Je ne me lasse pas du plaisir des rencontres que permet ce blog. Rencontres toutes virtuelles, s'entend, mais rencontres tout de même.
Voici en effet que l'arrière-petite-fille d'une guémenoise contemporaine de ma grand-mère (née à la toute fin du XIXème siècle), non contente de me contacter pour parler du pays, me fait fort aimablement cadeau d'une lettre trouvée dans les papiers de la vieille dame. Qu'elle en soit vivement et sincèrement remerciée.
Cette lettre, qui date de 1911, émane d'un des trois vicaires du Guémené de l'époque : Auguste Maillard. Elle s'adresse au frère de l'arrière-grand-mère sus-mentionnée, lequel est alors en passe de terminer son service militaire de deux ans (!).
Dans un article précédent, je retraçais la vie de François Maillard, ancien curé constitutionnel de Guémené, aux idées hardies pour son temps. Toutefois, son adhésion aux idées nouvelles ne devait aller si loin qu'on puisse imaginer que les deux Maillard soient de la même lignée...
Qui est Auguste Maillard ? Il est né à Corsept près de Paimbeuf, sur la rive gauche de l'estuaire de la Loire en septembre 1872 et il est donc âgé de 39 ans au moment d'écrire sa lettre ; ses parents étaient laboureurs.
Il est au Séminaire de Nantes au début et au milieu des années 1890. En août 1898 il est vicaire à Légé (tout au sud du département de la Loire-Inférieure) ; en février 1899, aux Touches, près de Nort-sur-Erdre. Arrivé à Guémené en octobre 1907, il y revient une fois démobilisé début 1919, puis on en perd la trace (il n'y est plus en 1921).
C'était un homme relativement grand pour son époque (1 mètre 70), aux yeux bleus, le visage allongé, un grand nez, un front découvert. Auxiliaire pendant la guerre de 14 (infirmier), il fut nommé caporal en 1915, puis sergent en 1916. Il souffrait des bronches.
Et son correspondant ?
Il s'agit très probablement de Pierre Marie Barrais qui devait, au moment de cette lettre, être en train de terminer son service militaire de deux ans, étant né le 8 mai 1889 au village de la Bottais, non loin de la route de Fégréac.
Ce garçon était châtain, avait des yeux gris et mesurait 1 mètre 62, comme la plupart des fils de paysans de l'époque. Il fit la guerre de 14 dans l'artillerie et fut cité à l'ordre de son régiment. Il fut gratifié de la croix de guerre avec une étoile de bronze.
La lettre ?
La lettre - écrite, rappelons-le, à la fin du printemps 1911 - évoque un temps paisible et radieux, ponctué par les fêtes religieuses, les obligations et rites du service militaire, avec à l'arrière-plan, la vie agricole : ces trois thèmes forment l'alfa et l'oméga de la Belle Epoque d'une bourgade comme Guémené à cette époque, ainsi que de ses habitants.
Visiblement, le prêtre et le jeune homme se fréquentent ("Mon cher ami"). Ils s'écrivent sans doute assez souvent et seuls les événements religieux ont pu détourner le vicaire de sa correspondance ("les fêtes de Pâques [16 avril cette année-là] ont brouillé le service").
La lettre est assez curieuse parce qu'elle mélange des considérations personnelles (préoccupations autour de la vie de bidasse ; nouvelles de la famille et des cultures ;...) et des comptes rendus presque administratifs (liste des conscrits ; naissances, mariages, décès) qui semblent recopiés de quelque formulaire.
Le prêtre manifeste ainsi sa sympathie pour la vie des jeunes gens effectuant leur armée. Il s'enquiert des grandes manœuvres, des tirs, des marches sous le soleil. Il évoque la fin de service de son correspondant et l'arrivée des nouvelles classes.
Plus loin, ce sont des nouvelles des parents du jeune homme "qui sont dans la joie". En effet, si le temps est sec, les récoltes devraient être bonnes et les pommiers promettent de nombreuses barriques de cidre.
On apprend au détour d'un paragraphe que 482 enfants (probablement pas que de Guémené...) ont, cette année-là, été confirmés par l'évêque, et que la fête de Jeanne d'Arc a donné lieu à des pavoisements et illuminations dans le bourg.
La fin de la lettre est une sorte de carnet où le vicaire indique comme dans un registre, les mariages et les décès survenus ces derniers temps. On ne sait pourquoi manquent les naissances.
Une bonne part de la missive est consacrée au Conseil de Révision tenu à Guémené (à la Mairie), comme c'était l'usage alors.
