Quand on traverse le paisible
Beslé d’aujourd’hui, cette section de Guémené qui borde la Vilaine et qu’on
associait jadis jusqu’à Rennes et Nantes aux délices de la pêche dans son bief,
on ne peut croire que son petit bourg abrita naguère un personnage désormais bien oublié, mais qui sans doute, avant-guerre, dut bien faire jaser dans les
chaumières guémenoises.
Léon Gros était né le 21
septembre 1900 à Tours. Il s’était marié à Langon (Ile-et-Vilaine) le 16
septembre 1924 avec Marie-Joseph Billard (descendance). Une séparation de corps
était prononcée entre les époux le 24 septembre 1962 par la Chambre d’Appel de
Rennes. Léon Gros mourait le 28 octobre 1979 à Saint-Just (Ile-et-Vilaine).
Léon était le fils de Léon
Gros, lui-même horloger à Tours, demeurant 19 rue des Ursulines.
Entre 1927 et 1940, on ne
compte pas moins de onze articles dans les différentes éditions de Ouest-Eclair où il est question de Léon
Gros.
Il semble, en dehors de
Beslé, avoir habité en plusieurs communes de la rive droite de la
Vilaine : Brain, Redon, Saint-Just…
Oyons donc, amis, les
aventures de l’horloger de Beslé.
1/ Ouest-Eclair du 25 octobre 1927
Ce premier article est en
fait la transcription d’un courrier adressé au journal par notre nouveau héros,
à propos de l’observation d’un étrange phénomène survenu dans la nuit. Il est
intéressant par la bonne écriture du personnage, ainsi que par la signature où
il fournit, non sans prétention, sa qualité.
« Bonjour Monsieur le Rédacteur en Chef,
Je m’empresse de vous écrire pour vous faire savoir
que j’ai également aperçu le 20 octobre (1927) à une heure et demi du matin, le
phénomène céleste que signale un de vos lecteurs.
Revenant très tard en moto de Chateaubriand, par
Derval, passé Pierric (Loire-Inférieure) route de Beslé (Loire-Inférieure), je
remarquai tout à coup une grande lueur éblouissante au Nord-Est : c’était
une sorte d’étoile qui venait de gauche et s’en allait vers la droite, dans le
sens horizontal tout en sautillant par intermittence.
Ladite étoile se transforma, un peu avant d’arriver à
son point culminant, en une sorte de boule de feu qui laissait derrière elle
une longue traînée lumineuse d’un éclat difficile à soutenir. Je vis ensuite
trois grandes lueurs verticales ressemblant à des faisceaux de projecteurs et
qui allaient doucement vers la droite. Puis plus rien.
Léon Gros, horloger - expert en petite mécanique
générale à Brain-sur-Vilaine.»
(Le journal se demande s’il
ne s’agirait pas d’une aurore boréale.)
2/ Les dix articles suivants
révèle un autre jour du personnage, moins favorable et au final presque
sympathique (en dehors de l’épisode de la roustée à sa femme) : celle
d’une sorte de petit escroc de comédie italienne, fort avec les faibles et faible
avec les forts, un minable délinquant tous azimuts, gibier pitoyable des
prétoires des Tribunaux correctionnels de Saint-Nazaire ou de Redon.
2-1/ Ouest-Eclair du 7 février 1929
Du précédent article à celui-ci,
on s’aperçoit que Léon Gros était un homme motorisé : tantôt une moto,
tantôt une automobile.
On y apprend aussi que le prix d'un genou n'est pas très élevé.
Le 14 novembre (1928) M. Léon Gros montait en
automobile la rue de Rennes (ville
non précisée : Nantes ?). Il
venait de doubler un tramway lorsque, redressant sa direction, il accrocha une
charrette à bras qui elle-même « balaya » un employé du Service des
Eaux, M. Florin, occupé à manœuvrer une prise d’eau.
M. Florin, atteint, d’une fracture du genou, dut
rester un mois à l’Hôtel-dieu.
On reprochait à M. Léon Gros un excès de vitesse, une
fausse manœuvre et de n’avoir pas corné pour avertir le conducteur de la
charrette qui roulait devant lui.
Après une bonne plaidoirie de Me. Ricordeau fils,
l’automobiliste a été condamné à 25 francs d’amende.
2-2/ Ouest-Eclair (Rennes) du 19 janvier 1929
Après l’homme éduqué et
curieux, le délinquant de la route « par accident », voici que
commence la série des méfaits volontaires de Léon Gros. Contrairement aux
bonnes histoires, le meilleur n’est pas pour la fin, mais pour le début.
