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dimanche 11 septembre 2016

Le lutin d'Arondel


Guémené était dans mon enfance un pays de cocagne.

Non pas qu'on y était riche, loin de là, mais, venant de la ville où tout se paye, les fruits ou le poisson que l'on mange, les passe-temps,...et où tout est limité, par l'appartement exigü, les convenances, le chacun-chez-soi,..., le fait de pouvoir manger des fruits, des baies ou d'autres végétaux "gratuits", cueillis dans les haies, les arbres ou les prairies ; le fait de pêcher sa friture, ou le fait encore de pouvoir faire bien des choses en toute liberté dans les champs alentour en n'ayant d'autres bornes que notre fatigue d'enfants, conférait à cet endroit une aura d'abondance et de bonheur inégalables.

Le Pont de la Rondelle est un haut lieu de cette mémoire, en tout cas un "haut toponyme", jalon mémoriel inaltérable, avec "la Hyonnais", "le Bourg", "Beslé" et quelques autres.

J'ai toujours pensé que telle était son orthographe et non "Pont de l'Arondel", comme on voit quelques fois dans de vieux textes. Le dilemme est simple : la première est absurde et donc cocasse, triviale presque, faisant référence à rien d'imaginable ou de sérieux, tandis que la seconde est poésie, évoquant irrésistiblement l'aronde, l'antique hirondelle, l'arondelle et donc les beaux jours.

C'est un haut lieux car c'est ici que nous venions pêcher avec mon père, ce qui en soi n'est pas très original. Mais ce pont, et au-delà de l'objet qui enjambe le cours d'eau, le site, sont exactement synonymes de ces parties oiseuses où quelques rares habitants du Don complaisaient à mordre à nos hameçons.





















De manière hypnotique, des souvenirs envahissent ma pensée à l'instant où j'évoque ces moments, et un flotteur en forme de gros radis, blanc strié de rose, danse sur l'onde molle et sombre, captant toutes mes espérances d'alors.

C'est peu dire que je conserve une grande nostalgie de cette époque et de ce lieu ; c'est peu dire que le moindre élément le concernant mobilise mon énergie.















Ainsi l'autre jour, effectuant négligemment mes recherches sur Internet comme on lancerait sans trop y croire sa cuillère à la pêche au lancer, c'est-à-dire lançant trois mots dans le moteur Google sans penser à rien, me remonte une référence mentionnant ce fameux pont.

Il s'agit d'une petite légende que je ne connais pas, recueillie par Paul Sébillot et publiée en 1894. Elle fait partie d'un recueil intitulé extraordinairement : "Les travaux publics et les mines dans les traditions et les superstitions de tous les pays : Les Routes - Les Ponts - Les Chemins de Fer - Les Digues - Les Canaux - L'Hydraulique - Les Ports - Les Phares - Les Mines et les Mineurs".





















C'est qu'en 1889, cet ethnologue, écrivain et peintre français, originaire de Bretagne (1843 - 1918) - et qui consacra à sa province natale nombre de ses travaux -, est nommé chef de cabinet au ministère des Travaux publics, dont son beau-frère, Yves Guyot, est titulaire. Il reste à ce poste jusqu’en 1892, observatoire idéal qui lui permet de recueillir de nombreuses informations qui feront l’objet du volume mentionné ci-dessus.

Ce petit conte à pour épicentre un "pont de l'Arondel" qui n'a rien à voir avec le bel ouvrage que l'on peut encore observer et qui fut construit au milieu du XIXème siècle. Cet antique dispositif n'était probablement pas localisé à l'endroit exact où se trouve ce dernier, mais dans les parages, là où l'on devait pouvoir passer le Don plus ou moins à gué.

Dans cette histoire il est question de "frairies", une de Guémené et l'autre d'Avessac, commune limitrophe de Guémené dans cette partie ouest de la commune. Et d'autres lieux ou personnages sont évoqués, sur lesquels quelques éclaircissements pourraient être utiles.

Les frairies étaient une organisation sociale et religieuse des pays ayant parlé breton, héritée des vieilles institutions celtiques ("clans"), datant du VIème siècle, laquelle perdura jusqu'à l'époque moderne.

