucune résistance physique à l'impérieuse nécessité de guerroyer.

Heureusement aussi pour la défense nationale que les médecins-majors se ravisèrent et finirent par trouver que tous ces piètres corps feraient tout de même de bons soldats à l'heure où les premières salves avaient sensiblement éclairci les rangs de la Nation combattante.

Campagne de Jean-Marie Legendre

Déclaré bon pour le service en décembre 1914, Jean-Marie rejoint le 8ème Bataillon de Chasseurs à Pied à Fontenay-le-Comte (19ème escadron du Train) le 23 février 1915. Le 15 mars suivant, il est détaché à la Société de Construction des Batignolles, à Paris où il demeure au 15 de la rue Sauffroy, quartier où je suis né.

Mais son engagement dans l'effort de guerre, déjà très peu militaire, tourne court : il est réformé le 20 septembre 1915 pour tuberculose pulmonaire. Retiré à Guémené, il y décède le 4 août 1916, le jour où les Etats-Unis rachètent les Iles Vierges aux Danois.

Campagne de Pierre Legendre

Ce n'est que le 6 avril 1917 que l'Armée jugea bon de prendre Pierre en son sein. Le 62ème Régiment d'Infanterie ouvrit donc ses bras au jeune 2ème classe le 22 mai 1917. Il passa au 151ème puis 100ème Régimement d'Infanterie avant d'être évacué sans citation ni médaille le 26 août 1918.

Campagne d'Aimé-Julien

Il gagna le 8ème Bataillon de chasseurs à Pied en juillet 1915. Il disparut le 11 avril 1916 à Cumières, secteur de Mort-Homme près Verdun. On le retrouve en Allemagne sud-orientale où il finit la guerre au camp de prisonniers de Chemnitz, en Saxe, près de l'actuelle République Tchèque.

Campagne d'Emile Legendre

Emile le malingre fut incorporé au 26ème Régiment d'Infanterie le 13 décembre 1914 avant d'être réformé le 26 décembre de la même année pour...scoliose...Il ne faisait apparemment pas que feindre la mauvaise santé : il mourut à 28 ans à Guémené, en 1921.

Campagne d'Eugène Legendre

Il n'a pas 19 ans quand il intègre l'Armée en avril 1915. Il rejoint le 6ème Régiment d'Infanterie Coloniale, le 5 décembre 1915, puis le 38ème le 18 avril 1916. Il est fait prisonnier à Barleux dans la Somme le 9 juillet 1916, quatre jours après son vingtième anniversaire, puis est interné au camp de Dülmen, en Rhénanie-Westphalie, du côté des Pays-Bas (on pratiquait dans ce camp des expériences médicales qui lui valurent le surnom de "camp de la mort"). Il le quitta le 13 décembre 1918.


Ainsi, les cinq frères Legendre ne gagnèrent-ils pas beaucoup de batailles ni de gloire officielle ; ils ne versèrent beaucoup de leur sang pour la France. Ils moururent en civils, cultivateurs (Jean-Marie, Aimé-Julien, Emile), garde-signaux (Eugène) ou aubergiste au Pont de la Rondelle (Pierre). Ils ne glanèrent aucune citation pour bravoure, aucune breloque. Ils furent parfois juste des cibles vivantes et toujours les victimes d'une affaire absurde qui bouleversa leur vie comme celle de bien d'autres.


Je dispose de cartes postales figurant la fratrie en guerre. L'une est particulièrement émouvante et précieuse car elle émane d'Eugène prisonnier à Dülmen, à destination d'Aimé-Julien prisonnier à Chemnitz (Ebersdorf). Une autre d'Emile, réformé, donne des nouvelles de l'arrière (les frères, les cousins). Une troisième, d'Eugène encore, est du ton badin d'un jeune homme qui commence à vieillir au frottement de la dure vie.




