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lundi 30 novembre 2015

Trop court itinéraire d'un jeune homme bien né


Certes, les deuils sont toujours des événements pénibles, mais la perte d'un enfant se situe au-delà de l'insupportable. Quelqu'un me faisait remarquer, un  jour, qu'il n'y a d'ailleurs pas de mot dans la langue pour exprimer la situation que cela crée dans une famille, pour un parent, un frère ou une sœur, contrairement à la perte d'un parent qui donne : "veuf", "veuve", "orphelin" ou "orpheline".

Et si le passé ne plaide pas pour le futur, la mort d'un jeune homme qui a déjà donné des espérances de réussite (qu'elle soit sociale ou personnelle), laisse forcément une frustration accrue : quel affreux gâchis, ne dit-on pas alors.

Il y a quelques temps, le 3 août 2013, j'ai raconté la triste fin de Christian Benoist-Gironière, décédé accidentellement dans le massif de la Chartreuse d'une chute, lors d'une excursion avec sa fiancée. C'était le 30 août 1925, en fin de journée. Il avait 26 ans.

Voici l'heure d'évoquer non plus sa mort, mais sa vie, en tout cas celle qui a laissé une trace dans les archives publiques.

Il était donc le second enfant du couple Benoist - Proust de la Gironière (lui, médecin ; elle, propriétaire, comme indiqué dans les documents). Un premier enfant, Robert, leur était venu mais avait succombé à l'âge de deux ans.

Christian Benoist-Gironière était né le 3 mars 1899 à Guémené. Toutefois, la vie connue du jeune homme commence à ses dix-huit ans, au tout début 1918.

A l'époque, la Première Guerre Mondiale est entrée dans sa dernière année. Mais pour autant, l'issue du conflit reste indécise. D'un côté, les Américains ont rejoint les Alliés, à la fin de 1917. Mais d'un autre côté, la Révolution russe va rapidement déboucher sur une paix séparée sur le front de l'est, permettant aux Puissances Centrales de récupérer des troupes et de mener sur le front de l'ouest une vaste offensive qui sera proche, au cours du premier semestre 1918, de l'emporter.

C'est donc dans un contexte militaire incertain pour les armées françaises, que le jeune Christian choisit de s'engager volontairement, pour la durée de la guerre, et pour au moins trois ans, durée du service militaire.

Cet engagement est enregistré le 26 janvier 1918, à Guémené. Le 2 février, le jeune homme arrive au corps du Génie où il va effectuer ses classes : il est sapeur de 2ème classe. Il passe ensuite au 2ème Régiment du Génie le 30 septembre 1918 et part sur le front le 1er octobre.

Malade, il sera évacué et hospitalisé le 4 décembre 1918 à l'hôpital militaire complémentaire de Nantes et ne rentrera au dépôt que le 17 février 1919. Il sera ensuite détaché à l'Ecole des Aspirants d'Angers le 8 mars 1919 et sera nommé sergent le 1er octobre de la même année.

Il se porte ensuite volontaire pour l'Armée d'Orient et quitte la France le 26 décembre 1919. Il en sera rapatrié le 17 novembre 1920 et sera renvoyé dans ses foyers le 11 février 1921, passant dans la réserve de l'armée d'active le 16 février suivant (6ème régiment du Génie).

Sa courte carrière militaire au front, fin 1918 en métropole, est cependant remarquée. Il bénéficie ainsi d'une citation assortie de la Croix de Guerre : " Jeune sous-officier de la classe 1919, affecté, sur sa demande, à une unité combattante, a pris part de septembre à Novembre 1918 à toutes les affaires auxquelles sa compagnie a été mêlée et s'est particulièrement distingué au cours de la progression de ces deux derniers mois de campagne dans la construction de passerelles sur l'Ailette et en établissant des ponts de passage pour l'infanterie."

