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dimanche 17 janvier 2016

Mercoeur à Guémené


L'histoire que l'on va raconter est ténue. Mais c'est un écho de l'Histoire avec un grand "H", celle qui paraît épargner le tout venant des hommes, mais qui vient - surtout en temps de malheurs - frapper à la porte de chez soi, en l'occurrence le Pays de Guémené.

Nous sommes en cette extrémité du XVIè siècle, pendant la guerre civile qui ravage la France et oppose catholiques et protestants, troupes fidèles au roi Henri III et partisans ultra catholiques regroupés dans la "Ligue".

En décembre 1588, Henri III, dont le pouvoir vacille, tente de reprendre la main face à la Ligue et fait exécuter les chefs de cette organisation séditieuse. Un soulèvement s'ensuit dans plusieurs provinces, dont la Bretagne avec à sa tête le duc de Mercoeur, son gouverneur.

Le Duc de Mercoeur























Vers la mi mars 1589, une partie de la foule s'enflamme et des barricades sont hérissées dans Rennes, ville partagées entre le Roi et la Ligue. Mercoeur quitte Nantes et vient investir Rennes. Le sénéchal du Roi, sorte de préfet avant l'heure, Guy Meneust de Bréquigny, est destitué. 

Fin mars, Mercoeur quitte la ville pour Vitré. En son absence, les royalistes retournent la situation sous l'impulsion du sénéchal destitué. Rennes étant remise sous sa pleine autorité le 5 avril, Henri III, dès le 12 du même mois, donne commission à Guy Le Meneust d'informer des causes et de rechercher les fauteurs de la rébellion.

L'enquêteur d'office, Guy Le Meneust, sieur de Bréquigny, commence ses investigations le 24 avril 1589 et poursuivit régulièrement jusqu'au 12 août, c'est-à- dire quelques jours après la mort de Henri III, assassiné le 1er août.























En pratique, cette enquête consiste à recueillir des témoignages de toute sorte concernant des faits délictueux commis par la soldatesque de Mercoeur, dont certains ont pour cadre la région de Guémené.

Alors, soudain, un lieu globalement insignifiant, mais connu encore aujourd'hui, ou le nom d'un homme de peu d'importance sociale, normalement voué à l'oubli, jaillissent du néant.

L'audition des témoins qui suit s'est effectuée le dimanche 9 juillet 1589.

Le sénéchal va interroger deux témoins habitant Guémené à propos d'un brigandage effectué par des soldats de Mercoeur dans une métairie située au Nord-Ouest du bourg, à Feuildel, près du gros village de Feuilly. A noter que cet endroit constitue une éminence sur laquelle on imagine bien, jadis des moulins. 


















La ferme de Feuildel

Paysage depuis Feuildel


















Cette métairie appartient à un propriétaire de Bourg-des-Comptes, à quelques lieues au Nord de Guémené en Ille-et-Vilaine : Jean Chalot, sieur de la Chalousaie.

Voici d'abord le témoignage de Jean Robert, meunier, demeurant au village de Feuildel en la paroisse de Guémené, âgé de trente cinq ans ou environ, selon ses dires, qui raconte les faits avec grande circonspection...:

Celui-ci déclare que lundi dernier (le 3 juillet 1589 par conséquent), il s’en fut à Redon en compagnie de Yves Cancoret, meunier des moulins de Beslé [paroisse fille de Guémené, toute proche], et que faisant chemin pour s'en retourner, sur les quatre heures du soir, il rencontra une troupe de soldats et gens de guerre à lui inconnus, qui coururent après lui et lui demandèrent où il allait. 

A quoi il leur dit qu'il venait de Guémené, et vit que lesdits soldats emmenaient du bétail en grand nombre et avec eux les serviteurs des métayers de Feuildel. Il ne sait d'où ils venaient sinon qu'il vit en leur compagnie les serviteurs des métayers de Feuildel, et que depuis il a entendu qu'ils y avaient été et l'a oui dire à plusieurs.

Visiblement le sénéchal le soupçonne d'être complice des soldats brigands, ce dont Jan Robert se défend :

Questionné, il dit avoir été meunier du sieur de la Chalousaie en l'un des moulins dudit lieu et avoir fait défection audit sieur de la Chalousaie. Il nie avoir fait des menaces audit sieur de la Chalousaie, ni à aucun des siens de le faire se repentir, ni être allé à Redon pour amener lesdits soldats.

Pourtant le sénéchal semble insinuer que Jean Robert aurait pu avoir un motif de léser son maître : 

Il (Jean Robert) admet qu'il y a sept jour, Jean Lefèvre, procureur de Juzet, le frappa d'un grand coup de bâton sans lui dire pourquoi. Mais il dit toutefois que malgré cela, il n'a pas procuré la perte des biens dudit sieur de la Chalousaie. Il dit n'avoir jamais été soldat et ne connait aucun des soldats et capitaines qui sont dans Redon sous la charge dudit sieur duc de Mercoeur.

Il a dit ne savoir signer.

C'est au tour de Jean Daval, fils d'Antoine Daval demeurant à présent à la métairie de Feuildel, appartenant donc au sieur de la Chalousaie, âgé de seize ans ou environ, de témoigner.

Celui-ci déclare que lundi dernier les soldats qui sont à Redon vinrent à la maison de Feuildel quérir le bétail et y faire plusieurs insolences. Mais il n'y fut pas présent et n'en saurait parler sinon par l'avoir oui dire. 

Ce n'est encore pas un témoin direct des faits. Jean Daval ajoute cependant :

Mais dit que le lendemain mardi, environ midi, il se trouva au moulin de Feuildel où pareillement était Jean Robert. Celui-ci confessa audit témoin que le jour d'avant il avait été audit Redon et avait vu les soldats qui étaient venus audit lieu de Feuildel et en avoir reconnu une partie, même qu'il avait parlé avec eux et qu'ils lui avaient dit qu'ils allaient à Fégréac ; toutefois qu'ils avaient tourné leur chanson parce qu'ils étaient venus à ladite maison de Feuildel appartenant au sieur de la Chalousaie. 

Voilà ce qu'il déclare du vol dont on s'est amplement enquis, et ne savoir signer.

Apparemment donc, Jean Robert, selon Jean Daval, connaissait les soldats qui avaient volé le bétail de Feuildel alors qu'auparavant il déclarait dans sa déposition le contraire.


L'affaire sans doute en resta là car après la mort d'Henri III, le sénéchal dut calmer son ardeur procédurière. Les choses se stabilisèrent et Mercoeur continua de tenir cour à Nantes pendant une dizaine d'année encore.

Le dossier du sénéchal livre par ailleurs une petite surprise (pour moi en tout cas) car s'y trouve le nom de la "Hygnonnaie", c'est-à-dire ma Hyonnais actuelle où je réside à Guémené.

La mention en est fournie au détour d'une autre affaire qui se déroule à Guichen au sud de Rennes. A l'évidence, la place est tenue par les troupes du roi Henri III quand une escouade de gens de Mercoeur fait irruption. S'ensuit, dans le témoignage recueilli, la liste des gens de Mercoeur parmi lesquels : [le sieur de la] Hygnonnaie et son frère, de Guémené.




















Quelques décennies plus tard, le sieur de la Hygnonnaie sera Etienne Rochedreux. Difficile de savoir, toutefois, si les frères Ligueurs de 1589 dont il est fait état, étaient des parents de cet Etienne qui mourut à Balleron, près du bourg de Guémené.

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