"Envoi de Legendre Eugène 38ème Col. Gefangenlager Dülmen -i-Westf. Mcule 13463 
Souvenir de captivité"




"Guémené le 7 septembre 1915. Cher frère je rends réponse à ta carte qui nous a trouvé tous en bonne santé et j'espère que la carte (?) te trouve de même qu'elle nous quitte. Cher frère, j'ai reçu des nouvelles d'Eugène et Jean-Marie aussi et il va mieux qu'il a été mais il pense encore en avoir peut-être bien pour deux mois. Il ne veut pas sortir avant que d'être réformé mais il n'est pas assuré d'y être. Cher frère, Julien Grohan était en permission de 24 heures dimanche et son frère Jean est réformé et François était en permission l'autre jour, mais il est reparti dans les tranchées. Cher frère, notre cousin François Gascoin, de la Rouadière, est mort voilà huit jours. Cher frère, je ne vois plus grand-chose à te raconter car ma carte n'est pas grande assez, mais Eugène s'attend à partir d'un jour à l'autre : ça sera dur pour lui car il est jeune. Ton frère qui pense à toi et te serre la main de loin. Après je te ferrai des lettres plus souvent car  il va y avoir (?) des soirées d'hiver."





"Ne t'en fais pas je vous fume la pipe à ta santé. Je t'envoie ça pour souvenir, tu ne la perdras pas. Eugè Legendre."

L'orgue de Guémené, ce chef-d'oeuvre


On ne peut pas ne pas évoquer l'orgue de l'église de Guémené dans un blog consacré aux divers patrimoines de cette commune. J'ai toutefois longtemps différé cette entreprise car n'étant pas musicien,  j'avais un peu peur de m'y fourvoyer. Mais je ne doute pas que votre vigilance corrigera mes erreurs.

Guémené a la chance de posséder un très bel instrument signé d'un des plus grands facteurs d'orgues au monde. Une fois de plus, on mesure, au détour de cet épisode, que le clergé et les Guémenois qui s'impliquaient dans la vie matérielle de la paroisse au XIXème siècle, savaient faire montre de goût, recourant aux artistes et aux artisans parmi les plus réputés et les plus experts de leur temps.

Le 6 mai 1856, l'instrument, conçu par Aristide Cavaillé-Coll, fut livré à la paroisse où il prit place dans l'ancienne église située à l'emplacement de l'actuelle Place Simon. De tous les orgues sortis des mains du facteur d'orgues parisien d'origine toulousaine, c'est l'un des plus petit.

Le curé de Guémené était à l'époque René Daniel. Ce prêtre resta vingt ans dans cette paroisse (de 1839 à 1859). Il finit sa vie en 1887 à la Maison du Bon Pasteur à Nantes, du côté de l'église Saint-Donatien, mais fut inhumé dans le cimetière de Guémené : son orgue, peut-on espérer, retentit donc à ses obsèques.

Ce curé trouvait l'orgue décidément un peu trop petit. Cavaillé-Coll lui répondit qu'il n'y avait pas de problème à en faire un plus grand et à trouver un acquéreur de substitution pour cet instrument, n'était que l'église était trop exiguë pour accueillir un orgue plus imposant. On en resta là et l'orgue fut payé 3.000 francs (peut-être 12.000 euros).

Si Cavaillé-Coll était bien en relation avec son client, il est cependant probable que l'orgue ne sortit pas de l'atelier parisien du maître, rue de Vaugirard à Paris, mais fut fabriqué par un autre facteur d'orgues, Pierre Ménard, dont l'atelier était à Coutances, lequel se conforma aux plans du modèle de son éminent collègue.

Aristide Cavaillé-Coll, parcourut le XIXème siècle puisqu'il mourut en 1899, âgé de 88 ans. Le répertoire des instruments issus de son atelier compte près de 700 entrées concernant aussi bien des grands orgues de cathédrales, que des orgues plus petits, de choeur, de salon ou d'accompagnement. Il fut non seulement un facteur prodigue, sollicité en France mais également à l'étranger, mais aussi un artiste ingénieux, inventant divers dispositifs permettant d'améliorer son art.

C'est donc un grand honneur que de disposer d'un exemplaire sous sa signature à Guémené, dans une région où il est peu représenté, un facteur d'orgues nantais (Louis Debierre) y ayant exercé alors un quasi monopole.

L'orgue de Guémené est donc un petit orgue de choeur, en excellent état de conservation. Il a d'ailleurs fait l'objet d'une restauration en 1999 par Bernard Hurvy, facteur d'orgues nantais.

L'instrument comporte un clavier manuel de 54 notes plaquées ivoire (les dièses sont en ébène) ainsi qu'un pédalier de 18 notes.

