Jacques Guérin était né le 18 novembre 1833, à trois heures du matin, au Nord de la commune de Guémené, au gros village du Brossay. Ses parents, François Guérin et Françoise Meslin, étaient laboureurs. Le papa Guérin ne savait pas écrire.
Il semble que la famille n'ait pas dû beaucoup s'accroître et tout laisse même à penser que Jacques fut l'unique enfant de ce couple.
Le seul écho de sa brève vie dont on dispose est son acte de décès en date du 8 juin 1862. Ce jour-là, à quatre heures et demi du matin, il s'éteignit à l'hôpital maritime de Shanghai des suites du choléra. Trois témoins "mâles et majeurs" vinrent, selon la loi, en effectuer le constat.
Comment avait-il pu en arriver là ? - En bateau, par la grâce d'une expédition militaire.
Au moment de son décès, Shanghai est, depuis une douzaine d'années, une des villes "ouvertes" que la Chine a dû concéder à la voracité coloniale des Occidentaux après la première guerre dite "de l'Opium", au milieu du XIXème siècle. Une seconde guerre de l'Opium vient à nouveau, en 1859 - 1861, de mettre aux prises les Chinois et les alliés franco-britanniques qui renforcent encore leur emprise.
Une Concession française (en vert sur la carte ci-dessous) coexiste, à Shanghai, aux côtés de Concessions britannique et américaine (qui vont bientôt fusionner en une "Concession Internationale"). Il s'agit d'un territoire d'une soixantaine d'hectares composé de terrains marécageux extorqués à l'Empire du Milieu, situés à l'Ouest de la ville indigène et au Sud des autres concessions. Une langue de terrain finira par s'insinuer entre les autres Concessions et la vieille cité chinoise entourée de murailles circulaires pour atteindre le fleuve Huangpu le long de ce qu'on appellera le "Bund".
Quand Jacques Guérin y est débarqué, seule une poignée de français y mènent une existence compliquée, dans un milieu humain, politique et climatique hostile. Mais la ville commence à prendre son tour colonial (ci-après une vue datant de 1860).
Jacques Guérin est alors chasseur à la 2ème Compagnie du 3ème Bataillon d'Afrique, un des trois Bat'd'Af, ces unités de l'Armée d'Afrique qui ne regroupaient pas que les meilleurs sujets. C'est le matricule n° 7.148
Les soldats du 3ème Bataillon étaient surnommés les "Chardonnets". Certains étaient des engagés. La plupart étaient des jeunes gens un peu durs, parfois condamnés, qui effectuaient alors un service militaire de cinq ans dont seul l'argent (beaucoup d'argent) pouvait les exonérer. Difficile à ce stade de dire quelle était la situation précise du jeune Jacques dont la présence chez ses parents à Guémené est encore attestée en 1861.
Le document officiel signé des Autorités françaises de Shanghai, signalant le décès du jeune soldat, fut adressé à la Mairie de Guémené le 1er juillet 1862 : il émanait de la Division Navale de Chine. Il arriva le 17 août suivant, délai normal d'acheminement par bateau (le Canal de Suez n'est pas encore ouvert).
Le garde-champêtre vint sans doute apporter la mauvaise nouvelle. On dit peut-être une messe à la chapelle du Brossay pour celui dont le corps se dissoudrait à jamais dans les lointains marécages de Shanghai (peut-être dans le cimetière figurant au centre du croquis ci-dessous).
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