Dotées d'un chef, d'un saint patron, d'une chapelle et parfois d'un cimetière, ces entités géraient en particulier les terres communes et aidaient leurs pauvres.

La frairie de Sarran  à Guémené-Penfao occupait un espace géographique assez restreint (une quinzaine de kilomètres carrés), complètement à l'ouest de la paroisse, au sud du Don.

Sarran viendrait du breton et signifierait "ruisseau des grenouilles" peut-être en référence au proche ruisseau qui marque la séparation avec Avessac et qui va se jeter dans le Don.

Cette frairie était placée sous le patronage de Saint-Cloud (deux lieux-dits en témoigneraient encore) et regroupait les villages de La Jaunais, l'Epinais, Sarran, la Bottais, la Glaudais, le Pas-Heurtel, la Moussaudais, le Calvaire, le Plessis, Bolbrun, la Gautrais, le Perron, les Merions, les Mortiers, Vieux Champ, Orvault, la Nouasse, Port Jarnier (et surement la Rue Hamon, aujourd'hui disparu).

La frairie de Linsac, sur Avessac, occupait l'aire mitoyenne de la précédente, également au sud du Don. Dédiée à Saint Germain, elle comprenait les hameaux de la Boëssière, la Marotais, Linsac, le Pont, les Patys, Rohouan (Rohan), la Rochelle, la Houssais, le Chien-Hanné, la Triardais, la Sencerie, la Bodinière, Kermagouër, le Moulin-Neuf.

Le gué de Montnoël dont il est fait état également se situait probablement au bas de la métairie du même nom située sur le territoire de Guémené, en surplomb de la vallée du Don, au Nord de la frairie de Linsac, quatre kilomètres environ en aval de l'actuel pont de la Rondelle.

Kermagouër s'appelle aujourd'hui Camargois. C'est une éminence qui se trouve à la sortie de Guémené, à gauche sur la route de Redon. Une carrière de pierres en marque de nos jours l'emplacement. 

Cette colline regroupe encore trois moulins à vent. L'un a été transformé assez laidement (la tour crénelée et cimentée qu'on aperçoit depuis la route), un autre plus discret est en cours de restauration et un troisième, endormi dans un sous-bois est resté dans son jus antique.






















Derrière cette colline, au début de sa pente sud, des fouilles ont révélé les restes d'une villa gallo-romaine avec four et thermes. Kermagouer (ou Kermagoër) veut dire "village des murailles", faisant certainement référence aux ruines romaines toutes proches.





















Enfin l'histoire que vous languissez de lire comporte une allusion au "seigneur de Treguel et de la Rivière-Lanvaux". Treguel est une terre située à Guémené-Penfao, qui possède un magnifique château du XIXème siècle, à deux kilomètres au nord du pont de la Rondelle actuel. La Rivière-Lanvaux était une possession située sur Avessac.














Le premier seigneur de ce nom identifié est Pierre Rouaud, écuyer qui vivait à la fin du XVIème siècle. Ses descendants occuperont la position jusqu'à la Révolution.

Voici maintenant enfin le petit conte transcrit par Paul Sébillot :

Dans le temps que les gens de la frairie de Sarran, en Guémené-Penfao, étaient obligés de payer dîmes et redevances au seigneur de Treguel et de la Rivière-Lanvaux, c'était pour eux, comme pour les gens de la frairie de Linsac, en Avessac, grande peine et sujet de crainte lorsqu'il leur fallait franchir le pont d'Arondel pour se rendre au Manoir. 

Il n'y avait, en effet, dans ce temps, aucun pont sur la rivière du Don. souvent débordée et fort large, et au gué d'Arondel seulement se trouvait une large planche appuyée sur les deux rives. Or c'était à dessein, disait-on, que les seigneurs de Treguel maintenaient cet état de choses. 

En souvenir de services rendus jadis par un des leurs, un lutin s'était constitué le gardien de ce pas- sage et ne laissait point les mécréants le traverser indemnes. Mais ses châtiments ou ses malices atteignaient surtout ceux qui, d'une façon quelconque, cherchaient à nuire à son seigneur.

C'est ainsi que chaque tenancier qui mettait dans ses pochées une mesure de grain ou de farine inexacte était sûr de piquer une tête dans la rivière du Don, dont il ne se tirait jamais alors sans grands dommages, grâce au lutin d'Arondel, qui, infailliblement, tournait la planche sens dessus dessous dès que le manant s'y était engagé.