Les orgues se caractérisent en particulier par le nombre de "jeux" dont ils sont pourvus. Un "jeu" correspond à un ton, une musicalité propre. Chaque jeu est formé de 54 tuyaux correspondant aux 54 notes du clavier. L'orgue de Guémené ne comprenant que cinq jeux, il dispose donc de 270 tuyaux (en étain, poinçonnés).

Ces jeux portent des noms étranges pour les profanes : Bourdon 8, Flûte harmonique 8, Prestant 4, Doublette 2, Hautbois 8...Les chiffres figurant à côté des timbres font référence à la hauteur des tuyaux (en pieds...) et donc, pour un timbre donné, à la hauteur d'octave à laquelle on joue. Mais je m'égare dans un domaine peu sûr pour moi...

Quand on regarde la console de l'orgue de Guémené, c'est-à-dire la partie de l'orgue où s'assoit l'organiste, on aperçoit huit "boutons" de porcelaine qui portent des noms de jeux, et que l'on peut tirer ou pousser. En actionnant ces "tirettes" (qui s'appellent d'ailleurs des "tirants de registre") l'organiste choisit les jeux, les timbres musicaux, dont il a besoin pour exécuter l'oeuvre (ce choix est appelé la registration). La registration peut d'ailleurs être laissée par l'auteur de la pièce de musique à l'appréciation de l’interprète.

La restauration de l'instrument en 1999 (qui coûta près de 30.000 euros) fut l'occasion d'un grand concert dont il n'y a pas de trace sonore à ma connaissance, mais des documents en gardent cependant le souvenir : ci-après un compte-rendu de cet événement dans Ouest-France et une reproduction de l'invitation.







Si Guémené à la chance de posséder un orgue de grande qualité, il a surtout la chance d'avoir un organiste attitré dont on peut apprécier les talents lors des cérémonies religieuses de la paroisse. J'ai déjà mentionné cet ami à propos d'un concert organisé en mai de l'année dernière en l'église de Beslé.

Il a bien voulu, de sa propre initiative, prêter son concours aux journées du patrimoine 2013, leur donnant, de ce fait, un éclat original. Ainsi, le dimanche 15 septembre dernier, à partir de 14 heures, il accueillit les visiteurs dans l'église grande ouverte où résonnait sa virtuosité. Écoutons :


dimanche 22 septembre 2013

De Guémené au Canada


Il y a quelques jours, j'ai évoqué la mémoire d'Emile Lizé, Guémenois né pendant la seconde guerre mondiale qui devint spécialiste de littérature du XVIIIème siècle qu'il enseigna à l'Université d'Ottawa. Il disparut en 1988, laissant une famille, un ouvrage et de nombreux articles. Découvreur d'inédits de Diderot et de Voltaire, il avait par ailleurs collaboré avec son épouse enseignante à des livres pour enfants qui reproduisaient, en les illustrant, des mots d'excuse cocasses de parents d'élèves.

J'ignorais en écrivant ces mots qu'Emile Lizé avait été une relation d'enfance, puis un ami, d'un des meilleurs soutiens de ce blog qui, depuis, m'a apporté des compléments d'information et des documents. Qu'il en soit grandement remercié.

Emile Lizé était né dans une famille très modeste de Guémené, aux Mortiers, "village" non loin de la route de Redon, vers la Nouasse et l'Epinay. Son parcours scolaire brillant relève d'un schéma classique : il fréquente l'Ecole Publique et est repéré par un instituteur qui lui obtient une bourse d'études. Comme déjà indiqué, il finira docteur en littérature, diplômé de la Sorbonne.

Voici la reproduction de deux plaquettes "tirées à part" d'articles d'Emile Lizé. L'un est consacré à un litige opposant deux commensaux de Voltaire à propos de quelques pommes volées dans son jardin de Ferney... J'y ajoute la reproduction de la couverture et de deux extraits d'un exemplaire de livres pour enfants co-écrit par Emile et Diana Lizé.




Occupez-vous de vos oignons, praufesseur. Je ne peux pas envoyer tous mes enfants à l'école chaque jour. J'ai huit mômes et cinq paires de chaussures et ils doivent attendre leur tour pour les porter.



 Cher Professeur, Tim était absent parce qu'on lui a enlevé deux dents de la figure.

