Rechercher dans ce blog

lundi 9 juin 2014

Pierre Fidèle n'amasse pas mousse


Il est des décisions dont la portée est incalculable.

Nul doute que, le 20 août 1899 quand Fidèle Simon (fils) est sur le point de réunir son Conseil Municipal et qu'il noue sa cravate devant sa glace, c'est plus la mauvaise conscience résultant d'imminents petits arrangements entre amis que la prescience d'une bonne action en faveur d'un jeune destin qui le titille.

Mais, dans le fond, son fidèle Gilles Durand, ce Premier Adjoint inusable, sera absent de cette séance : cette délicatesse devrait suffire à apaiser les scrupules.

Hormis celui-ci donc, il sont tous là, réunis dans la grande salle nue du rez-de-chaussée de la Mairie : Bernard, Taillandier, Gascoin, David, Clavier, Amossé, Alliot, Drion, Desvaux, Bréger, Radigois,...bientôt rejoints par Plédel, Perrigaud et Chapron. Pas d'erreur : à l'énoncé de ces patronymes, nous sommes bien à Guémené.

L'ordre du jour de la séance est copieux et tourne autour de la plupart des sujets qui agitent ordinairement une municipalité rurale : payer une réparation du presbytère ; financer un nouveau chemin entre St-Georges et Mézillac ; acheter un avant-train hippomobile pour tracter la pompe à incendie ; valider les comptes de la Fabrique de Beslé ; adopter le règlement de l'assistance médicale gratuite (un sujet de dispute avec le préfet...) ; approuver une dépense de 22 fr. 98 pour la destruction des hannetons (618 kg d'éliminés !) ; demander une dispense de période militaire pour deux soutiens de familles, le gars Poitral du Bot et Pierre Debarre du Verger.

Et puis l'inventaire à la Prévert des sujets continue :  il y a cette lettre du Conseil de Fabrique de Guémené qui demande le transfert "des restes mortels" de l'Abbé Revert dans l'église dont la construction fut l'oeuvre épuisante de sa vie ; suivie de la demande de deux étalons pour la station de monte de Guémené ; la construction de trottoirs ; la dette de 8000 fr. de la Fabrique de Guémené pour la construction de l'église à éponger....

Toutefois la fin du tunnel apparaît enfin.

Douzième point : "M. le Maire propose au Conseil Municipal de donner un avis favorable à la demande de M. Durand Pierre Fidèle concernant une bourse avec trousseau à l'Ecole du Service de Santé de Bordeaux".

La raison de cette proposition pourrait être le caractère prometteur du jeune homme, ses bons résultats scolaires, joint à la modicité des revenus de ses parents...(peu probable, cette dernière, vu qu'il est déjà bachelier). Mais M. le Maire argumente : "...attendu que son père, M. Gilles-Fidèle-François-Marie Durand, adjoint au Maire de Guémené depuis plus de vingt ans, a rendu de grands services à la commune..."

Bref, Pierre Fidèle aura son trousseau car c'est le fils de papa Gilles Fidèle, qui est le copain de Fidèle...

Ainsi, comme un seul homme, les Taillandier, Gascoin et autres Amossé de service, "après en avoir délibéré", rendent un avis favorable à la dot du futur médecin-major de la Marine.

Mais après tout, on peut vérifier l'usage que fit Pierre Fidèle de l'argent que les contribuables guémenois lui confièrent pour les beaux yeux de papa ? en fut-il seulement digne ?

Ce jeune homme était né le 5 août 1877 à Guémené. Il fit certainement d'assez bonnes études. Vers l'âge de vingt ans, le Conseil de Révision le saisit dans la situation d'aspirer au doctorat en médecine, ce qui lui vaut un sursis d'incorporation.

Fort du trousseau payé par la Commune, Pierre Fidèle est nommé élève du Service de Santé de la Marine ("Santé Navale", dans le jargon) en septembre 1899. Il s'y présente avec son baluchon municipal le 20 octobre 1899.

