La IIème République est peu connue. L'intransigeance du Premier Ministre de Louis-Philippe face au besoin de réformes finit, en 1848, par coaliser contre lui des forces politiques hétéroclites qui le renversent.
S'ensuit une éphémère République qui meurt une première fois en décembre 1851, lors du coup d'Etat de Louis-Napoléon Bonaparte contre la Chambre dominée par les monarchistes (et contre ce qu'il reste d'opposition républicaine), puis une seconde fois avec la proclamation du Second Empire, un an plus tard, le 2 décembre 1852.
S'ensuit une éphémère République qui meurt une première fois en décembre 1851, lors du coup d'Etat de Louis-Napoléon Bonaparte contre la Chambre dominée par les monarchistes (et contre ce qu'il reste d'opposition républicaine), puis une seconde fois avec la proclamation du Second Empire, un an plus tard, le 2 décembre 1852.
Entre temps, elle a eu le temps de décevoir toutes les velléités démocratiques et sociales justifiées par la terrible crise qui frappe la France au milieu du XIXème siècle, mettant au chômage des centaines de milliers de personnes.
Né dans la confusion, ce régime continua sa brève existence dans la confusion et la réaction, pour finir en dictature bonapartiste.
Fidèle à mon point de vue selon lequel l'Histoire finit toujours par venir lécher les rives les plus improbables de la Société ; fidèle à mon autre idée que la vie est un théâtre de bouffonnerie, je propose de suivre une péripétie guémenoise de cette période historique ayant pour décor un tribunal.
Le 16 juin 1851, la Cour d'Assise de Loire-Inférieure a à connaître d'une affaire ayant pour cadre Guémené.
Ce jour-là comparait en effet Jean Gerbaud, charpentier du bourg de Guémené, âgé de 45 ans, marié et père de deux enfants, dont la femme est peut-être aubergiste (les documents sont peu lisibles).
Pèse sur le charpentier l'accusation "d'avoir cherché à troubler la paix public et à exciter les citoyens au mépris les uns des autres".
Plus précisément, le 4 mai 1851, Jean Gerbaud s'est rendu coupable de certains "cris et propos" : "Vivent les Rouges ! Vivent les Montagnards ! A bas les Blancs ! Il faut les fusiller !..."
L'Autorité civile locale est pourtant tenue en de bonnes et fermes mains. Fidèle Simon, maire insubmersible, est passé allègrement de la fidélité à la royauté louis-philipparde, puis à celle à la Seconde République, avant de rejoindre bientôt l'Empire, comme il se doit.
La maréchaussée, pour sa part, est représentée par le brigadier Brissot, 43 ans, marié sans enfants ; le gendarme Blondin, du même âge, marié et nettement plus prolifique (quatre enfants) et le gendarme Pierre Serre.
La maréchaussée, pour sa part, est représentée par le brigadier Brissot, 43 ans, marié sans enfants ; le gendarme Blondin, du même âge, marié et nettement plus prolifique (quatre enfants) et le gendarme Pierre Serre.
La paroisse est desservie par le curé René Daniel, originaire de Pierric, en place depuis 1839, qui mourra à Nantes, mais se fera ensevelir à Guémené vingt-huit ans après l'avoir quitté. Il n'est pas marié à proprement parler, mais vit avec ses deux vicaires. Il est le commanditaire de l'orgue de Guémené qu'il fit installer dans l'église de l'époque et que l'on peut encore admirer dans l'église actuelle.
Le président du Tribunal, est le Conseiller Taslé. Il procède à l'interrogatoire des huit témoins.
Le premier d'entre eux est le brigadier Brissot. C'est à l'évidence un homme plein de bon sens et d'esprit qui ne se sert de la force dont il est dépositaire qu'à bon escient, c'est-à-dire sans s'exposer.
Il explique en effet à la Cour que le fameux 4 mai dernier beaucoup de bruit venait de la maison de Gerbaud qui, de temps à autre, "en signe de réjouissance", tirait des coups de fusils...
Et là, sans avoir l'air d'y toucher, le pandore glisse dans sa déposition "qu'il ne crut pas prudent d'aller faire des observations à cet homme égaré par l'ivresse...craignant qu'il ne lui fût fait comme au curé de la paroisse".
Il explique en effet à la Cour que le fameux 4 mai dernier beaucoup de bruit venait de la maison de Gerbaud qui, de temps à autre, "en signe de réjouissance", tirait des coups de fusils...
Et là, sans avoir l'air d'y toucher, le pandore glisse dans sa déposition "qu'il ne crut pas prudent d'aller faire des observations à cet homme égaré par l'ivresse...craignant qu'il ne lui fût fait comme au curé de la paroisse".
Evidemment le Président, titillé par cette dernière allusion, veut savoir quel sort Gerbaud a fait subir au bon prêtre.
Le brigadier explique fort benoîtement qu'en mars 1848, sans doute pris dans l'exaltation de la Révolution toute fraîche, Gerbaud aperçoit l'abbé Daniel passer à proximité de son logis.