Le hasard des recherches sur Internet m'a fait découvrir qu'Emile Lizé ne fut pas le premier guémenois à venir honorer de sa présence la Belle Province. Tant s'en faut : en 1738, Mathurin Guyon, fils de Julien et de Guillemette Gauthier s'apprête à quitter la France.

Mathurin est alors âgé de 44 ans et n'est donc plus un jeune homme. Qualifié de  "soquetier", il fabrique donc ordinairement des chaussures à semelle de bois, des sortes de sabots ouverts sur le talon. On le trouve à La Rochelle, port d'où s'expatrieront 80% des migrants français vers le Canada, au XVIIIème siècle.

Début juin 1738, cet artisan se présente chez un notaire de La Rochelle (Maître Desbarres) pour signer (il sait le faire, apparemment) un engagement : pour prix de son passage vers Québec à bord du Comte de Matignon, un gros navire de 200 à 300 tonneaux appartenant à Simon Lapointe, il payera 300 livres de sucre brut à Jean Lafargue, capitaine du navire, à l'expiration de son service.

On ne sait pas ce qu'il en advint et de ses compagnons d'émigration, tous artisans comme lui (un gantier, un cuisinier, un jardinier, un cardeur de laine). Assurément le bateau joignit le Canada français car on le retrouve plus tard au départ ou à l'arrivée d'autres traversées.

Pour finir et rester sur une note de littérature, je signale qu'un des lecteurs du blog dispose de deux ouvrages qui pourraient intéresser certains d'entre vous : les "Vieux rimiaux guémenois", de l'abbé Chenet alias Jean Régale, édition de 1939, et les "Souvenirs du vieux Guémené", fascicule de 1944 dû au R.P. Trivière (en principe).

Si c'est le cas, faites-le moi savoir et j'essaierai de jouer les utilités et de vous mettre en contact.

A très bientôt.

samedi 21 septembre 2013

Les autres combats de Marie Rolland


Le personnage de Marie Rolland, institutrice hors norme du début du XIXème siècle à Guémené, a déjà donné lieu à divers développements dans ce blog : son action dans la Résistance et ses forages pétroliers (eh oui !..) ont ainsi illustré deux facettes remarquables de cette personnalité et de ses combats.

Comme souvent, je suis tombé sans forcément le chercher sur une page internet qui apporte des éclairages nouveaux sur ses engagements, ses luttes et ses valeurs.

Loin d'atténuer l'éclat et la qualité de Marie Rolland tels qu'ils sont connus, ces éléments rehaussent encore l'exemplarité de cette femme engagée dont toute la vie est l'expression d'une énergie combattante en faveur du Droit et de la Raison si caractéristique de certains militants laïcs de la IIIème République, purs produits de l'Instruction Publique.

Je vais reprendre pour l'essentiel, ci-après, l'article trouvé dans une encyclopédie en ligne de la Franc-Maçonnerie. J'ai par ailleurs lancé d'autres investigations pour étayer certains faits avancés dans cette livraison. On aura donc l'occasion d'en reparler.

Pour rappel, Marie Rose Adélaïde Rolland est née à Plessé en 1873. Fille de modestes agriculteurs, elle reçoit une instruction primaire, puis reste à la ferme. Sa vie prend un tour décisif quand elle décide de devenir institutrice à 22 ans  : elle y arrive "en étudiant la nuit à la lueur de la bougie". Ainsi, après avoir à 25 ans passé avec succès le brevet élémentaire, devenant institutrice suppléante, elle réussit le brevet supérieur et devient titulaire.

Elle a une sœur de six ans sa cadette, Mélanie, qui lui emboîte le pas dans le métier. Les deux sœurs passent vite pour des missionnaires de l'école laïque dans une région pas forcément très accueillante de ce point de vue. Mais elles contribuent par leur action à l'essor de l'école républicaine à Guémené.

Pour rappel également, Marie Rolland avait cru que la configuration géologique de la commune de Guémené permettait d'envisager la présence de pétrole dans ses sous-sols. Elle finit par obtenir le droit de mener des forages à ses frais (et à ses dépens) dans divers village, dont ma Hyonnais où l'on peut voir un maigre tuyau métallique rouillé sortant du sol qui serait un vestige de ces vains sondages pétroliers (dommage...).