Outre les péripéties qu’il raconte,
l’article suivant offre un portrait à la fois au physique et au moral du jeune
Gros, et nous apprend qu’il louait son logis chez un mécanicien de Beslé où il
vivait avec femme et enfant.
En creux de cette escroquerie
à la soutane, on devine un monde rural crédule. On appréciera enfin la qualité
d’écriture du journaliste hélas anonyme.
Une grossière parodie.
Léon Gros, 28 ans, est un fort garçon imberbe, les
yeux lourds derrière ses lunettes. Il était horloger à Beslé, mais il ne lui
plaisait point sans doute de manier les brucelles (pinces d’horloger)
et d’examiner à la loupe, tout au long des journées, les rouages des montres.
Bien que marié et père d’un enfant, il semble surtout
demander au vol et à l’abus de confiance les subsides nécessaires à
l’apaisement de sa soif inextinguible.
Il tient d’ailleurs, avec son air bonasse, à jouer les
escrocs de grande envergure, friand de mise en scène. Gros ne s’est-il pas
déguisé en capitaine - aviateur ou en lieutenant de vaisseau constellé de
décorations ?
Jaloux du laveur de vaisselle italien qui, comme faux
prélat polonais, défraya la chronique des Côtes-du-Nord, il s’est regardé dans
une glace et s’est trouvé un masque ecclésiastique.
Il a échafaudé une combinaison qu’il espère fertile
et, pour la réaliser, vient à Rennes.
Chez un costumier de la ville, il loue une soutane, se
prétendant envoyé par un patronage où l’on monte une séance récréative et,
transformé en abbé débonnaire, il commence à courir les campagnes.
En novembre (1928) dernier, un curé-doyen de la région
apprend de son coiffeur qu’un prêtre est venu chez lui se faire tonsurer. Le
coiffeur qui paraît scandalisé, pousse plus loin ses confidences :
ce prêtre inconnu au pays était admirablement ivre et parlait à tord et à
travers.
Le Figaro a pu ainsi apprendre qu’il avait été ordonné à St Quentin,
qu’il appartenait à des missions africaines dont le noviciat était dans cette
ville et qu’on l’avait envoyé en
Bretagne pour quêter pour l’Ordre.
L’honorable curé-doyen s’émut et pria la gendarmerie
de surveiller cet étrange abbé qui roulait à bicyclette dans les environs.
A la porte d’un hôtel, les gendarmes trouvèrent une
bicyclette qui portait deux plaques d’identité, l’une au nom d’un mécanicien de
Beslé, l’autre à celui d’un vicaire de Nantes.
Une rapide enquête leur permit d’éventer les trucs de
Gros.
Il se présentait dans les fermes et après avoir exposé
la situation difficile de l’œuvre en faveur de laquelle il faisait appel aux
âmes pieuses et charitables, il s’inquiétait de la santé du bétail. S’il y
avait eu de la morbidité dans l’année, il s’offrait pour la modique somme de 3
francs, à attirer la bénédiction du Ciel sur l’étable et, gravement, prononçait
dans son abracadabra des formules destinées à écarter les génies malfaisants.
La cérémonie terminée, se tournant vers la métayère,
il prenait sa voix la plus édifiante pour lui susurrer : « Ma sœur, si vous ajoutiez quelques francs, je
ferais dire des messes pour vos
animaux… ». Il ne disait pas si ç’aurait
été à l’hôtel (sic) de quelque
St-Herbot ou de quelque Cornely, en Basse-Bretagne.
La bonne femme, touchée du « Ma sœur » dont la gratifiait un abbé si poli, retournait parfois à l’armoire. Inutile d’ajouter que notre homme ne refusait pas les offrandes en nature et qu’il rendait hommage aux crus du terroir, vidant pichet sur pichet. « Est-il simple, ce prêtre-là ! » devaient dire les bonnes gens. On s’étonne d’ailleurs, à l’entendre patoiser, qu’il ait pu donner le change à quelqu’un.
Quelques jours plus tard, on rencontrait un jeune
abbé, saoul comme un polonais, qui zigzaguait à bicyclette ou s’asseyait pour
souffler sur un accotement.
Les farces trop prolongées fatiguent. Arrêté, on vit
au Parquet de Rennes la pittoresque apparition d’un gaillard penaud, en complet
usagé mais au chef adorné d’un magnifique chapeau de curé.