Le charpentier est armé de son fusil. Il apostrophe un peu rudement le saint ensoutané :" Sacré chouan de Pierric, voici assez longtemps que tu es debout, il faut que je te couche !". Sur ce, il lâche la détente.
On ne peut pas croire que l'accusé ait pris le curé pour un gros volatile sombre du genre de ceux dont on entend "le vol noir sur nos plaines" ... Heureusement, par la probable intercession du Bon Dieu, le coup ne partit pas.
Pendant ce temps, une ouvrière du bourg, Julienne Guenet, et la femme du gendarme Blondin vaquaient dans les parages. A la vue du carnage en cours, les deux femmes s’embrasent : "On assassine Monsieur le curé !", éructent-elles.
A ce bruit, ne connaissant que son devoir, le brigadier Brissot, qui venait à peine de dépasser la scène du crime, fait aussitôt demi tour, diligente une prompte enquête, puis se précipite auprès du maire, Fidèle Simon, et lui fait son rapport.
Ayant pris connaissance des faits, ce magistrat, n'écoutant que son courage, décide crânement de se rendre sur le champ au domicile du criminel. Il souhaite y pénétrer seul, laissant le gendarme en faction à l'extérieur.
Presque aussitôt après, le maire ressort héroïquement avec le fusil du forcené à la main. C'est une arme fort délabrée, mais on constate avec effarement que le chien en est toutefois abattu sur la capsule de fulminate de mercure (dont l'écrasement est censé mettre la poudre à feu, faire partir la balle et tuer les curés...).
Le brigadier procède d'abord à des vérifications de police scientifique, introduisant une baguette dans le canon pour vérifier la présence de la balle.
Il passe ensuite à la partie administrative de l'affaire et dresse un procès-verbal qu'il adresse "en double expédition à M. le lieutenant commandant la gendarmerie". Il fait ensuite porter la pièce à conviction au tribunal de Savenay, "par voie ordinaire de la correspondance". Le gendarme ajoute qu'il n'a plus entendu parler de cette histoire, depuis...Normal...
Le gendarme esquisse enfin bref portrait moral du prévenu qu'il qualifie d'ivrogne près à s'en prendre à tout le monde et coutumier du fait.
L'affaire se corse encore avec le deuxième témoin, le gendarme Simon (?) qui visiblement n'a rien à dire sur l'affaire elle-même mais en profite pour parler d'autre chose.
Ce brave embicorné se rappelle ainsi le tirage au sort de la dernière classe, occasion évidemment de rassemblement des conscrits du canton. Voilà-t-il pas que certains se mettent à vociférer des "Vive la République démocratique et sociale!...", des "A bas les Blancs "!...", et les impudents de chanter des refrains patriotiques, de surcroît !
Et il ne manquait plus que Gerbaud pour couronner le tout : le gendarme Simon (?) affirme, qu'à l'unisson des conscrits séditieux, celui-ci menaça la gendarmerie à qui il reprochait une vieille condamnation pour un délit de chasse : la jonction du soulard et des (futurs) soudards était donc en marche...
Viennent ensuite à la barre témoigner le gendarme Blondin qui n'a rien de particulier à dire et un clerc de notaire resté anonyme.
Celui-ci signale en effet, sans que cela soit en lien avec l'affaire, qu'il a été témoin direct de la mauvaiseté de l'exalté Gerbaud : n'a-t-il pas en sa présence, "proféré les injures les plus grossières contre la garde nationale, contre le capitaine de la compagnie, contre le maire" ?
Et encore ce n'est rien : l'aide-tabellion lui-même s'est vu menacé d'un coup de fusil "s'il voulait sortir dans la rue" !
La litanie des témoins se poursuit : voici maintenant des voisins proches du prévenu. Que de bons voisins, aux premières loges pour apprécier les faits et gestes de Gerbaud.
Le cordonnier Dubreuil confirme les propos du clerc, et a lui-même entendu le charpentier crier :" Vivent les Rouges ! A bas les Blancs !", et là il ne s'agissait pas d'une opinion sur les différentes sortes de vins.
Un couvreur dénommé Garion (?) atteste également de la violence verbale faite au clerc de notaire, mais, bon bonhomme, précise que Gerbaud - désarmé - ne savait pas ce qu'il disait.
Le menuisier de la porte à côté, François Jéhanne, sans doute habitué à tailler des costards (en sapin), déclare que ce fatal 4 mai Gerbaud injuriait tout le monde et notamment le maire qu'il traita de "ficelle", de "ganache" et de "canaille" (c'est forcément des injures, pas la vérité).
Gerbaud aurait enchaîné par cette mâle apostrophe à l'endroit du menuisier : "...si tu te sens capable de venir sur le terrain, j'ai mon fusil chargé...", ponctuée quelques instants plus tard d'un coup de feu. Ensuite, le menuisier voit Gerbaud, rechargeant son arme, crier par sa fenêtre : "Vivent les Rouges ! A bas les Blancs ". C'est une manie...