Toujours pour rappel, elle entre dans la Résistance dès juillet 1940 sous le pseudonyme d'Annick, puis rencontre le responsable du réseau Buckmaster, qui hélas sera capturé et fusillé au Mont Valérien. Annick met alors sur pied ses propres réseaux, bientôt rattachés au maquis de Saint-Marcel, dans le Morbihan.

Identifiée et recherchée par la Gestapo, elle se cache dans la région. Septuagénaire et presque impotente, elle participe activement à la Libération de l'Ouest, contribuant à la capitulation des forces allemandes de la région de Plessé (elle aurait été une des rares femmes à recevoir la reddition d'un général ennemi). Médaillée de la Résistance pour "faits exceptionnels rendus à la Résistance", elle se consacre après-guerre à la défense des droits des résistants et des victimes de guerre.

Mais voici ce qui est plus nouveau : l'engagement précoce de Marie Rolland auprès de la Ligue des Droits de l'Homme et dans la Franc-Maçonnerie.

Elle rejoint la Ligue des Droits de l'Homme (fondée en juin 1898) au début du XXème siècle. Marie Rolland se rend bientôt célèbre en intentant un procès au maire de Saint Nazaire qui avait voulu contraindre sa secrétaire de mairie à inscrire ses enfants à l'école religieuse. Elle gagne : désavoué, ce maire fut destitué.

C'est dans ce contexte, le 12 août 1906, qu'elle rencontre la Franc-Maçonnerie: elle est initiée dans la première loge du Droit Humain dans l'Ouest, à Auray. Le Droit Humain (fondé en 1893) est la première organisation, dans l'histoire de la Franc-Maçonnerie, à accueillir des femmes. 


Marie Rolland s'implique fortement dans ce nouvel engagement. Ainsi, avec Mélanie sa sœur, elle participe à la création en 1908 du Triangle de Nantes (devenue en août 1909 la Loge n° 32, puis baptisée «Guépin» quelques années après) dont Marie Rolland est le premier Vénérable (présidente). Avec Mélanie encore, elle fonde les loges de Rennes et de La Roche-sur-Yon que d'ailleurs les deux sœurs fréquenteront.

Dans ces loges elles militent ardemment pour l'émancipation de la femme, l'amélioration du sort des travailleurs et l'éducation des enfants et des adolescents. Présentes dans tous les congrès et Convents (assemblées générales) du Droit Humain, elles prirent une part active à ses travaux.

Ainsi, en 1912 Marie Rolland est députée de la loge d'Auray et prend la présidence du Convent, tandis que Mélanie, députée de la loge de Nantes, rapporte sur la question sociale consacrée au travail des femmes dans l'industrie. Au Convent de 1913, Marie rapporte sur la question sociale (la nationalisation de l'enseignement). En 1921, Marie Rolland occupe le "grade" de deuxième Surveillant ("adjoint" du Vénérable) et Mélanie celui de Secrétaire (personne qui tient le journal des travaux de la loge).

Les sœurs Rolland vont  connaître une grande ascension dans les instances dirigeantes de l'organisation maçonnique. Ainsi Mélanie est élue au Conseil National dont elle devient la trésorière, puis réélue en 1924 pour un second mandat. Marie fait partie du Suprême Conseil de 1929 à 1946 atteignant par conséquent - comme Mélanie - les plus hauts degrés de responsabilité.

La vieillesse et les événements n'éloigneront pas Marie Rolland de la Maçonnerie: en 1945, elle aide en effet à la reconstruction de la loge "Guépin" à Nantes et de la Fédération française du Droit Humain. Elle assiste à son premier Convent d'après la guerre, en 1945.

Marie Rolland s'est encore investie dans de nombreux autres domaines : outre le pétrole déjà mentionné, elle s'intéressa au kaolin, à la remise en exploitation d'ardoisières désaffectées ou à l'installation de laiteries coopératives !..

Retraitée à partir de 1929, elle se retire en Dordogne et achète une ferme à Limeuil où sa sœur Mélanie la rejoint. Elle s'initie à la culture du tabac, reprend ses projets de création d'une laiterie mais revend la ferme. Elle s'installe alors à Mérignac avant de revenir à Guémené-Penfao où, avec Mélanie, elle achète une petite maison au Bout des Ponts. Elle y meurt d'une crise cardiaque le 21 mai 1947.


