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dimanche 11 septembre 2016

Le lutin d'Arondel


Guémené était dans mon enfance un pays de cocagne.

Non pas qu'on y était riche, loin de là, mais, venant de la ville où tout se paye, les fruits ou le poisson que l'on mange, les passe-temps,...et où tout est limité, par l'appartement exigü, les convenances, le chacun-chez-soi,..., le fait de pouvoir manger des fruits, des baies ou d'autres végétaux "gratuits", cueillis dans les haies, les arbres ou les prairies ; le fait de pêcher sa friture, ou le fait encore de pouvoir faire bien des choses en toute liberté dans les champs alentour en n'ayant d'autres bornes que notre fatigue d'enfants, conférait à cet endroit une aura d'abondance et de bonheur inégalables.

Le Pont de la Rondelle est un haut lieu de cette mémoire, en tout cas un "haut toponyme", jalon mémoriel inaltérable, avec "la Hyonnais", "le Bourg", "Beslé" et quelques autres.

J'ai toujours pensé que telle était son orthographe et non "Pont de l'Arondel", comme on voit quelques fois dans de vieux textes. Le dilemme est simple : la première est absurde et donc cocasse, triviale presque, faisant référence à rien d'imaginable ou de sérieux, tandis que la seconde est poésie, évoquant irrésistiblement l'aronde, l'antique hirondelle, l'arondelle et donc les beaux jours.

C'est un haut lieux car c'est ici que nous venions pêcher avec mon père, ce qui en soi n'est pas très original. Mais ce pont, et au-delà de l'objet qui enjambe le cours d'eau, le site, sont exactement synonymes de ces parties oiseuses où quelques rares habitants du Don complaisaient à mordre à nos hameçons.





















De manière hypnotique, des souvenirs envahissent ma pensée à l'instant où j'évoque ces moments, et un flotteur en forme de gros radis, blanc strié de rose, danse sur l'onde molle et sombre, captant toutes mes espérances d'alors.

C'est peu dire que je conserve une grande nostalgie de cette époque et de ce lieu ; c'est peu dire que le moindre élément le concernant mobilise mon énergie.















Ainsi l'autre jour, effectuant négligemment mes recherches sur Internet comme on lancerait sans trop y croire sa cuillère à la pêche au lancer, c'est-à-dire lançant trois mots dans le moteur Google sans penser à rien, me remonte une référence mentionnant ce fameux pont.

Il s'agit d'une petite légende que je ne connais pas, recueillie par Paul Sébillot et publiée en 1894. Elle fait partie d'un recueil intitulé extraordinairement : "Les travaux publics et les mines dans les traditions et les superstitions de tous les pays : Les Routes - Les Ponts - Les Chemins de Fer - Les Digues - Les Canaux - L'Hydraulique - Les Ports - Les Phares - Les Mines et les Mineurs".





















C'est qu'en 1889, cet ethnologue, écrivain et peintre français, originaire de Bretagne (1843 - 1918) - et qui consacra à sa province natale nombre de ses travaux -, est nommé chef de cabinet au ministère des Travaux publics, dont son beau-frère, Yves Guyot, est titulaire. Il reste à ce poste jusqu’en 1892, observatoire idéal qui lui permet de recueillir de nombreuses informations qui feront l’objet du volume mentionné ci-dessus.

Ce petit conte à pour épicentre un "pont de l'Arondel" qui n'a rien à voir avec le bel ouvrage que l'on peut encore observer et qui fut construit au milieu du XIXème siècle. Cet antique dispositif n'était probablement pas localisé à l'endroit exact où se trouve ce dernier, mais dans les parages, là où l'on devait pouvoir passer le Don plus ou moins à gué.

Dans cette histoire il est question de "frairies", une de Guémené et l'autre d'Avessac, commune limitrophe de Guémené dans cette partie ouest de la commune. Et d'autres lieux ou personnages sont évoqués, sur lesquels quelques éclaircissements pourraient être utiles.

Les frairies étaient une organisation sociale et religieuse des pays ayant parlé breton, héritée des vieilles institutions celtiques ("clans"), datant du VIème siècle, laquelle perdura jusqu'à l'époque moderne.

Dotées d'un chef, d'un saint patron, d'une chapelle et parfois d'un cimetière, ces entités géraient en particulier les terres communes et aidaient leurs pauvres.

La frairie de Sarran  à Guémené-Penfao occupait un espace géographique assez restreint (une quinzaine de kilomètres carrés), complètement à l'ouest de la paroisse, au sud du Don.

Sarran viendrait du breton et signifierait "ruisseau des grenouilles" peut-être en référence au proche ruisseau qui marque la séparation avec Avessac et qui va se jeter dans le Don.

