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samedi 20 avril 2013

Comment Hyacinthe Evain soigna le Père Nouël


Louis Nouël et Hyacinthe Evain ont un point commun : le nom de chacun de leurs pères est différent du leur : Noël pour l'un, Evin pour l'autre. Cela n'a bien entendu aucune importance et sans doute que dans la vraie vie, la leur, cela n'en avait aucune non plus. Ils étaient probablement bien les fils de leurs pères.

Et puis surtout, bien d'autres choses pouvaient les rapprocher : l'âge à certains égards, même si onze années séparaient leurs naissances ; la particularité de leurs deux occupations, différentes de celles - agricoles - de la majorité des habitants de Guémené, puisque l'un était meunier et l'autre, hongreur.

Mais à tout prendre, comme souvent à Guémené chez les hommes, c'est peut-être un goût partagé de la boisson qui les unissait le plus (en tout cas si l'on en croit les chroniques), jusqu'à la survenue de l'incident qui fait la matière de ce récit et qui dut sceller à jamais leur amitié commune.

La famille Noël ou Nouël a, pendant trois générations, marqué de son empreinte un petit coin caché de Guémené, à savoir l’Étang de la Vallée et son moulin à eau. C'est en effet là que pendant 70 ou 80 ans, cette lignée travailla au moulin en tant que domestique, farinier ou meunier.

Il y a beaucoup de mélancolie attachée à cet endroit déserté de longue date et qui ne bruisse plus de l'activité du moulin, aujourd'hui en ruine, ou de ses habitants, aujourd'hui oubliés. Quand on quitte la route de Guénouvry pour s'engager dans le village de Mézillac, et que l'on poursuit le chemin qui tourne court et pentu vers le fond de la vallée du Don, longeant le ruisseau qui descend dans les fourrés bordant la route, on tombe sur l'étang, encaissé dans une pause de la forte déclivité, couvert de nénuphars et barré au nord par une petite écluse qui commandait jadis à l’alimentation de la roue du moulin (des illustrations en fin d'article).

Et puis la route passe devant le moulin et plonge vers le Don, jusqu’au gué où, guère plus loin, confluent les deux cours d'eau. C'est là que jadis nous venions pêcher ou nous baigner dans le cours caillouteux de la Dana des celtes. J'aimais ces pierres luisantes, ces schistes anguleux bleu sombre et rouille sur lesquels nos pieds glissaient et dont nous faisions de précaires constructions.

Je ne sais plus à quelle occasion cela fait référence, mais j'ai aussi le souvenir diffus d'une guérite près de l'étang où un bonhomme moustachu vendait des galettes et des saucisses (est-ce possible ?) : ma grand-mère était avec nous. Sans doute quelque promenade, un dimanche d'été des années 60, ou bien un rêve nostalgique...

Louis Marie Nouël est né le 30 avril 1864 au moulin de la Vallée. Il est le fils de Julien, meunier. Louis épousera Marie Clavier le 7 octobre 1894 à Guémené, dont il aura plusieurs enfants dont Xavier, meunier à son tour.

Le père de Louis, Julien, né en 1824, est fils d'un cultivateur du lieu et sera employé comme domestique chez Meslin, le farinier du moulin de la Vallée dans les années 1840-1850. Il prendra sa suite en tant que meunier. Je ne saurais dire avec certitude la nuance entre un farinier et un meunier. Disons que le meunier moud le blé en farine et que le farinier fait commerce de la farine. Souvent bien sûr, meunier et farinier ne font qu'un.

Et puis voilà que Louis est victime d'un grave accident. On raconte qu'un beau jour, alors qu'il a 30 ou 40 ans, tandis que la nuit gagne le fond de la vallée du Don, sa manche et sa main sont prises dans les meules de son moulin. Il crie pourtant à son valet de fermer la vanne de l'eau qui alimente la grande roue à aubes.

Mais dans la précipitation, le valet se trompe de mouvement et au lieu d'arrêter l'arrivée de d'eau, il en augmente le débit avec pour effet d'accroître la vitesse de la roue. Bref, malgré sa force légendaire, Louis Nouël ne peut éviter que sa main et son bras ne soient happés et broyés.

Une fois la vanne fermée, le meunier réussit à dégager son membre meurtri. Ce n'est plus qu'un amalgame informe de chair et d'os sanguinolents. Sans perdre son sang-froid,  le blessé saisit un sac à farine dont il entoure sa blessure. La farine restant dans ce sac de jute permet de colmater le saignement.

Mais compte tenu de la gravité de la blessure reçue, une intervention s'avère nécessaire, Louis en est bien conscient. Un bon coup d'eau-de-vie pour la route et le voilà à parcourir les trois kilomètres et demi qui le sépare du bourg de Guémené, en coupant par le Bois de Juzet.

Sa destination est précisément la maison de Hyacinthe Evain. Celui-ci demeure alors rue de l'Église.

Hyacinthe était le fils d'aubergistes du bourg et, comme on l'a dit, il exerçait la profession de hongreur. Ce faisant, il vouait donc son existence professionnelle à la castration des chevaux. Sans doute cette vocation ne suffisait-elle pas à remplir totalement ses aspirations existentielles et matérielles. Plusieurs sources attestent qu'il s'était en effet lancé dans une diversification stratégique de nature aussi à remplir sa bourse (si je puis me permettre).

Un témoin assure ainsi qu'il ne rechignait pas à prodiguer ses soins aux humains, considérant que ces derniers pouvaient présenter des points de convergence biologiques et physiologiques intéressants avec les animaux. Je n'imagine pas le pire, et la chronique ne dit pas qu'il y eut à l'église de Guémené plus de chantres à voix de fausset qu'ailleurs, dans ces années-là. Non, on venait simplement prendre son conseil et ses soins, à l'instar de Louis Nouël pour son bras.