Ce n'est pas rien, "Santé Navale" : créée à Bordeaux par une loi du mois d'avril 1890, cette école est placée sous les ordres d'un directeur du service de santé de la Marine assisté d'un sous-directeur et d'un certain nombre de professeurs, médecins et pharmaciens de la Marine.

Les éleves proviennent d'une des trois écoles annexes de Brest, Rochefort ou Toulon. Ils ne sont admis à Bordeaux qu'à la suite d'un concours qui a lieu tous les ans dans ces trois ports militaires.

En entrant à l'école, les élèvent contractent un engagement militaire de trois ans et s'obligent à servir six ans dans le corps de santé de la Marine ou dans celui des troupes coloniales.

A leur sortie de l'école, ils sont nommés médecins ou pharmaciens auxiliaires de 2ème classe de la Marine, puis médecins aide-majors des troupes coloniales pour ceux qui ont opté pour ce corps.




Le matricule 504 Pierre Fidèle n'est pas un colosse et, quoique bien nourri, il ne dépasse pas les 1 m 64. Il a le poil brun, des yeux gris et un visage rond accommodé d'un long menton.

Il accomplit sa formation de médecin militaire colonial probablement sans encombres.

Le 15 janvier 1903, à à peine 26 ans, le jeune carabin s'embarque pour le Sénégal et le Moyen-Niger alors en guerre. Puis c'est la Haute-Guinée, également en guerre, à partir de novembre 1903, jusqu'en octobre 1904. Il est affecté au 1er Régiment de Tirailleurs Sénégalais en qualité de médecin aide-major de 1ère classe. Il changera d'affectation en novembre 1904, rejoignant alors le 1er, puis le 4è, Régiment d'Artillerie Coloniale.

De retour en métropole, il se marie à Lorient en novembre 1905.

Il est ensuite désigné pour servir au Tonkin en février 1906 et il passe alors au 10è Régiment d'Infanterie Coloniale. Il servira en Extrême-Orient français de mars 1906 à mai 1908.

Il achève son service au 1er Régiment d'Artillerie Coloniale en 1908, avant de prendre un congé de trois ans en janvier 1909 et de finalement démissionner en août 1911.

Décoré de la Médaille Militaire (agrafe de l'A.O.F.), il profite du retour à la vie plus ou moins civile pour avoir un ou deux enfants (deux filles lui naissent vers 1908, dont une à Lorient ; une troisième viendra en 1917, à Guémené).

La guerre de 14 le rattrape, comme bien d'autres. Il a 37 ans au moment de la mobilisation. Il rejoint l'ambulance 14/22 en formation à Paris, en tant que médecin-major de 1ère classe. En juin 1916, il est affecté à l'ambulance 8/22 : en juillet il est promu médecin-major de 2è classe.

En mai 1917, il est mis à la disposition de la place de Lorient. Il est alors affecté à l'hôpital du Lycée de Lorient, avant d'être envoyé à Brest.

A la fin du conflit mondial, on le trouve provisoirement médecin communal à Scaër et il termine la guerre au dépôt du 1er Régiment d'Artillerie Coloniale.

En janvier 1919, il est mis en congé illimité de l'armée et regagne Guémené avec femme, bagages et filles.

En 1921 il figure au recensement de Guémené comme "docteur". Il y demeure avec sa femme, une de ses filles et une jeune domestique.

Le 6 septembre 1922, à Nantes, le Général de brigade Claudon "après avoir fait prendre les armes à la troupe...fait placer devant le front de bataille M. Durand médecin-major de 2è classe de réserve, nommé chevalier de la Légion d'Honneur, à l'effet de recevoir cette qualité".



L'honorable légionnaire perd sa femme dans les mois qui suivent son élévation au grade de chevalier avant de s'éteindre lui-même en sa commune natale, le 7 avril 1928.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire