Rechercher dans ce blog

dimanche 10 août 2014

Parfums d'Occupation 1 : Le testament d’Arthur


Pendant l’Occupation ma famille était pour l'essentiel à Guémené. Ma grand-mère Gustine y travaillait dans une épicerie (chez Madame Miché) ; mon grand-père ne décéda qu’en 1941 ; leurs enfants, à l’exception de ma mère partie à Paris chercher sa subsistance sinon la fortune, y vivotaient avec eux à la Hyonnais, auprès de leur grand-mère maternelle, Françoise Brard.

Les événements qui émaillèrent la vie dans leur commune durent plus ou moins les concerner. Mais s’il en est qui devaient justement les frapper c’était certainement les enterrements et en particulier quand il s’agissait d’un « bel » enterrement.

Mais quoi de plus beau qu’un enterrement de première classe, un enterrement de gens nobles, avec la participation de notabilités et de politiques, des femmes éplorées en grande tenue de deuil, voilette et tout ce qui s’ensuit ?

Ainsi, le mercredi 13 août 1941, en l’église de Guémené, des obsèques d’Arthur Gaétan Potiron de Boisfleury, « décédé pieusement en sa propriété du Boisfleury , alors qu’il allait atteindre, en septembre prochain, sa centième année ».

Si de plus c’est un centenaire, alors la cérémonie a comme un « bonus » : ce n’est pas tous les jours non plus qu’on enterre un centenaire. Bref ce fut un enterrement mémorable, un bien bel enterrement.

Ma mère, vers l’âge de douze ans, avait commencé à travailler à Trémelan, qui dépendait du Boisfleury tout proche. Elle gardait les vaches. Cet engagement lui avait permis de rencontrer des vaches, bien sûr, mais aussi Arthur de Boisfleury, alors déjà nonagénaire. Elle en garde aujourd’hui le souvenir d’un vieillard courbé qui lui parlait de l’Action Française.

Mais il est toutefois impossible de savoir par quelle étrange sinuosité des choses la petite vachère de l’Epinay put inspirer au sénile châtelain l’incongruité de la prêcher sur la formation royaliste qui semblait lui tenir à cœur.

Comme elle manqua ensuite probablement son enterrement : le voici donc, pour elle aussi, en souvenir du vieil hobereau réactionnaire.

Je tire ce récit d’un journal collaborationniste de l’époque (le « Journal de Châteaubriant et de sa Région »), qui expédie assez rapidement l’aspect décoratif des choses au profit de la dimension politique de l’événement qu’il instrumentalise en une propagande tout à la gloire du Maréchal, naturellement.

Pour le pittoresque, deux lignes suffisent : « Les cordons du poêle étaient tenus par MM. le Dr Emilien Benoist, Marion de Procé [maire de Plessé], Marcel Bureau et le comte Amaury du Halgouët. » Une escouade de fameux chasseurs. Puis : « M. l’abbé Diais, curé de Guémené, célébra la Sainte Messe et donna l’absoute. » C’est court, c’est grand !

Ne serait-ce que par curiosité, il dut y avoir foule. Mais le journaliste se concentre sur les « célébrités » : l’inénarrable Emerand Bardoul, député-maire de Marsac (il vota les pleins pouvoirs à Pétain) et conseiller général du canton de Guémené qui est de tous les bons coups ; des personnalités municipales de Guémené (Geffray, maire ; Métayer, premier adjoint ; Chollet, bientôt maire) ; Le Gouvello dirigeant de la très vichyste Corporation Agricole, membre du non moins vichyste « Conseil National » ; des voisins ou amis plus ou moins pourvus de particule (du Dresnay, vicomte maire de Fégréac ; de Saint-Germain, de Chantérac, de Becdelièvre, du Rostu, du Saint ; le Dr Michel Benoist, Fournis, notaire….).

La procession quitta l’église et s’ébranla vers le cimetière, tournant à droite dans la rue de la Poste puis remontant la rue de Beslé. La foule suivait.

Au cimetière, le député Emerand Bardoul prit la parole afin de rendre hommage au défunt. Et quoi de plus parlant pour illustrer la valeur (les valeurs) du disparu, que de donner lecture d’une « adresse » au Vieillard de l’Hôtel du Parc à Vichy, écrite par vieil homme de Guémené de quinze ans son aîné, le 3 mars précédent.

Dans ce mot de billet, Arthur y va à fond la caisse (si j’ose dire…) :

« Monsieur le Maréchal,

Etant entré dans ma centième année, je suis certainement le doyen des saint-cyriens et c’est à ce titre que je me permets de vous adresser ce témoignage de vénération.

Tous les officiers sont fiers de vous. Après avoir admiré le héros de Verdun, ils s’inclinent avec reconnaissance devant le Sauveur de la France.

Puissiez-vous, Monsieur le Maréchal, vivre aussi vieux que moi, pour mener à bien la Rénovation Nationale que vous dirigez avec tant de sagesse.

Veuillez agréer, Monsieur le Maréchal, le salut très respectueux d’un centenaire qui se dit votre obéissant serviteur .»

Evidemment, Emerand ne pouvait pas se contenter de cette lecture sans apporter un peu de matière de son cru.

Ainsi, le député tient à inscrire la personnalité de feu l’ancien élève de St-Cyr (promotion «  Nice et Savoie », 1859 – 1861) dans un lignage, même (et surtout) si les « de Boisfleury » étant d’abord « Potiron » n’avaient aucun titre de noblesse : « Il appartenait à une famille qui a toujours donné à la France de valeureux officiers et chez laquelle les traditions de l’honneur, la fidélité aux convictions les plus chères, l’amour des mêmes devoirs, se sont transmis, de génération en génération, comme des charges héréditaires. »

Emerand Bardoul, voit ensuite dans la « touchante adresse » au Maréchal,  qu’il qualifie de « précieuse synthèse des nobles sentiments de son cœur qui n’avait jamais vieilli », le résumé d’une vie : une vie toute dévouée à la Grande Patrie du défunt, la France…

Mais ce serait réduire la portée cosmique des sentiments patriotiques du doyens des Saint-cyriens, que de passer sous silence l’autre engagement d’Arthur, son implication admirable au profit cette fois de sa petite patrie, c’est-à-dire, vous l’avez compris je pense Mesdames et Messieurs : Guémené-Penfao.

Et en quoi consistait donc, Mesdames et Messieurs, ce substantiel engagement au profit de sa petite patrie ? Eh bien Emerand va vous le dire, Mesdames et Messieurs, Emerand vous le donne en mille, Mesdames et Messieurs… Non, finalement, il ne va rien vous dire de ce que pendant un siècle Arthur Gaétan a fait pour Guémené, « cette terre dont tous les champs, dont tous les bois qu’il avait tant de fois parcourus en infatigable chasseur lui étaient familiers. », à part donc l’avoir nettoyé de son gibier…

S’ensuivent de jolies considérations creuses et bien ciselées évoquant « ce gentilhomme simple et bon », chez qui on trouvait « la charmante bonne grâce d’une âme élevée et bienveillante, une droiture parfaite et cette politesse de l’esprit qui constituait le charme de ses entretiens ». Souvenirs sans doute de quelques propos de table entre nemrods du coin.

Emerand termine sa harangue par quelques larmoiements de bon ton : lamentation sur l’absence du petit-fils en captivité (le lieutenant Henri de Boisfleury, futur maire de Guémené) ; sentiments de profonde et attristée sympathie « à la famille qui pleure son vénéré doyen ; assurance que le souvenir d’Arthur « sera par tous fidèlement conservé ».

Ce fut ensuite au tour de M. Geffray, maire de Guémené, de prendre la parole pour retracer la vie du défunt. Il restait donc des choses à dire…

Enfin, pour conclure, un cortège (forcément long) de parents et d’amis vint serrer la paluche à la famille, c’est-à-dire l’assurer « de toute sa sympathie dans le deuil qui venait de la frapper ».

Un vin d’honneur et un repas apportèrent sans doute un point final aux cérémonies de cette belle journée, mais le journaliste n’était probablement pas invité. 

Dommage, il y aurait eu encore, sans doute, de quoi s'extasier...





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire