Les vitraux des chapelles du transept de l'église de Guémené et ceux qui dominent le choeur et l'abside sont très intéressants aussi bien du point de vue artistique et patrimonial, que du point de vue historique et social.
En effet, ces vitraux colorés ont été fabriqués par des maîtres-verriers réputés de l'Ouest de la France et ils ont été financés par des familles qui comptaient à Guémené.
Je n'ai jamais entendu parler par personne de ces vitraux que tout le monde peut contempler depuis un siècle environ : ils sont là, fausse évidence, estompés par le regard routinier de ceux qui passent humblement pour leur Dieu et non pour l'art et la vanité des hommes.
C'est par hasard qu'à Noël dernier j'ai découvert que ces ouvrages comportaient une dédicace ou le nom d'un donateur, ainsi que celui de l'atelier où ils furent conçus et réalisés.
Je m'occupe à présent de la paire de vitraux et de la rosace qui se trouvent à la droite de l'autel (les illustrations sont en fin d'article).
Les deux vitraux sont dédiés à la mémoire de Louis-Marie Philippe de Becdelièvre, Marquis du Brossay, et à celle de son épouse, Henriette-Marie Elisabeth Le Viconte de Blangy. Ils sont l'oeuvre du vitrailliste Jean Clamens.
Philippe de Becdelièvre, né le 28 janvier 1830 à Nantes, était le lointain descendant (15 générations se sont écoulées) de Pierre de Becdelièvre, Seigneur de Bouëxic en Guipry.
Il était aussi le grand-père de feu le mari (et le marquis) d'Etiennette de Poulpiquet du Halgouët que je me rappelle avoir vue dans les années 60 compter son blé avec ses métayers du Brossay (ma mère croit se souvenir qu'enfant, à l'Ecole Sainte-Marie où elles fréquentèrent de conserve, il la fallait voussoyer).
J'en sais peu sur son épouse, sinon qu'elle était née en 1834. Le couple se maria à Paris le 1er mars 1859 dans le XIIème arrondissement d'alors (qui correspond à notre 5ème arrondissement d'aujourd'hui, mais plus étendu au sud et au sud-est). Ils eurent huit enfants dont Henry, leur aîné.
Le Marquis s'éteignit le 14 février 1882 en son château du Brossay à Guémené et la Marquise, en septembre 1905, à Guémené également.
L'artiste pressenti pour les vitraux s'appelle Jean Clamens. Jean Clamens est né à Toulouse en 1850 et est venu à Paris pour y étudier le dessin et faire carrière. Mais c'est en Anjou qu'il se fixe, vers 1875. En 1878, il travaille en tant que verrier pour la maison Truffier avec le gendre de Truffier et le figuriste verrier Victor Megnen.
Deux ans plus tard, après la retraite de Louis Truffier, Clamens s'associe et ouvre des ateliers situés au 1er du Boulevard du Roi René à Angers. Une succursale est ouverte à New-York, une seconde à Paris.
En 1895, l'association prend fin. Jean Clamens continue, aidé notamment de son fils Victor qui lui fournit les cartons pour les vitraux. A la mort de Clamens, en 1918, sa veuve poursuit encore quelque temps l'entreprise, aidée par le contremaître.
De Jean Clamens on admire, entre autres oeuvres, une importante série de vitraux sur la guerre de Vendée (en particulier la vie de Cathelineau, au Pin-en-Mauges).
Ses deux vitraux de Guémené représentent les saints patrons des dédicataires : Saint Philippe et Sainte Elisabeth.
Dans la partie supérieure des ouvrages, les deux saints sont figurés sous une sorte de dais. Comme chacun sait (!), Saint Philippe est un des douze apôtres. Il a pour attributs un livre et une croix rappelant qu'il fut finalement crucifié (la tête en bas, ça lui faisait les pieds).
Sainte Elisabeth de Hongrie était une princesse du 13ème siècle : d'où la couronne dont (comme on dit) est ceint son front. Elle était bonne et portait, en secret de son mari, du pain aux pauvres : celui-ci l'intercepte un jour et la questionne rudement : "Que caches-tu dans ton manteau, perfide ?" - "Des roses, mon doux seigneur...". - "Menteuse, fait voir !, rétorque le butor." Et voilà qu'en en effet, au lieu de pain, il s'agit de roses, bien miraculeusement comme prévu...
Sans surprise par conséquent, Jean Clamens a montré d'une part, Saint Philippe prêchant aux Juifs et, d'autre part, le miracle des roses de Sainte Elisabeth.
Le bas des deux vitraux est consacré à la dédicace et à la signature de l'oeuvre datée de 1916, soit donc de la dernière période du Maître qui mourut deux ans plus tard.
Le bas des deux vitraux est consacré à la dédicace et à la signature de l'oeuvre datée de 1916, soit donc de la dernière période du Maître qui mourut deux ans plus tard.
Une dernière mention pour la rosace qui surplombe les deux vitraux. Elle figure la couronne de marquis surmontant les blasons des deux familles : de sable à deux croix d'argent au pied fiché et tréflé accompagnées d'une coquille de même en pointe, pour les de Becdelièvre ; d'azur, à trois coquilles d'or, sans oreilles (?), pour les Le Viconte de Blangy.
On peut y lire encore la devise des Becdelièvre : "Hoc tegmine tutus" qu'on peut traduire par quelque chose du genre : "Voici un abri sûr".
Ce nouvel exemple témoigne une fois de plus du goût artistique assez sûrs des commanditaires des oeuvres qui ornent l'église de Guémené. Il devait donc régner sur nos chaumines de pauvres, vers 1900, une élite non seulement fortunée, mais aussi cultivée. C'est toujours une consolation.
Les couronnes nobiliaires, de chevalier à roi
magnifiques !
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