Cette frairie était placée sous le patronage de Saint-Cloud (deux lieux-dits en témoigneraient encore) et regroupait les villages de La Jaunais, l'Epinais, Sarran, la Bottais, la Glaudais, le Pas-Heurtel, la Moussaudais, le Calvaire, le Plessis, Bolbrun, la Gautrais, le Perron, les Merions, les Mortiers, Vieux Champ, Orvault, la Nouasse, Port Jarnier (et surement la Rue Hamon, aujourd'hui disparu).

La frairie de Linsac, sur Avessac, occupait l'aire mitoyenne de la précédente, également au sud du Don. Dédiée à Saint Germain, elle comprenait les hameaux de la Boëssière, la Marotais, Linsac, le Pont, les Patys, Rohouan (Rohan), la Rochelle, la Houssais, le Chien-Hanné, la Triardais, la Sencerie, la Bodinière, Kermagouër, le Moulin-Neuf.

Le gué de Montnoël dont il est fait état également se situait probablement au bas de la métairie du même nom située sur le territoire de Guémené, en surplomb de la vallée du Don, au Nord de la frairie de Linsac, quatre kilomètres environ en aval de l'actuel pont de la Rondelle.

Kermagouër s'appelle aujourd'hui Camargois. C'est une éminence qui se trouve à la sortie de Guémené, à gauche sur la route de Redon. Une carrière de pierres en marque de nos jours l'emplacement. 

Cette colline regroupe encore trois moulins à vent. L'un a été transformé assez laidement (la tour crénelée et cimentée qu'on aperçoit depuis la route), un autre plus discret est en cours de restauration et un troisième, endormi dans un sous-bois est resté dans son jus antique.






















Derrière cette colline, au début de sa pente sud, des fouilles ont révélé les restes d'une villa gallo-romaine avec four et thermes. Kermagouer (ou Kermagoër) veut dire "village des murailles", faisant certainement référence aux ruines romaines toutes proches.





















Enfin l'histoire que vous languissez de lire comporte une allusion au "seigneur de Treguel et de la Rivière-Lanvaux". Treguel est une terre située à Guémené-Penfao, qui possède un magnifique château du XIXème siècle, à deux kilomètres au nord du pont de la Rondelle actuel. La Rivière-Lanvaux était une possession située sur Avessac.














Le premier seigneur de ce nom identifié est Pierre Rouaud, écuyer qui vivait à la fin du XVIème siècle. Ses descendants occuperont la position jusqu'à la Révolution.

Voici maintenant enfin le petit conte transcrit par Paul Sébillot :

Dans le temps que les gens de la frairie de Sarran, en Guémené-Penfao, étaient obligés de payer dîmes et redevances au seigneur de Treguel et de la Rivière-Lanvaux, c'était pour eux, comme pour les gens de la frairie de Linsac, en Avessac, grande peine et sujet de crainte lorsqu'il leur fallait franchir le pont d'Arondel pour se rendre au Manoir. 

Il n'y avait, en effet, dans ce temps, aucun pont sur la rivière du Don. souvent débordée et fort large, et au gué d'Arondel seulement se trouvait une large planche appuyée sur les deux rives. Or c'était à dessein, disait-on, que les seigneurs de Treguel maintenaient cet état de choses. 

En souvenir de services rendus jadis par un des leurs, un lutin s'était constitué le gardien de ce pas- sage et ne laissait point les mécréants le traverser indemnes. Mais ses châtiments ou ses malices atteignaient surtout ceux qui, d'une façon quelconque, cherchaient à nuire à son seigneur.

C'est ainsi que chaque tenancier qui mettait dans ses pochées une mesure de grain ou de farine inexacte était sûr de piquer une tête dans la rivière du Don, dont il ne se tirait jamais alors sans grands dommages, grâce au lutin d'Arondel, qui, infailliblement, tournait la planche sens dessus dessous dès que le manant s'y était engagé.

Un jour, un meunier de Kermagoër en la frairie de Linsac, se croyant plus fort que les autres, voulut tromper le lutin. N'ayant rempli sa pochée qu'aux trois quarts, il mit des pierres sur le dessus pour compléter le poids, se promettant de les sortir du sac après avoir franchi le pontet avant d'arriver à Treguel.

Mais le lutin devina le subterfuge, et le meunier, précipité dans la rivière, fut entraîné par les eaux jusqu'au delà du gué de Montnoël où, pour sa punition et volerie, il fut changé en une grosse pierre, qui se voit encore sur le bord du Don et s'appelle de son nom, la roche Mengraal."














Je n'ai pas trouvé de trace de la roche Mengraal. Avis aux amateurs : je suis preneur d'une photo...

samedi 15 septembre 2012

La pêche


Je sais, cela ne parlera pas forcément à tout le monde. Mais ce blog est aussi une célébration personnelle d'une mémoire de Guémené et du temps que j'y ai passé. Temps de vacances, temps de loisirs. Loisirs des années 60, des citadins en repli sur leur campagne d'origine ou d'adoption, loisirs en noir et blanc, loisirs populaires.

