Rechercher dans ce blog

samedi 5 décembre 2015

Vingt-trois grognards


En août 1857, le 12, Napoléon III, crée une médaille commémorative, la première de son genre : il s'agit de rendre hommage et d'honorer les soldats, français ou étrangers, qui ont servi entre 1792 et 1815 sous le drapeau français, et qui sont encore vivants à la date de cette création.

Le nombre de bénéficiaires potentiels de la "médaille de Sainte-Hélène" est alors de trois cent cinquante à quatre cent mille valeureux.


Aussitôt la nouvelle connue, les braves chenus s'empressent-ils de produire toute pièce susceptible de prouver leur engagements. Ainsi, au moins vingt-trois habitants de Guémené-Penfao, blanchis sous l'uniforme de la Révolution et de l'Empire, ont-ils alors fait la démarche de réclamer la très napoléonique breloque.

Bien d'autres qu'eux l'auraient eu, si un boulet, une baïonnette, un sabre ou une balle malencontreux, ou bien si une maladie non moins funeste qu'importune, n'étaient venus les priver de la possibilité d'attendre (d'atteindre) 1857. 

Car si l'on admet qu'un homme sur six de la génération née autour de 1800 a naturellement survécu jusqu'à cette date glorieuse du règne de Napoléon le Petit, et si l'on ajoute les victimes des conflits qui agitèrent l'Europe à la fin du Siècle des Lumières et au début de celui du charbon, ce sont probablement cent cinquante à deux cents guémenois qui auraient pu aspirer à cette reconnaissance médaillère, du fait de leur jeunesse militaire.

Alors, faute de pouvoir parler de cette multitude en détail, et faute même de pouvoir brosser le portrait des vingt-trois récipiendaires de 1857, je me contenterai d'en évoquer deux ou trois.

Il y a du Cincinnatus chez Pierre Audrain, devenu capitaine sous le Premier Empire et mort laboureur, sous le Second.

Il était né le 7 octobre 1784 dans un hameau du sud de Guémené, la Grée-Jubin si l'on en croit son acte de baptême, et dans un endroit que je ne connaîs pas (mais qui pourrait bien cependant être le même), si on en croit son acte de décès : le Fraiche Vert.

Il était le fils de François Audrain et de Perrine Gascoin, laboureurs. Il épousa en 1818, déjà assez âgé finalement, une jeune Marie Durand. Le couple eut plusieurs enfants.

Il s'éteignit le 5 janvier 1869 en son domicile de la Grée-Jubin, entouré des siens, notamment un de ses fils, ayant joui pendant douze ans du privilège de porter la médaille des vieux grognards.

Avant de convoler et de mener une vie apparemment paisible et longue, il avait servi son pays. Le hasard le fit incorporer vers la fin de 1805. Il passa au 100è régiment d'infanterie de ligne, mais aussi au 47è. Il est peu banal qu'il soit devenu officier. Mais peut-être était-il un peu instruit (son père déjà savait signer son nom).

Il participa probablement aux batailles d'Iéna, Eylau, Friedland et Wagram ; à celles de Badajoz, de Dresde, de Vittoria et de Waterloo...


Voici maintenant Julien Fraiche (Frèche, Fresche).

Il est né le 11 octobre 1789 au hameau de Bourg-Jamet, au sud-est de Guémené. Il se maria à deux reprises, après les guerres napoléonniennes.

La première fois, ce fut en janvier 1817, avec Marie Jouaud avec qui il va demeurer au Verger. De ce couple de cultivateurs naîtra une fille, Anne, en 1818, et un fils, Julien François, qui naît et meurt en 1823.

Cette première épouse disparaît en 1830 et Julien se remarie l'année suivante (en juin, comme des bourgeois, car les travailleurs de la terre convolent plutôt à l'automne et en hiver). La nouvelle madame Fraiche est née Plédel, au village des Landelles. On retrouve ces braves gens dans les années 1840 et 1850 au Verger, avec leur fille, son mari (Julien Motreuil) et leur petite fille.

Julien Fraiche quittera ce monde et le Verger le 18 août 1858, après avoir porté pendant un an sa médaille de Sainte-Hélène. Ses frères et sa sœur lui survivront plus ou moins.

Au physique, Julien Fraiche n'impressionnait pas, pas plus que ses camarades soldats. Il mesurait 1 mètre 55, présentait un visage ovale, un front couvert (?), un nez petit, un menton rond. Ses cheveux étaient châtains, de même que ses sourcils. Plus curieux étaient ses yeux, que le major trouva roux.

Il n'eut pas une carrière militaire très remarquable, ni grade ni action d'éclat que l'histoire ait retenu.

Il fit partit de la "levée" (appel de conscrits) du 12 septembre 1808. Il rejoignit son corps le 2 mars 1809.

Chasseur à pied de la Garde, matricule 3047, il fut affecté au 1er Bataillon de la 3è Compagnie et à ce titre fit bien des kilomètres en Europe.


Et que dire à présent de François Menoret né le 16 juin 1794 au village de La Rivière ?

Son père était apparemment serger. Il partit à la guerre probablement vers la fin de l'Empire, en tant que grenadier de la Garde Impériale. Il fit les dernières et funestes campagnes impériales : campagne de France en 1814 ; Ligny et Waterloo, l'année suivante.

La guerre finie, il revint à Guémené. Il se maria ensuite avec une Marie Amossé avec qui il eut une descendance notable.

Il était bûcheron et s'éteignit le 4 septembre 1857 à La Régale, sur les hauteurs de Guémené, venant à peine d'arborer sa décoration et de savourer son diplôme. Courte satisfaction.

Mais après tout, au fond, par rapport à ses camarades que la mitraille européenne avait poursuivi pendant des années et des années, n'avait-il pas, aussi, consacré relativement peu de temps à exposer sa vie pour son Empereur ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire