Fin février 1750, à Guémené, la nature se mit à frémir comme ailleurs, annonçant à certains indices le printemps, ainsi qu'il en allait année après année, et qu'il devait en aller encore pendant pas mal de temps.
Où qu'ils fussent en la paroisse, mes ancêtres, qui ignoraient l'effort commun auquel ils concourraient en procréant obscurément dans leur coin - je veux parler de ma venue sur Terre, deux siècles plus tard -, songeaient, sans penser plus loin, aux moissons de l'année dont il faudrait s'occuper.
Mathurin Simon, de la Bottais, Jeanne Houguet ; Mathurin Parageaud et Anne Leglet, de Lépinay ; Guillaume Lethu et Angélique Houguet, de la Nouasse ; René Guenet, du Luc, ou Julien Amossé, du Bas-Luc ; Julien Heurtel, Julienne Durand, de la Mignonnais, Vincent Guérin, du Calvaire, Jeanne Bréger ou Julien Perrigot, des Drieux ; Julien Dubourg et Jane Clavier, de Tréguely ; Julien Janvresse, des Mérions, Michelle Hervé, René Leglet ; Pierre Lagrée, de la Mignonnais ; Jean Orain et Julienne Sassier, du Bourg ; François Plantard, des Porteaux ; Françoise Simon : tous, de tous ces lieux épars de Guémené où le destin les avait posé, n'avaient en réalité qu'une même préoccupation, à savoir manger en 1750.
Ainsi, ces paysans mes aïeux (il y avait un notaire, toutefois) commençaient-ils prosaïquement de s'ébrouer afin de secouer la torpeur du long hiver à peine ponctué de la tuerie du cochon ou de quelque mariage alentour.
Heureusement, il était un être en ces contrées dont les aspirations, pour lui-même et sa communauté paroissiale, étaient plus élevées : je veux parler de Julien Brohan, recteur de Guémené depuis 1744, après y avoir rempli la fonction de vicaire de son prédécesseur pendant onze ans (il restera en poste jusqu’en 1756).
C'est que ce brave homme veut le bien de son troupeau d'âmes, et pour ce faire, il a l'idée de commander une "Mission".
Une Mission, c'est bien, ça amène un peu d'animation. Ça change, ça permet de laver la crasse d'impiété, fruit de la négligence des devoirs religieux, ça redonne un peu de tenue morale et catholique à ces brutes de paysans que les grandeurs des règnes de Louis XIV et de Louis XV ont hélas épargné.
A cette époque justement, il existe une société de nettoyage des âmes qui s'est montée depuis peu et qui s'est spécialisée dans l'action de terrain dans la région. Il s'agit de la Communauté de Saint-Laurent sur Sèvre (son siège en Vendée, alors en Poitou), fondée par le Bienheureux Louis Marie Grignon de Montfort, qui ne tarde pas à devenir la Compagnie de Marie.
Et c'est ainsi que le dimanche 1er mars 1750 débarque à Guémené une escouade de six Pères Maristes venus pour le mois. On connaît leurs noms : Audubon (c'est le Supérieur de la Compagnie), Hacquet, Javeleau, Albert, Besnard et frère Mathurin.
Deux des participants énoncés ci-dessus ne sont d'ailleurs pas des seconds couteaux
Audubon, né aux Sables-d'Olonne en 1710, se joint aux missionnaires de Saint-Laurent en 1742. Il est supérieur de la compagnie à partir de 1749 et donc au moment de son raid sur Guémené.
Audibon |
Besnard quant à lui naît à Rennes en 1717. Il se joint aux missionnaires en 1743. Il a 38 ans lorsque, sur indication du P. Audubon ratifiée par les confrères, il devient à son tour supérieur.
Besnard |
Selon toute vraisemblance, des "exercices" et des messes étaient proposées aux populations chaque jour. Ces "exercices" pouvaient consister en prêches, catéchisme, chants du chapelet, confessions, etc....
Ils pouvaient être complétés d'une grosse gâterie, genre : une petite Amende Honorable ; ou encore : une mignonne Rénovation des vœux de Baptême ; ou bien, pourquoi pas : une bonne grosse Consécration à la Sainte Vierge.
Le tout avec beaucoup d'éclat et de chantilly, si possible.
Il paraît que la mission à Guémené fut très fervente. C'est toujours ça, car il semble que ça n'est pas toujours été le cas, et que le "peuple" pouvait se montrer "indifférent, peu dévot et [ça c'est le plus dur] encore moins généreux"... Ainsi, les bons Pères n'hésitaient apparemment pas à taper à la caisse du "peuple".
Le pic de la fête se tint le Vendredi Saint 27 mars. Les missionnaires s'en allèrent en effet, avec grand renfort de peuple et de chants, planter une croix sur la Grée (Bréhaud, sans doute) à la place d'une croix qui s'y trouvait déjà.
Enfin, le 30 mars, après avoir ensemencé les esprits de Guémené des bons principes de la sainte religion, les bons Pères remballèrent leur marchandise et décampèrent.
C'est le brave recteur Brohan qui a le dernier mot : "Cette mission était d’autant plus nécessaire et a plus profité qu’il y avait treize ans qu’il n’y en avait eu une par des capucins."
Treize ans, c'est long.
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