Un jour, un meunier de Kermagoër en la frairie de Linsac, se croyant plus fort que les autres, voulut tromper le lutin. N'ayant rempli sa pochée qu'aux trois quarts, il mit des pierres sur le dessus pour compléter le poids, se promettant de les sortir du sac après avoir franchi le pontet avant d'arriver à Treguel.

Mais le lutin devina le subterfuge, et le meunier, précipité dans la rivière, fut entraîné par les eaux jusqu'au delà du gué de Montnoël où, pour sa punition et volerie, il fut changé en une grosse pierre, qui se voit encore sur le bord du Don et s'appelle de son nom, la roche Mengraal."














Je n'ai pas trouvé de trace de la roche Mengraal. Avis aux amateurs : je suis preneur d'une photo...

dimanche 11 novembre 2012

La Fontaine Saint-Benoît


Je suis venu quelques jours à Guémené la semaine passée. L'occasion d'y rencontrer pour la seconde fois un homme remarquable et talentueux sur lequel je reviendrai, car il a beaucoup à nous dire et faire entendre...

Grâce à lui, j'ai parcouru le territoire de Massérac dont on peut bien parler dans ce blog guémenéen. Car qui plus que cette bourgade limitrophe peut faire partie du Pays de Guémené ? 

Comme on sait, cette bourgade endormie a son sort lié à celui de Saint-Benoît qui en est le père fondateur, et dont le souvenir religieux est toujours vivace.

C'est donc tout naturellement que nous avons marqué toutes les étapes d'un pèlerinage digne de ce nom. Parmi celles-ci, se trouve la Fontaine Saint-Benoît dont on peut admirer l'état actuel par la photo ci-dessous. 

Elle vient d'être rénovée par le propriétaire de l'étang que l'on aperçoit à l'arrière-plan. Un petit cartouche "2012", placé au fronton de l'édifice, rappelle et date cette bonne action.

On note au fond de la fontaine, derrière la grille, une petite niche avec une statuette de facture récente.

En contrebas de la grille, à quelques dizaines de centimètres, il y a de l'eau, plutôt claire.



Elle tire son nom de ce que les moines (Saint-Benoît même, peut-être...) venaient aux temps anciens y puiser leur eau, mais aucun caractère miraculeux n'y est spécialement attaché.

Il existe un éclairage sur ce qu'était cette fontaine antérieurement (notamment la statuette centrale) et sur les pratiques religieuses qu'elle inspirait.

Une fois encore, c'est à Paul Sébillot, déjà maintes fois sollicité dans ce blog, folkloriste et anthropologue du Pays Gallo, que je dois ce témoignage ("Petite Légende Dorée de la Haute-Bretagne", Nantes 1897, page 112) :


Non loin de l'ancienne église, au nord de la paroisse et au bord du marais, existe une ancienne fontaine, dite de Saint-Benoît : elle est construite en gros appareil, dans le genre du XIIIème siècle et est surmontée d'une croix de granit.


Au centre de son excavation existe encore une antique statue de Saint-Benoît en bois peint, de trente centimètres environ.

Elle représente un moine imberbe, vêtu de bure, la tête recouverte du capuce. La main droite retient, appuyé sur la poitrine, un livre peint en rouge ; la gauche, brisée au poignet, est tendue en avant et semble avoir tenu une crosse.

On vient prier devant cette petite statue, et plus d'un ancien, après avoir bu l'eau de la fontaine, embrasse la statue avec une religieuse ferveur.




La réfection évoquée dans la gravure ci-dessus date de la toute fin du XIXème siècle, puisque l'ouvrage de Sébillot a été édité en 1897.

On trouve facilement cette fontaine : elle est devant l'étang qui se trouve derrière la route qui passe derrière la gare ferroviaire. Elle est, plus simplement, derrière la gare...

Saint-Yves à Guémené (3)


Voici venu le moment du troisième et dernier petit conte autour de la figure de Saint-Yves, tiré des mêmes sources que les deux posts précédents.

