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dimanche 3 avril 2016

Pierre Usé


Tous les jeux de mots ne sont pas drôles. Mais, pour autant, celui que je fais dans le titre de cet article semble cependant particulièrement adapté au cas qui va nous occuper aujourd'hui.

Ce cas nous montrera aussi que l'humour noir se loge parfois ailleurs qu'on ne croit.

Voici encore l'histoire (résumée) d'un de ces héros oubliés de Guémené qui s'est illustré pendant la dernière guerre mondiale (et même lors de la précédente).

Pierre Heuzé est né le 10 septembre 1893 au bourg de Guémené-Penfao.

Il est le fils d'Amaury Marie Heuzé, médecin à Guémené, et de Virginie Chapron. Que du beau monde, notable, et propre et tout et tout : madame a une bonne et va à la messe, comme il se doit.

Pierre est même le petit-fils de Jean-Baptiste Heuzé, officier de santé à Guémené vers le milieu du XIXè siècle et qui n'avait pas trop brillé par ses talents lors de la terrible épidémie de dysenterie de 1856.

Voilà donc trois générations de carabins couvrant un siècle de progrès médical et social.

Quand on naît en 1893, on a bien entendu vingt-ans en 1913, juste à temps pour aller exercer ses talents patriotiques et médicaux sur les champs de l'Argonne ou d'ailleurs.

Ce bonheur cueille notre héros alors qu'il étudie la médecine à Brest.

Son conseil de révision nous le décrit ainsi : plutôt grand pour l'époque (1 mètre 74 : donc bien nourri), il a le poil châtain et les yeux bleus.

Il fera la guerre de 14 comme médecin auxiliaire à partir du 11 juin 1915. Il passe ensuite à la 11ème Section d'infirmiers militaires, puis au 2ème Régiment d'Infanterie Coloniale, le 9 février 1916. 

Il disparaît des radars le 18 avril 1917 au combat d'Ailles (dans l'Aisne).

Prisonnier de guerre des Allemands, il est dirigé sur Karlsruhe, Mannheim et finalement Giessen, dans la Hesse, où il arrive fin mai 1917. Le camp est à quatre kilomètres de la ville. 

Il s'agit d'un camp d'immatriculation et de transit doté d'un lazarett (hôpital militaire). La Croix-Rouge enverra un communiqué à la famille le 5 juin suivant (la famille est désormais, apparemment, au 86 quai de la Fosse, à Nantes).

La captivité du jeune Pierre ne dure que moins d'un an : il sera rapatrié sanitaire d'Allemagne le 11 mars 1918. 





















Aussitôt l'Armée française se ressaisit de lui et le verse au 23ème Régiment d'Infanterie Coloniale, le 13 mars 1918. On en profite bientôt, le 21 août 1918, pour le promouvoir médecin aide major. Une semaine après, le voilà passé au 1er Régiment d'Infanterie Coloniale. 

Il est mis en congé le 3 septembre 1918. Mais une semaine plus tard, le voici en Russie du Nord où il restera jusqu'au 1er juin 1919.

Il fait alors partie du corps expéditionnaire français (composé du 21ème bataillon de marche, du 1er régiment d’infanterie coloniale, de deux batteries du 2ème régiment d’artillerie coloniale, d’une compagnie de skieur des Vosges, de trois compagnies de la légion étrangère ainsi que des éléments du 101 éme et 112 éme régiment d’artillerie lourde appuyé par trois croiseurs cuirassés...).

Ce Corps est parti, on l'ignore trop, combattre les Bolchéviks et ramener la civilisation en Russie (sans grand succès).

Au total, Pierre Heuzé fit une belle guerre. Il fut cité à l'ordre n° 51 de la 20ème Brigade d'infanterie coloniale le 2 novembre 1916 et à l'ordre du 2ème Corps d'armée coloniale n° 124/R du 3 juin 1917. Avec ça, une Croix de guerre avec étoiles de bronze et vermeil. Pas mal...

De retour à la vie civile, il va exercer son métier de médecin d'abord en région parisienne (à Paris dans le 10ème, puis le 16ème arrondissement ; à Levallois-Perret) pendant près de dix ans.

Pierre Heuzé se marie en juin 1932 à la mairie du 10ème à Paris (avec Valentine Marie Letard), avant de filer près de Beauvais en octobre 1933 et, en janvier 1939, à Saint-Maurice-lès-Chalencey, petit village du Canton de Tourouvre, entre Dreux et Alençon.

C'est là que l'ordre de mobilisation le rattrape le 2 septembre 1939. Il est dirigé le 12 janvier 1940 vers le dépôt de convalescence du château de Vaux (Eure-et-Loir) et promu au grade de médecin sous-lieutenant de réserve à compter du 25 mars 1940.

On sait comment tout cela a tourné. Les Allemands encore, l'Occupation, beaucoup d'attentisme, quelques résistants...

En octobre 1943, les résistants du groupe « Vengeance » du canton de Tourouvre  sont traqués. Les policiers cherchent à mettre fin à une filière d’évasion et de rapatriement d’aviateurs alliés. Plusieurs sont arrêtés. 

Pierre Heuzé fait partie des interpellés.

Les interrogatoires ont lieu à Alençon où il reste détenu quelques mois. Puis, il est déporté vers Compiègne et, le 12 mai 1944, vers Buchenwald (Matricule: 50996). Il connaîtra dans les mois qui suivent d'autres lieux de déportation : Dora, Wieda. 

Par chance Pierre Heuzé va survivre au régime infernal de ces camps. Quand les Américains arrivèrent à Dora, le 11 avril 1945, ils trouvèrent quelques survivants au Revier et de rares autres, au milieu des cadavres, dans la Boelcke Kaserne. Pierre Heuzé dut être de ceux-ci ou de ceux-là.

De retour en France, Pierre Heuzé n'est guère en forme. Mais vers la fin de 1946 son état empire.

Différentes commissions de réformes se pencheront, dans les années 50, sur son état physique et diagnostiqueront tout une série de troubles :

"Hémiparésie (paralysie partielle) intéressant face et membre, préhension nulle ; peut marcher ; contracture du membre supérieur. Etat spasmodique ; exagération des réflexes ; trépidations épileptoïdes (sic) ; céphalées ; vertiges ; inaptitude au travail intellectuel ; état général satisfaisant (sic), urines normales, urée sanguine : 0,36 ; Wassermann négatif (test de la syphilis) 

2/ Hypertension artérielle 20 x 11"


Il a dû être ravi de savoir que, en dépit de tout, un quarteron de médecins militaires en bonne santé trouvait qu'il disposait d'un "état général satisfaisant"...De vrais comiques troupiers...

En 1957, la commission des réformes raye des cadres Pierre Heuzé et constate que sa santé ne s'est pas améliorée : 

"Paralysie complète du membre supérieur droit ; paralysie incomplète du membre inférieur droit ; parésie (paralysie partielle) faciale droite ; gêne de la mastication de l'élocution ; troubles trophiques de la main droite ; hypertension artérielle ; édentation (sic) complète ; asthénie des déportés"


Usé, Pierre décède le 8 juin 1959, à Paris 14ème arrondissement, à l'âge de 66 ans à peine.

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