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vendredi 16 août 2013

Caprices de Marquise


Ce n'est pas tous les jours facile d'être curé. 

L'abbé Querrion qui officiait à Guémené sous le Second Empire en savait quelque chose et, à l'occasion, s'épanchait auprès de son évêque, le bon Monseigneur Jaquemet de Nantes ou, du moins, auprès de son vicaire général. C'est ainsi d'ailleurs que l'on conserve le souvenir de ces petites difficultés de la vie sacerdotale et sociale.

D'une, en particulier, qui mit aux prises ce curé de à une châtelaine de l'époque.

L'époque, c'est 1867. Si Napoléon III est Empereur à Paris, Henriette-Marie-Elisabeth Leviconte de Blangy, Marquise du Brossay par la grâce de son mariage avec Louis-Marie-Philippe de Becdelièvre, règne en son château et sur ses gens, un peu loin de tout, en sa terre située à deux lieues au nord du bourg de Guémené.


Le château du Brossay possède une chapelle privée, lieu de sépulture et d'offices religieux. Considérant son éloignement du bourg (8 kilomètres), on comprend la tentation de tenir les cérémonies dans ce petit temple (reconstruit en 1836 et inauguré par l'évêque de Nantes Antoine Jacquemet), au profit des châtelains, de leur domesticité, voire de leurs métayers.

Cette tentation taraude la Marquise Henriette. Elle fait donc savoir au brave curé Querrion (en particulier à la veille de grandes fêtes de la liturgie catholique), qu'il serait bon qu'il passe la voir au château, histoire de la confesser en sa chapelle.

La raison invoquée par la noble dame est, somme toute, parfaitement naturelle : le temps et les chemins sont mauvais...(il va sans dire qu'ils étaient en revanche encore assez bons pour le curé...) et Henriette-Marie-Elisabeth craint d'abîmer sa voiture et ses chevaux...

D'où il vient qu'un curé vaut moins qu'un cheval de Marquise. A cette aune-là, que vaut alors un domestique ou un métayer ?!

Jusqu'à récemment, le curé Querrion a refusé d'obtempérer. Mais c'est qu'il avait une parade : de telles cérémonies nécessitent une autorisation de l'évêque. Celle-ci n'ayant pas été délivrée, il était facile d'envoyer aux pelotes la Marquise. Or l'abbé Querrion craint que l'évêque n'accorde justement cette  permission, cette année...

Dès lors, dit-il, la Marquise saura en profiter. Il ajoute, ce qui permet de se faire une idée du portrait au moral de cette gente personne, que "quand elle veut une chose elle ne comprend pas qu'il puisse y avoir une raison valable pour la lui refuser". On ne devait pas rigoler tous les jours au château du Brossay et dans ses métairies...

Le curé Querrion aura gain de cause et l'évêque ne donnera pas sa permission. C'est que l'évêque sait à qui il a affaire.

En effet, à ses talents de collet monté mal embouché, la Marquise prétend ajouter des talents littéraires propres à satisfaire notre Sainte Mère l'Eglise. Elle a ainsi commis un petit opuscule de piété, il y a quelque temps, pour lequel elle a souhaité obtenir l'approbation de l'évêque de Nantes. Elle lui a donc transmis...

Il faut croire que les grands talents s'exposent à l'injure de l'incompréhension, même de la part d'un évêque.

Car Monseigneur Jacquemet n'a pas vraiment trouvé le livre de piété de la Marquise à son goût. En tout cas pas à des fins de piété. Comme combustible, ça se regarde : "c'est un ouvrage bon à jeter au feu..." s'étrangle le prélat nantais. Et comme souvent, l'envie suscite la bassesse : "il n'est pas écrit en français..." poursuit le colérique mitré.

On peut d'ailleurs se demander si l'évêque avait toute sa tête ce jour-là, avouant lui-même ni rien comprendre : "...beaucoup de choses n'ont pas de sens commun...". Et puis, il confesse également les limites de sa culture et de son expérience, reconnaissant : "...je n'ai jamais vu pareil galimatias...".

Sensible néanmoins à la fatuité marquisale, et donc charitable, il en déconseille la publication car : " l'impression couvrirait son auteur de ridicule...". Et voilà probablement comment un mauvais sens critique épiscopal vous prive d'un chef-d'oeuvre littéraire et catholique.

Evidemment, on peut difficilement considérer que les allégations de l'évêque forment "une raison valable", susceptible de s'opposer à la volonté de la Marquise de faire publier son oeuvre. L'abbé Querrion, le pauvre, a dû se faire sonner les cloches pendant un bon moment...

2 commentaires:

  1. Nous n'aurons donc pas connaissance du chef d'oeuvre ? Quel dommage

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  2. Les descendants l'ont peut-être mis sous cloche : ça finira par ressortir sur Ebay ou Leboncoin...

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