Revenant de Paris (où il fit sa scolarité) à cheval (ce qui rappelle qu'il était de noble extraction), Saint-Yves s'égare et son cheval déferre. Un tailleur du coin, au lieu de l'aider, le rabroue et le saint le rend boiteux comme son cheval. Voilà pourquoi les tailleurs claudiquent !

Il est évidemment curieux de voir affirmer que les "couturiers" boitent en général, ce qui, au passage, emporte une autre idée aussi étrange par sa généralité : les tailleurs n'ont pas de religion. En tout cas, le petit père Saint-Yves n'avait pas trop le sens de l'humour.

Tout le "truc" de l'histoire repose sur un parallèle (une sorte de jeu de mot) entre le Saint assimilé à un "carme déchaussé (deschaux)" et le cheval dont le pied se trouve sans fer.

L'Ordre monacal des Carmes Déchaussés allait pieds nus dans des sandales, et donc sans chausses ni chaussures. Mais Saint-Yves n'appartenait pas à cet ordre...Bref, on est un peu dans la littérature.


Je renvoie à l'article wikipedia consacré à ce Monsieur, qui apporte un éclairage intéressant sur ce curieux personnage :


http://fr.wikipedia.org/wiki/Yves_H%C3%A9lory_de_Kermartin


En attendant voici...

...Pourquoi les couturiers sont généralement boiteux : 

Un jour que Monsieur Saint-Yves revenait de Paris en Basse-Bretagne il se perdit sur le tard dans 1es grandes landes de Montnoël entre Guémené et Massérac.

Le saint était fort ennuyé, car les chemins étaient mau­vais et sa monture avait perdu un fer. Mais ayant entendu chanter, il reprit bon espoir et aperçut bientôt un tailleur de la Cavelais qui revenait de sa journée.

Notre saint l’aborda aussitôt et le pria de le remettre dans son che­min en lui indiquant le bourg le plus voisin, pour qu'il puisse faire referrer sa bête.

Mais au lieu d'obliger Saint-Yves, notre tailleur qui n'avait guère de religion, se mit à le railler et lui dit, que « puisque les moines allaient deschaux, sa bête pouvait bien faire de même, car il était juste que le valet manquât de souliers du moment que le maître n’en portait point ». 

Mais Saint-Yves trouva 1a plaisanterie mauvaise, et voulant punir aussitôt ce gouailleur, il lui déclara qu'à l'avenir, lui et tous ses confrères qui n'auraient pas plus de religion que lui, auraient comme son cheval une jambe défectueuse.

Et voilà pourquoi la plupart des tailleurs sont boiteux aujourd'hui.

samedi 10 novembre 2012

Saint-Yves à Guémené (2)


Le second texte concernant Saint-Yves s'intitule " Comment le diable emporta la servante qui avait voulu voler la statue du Saint ". Je le tire des même recueils du Marquis de l'Estourbeillon et de Paul Sébillot que le texte publié dans le post précédent.

Le point de départ de l'histoire se situe dans un village du voisinage de la chapelle Saint-Yves, à la veillée où les filles filent le lin. Cela rappelle que la Bretagne, libérée par le blé noir de la contrainte alimentaire, avait pu développer des cultures complémentaires comme celle du lin. D'où les nombreux tessiers, texiers ou tissiers (tisserands) que l'on retrouve dans les registres paroissiaux.

Quand on s'intéresse aux moulins de Guémené, on s'aperçoit d'ailleurs qu'à côté des moulins à farine, on comptait pour la préparation des étoffes, dans la première moitié du XIXème siècle, une tannerie (à Subrette) et des moulins à foulon (Moulin des Piles, à la Ménardais, au bas du village des Rivières, sur le Don).

Sur un mode simplissime, ce petit conte nous narre, l'histoire d'un mauvais troc d'une jeune présomptueuse : mon âme (mon être) contre un objet futile (un tablier de soie) au service de la vanité (paraître).

La fin, assez spectaculaire (édifiante comme une éxécution publique), sauve la morale. Et qu'on se le dise, il n'y a pas de rédemption pour le crime blasphématoire commis puisqu'il n'y a plus de corps à ressusciter à la fin des temps. Voici :


Au village de la Landezais, tout proche la chapelle de Monsieur Saint-Yves, était une jeune chambrière (servante), la plus accorte (dégourdie) de tous les environs. Raffolant de la toilette et ne songeant qu'a paraître la plus belle aux assemblées d'alentours, sa maîtresse lui avait souvent dit qu'elle vendrait son âme pour un bout de ruban. A coup sûr, elle ne pensait point dire si vrai, car cela arriva comme elle l'avait prédit.

Un soir de fileries (assemblée des gens d'un village réunis pour filer le lin à la veillée d'hiver), un de ses prétendus lui ayant demandé si elle était peureuse, elle ne craignit pas de dire qu'assurément elle n'avait peur de rien et que si on voulait lui donner une davantière (un tablier) de soie pour la prochaine assemblée, elle promettait d'aller dès le soir, au coup de minuit, chercher toute seule, la statue de Saint-Yves dans sa chapelle, distante d'un kilomètre environ, pour la rapporter au village de la Landezais.

Plusieurs jeunes gens tinrent la gageure et lui promirent la davantière demandée, si elle voulait exécuter sa promesse.

Hélas ! mal en prit à notre chambrière, elle partit au coup de minuit comme elle s’y était engagée, mais elle ne revint pas. 


Le diable l'avait emportée et son bourgeois (son maître), la cherchant le lendemain, ne trouva dans le chemin de la chapelle que sa chevelure pendue à un arbre, et la statue du saint qu'elle avait volée, entre ses deux sabots.

Saint-Yves à Guémené (1)


Saint-Yves fut, au XIIème siècle, un prêtre official de Tréguier, un official étant prêtre gradué en droit canonique ou en théologie qui avait compétence en beaucoup de matières, notamment en ce concerne les crimes commis par les clercs.

Ainsi Saint-Yves, fêté le 19 mai, est-il le patron des gens de justice, de la ville et du diocèse de Tréguier (et de plein d'autres lieux, d'ailleurs). De nombreuses chapelles lui sont dédiées en pays bretonnant et en pays gallo (Quintin, Saint-Helen, Caro...).

Dans notre paroisse de Guémené-Penfao, sur le bord de l'ancien grand chemin qui conduit à Massérac, existe aussi une vieille chapelle dé­diée au bienheureux Saint-Yves, que j'ai d'ailleurs déjà eu l'occasion d'évoquer (post : Parlons chapelles)

Non seulement cette chapelle et ses alentours sont remarquables et bien entretenus, mais cette partie Nord-Est de Guémené qui domine le Don est fort belle et je prends toujours beaucoup de plaisir à parcourir le bout de route qui, du moulin du Pont-Esnault conduit à Massérac en passant par Feuilly, le château de Friguel et la chapelle Saint-Yves.


Dans les villages des environs (Pussac, Pussaguel, la Landezais,...), qui sont évoqués dans ce qui va suivre, certains de mes ancêtres ont vécu. Enfin, je dispose d'un petit bois vers le village de la Gaharais qui me rapproche encore de ce coin de Guémené.

On dit que Saint-Yves, puissant protecteur, se souvenant sans doute de son ancien métier d'avocat, plaide volontiers en Paradis la cause de tous ceux qui l'invoquent avec piété et confiance. Mais, aussi digne que compatissant, il tient par contre a ce qu'on ne lui manque pas de respect...

Trois légendes illustrent ce dernier point. On peut les lire dans différents recueils du XIXème siècle accessibles sur le site de la BNF (gallica). La version que j'en donne provient des travaux du Marquis de l'Estourbeillon (Légendes du pays d'Avessac), reproduits dans un ouvrage de Paul Sébillot (Petite légende dorée de Haute-Bretagne).

Voici, pour ce matin, la première, intitulée : "Le Geai de Saint-Yves" qui semble destinée à illustrer bien entendu la puissance du saint et, sans doute, à expliquer la présence d'un objet particulier dans la chapelle (un oiseau de cire, aujourd'hui en tout cas disparu).

Il ne fait pas bon se moquer des saints. Il y a nombre d'années un homme du village de Pussac, situé, comme chacun sait, tout proche de la chapelle Saint-Yves, et que ses nombreux tours avaient fait surnommer le grand farçou (farceur) déblatérait sans cesse contre le saint pa­tron de la frairie, au grand scandale de ses voisins, et ne manquait pas de dire souvent, entre autres autres plaisanteries, aux gens dévotieux que, si Saint-Yves avait besoin qu'on veille si souvent à sa chapelle pour l'amuser, il trouverait bien lui, quelque jour, un bon moyen de le distraire.