On ne pêche pas à Paris. En tout cas, ce n'était pas une activité de détente pratiquée par mon père, ni dans la Seine ni ailleurs. La pêche, c'était Guémené. Guémené, c'était la pêche. Forcément.

Cette association renforce dans mon esprit tout ce que la campagne signifie de liberté manuelle et de ressources, par opposition à la ville où rien n'est possible, pratiquement, et où tout doit s'acheter.

Être seul face à la rivière. Nulle part, dans un champ quelconque. La pêche, c'est aussi stationner improbablement dans un cadre qui mériterait d'ailleurs à lui seul, souvent, qu'on s'y arrête (mais on ne le fait jamais !) 

Attraper des sauterelles. Creuser la terre grasse pour saisir à main nue des vers de terre. Acheter un pot d'asticots. Quoi, également, de moins citadin ? La pêche renverse l'ordre des choses, c'est le carnaval sans le bruit.

J'ai toujours aimé les couleurs des flotteurs. Leur forme aussi, parfois bombée. A force de les regarder posés sur l'eau noire, on croit les voir danser et si l'on espère d'abord quelque prise, on renonce bientôt à croire au miracle, hypnotisé à force de les fixer. Des petits cercles d'eau s'en écartent sans raison. Un plongeon, une touche ? Rien.

Autant j'ai le souvenir que l'on ne pouvait pas passer un été à Guémené sans aller pêcher, autant je n'ai aucun souvenir des pêches réalisées, ni les miennes ni celles de mon père. Sans doute pas grand-chose.

Je me rappelle mieux les cannes fixées avec deux tendeurs au cadre du vélo. Le scion si fin, la rondelle de caoutchouc qu'on y enfilait. La difficulté à démonter la canne. L'hameçon dans la peau des doigts.

Mais à la pêche aux souvenirs, il reste tout de même des photos.



Je ne ferais pas de commentaires humoristiques sur la photo ci-dessus. Je n'ai pas l'humeur. Et puis c'est vrai que mon père, avec son allure de voyou des barrières, mégot en coin, à l'air de pisser. C'est 1957, le temps des barboteuses et des couvertures à carreaux pour le pique-nique .



Cette photo-ci date de 1962 ou 1963 peut-être, si j'en juge par l'âge possible de ma cousine à l'arrière-plan. Elle n'est pas mal (la photo, pas ma cousine). Il y a quelque chose "d'instantané" dans la pose de mon père. Quelque chose du sud aussi, une forme de désinvolture qui corrigeait un peu son âge, à mes yeux (je n'ai jamais su son âge exact à ce moment-là !).

Je me dis que la photo a été prise dans un lieu que j'associe à jamais à ma geste guémenoise et infantile, un endroit où nous allions souvent : vers la Vallée, quand en descendant le chemin, celui-ci fait en bas un coude à droite. On passait à gauche avant la passerelle, un gué et on arrivait dans ce champ. Lassés par l'immobile et vaine action de pêcher, on finissait dans l'eau du Don avec les vaches, souvent, qui s'y désaltéraient. J'en revois. J'aimais les pierres rouges et bleues qui peuplent le lit de cette rivière.



Que dire du Pont de la Rondelle ? Dans le chemin de croix du souvenir appelé à disparaître un jour avec moi, c'est sans doute une station importante. De la photo, il ne reste que le pont et l'appareil photo Kodak, tout petit, en bas au centre. Cet appareil posé là me fait penser irrésistiblement aux crânes représentés au pied des personnages des tableaux de la Renaissance figurant le Golgotha. Tous vont mourir. Vanité.

On ne sait pas si c'est le matin où le soir ; si l'on arrive ou si l'on part : la canne à pêche est pliée sur l'épaule, tenue comme un sceptre ou un faisceau de licteur par celui dont la figure domine la scène. Ma grand-mère et mes tantes sont à ses pieds. Je crois que ces gens-là s'aimaient bien.



Enfin, c'est l'Arc de Triomphe ! La même arche que dans le cliché précédent, mais de l'autre côté du pont (on peut s'en aviser en comparant les tâches d'humidité blanchâtres sous la voûte). Quelle drôle de touche a mon père, âgé, bonhomme, fier et mal fagoté. On a l'air d'être dimanche (le costume pour lui, les vêtements blancs pour moi). Comment a-t-on pu échouer là ?

A cet endroit précis, je me suis toujours demandé où l'eau s'en allait. Le pont à l'air de la fixer et rien n'existe plus en amont ou en aval. Le Pont de la Rondelle absorbe le Don. Et sous le Pont de la Rondelle une anguille noire et visqueuse sinuait, comme le génie du lieu, qu'il arrivait que l'on pêche.