Jean Régale, alias l'abbé Chenet, célèbre auteur de contes en patois de Guémené, le met en scène dans l'un d'entre eux, "la truie à Nanon", apportant un éclairage sur ses talents.

Pour ceux qui n'auraient pas encore lu ce conte (que j'ai mis en ligne il y a longtemps sur ce blog), l'histoire est la suivante. Nanon dispose d'une belle truie qui soudain devient anorexique et dépérit. Elle ne sait comment la guérir de sa langueur. Sur les conseils d'une vague parente, elle consulte Hyancinthe Evain.

Nous disposons par conséquent d'une témoignage sur le vif concernant l'art de ce Charles Bovary de Loire-Inférieure. 

Ainsi Hyacinthe, en vrai clinicien, regarde l'animal malade, le tourne et lui tape sur le ventre. L'examen minutieux exécuté, il prescrit une purge à l'oseille et un "tas de poison" à mettre dans sa pitance.

Las, ce premier traitement échoue et Nanon revient le consulter un jour où, visiblement, il avait bu un petit coup. Le jugement médical illuminé par la boisson, le praticien lui tient le raisonnement suivant : sa truie ne veut rien prendre alors qu'il y a plein de gens qui ne se refusent rien. Par exemple, les marguilliers (ces responsables des affaires temporelles de la paroisse nommés par le curé) sont des sacrés soiffards toujours prompts à s'envoyer un pot. Il suffit donc que Nanon se rende à la Cure pour faire nommer, par le curé, sa truie marguillière...

Enfin, il faut croire que Hyacinthe Evain en valait bien un autre pour ce qui était de soigner les humains. Car s'il comprit tout de suite qu'il ne pouvait rien faire en tant que "chirurgien" pour aider son ami Louis Nouël, il prit quand même des dispositions conservatoires de nature à le réconforter.

Ainsi, ayant décidé de partir à la recherche d'un homme de l'art à Redon, il fit asseoir le brave Louis à sa table et planta une bouteille d'eau-de-vie et un verre devant lui. L'ordonnance était simple : boire la bouteille tout entière durant son absence.

Sur ce, il attelle son cheval et file vers Redon.

Vingt kilomètres aller, vingt kilomètres retour, ça laisse le temps de prendre ses médicaments.

A leur retour, Hyacinthe Evain et son compagnon trouvent le bonhomme Nouël encore conscient malgré la blessure et la bouteille d'alcool.

L'opération commença : le chirurgien commanda une autre bouteille de gnôle, moitié pour l'estomac du blessé, moitié pour désinfecter la plaie. Tant qu'on y était, on fit du feu dans la cheminée et on y mit à rougir quelques fers. L'homme de l'art tria le bon grain de l'ivraie, les chaires écrabouillées et les os réduits en miette, coupa, cousit, cautérisa, pansa. Au total, Louis y perdit un bras, mais y gagna une bonne cuite.

Apparemment, le patient ne se plaignit pas beaucoup de l'opération. Sans doute le distillat de cidre présente-t-il des vertus anesthésiques qu'on ne rencontre plus guère de nos jours. Toujours est-il qu'il resta tranquille et ne rentra que le lendemain chez lui, au moulin de la Vallée, où l'on dit qu'il continua de se soigner à l'eau-de-vie.

Mais il faut bien mourir. Cela survint bien après cet épisode pour Louis Marie Nouël. Ainsi, le 23 février 1930, il quitta ce monde âgé d'à peine 66 ans et allégé d'un bras. Si l'on en croit le recensement, le moulin, attesté déjà en 1834 et même sous la Révolution, n'était plus exploité dès la fin des années 1920.

Des rumeurs circulèrent selon lesquelles, suite à une querelle avec son fils, Louis Marie se serait pendu...C'est peu probable et le curé de Guénouvry n'en entendit pas parler, qui lui donna l'absoute sans barguigner.

Il n'y a pas de morale à cette histoire qui éclaire la dureté et la mentalité d'une population et d'une époque, et qui me permet d'évoquer un coin de Guémené auquel je suis particulièrement attaché par de nombreux souvenirs d'enfance et de plus tard.

Les bases de ce récit m'ont été fournies par une lectrice attentive qui n'hésite pas à consommer de son temps pour m'aider à brasser les souvenirs du vieux Guémené. Elle le tient d'un texte publié par Eugène Cogrel - ce grand défenseur de la mémoire guémenoise - dans une revue qu'il anime (Vantyé Pihern). Qu'elle en soit vivement remerciée.

Pour finir par des illustrations, des reproductions de cartes postales anciennes en ma possession (que je n'ai donc pas piquées sur Internet) :

- les deux  premières montrent l'étang de la Vallée et le moulin côté sud ;

- les deux suivantes, le moulin côté nord, et la descente vers le Don ;

- la dernière, le point de confluence du Don et du ruisseau qui descend de l'étang (l'auge de pierre en cercle pour broyer les pommes à cidre a disparu depuis bien longtemps hélas).






2 commentaires:

  1. Originaire de Guémené, je ne manque pas d'y retourner dans cette vallée du Don où le dimanche dans les années 60, nous allions pique-niquer et se baigner.Lieu super. Ainsi que le rocher des amoureux.
    Annick Etrillard Houguet

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    1. Il est assez amusant que vous me laissiez ce commentaire précisément aujourd'hui : profitant du beau temps, je suis justement descendu à la Vallée ce matin pour y faire des photos et humer l'air du passé...Bientôt un petit sujet, demain peut-être, si je me lève de bonne heure...

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