Mais notre homme était un fanfaron et son essai ne lui réussit guère. A quelque temps de là en effet, ayant pris un jeune geai en revenant un soir de la foire de Fougeray, il n'eut rien de plus pressé, passant devant la chapelle, que d'y jeter, malgré ses cris, le malheureux oiseau en criant bien fort ;  " Tiens, Saint-Yves, toi qui n'a rien à faire, amuse te (toi) donc o (avec) cela !"

Mais à peine le grand farçou avait-il prononcé son blasphème, que ses jambes refusèrent de le mener plus loin et que, saisi d'une fièvre ardente, il dut se faire porter chez lui par ses compagnons de route. Il ne fut guéri qu'en promettant réparation à Saint-Yves et que lorsqu'il lui porta en pèlerinage un oiseau de cire, qu'on vit encore longtemps depuis dans sa chapelle.

dimanche 28 octobre 2012

Des grous et des couleurs…


Ma mère se souvient avoir vu sa mère à elle, ma Grand-mère Gustine donc, manger des grous.

Par la tournure de sa phrase, il s’en déduit qu’on n’en mangeait plus guère après la Guerre et d’ailleurs je n’en ai jamais entendu parler dans mon enfance.

Pour en avoir le cœur net, j’ai mené des recherches, et j’ai fini par trouver des petites choses sur la questions des grous.

Les grous sont liés à l’usage du sarrasin.

Voici donc, après un petit rappel sur cette plante, quelques éléments de recettes sur les grous.

Bien qu'il soit considéré comme tel dans l'utilisation qu’on en fait, le sarrasin n'étant pas une céréale, il n’est donc pas une variété de blé, même s'il est aussi appelé blé noir, parfois blé de barbarie (on le trouve aussi sous l’appellation « bucail » ou « bucaille »). 

Le sarrasin est une plante de la famille des polygonacées qui compte dans ses rangs l'oseille et la rhubarbe. Elle est originaire de l'Asie centrale et était très consommée par la population musulmane d'Orient. D'où son nom de Sarrasin.

Le sarrasin est cultivé en Europe depuis la fin du 14ème siècle.

Ses grains très foncés donnent, une fois moulus, une farine grise finement piquetée de noir.

Le sarrasin est resté une des bases de l'alimentation en Bretagne et en Normandie jusqu'à la fin du 19ème siècle, ainsi que dans le nord et l'est de l'Europe.

La consommation à base de sarrasin la plus connue est bien entendu celle de la galette.

Quand on décidait d’en faire, on préparait parfois beaucoup de pâte. Le premier jour, on fabriquait effectivement des galettes.

Puis le second jour, on prenait le restant de la pâte et on le cuisait. La bouillie s’épaississait à la cuisson que l’on arrêtait quand la consistance en devenait suffisante. On servait cette préparation dans son récipient de cuisson, en ayant fait un creux au milieu de la pâte cuite, où l’on déposait une grosse noix de beurre (salé bien entendu).

Chacun venait alors prendre une cuillerée de bouillie qu’il trempait dans le beurre fondu. Un petit coup de cidre là-dessus pour faire descendre…

S’il restait de cette « pâtée », on se gardait bien de la jeter et on la mettait de côté pour le lendemain…

Le troisième jour ainsi, on découpait des petits morceaux de grous. Puis on les mettait à « fricasser » dans une poêle. Ils servaient par exemple d’accompagnement à un morceau de viande ou de saucisse.

J’ai déjà évoqué dans un post précédent l’ouvrage du grand Paul Sébillot intitulé « Coutumes populaires de la Haute-Bretagne », ouvrage anthropologique de grande qualité et de grande rigueur paru en 1886. Ce libre traite surtout des us et coutumes du pays Gallo d’Ile-et-Vilaine, mais on y retrouve bien des descriptions d’usages en vigueur par chez nous encore au milieu du XXème siècle, voire plus récemment.

