Voici deux articles extraits de Ouest-Éclair de février 1919, tournant autour de la question du monument aux morts, et un troisième qui relate le rapatriement de cinq corps de soldats en 1921. J'y ajoute ensuite quelques précisions concernant le modèle de la statue dudit monument.
Les deux premiers articles sont intéressants sur le fond mais aussi de façon tout à fait incidente. C'est ce second aspect auquel je souhaite m'attacher présentement.
Le premier article relate une initiative, disons républicaine, visant à commémorer de façon marquante le sacrifice des enfants de Guémené lors du premier conflit mondial. On sent bien derrière la rhétorique du journaliste que la Municipalité désargentée use d'un stratagème idéologique pour obtenir que la population finance le monument. Rien n'est négligé pour ramasser de l'argent jusqu'aux tréfonds des campagnes : les "fonctionnaires" sont dûment missionnés.
Un pataquès se glisse dans le premier article : le mot "pasteurs", qui renvoie plutôt au clergé, est substitué au mot "facteurs", vaillants soldats de la Poste républicaine. Et l'on ne comprend pas vraiment comment ces "pasteurs" peuvent bien être désignés comme des "fonctionnaires" de la République.
Ce lapsus est rattrapé par un second article rapproché, qui rend deux jours plus tard aux "facteurs" le mérite qui leur revient dans cette entreprise. Mais, sans doute par souci d'équilibre politique, ce rectificatif, qui ne s'en donne pas le nom, enchaîne sur une initiative parallèle du clergé précisément, consistant à élever dans l'église un autre monument au Morts ! Bref, c'est la course à l’échalote entre laïcs et cléricaux...
Appréciez...
LE MONUMENT AUX SOLDATS MORTS POUR LA FRANCE
(Ouest-Éclair, 26 février 1919)
Parmi les questions inscrites à l’ordre du jour de la prochaine délibération du Conseil Municipal, figure un projet d’agrandissement du cimetière devenu insuffisant pour la commune. Les demandes de concessions à long terme, beaucoup plus nombreuses depuis quelques années, font présentement une nécessité de la mesure qui va être prise. Elle s’imposerait du reste pour une autre considération dont il sera fait état au cours de la même séance.
C’est que le terrain dont il s’agit serait consacré aux morts de la grande guerre. On graverait leurs noms sur le marbre d’un cénotaphe, dont la silhouette évocatrice se dressera bientôt au bout de la grande allée du cimetière, et ainsi se rapprocheront de nous les deux cent cinquante sépultures absentes et lointaines de nos héros qui dorment leur dernier sommeil à l’endroit obscur où la mort les a frappés.
Estimant avec raison que cette œuvre de justice devait être l’œuvre et en quelque sorte la propriété de tous, M. le Maire a fait un vibrant appel aux sentiments patriotiques bien connus de notre population, qui fut si admirable par son élan généreux, sa stoïque résignation et sa haute tenue morale, malgré les pertes éprouvées pendant ces quatre ans de guerre : deux cent vingt neuf morts et plus de cinquante disparus.
Sous les hospices de la Municipalité, une souscription a été ouverte en vue de couvrir les frais d’exécution de l’ouvrage. Grâce à l’activité de nos fonctionnaires, et en particulier de nos pasteurs [comprendre : facteurs. Cf. article suivant] , qui se sont fait un pieux devoir de les présenter dans les foyers les plus éloignés de nos campagnes, ces listes de souscription sont aujourd’hui couvertes de signatures.
La somme obtenue se chiffre déjà à près de 5.000 francs. Plusieurs artistes éminents ont été pressentis : leurs esquisses seront dans quelques jours soumises à nos édiles et à une commission choisie parmi les principaux souscripteurs.
Rappelons à nos concitoyens qui n’auraient pas encore versé leur cotisation qu’ils peuvent se présenter à la Mairie.
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LE MONUMENT AUX MORTS POUR LA FRANCE
( Ouest-Éclair, 28 février 1919)
Parmi les dévoués fonctionnaires qui se sont activement occupés de la souscription publique en vue d’élever un monument aux morts pour la patrie, nous n’aurions garde d’oublier les facteurs qui se présentèrent dans tous les foyers de nos campagnes avec un réel dévouement. Le comité d’organisation et la municipalité leur en sont grandement reconnaissants.
Il convient de signaler d’autre part, l’initiative prise par notre clergé paroissial, en vue d’orner l’église d’un monument qui sera également consacré aux soldats morts pour la patrie.
collection Jeanine H.
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Le troisième article évoque le retour de 5 corps de soldats. C'est un article sobre : dans le fond, il n'y a pas grand chose à dire. On sent bien que pour tous : parents de ceux que l'on inhume ce jour-là à Guémené ; parents de tous les autres, bien plus nombreux dont les pères, frères, fils ne reviendront jamais, ni en vie ni au cimetière ; cousins, voisins, amis, alliés ; que pour tous donc, c'est l'occasion sans doute attendue et probablement unique de faire (un peu) son deuil.
RETOUR DE NOS MORTS
(Ouest-Éclair, 16 juin 1921)
Dimanche dernier avait lieu l’inhumation de cinq des enfants de Guémené morts au Champ d’honneur : le lieutenant Aristide Métayer, les soldats Geffriaud Alexandre, Jambu Isidore, Gauthier Pierre, Boutard Albert.
A la gare, à l’ouverture de wagon, les corps furent salués par le président de la section U.N.C. au nom des Anciens Combattants. Le long cortège s’achemina vers l’église, trop petite pour contenir la majorité des habitants de Guémené.
Au cimetière, le président de la section de l’U.N.C. prononça deux discours émus, l’un devant la tombe du lieutenant Métayer, son camarade d’enfance, l’autre devant le tombeau des soldats Geffriaud, Jambu, Gauthier et Boutard, rappelant à tous la grandeur du sacrifice consenti par ces braves pour la cause sacrée de la défense de la Patrie.
Le lieutenant Aristide Métayer était né en septembre 1890 au bourg, d'un père maçon et d'une mère cultivatrice. Servant au 151ème Régiment d'Infanterie, il a trouvé la mort dans l'Oise, au Fayel, le 16 juin 1918.
Alexandre Geffriaud était né en juin 1896 et trouva la mort en août 1918. Il appartenait au 2ème Régiment d'Infanterie Coloniale.
Isidore Jambu n'était guère plus âgé, étant né en mars 1896. Affecté au 9ème Régiment de Marche de Zouaves, il fut "tué à l'ennemi" fin juillet 1918, dans l'Oise.
Pierre Gauthier était un jeune caporal du 155ème Régiment d'Infanterie décédé en août 1918 âgé de 21 ans, à Hémévilliers, dans l'Oise également.
Quant à Albert Boutard il a disparu à 20 ans, en juin 1915 à Compiègne.
Enfin, je dois à une fière guéménéenne (Jeanine H. : je ne sais si elle serait d'accord pour que je livre son identité) un renseignement sans doute inédit dont je la remercie vivement.
Elle me fait ainsi savoir que la statue qui surplombe le cénotaphe des morts de Guémené, a eu une femme du cru pour modèle. Il s'agit d'une institutrice - qu'elle a connue - de l'école de jeunes filles de Guémené, qui se nommait Madame Masclaux.
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