C'est maintenant Antoine François, employé des Contributions Directes, un homme sérieux, qui vient nous narrer les facéties subversives du charpentier. Lui, le 4 mai fatidique, il a entendu pendant une grande partie de la journée le prévenu, qui jouait aux quilles avec des amis (circonstances aggravantes, probablement : lancer des boules, lancer des balles...), proférer des cris séditieux.
Il a aussi vu l'accusé faire à sa fenêtre des gestes d'un homme ivre (lever le coude ?) et tirer des coups de fusil.
Et puis Antoine François ayant eu, un jour, la judicieuse idée de demander à Gerbaud ses opinions politiques, est à même d'éclairer la Cour sur ce point : "Ce que je veux, dit le charpentier, c'est un bon guerrier, un bon empereur, parce que ceux qui resteraient auraient de meilleurs salaires". Rien de mieux en effet qu'une bonne guerre pour mettre de l'ordre dans les questions sociales.
C'est maintenant au tour du Procureur de la République de prendre la parole. M. Dubeux réagit d'abord aux propos convergents des témoins.
Constatant avec regret que c'est à maintes reprises que des "cris coupables" sont proférés dans le bourg de Guémené, il fait observer que "ces propos séditieux" conduisent à la Cour d'assise et que ce doit être un avertissement pour les jeunes gens de l'endroit. A bon entendeur, salut !
Cela posé, le Proc' tire la leçon déplorable de cette histoire : une minorité agissante pleine d'audace est capable de semer le trouble face à l'hésitation des gens de biens (voilà la source des maux de l'époque : le bourgeois n'est pas courageux...).
Ainsi, à Guémené, depuis trois ou quatre ans ce Gerbaud malfaisant n'a cesser de faire de l'agitation et a développé son ascendant maléfique de meneur sur une fraction de la jeunesse locale, qu'il fourvoie.
Mais, s'enflamme-t-il, "partout et toujours, la voix du ministère public se fera entendre" et "les perturbateurs du repos public" seront poursuivis avec sévérité et persévérance.
M. Dubeux rappelle ensuite les antécédents lamentables du prévenu, impliqué dans une grave affaire d'accaparement de blé avant la Révolution, puis qui a menacé de mort "son" curé.
Il termine son réquisitoire en félicitant le commandant des gendarmes de Guémené (zèle, dévouement extrême, intelligence de ses devoirs, bla bla bla...).
La parole est à la défense.
Me. Ménart contre-attaque. Non, son client n'est pas la terreur du pays. Non, son client n'est pas un des chefs politiques de son endroit.
La vérité est bien plus simple, la vérité est dans le vin. Car cet homme a une physionomie qui annonce douceur et honnêteté. En réalité, c'est une victime, celle de la funeste habitude de l'enivrement, lequel le conduit à tenir des propos insensés certes punissables, mais qui ne sont pas le fait d'un mauvais sujet.
Deuxième temps, les faits rapportés à charge ou les antécédents judiciaires sont nuls et non avenus. En effet, si ce que racontent les témoins avaient la moindre consistance, il y aurait forcément eu des poursuites judiciaires : comme il n'y en point eu, c'est que les témoins exagèrent. Quant aux antécédents, ils sont sans gravité ni en rapport avec l'affaire.
Troisième temps, la contre-offensive. Des "notabilités" de Guémené ont fourni des attestations qui soulignent le bon fond du prévenu lorsqu'il est "sorti des vapeurs funestes de l'ivresse" (animé de bons sentiments, bon père de famille laborieux, bon ouvrier, bla bla bla...).
L'avocat assène enfin un dernier argument visant à ruiner l'intention séditieuse et politique des propos incriminés et à accréditer l'idée de paroles confuses d'un ivrogne.
Il fait ainsi remarquer que Gerbaud, dans son délire, lance des slogans politiquement et chromatiquement contradictoires : "Vivent les Blancs, Vive Napoléon !". Mieux, son client s'en est certes pris aux Blancs et aux Rouges, mais ils a aussi "proféré des outrages...contre les Noirs, contre toutes les couleurs ; contre le maire, son bienfaiteur ; contre tout et contre tout le monde". C'est dire...
Le Président de la Cour refait surface. Il résume l'affaire en ramenant le débat à sa juste cause : on ne poursuit pas Gerbaud pour cris séditieux mais pour trouble à l'ordre public et excitation des citoyens les uns contre les autres, en particulier le 4 mai. Il semble néanmoins que Gerbaud ait un rôle éminent dans la conduite des troubles qui agitent Guémené.
Puis le Jury fait enfin son office. Il reconnaît que Gerbaud est coupable mais lui accorde des circonstances atténuantes. Pour la peine, il prend dix jours de prison.
Pour avoir renversé la République, Louis-Napoléon Bonaparte, lui, n'a rien pris.
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