Il consacre notamment un chapitre aux habitudes de table des paysans gallos (il appelle cela les mœurs « épulaires », et j’ai appris ce mot…). En voici quelques extraits relatifs aux galettes et aux grous dont ma mère m’a signalé avoir été témoin :

« C’est ordinairement la maîtresse de la ferme qui est chargée de la fabrication de la galette, et au moment des grands travaux, elle s’y prend dès la veille. La personne chargée de la galette ne se dérange pas, en général. En certains pays, elle est presque constamment à genoux ; ailleurs elle est assise.

La pâte est versée au moyen d’une écuelle sur une plaque ronde en fer battu,qu’on nomme […] galetier. [] On l’étend à l’aide d’un petit râteau de bois qui porte le nom de rouable.

[…] On pose [les galettes cuites] sur une sorte de gril en bois placé sur la table de la ferme, et qui s’appelle hèche ; une héchée, c’est l’ensemble des galettes qui ont été préparées par la femme chargée de ce soin.

C’est sur la héchée que les gens de la ferme viennent prendre les galettes ; s’ils les mangent avec du lait, ils les déchirent avec les mains et les mettent dans le lait, toutes chaudes ; cela fait une espèce de potage.

On beurre aussi les galettes, et on les mange sans apprêt.

Lorsqu’elles sont froides, on les réchauffe sur la poêle « à la tripe », c’est-à-dire en morceaux ou entières, avec du beurre roux, ou simplement sur le trépied ou sur les charbons. On s’en sert en guise de pain pour manger de la viande froide, surtout du lard, de la saucisse chaude, ou des pommes cuites.

On casse aussi des œufs, et on les jette sur la galette à moitié cuite, où ils forment une sorte d’omelette.

[…] La bouillie de blé noir, suivant les pays, s’appelle grous, lites, peux. Ce mot est toujours employé au pluriel.

Elle se compose de farine de blé noir, délayée dans de l’eau, avec un peu de sel ; on la remue pendant un quart d’heure. On dit que pour être bien cuits les grous doivent vêner (vesser), c’est-à-dire éclater, neuf fois.

[…] Comme toutes les bouillies, celle de blé noir est mangée habituellement dans le vase où elle a été faite : c’est une casserole ou un bassin. Au milieu on met à fondre un morceau de beurre, où chacun vient tremper sa cuillerée de bouillie.

On en prend aussi des morceaux de la grosseur d’un œuf, et on les met dans une écuellée de lait, soit doux, soit baratté, soit dans du lait cuit.

On fait aussi frire dans la poêle des tranches de bouillie froide, qui sont coupées en carré ou tranches minces qui rappelaient assez par leur forme des petites soles. Aussi les nomme-t-on plaisamment des « soles de guéret ». »


Je voudrais conclure ce long post par un souvenir personnel qui se veut un hommage.

Quand j’étais enfant, La Hyonnais où nous demeurions se trouvant à un bon gros kilomètre du Bourg, j’allais à vélo faire les courses (le pain avec un tendeur sur le porte-bagages, le reste dans les sacoches). On achetait les galettes toujours au même endroit, c’est-à-dire chez Odette Leroux, rue de la Poste, entre la rue de Mirette et la rue de Beslé, en face de la rue de la Chevauchardais.

Je ne sais si quelqu’un se souvient d’Odette Leroux. C’était une vieille dame à la retraite, douce, avec des lunettes et des cheveux gris blancs ondulés, une sorte de mamie Nova des galettes. Elle avait une petite voix fluette du genre à aimer les enfants. Je n’y étais pas insensible. D’ailleurs, je ne l’ai pas oubliée.

Elle faisait son métier de galettière chez elle. On montait deux marches, peut-être, et on se retrouvait, passée une petite entrée, dans son petit temple du blé noir. La pâte était dans une « jatte » dont le nom m’a toujours semblé si approprié, sait-on pourquoi, à ces récipients de terre vernissés.

Il fallait attendre un peu pour la commande. Je n’ai pas le souvenir que c’était parce qu’il y avait du monde, mais probablement parce qu’elle faisait les galettes à la demande. Mais cette attente était compensée par son babil perché et l’odeur chaude et prometteuse des galettes sur la pierre du réchaud à gaz.

Il n’y a plus d’Odette Leroux. Voici cependant des adresses de sites où l’on trouve des recettes de grous :




Bon appétit !