Il n’avait pu heureusement escroquer de bien grosses
sommes.
Il tenta en vain de faire croire à une plaisanterie, à
un pari passé avec son propriétaire, ce que celui-ci démentit. La bicyclette,
outil de travail de Gros, lui appartenait. La plaque portant le nom de ce
mécanicien de Beslé, avait été commandé pour les besoin de la cause. Avec la
soutane, il fallait l’adresse d’un presbytère et la qualité de vicaire de
Nantes ou d’ailleurs.
On a voulu faire passer Gros pour un faible d’esprit,
mais des renseignements il ressort qu’il ne déraisonne qu’à la suite de ses
interminables libations.
Me Didier défend Gros qui pleure, affalé sur son banc.
Deux mois de prison.
2-3/ Ouest-Eclair (Nantes) du 16 mai 1930
Les choses se gâtent. Si le
pittoresque du personnages est encore mentionné, l’affaire est moins
drôle : l’escroc qui exploitait la crédulité des bonnes gens de la
campagne se fait voleur, et ça coûte plus cher…
Un singulier personnage.
Gros Léon, 29 ans, est un singulier personnage qui a
teint en noir ses cheveux blancs et s’est promené souvent dans des lieux
suspects revêtu d’un costume ecclésiastique.
On l’accuse d’avoir vendu des montres en or et en
argent et des alliances qui lui avaient été confiés aux fins de réparation ou
d’expertise, par des clients de Blain, de Guémené et de Batz (Loire-Inférieure). Une bicyclette prêtée à
cet individu est demeurée introuvable.
Pour se justifier, l’horloger a inventé des histoires
d’agression dont il aurait été victime à Nantes.
Par défaut, six mois de prison.
2-4/ Ouest-Eclair (Nantes) du 13 juin 1930
Les mauvaises nouvelles
s’enchaînent pour Léon, encore dans le registre du vol. On en apprend un peu
plus sur ses travestissements.
Léon Gros, Fregoli horloger.
Horloger à Beslé, âge de 29 ans, qui se métamorphose
en ecclésiastique, en romanichel…et en soubrette, selon les endroits, est
encore inculpé d’un vol de montre. Le bijou lui avait été confié par M. Leroux
de Nantes.
Gros est condamné à six mois de prison. Cette peine se
confond avec elle prononcée le 15 mai dernier, par le Tribunal de Saint-Nazaire
également.
2-5/ Ouest-Eclair (Rennes) du 20 août 1930
L’année 1930 est décidément
un bon cru pour Léon l’horloger de Beslé. L’épisode suivant nous révèle de
nouveaux talents de délinquants du sieur Gros : la grivèlerie et la
fabrication de fausses pièces d’identité.
On y voit aussi, à la fin, que le
personnage commence à connaître son droit. Le théâtre de ses opérations délictueuses
se situe cette fois à dix ou vingt kilomètres au sud-est de Rennes
Langon : une bonne prise.
Les gendarmes étaient avisés, avant-hier, qu’un homme,
après s’être fait servir un repas chez madame David, au bourg de Lassy, était
parti à bicyclette en négligeant de régler l’addition.
Les agents de l’autorité se mirent à sa poursuite et
furent assez heureux de le rejoindre près de Brial-sous-Montfort.
Notre homme, ramené à Lassy, reconnut la filouterie
d’aliments qui lui était reprochée et exhiba des papiers au nom de Gautier
Louis, originaire de Tours.
L’individu se disait horloger, actuellement au service
de M. Leclerc de Talensac.
Entre temps, une nouvelle plainte était déposée contre
l’homme par Madame Bossard qui, le 12 courant, lui avait donné à manger et
n’avait pas été payée. L’individu, pour inspirer confiance, lui avait déclaré
venir réparer l’horloge de l’église.
Les gendarmes téléphonèrent pour obtenir des
renseignements sur l’individu qui, se voyant pris, avoua son véritable
état-civil, Gros Léon, horloger, né à Tours et âgé de 30 ans.
Gros reconnut alors avoir falsifié un acte de
naissance et s’être fabriqué d’autres papiers de fantaisie pour pouvoir égarer
la police.
Notre homme était en effet recherché pour purger une
peine de six mois de prison encourue à Saint-Nazaire pour escroquerie.
Il y a quelques jours, Gros avait déjà été arrêté à
Langon pour purger cette peine, mais il avait déclaré faire opposition au
jugement qui ne lui avait pas été notifié et avait promis de se présenter à
Saint-Nazaire pour défendre sa cause.
2-6/ Ouest-Eclair du 24 août 1930
Justement, notre héros ne se
présente pas à l’audience d’appel. Visiblement, le Tribunal correctionnel de
Saint-Nazaire perd patience. Cette fois, le journal fait le service minimum.
L’horloger Fregoli.
Gros Léon, 25 ans (sic), est cet horloger de
Guémené qui oublie de rendre aux clients les montres qu’il a réparées.
Cet individu change souvent de costumes. On l’a vu
revêtu d’une soutane puis d’une robe de femme.
Condamné deux fois à six mois de prison, il fait
opposition. Comme il ne se présente pas, le tribunal confirme ses jugements.
2-7/ Ouest-Eclair du 13 mai 1933
Après les frasques de 1929 et
1930, une accalmie de trois ans (sans doute occupée aussi par un peu de
prison). On retrouve le bonhomme du côté de Redon.
On sait que Léon Gros est un
homme marié, père de famille. Voici maintenant l’occasion d’une plongée dans
son intérieur de nature à fournir matière à un article de journal et…à une
condamnation dont on appréciera, à l’aune de notre morale d’aujourd’hui,
l’incroyable faiblesse.
Ceci est aussi un écho du Tribunal correctionnel de Redon,
aujourd’hui disparu.
Redon. La lune rousse.
La femme de Léon Gros, horloger à La Touche de Redon,
quittait le domicile conjugal le 20 avril dernier pour éviter les scènes que
lui faisait son mari, et allait chez sa mère habitant la Morinais en Langon.
Gros alla dans la nuit même chercher sa femme. Il se
fit même ouvrir la porte, gifla sa femme à plusieurs reprises et bouscula
quelque peu la belle-mère, puis ramena sa moitié chez lui.
A l’origine de cette affaire, il y aurait de la
jalousie. (16 francs d’amende).
2-8/ Ouest-Eclair (Rennes) du 14 septembre et du 30 octobre 1937
Léon Gros est revenu à Beslé.
Après avoir molesté physiquement sa moitié dans l’épisode précédent, il va se
manifester à nouveau en s’en prenant verbalement à des agents de l’autorité.
Un premier article relate
l’incident et un second se fait l’écho de l’audience au tribunal de Redon qui
s’ensuivit.
On ne dit jamais les termes
utilisés par l’horloger à l’encontre des Pandores. Mais le titre plein de
finesse du second article, fait comprendre qu’il les traita probablement de « cons ».
Les gendarmes de Pipriac ayant interpellé le sieur
Gros Léon, horloger à Beslé de triste notoriété pour défaut de plaque de
contrôle, ce dernier refusa de donner son identité et les injuria (conclusion : procès-verbal pour outrage et
défaut de plaque).
***
Où il est question d’intelligence.
Léon Gros, horloger à Beslé, se trouvant de passage à
Langon et roulant sur une bicyclette sans plaque, a été interpellé par un
gendarme.
Ce fut l’occasion d’un petit scandale, Gros outrageant
l’agent de l’autorité qui, aux dires d’un témoin, fit preuve d’une belle
patience (48 heures de prison pour
outrage à gendarme).
2-9/ Ouest-Eclair (Rennes) du 25 novembre 1940
Evidemment, les temps sont
durs. La France est vaincue, mais pas Léon Gros, qui tente (en vain) de prendre
enfin sa revanche judiciaire après une grosse décennie de déboires.
L’objet du litige, une paire
de lunettes confiée à, ou attendue de Léon Gros, peut bien sûr paraître
surprenant s’agissant d’un horloger. Mais cela semble aller de soi pour le
journaliste qui n’éclaircit pas le point.
Emile Leblond et Juste Baudu, cultivateurs à la
Bescherais en Saint-Just, avaient fait l’objet d’une plainte de Léon Gros,
horloger.
Les deux cultivateurs s’étaient présentés le 21
octobre (1940) au soir pour réclamer une paire de lunettes. Ce dernier ne
voulait pas les recevoir et, quand il ouvrit la porte, il avait en main une
trique, laissant présager des intentions belliqueuses.
Gros prétendait avoir fait l’objet de violences des
deux hommes qui, de leur côté, déclaraient n’avoir fait que désarmer
l’horloger. (Les deux hommes sont
acquittés).
Voilà un bien long article pour un jour chômé...mais le mérite (ou l'inconvénient) en revient à Léon Gros et aux très bons journalistes de feu Ouest-Eclair.
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