Les papiers militaires conservent quelques éléments permettant d'imaginer la silhouette des jeunes gens passés par le Conseil de Révision. Christian Benoist-Gironière mesurait ainsi 1 mètre 72. Il avait des cheveux noirs et des yeux bruns. Pour le militaire qui l'ausculta, son visage était long, son front haut et son nez rectiligne. La photo ci-après n'infirme pas ces observations :



Que fait-il entre février 1921 et janvier 1922 ? Ce n'est pas tracé. On peut imaginer qu'il prépara le concours d'entrée à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris, concours tenté une première fois le 16 février 1918, alors qu'il avait déjà rejoint l'armée.

Toujours est-il qu'il que le 28 janvier 1922, Louis Cirée, architecte qui fut l'un des promoteurs de la station balnéaire d'Hauteville-sur-Mer dans la Manche, non loin de Coutances, qui dirige un atelier préparatoire à l'Ecole des Beaux Arts de Paris, délivre  une attestation qui stipule que le jeune Christian a bien suivi la préparation au concours sous sa direction et qu'il est apte à en subir les épreuves.

Cette préparation lui réussit, puisque le 17 mars suivant, le jeune Christian est admis dans l'établissement de la rue Bonaparte à Paris, section architecture. Le sujet traité lors de ce concours était un portique-abri.

Il y sera identifié comme le matricule 7785, sous le nom de Benoist, dit Benoist-Gironière, ce dernier patronyme d'usage n'ayant pas encore fait l'objet d'une décision du Conseil d'Etat, comme l'atteste un courrier du jeune homme du 6 avril 1922 dans lequel il réclame que soit utilisé son nom composé dans les courriers (convocations d'examen) afin d'éviter la confusion avec d'autres Benoist.

Voici un extrait de cette lettre qui permet de découvrir l'écriture de l'étudiant et, au détour de celle-ci, une part de sa personnalité et de la façon de l'exposer.
























A Paris, le jeune homme demeure rue des Grands-Augustins, petite rue du 6ème arrondissement qui vit passer plus d'une gloire : les peintres Robert et Sonia Delaunay, Picasso, le mathématicien Pierre-Simon de Laplace, Gounod qui y passa son enfance, Littré, La Bruyère,... Mais aucune célébrité n'avait encore, semble-t-il, hanté le n° 10 où résida le future architecte.

Le jeune homme qui suivra dans l'Ecole l'enseignement qu'Henri Deglane et Charles Louis Nicod (deux gloires de l'époque) dispensaient dans leurs ateliers respectifs, ne fut pas manchot. Au détour de sa première année (2ème classe), il obtient un nombre conséquent de "valeurs" dont une troisième médaille en modelage et une deuxième médaille en construction.

Il passe dans la classe suivante (1ère classe) le 26 octobre 1923. Il obtient alors quatre deuxièmes médailles en dessin et modelage ; une deuxième médaille en histoire de l'architecture ; deux premières médailles en projets rendus ainsi que la Grande Médaille de l'émulation en 1923 - 1924.
























Evidemment, je ne me rends pas bien compte de ce que représente cette accumulation de breloques, mais je sens diffusément qu'on a affaire à un bon élève.

A compter du 20 août 1924, il demeure au 38 rue du Bac.























C'est fort logiquement qu'il obtient son diplôme le 12 novembre 1924 dans le cadre de la 128ème promotion de l'Ecole. Son projet de fin d'étude fut une villa à Cabourg. C'est le premier enfant de Guémené à connaître pareil succès.

Puis en 1925, il reçoit la Grande Médaille d'argent de la Société centrale des architectes, fondation Alfred Chapelain.

Le 31 mars 1925 constitue la dernière date de sa présence à l'Ecole, et l'élève Christian Benoist-Gironière a alors bien mérité de la Loire-Inférieure qui a subventionné ses études.

Son décès accidentel fut brièvement mentionné dans la revue la Construction moderne, numéro du 11 octobre 1925, page 23 :


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