Grande femme dont je n'ai même pas une photo à montrer !

mardi 17 septembre 2013

Patrimoine de Boisfleury


Après samedi : dimanche. Après la pluie : le beau temps. Après le "patri-moins" : le plus de Boisfleury !

Et du coup, super dimanche du patrimoine à Guémené. J'avais en effet décidé de faire la seule visite concernant Guémené figurant au programme officiel, à savoir celle du château de Boisfleury. Je la recommande à ceux qui n'auraient pas encore eu la chance d'y aller à cette occasion : les propriétaires vous font faire le tour du...propriétaire avec beaucoup de disponibilité et d'enthousiasme. Car cette propriété, achetée dans un état d'abandon et de délabrement avancé, retrouve année après année, sous leur action (ils mettent eux-mêmes la main à la pâte), un lustre tout à fait sympathique.

L'intérêt de cette visite réside notamment dans le fait que la propriété reflète assez bien ce que pouvait être, encore au siècle passé, une gentilhommière rurale. L'ensemble est en effet dédié aux plaisirs et au modèle économique d'une maisonnée de hobereaux : la chasse et la propriété agricole.

Mais d'abord quelques souvenirs d'enfance.

La meilleure amie de ma Grand-Mère Gustine s'appelait Bertine Brétécher. C'était une petite veuve au nez retroussé et au teint mat, qui portait un petit chapeau le dimanche. Elle habitait non loin de La Hyonnais, entre le Pivert et l'ancienne gare en haut du Boulevard de Courcelles, mais elle travaillait chez Monsieur Henry, colonel Potiron de Boisfleury et maire.

Elle venait souvent à la maison siroter du café et des petits verres de cerises à l'eau-de-vie et palabrait de sa petite voix pointue et chantante avec ma Grand-Mère : c'était des racontars vaguement scandalisés sur la vie au château et, bien sûr, les effroyables histoires de morts et de maladies dont ces vieilles femmes se repaissaient : cancers horrifiques, delirium tremens spectaculaires, accidents agricoles bien sanguinolents... des enterrements à n'en plus finir...des enfermements à Pont-Piétin...

Je me rappelle aussi d'une histoire de serres du château emportées par la tempête : il y avait dans le fond de la voix qui racontait l'incident une sorte de morale ancillaire et grecque, où la déploration par la domestique fidèle des malheurs du Maître se mêlait d'une sorte de satisfaction envieuse de la catastrophe qui frappe celui - le riche, le puissant - qui entreprend de forcer la nature.

Et il y a la figure du colonel-maire, le dimanche au sortir de la messe, ses malheurs, son veuvage...

Bref, le Boisfleury m'a bourdonné aux oreilles pendant bien des années et forcément je ne l'évoque pas sans en percevoir encore l'écho.

Et maintenant un peu d'histoire (de mémoire : pardon pour les approximations).

C'est sans doute vers le milieu du XVIIIème siècle que les Potiron - grand commis de la noblesse du coin, mais pas nobles - vont acquérir cette propriété auprès de la famille de Bruc, passant socialement du statut de Potiron à celui de Boisfleury, autrement dit de celui de citrouille à celui de carrosse...(j'ai osé). Au départ, il s'agit d'un pavillon de chasse assez modeste, sans étage ni combles et sans ailes. Des travaux d’agrandissement seront effectués à plusieurs reprises et dès avant la Révolution, qui conduiront à l'état du château tel qu'on le connaît.

Le manoir fut épargné à la Révolution. La propagande antirévolutionnaire (due à un certain Henri Finistère, écrivaillon et très médiocre historien), qui aime à brocarder les tenants du nouvel ordre, fait du chef de la gendarmerie de Guémené de l'époque (un Bleu, donc) une espèce de rustre sanguinaire balourd mais bon enfant quand même, une sorte de Barbe-Bleue mâtiné de Sergent Garcia. Le commandant Mathurin Pinsmil - c'est son nom - aurait mangé du ci-devant à son déjeuner, mais il avait du sentiment : venu à la tête de ses troupes pour mettre à sac la propriété accusée d'héberger des contre-révolutionnaires, il se serait débrouillé pour l'épargner car, maçon, c'est lui qui l'avait construite !

Je vous propose à présent la visite.

Une longue et large allée arborée conduit au coeur de la propriété. Le château se présente à l’œil dans sa simplicité et dans la blancheur de sa pierre. Son origine modeste et ancienne fait que ses pièces sont peu hautes (2 mètres 62) pour ce genre de bâtiment. La toiture est récente et est l'oeuvre de l'excellent M. Coquelin de Guémené dont le grand-père, déjà couvreur, entreprit la réfection en son temps...On distingue sur la lucarne centrale des combles deux blasons : on y reconnait celui des Boisfleury à gauche avec l'aiguière dans le cercle (je n'ai pas identifié l'autre).





On poursuit pas la gauche où, comme un château de Stroumpfs, trône, dans une prairie non loin d'un petit étang, un "pigeonnier" à meurtrières fort ancien. Il fait penser aussi au Hameau de Marie Antoinette à Versailles.











On revient vers la ferme ceinte d'une belle bordure de palis dressés, qui reste à restaurer avec ses dépendances. L'écurie (ou l'étable) était derrière de sorte que les bêtes pouvaient sortir directement vers les champs.



La promenade continue à l'arrière de cette ferme où l'on croise un Saint-Hubert de bronze aux allures de Robin-des-Bois sur un piédestal rustique de gros cailloux. Il s'agirait d'une oeuvre du milieu du XIXème siècle. Derrière le patron des chasseurs, le champ descend vers la vallée du Don. Les bâtiments en contrebas sont une ancienne menuiserie.





On pénètre ensuite dans un sous-bois et l'on rencontre la grotte au renard, étrange rocaille où se plaque et s'enroule sur la caillasse une gargouille qui rappelle un renard. Cette grotte était en réalité une fontaine.





A la sortie de cette partie boisée, on débouche sur la serre à semis. Elle est d'époque (mais laquelle !?) : à noter en contrebas à droite de la porte d'entrée un foyer (rouillé) , qui permettait de faire du feu et de chauffer ce petit édifice. Le dernier valet de l'antique maisonnée Boisfleury entra en service, paraît-il, à 14 ans au château avec pour mission de s'occuper du feu de la serre...





Plus haut, en revenant vers le château, on aborde un quadrilatère clôturé d'un haut mur de pierres bleues : . C'est l'antique potager (les légumes ne risquaient pas de s'échapper !). Il est bordé de pavillons où l'on devait entreposer des outils et de bâtiments à étage dont l'un servait de buanderie. Au centre se trouve la tête d'un puits de 17 mètres de profondeur (de section carrée de 70 cm de côté : ça a dû être facile à construire !) qui, à dire de propriétaire, rejoindrait le Don souterrain...





En sortant du potager, on tombe sur l'abri où loge le pressoir à cidre et, non loin, sur le four dont la restauration est presque terminée.




 Sur la droite tout un ensemble de bâtiments très intéressants. Commençons par la chapelle. Elle n'a rien d'ancien. Il n'y en avait tout simplement pas dans cette propriété et ce sont donc les nouveaux propriétaires qui ont entrepris d'aménager un corps de bâtiment en chapelle. Tout vient de leur art et de leur travail : le clocheton, les vitraux, le pavement de palis en forme de croix, l'autel, la voûte lambrissée, la tribune en surplomb....






On passe ensuite à un premier chenil, le petit chenil, où une pauvre maman traîne péniblement mais stoïquement neuf chiots d'un mois suspendus à ses mamelles meurtries.






Et c'est enfin le grand chenil avec sa cour et son belvédère à chiens (pylônes et rambarde d'origine), son portail aux piliers ornés à leur pied de deux pierres bleues sculptées figurant un chien. La façade du bâtiment du fond porte des tuffeaux également sculptés évoquant la chasse dont les plus bas ont été usés par le grattement des chiens de sorte que les motifs en sont effacés.








Et c'est là hélas que le tour s'achève. Voilà une heure de bien trop vite passée. Reste à remercier chaleureusement les "nouveaux" hôtes de Boisfleury et à partir. Vivement l'année prochaine !

Je dois ajouter à ce bilan des journées du patrimoine 2013 à Guémené une visite à l'église avec concert d'orgue. Dès que j'ai un moment, je vous montre ça. A bientôt.