Auguste Maillard fournit la liste des conscrits bons pour le service. Il s'agit principalement de la classe 10, garçons nés en 1890, d'une année plus âgés que son correspondant.
S'y ajoutent quelques éléments plus âgés ayant reçu un sursis d'incorporation (les "ajournés").
Pour chacun, le vicaire indique le site de résidence à Guémené.
On dénombre ainsi cinquante-quatre individus bons pour le service et quatre (ou cinq) exemptés. On apprend d'ailleurs que le Médecin Major s'est même rendu chez l'un de ces derniers, trop malade pour se déplacer.
Ainsi quatre pages d'un prêtre fournissent-elles une brève chronique de printemps dans le Guémené de la Belle Epoque, où rien ne semble parler de la guerre qui menace, l'armée n'apparaissant que comme un rite de passage un peu long, une occupation passagère comme une autre, une parenthèse sans conséquence dans la vie des hommes.
Ces hommes avaient vingt ans. Et beaucoup ne vécurent pas jusqu'à trente ans.
Une vingtaine de la liste du vicaire mourut ainsi à la guerre, près de quarante pour cent !
Ce fut le destin de :
Julien-Marie Lesage de la Chenaie de Juzet ;
Julien-Marie Passard de Tréfoux ;
Rogatien Théphaine ;
Maurice Janvresse du Brossais ;
François Hamon du Bas-Luc ;
Julien Baud de Balleron ;
Pierre Lagrée de la Martelais ;
Auguste Poisson de la Landézais ;
Eugène Gaudin de Tréfoux ;
Alfonse Amossé de la Houquetais ;
Eugène Amossé du Brossais ;
Julien Vinouze de la Mignonnais ;
Aristide Métayer du Bourg ;
Pierre-Marie Bernard de Castres ;
Alexandre Croisnier des Fontenelles ;
Jean-Marie Amossé de la Forêt ;
Eugène Amossé de Guémé.
Ainsi s'est terminée la fête.
Cette lettre, qui date de 1911, émane d'un des trois vicaires du Guémené de l'époque : Auguste Maillard. Elle s'adresse au frère de l'arrière-grand-mère sus-mentionnée, lequel est alors en passe de terminer son service militaire de deux ans (!).
Dans un article précédent, je retraçais la vie de François Maillard, ancien curé constitutionnel de Guémené, aux idées hardies pour son temps. Toutefois, son adhésion aux idées nouvelles ne devait aller si loin qu'on puisse imaginer que les deux Maillard soient de la même lignée...
Qui est Auguste Maillard ? Il est né à Corsept près de Paimbeuf, sur la rive gauche de l'estuaire de la Loire en septembre 1872 et il est donc âgé de 39 ans au moment d'écrire sa lettre ; ses parents étaient laboureurs.
Il est au Séminaire de Nantes au début et au milieu des années 1890. En août 1898 il est vicaire à Légé (tout au sud du département de la Loire-Inférieure) ; en février 1899, aux Touches, près de Nort-sur-Erdre. Arrivé à Guémené en octobre 1907, il y revient une fois démobilisé début 1919, puis on en perd la trace (il n'y est plus en 1921).
C'était un homme relativement grand pour son époque (1 mètre 70), aux yeux bleus, le visage allongé, un grand nez, un front découvert. Auxiliaire pendant la guerre de 14 (infirmier), il fut nommé caporal en 1915, puis sergent en 1916. Il souffrait des bronches.
Et son correspondant ?
Il s'agit très probablement de Pierre Marie Barrais qui devait, au moment de cette lettre, être en train de terminer son service militaire de deux ans, étant né le 8 mai 1889 au village de la Bottais, non loin de la route de Fégréac.
Ce garçon était châtain, avait des yeux gris et mesurait 1 mètre 62, comme la plupart des fils de paysans de l'époque. Il fit la guerre de 14 dans l'artillerie et fut cité à l'ordre de son régiment. Il fut gratifié de la croix de guerre avec une étoile de bronze.
La lettre ?
La lettre - écrite, rappelons-le, à la fin du printemps 1911 - évoque un temps paisible et radieux, ponctué par les fêtes religieuses, les obligations et rites du service militaire, avec à l'arrière-plan, la vie agricole : ces trois thèmes forment l'alfa et l'oméga de la Belle Epoque d'une bourgade comme Guémené à cette époque, ainsi que de ses habitants.
Visiblement, le prêtre et le jeune homme se fréquentent ("Mon cher ami"). Ils s'écrivent sans doute assez souvent et seuls les événements religieux ont pu détourner le vicaire de sa correspondance ("les fêtes de Pâques [16 avril cette année-là] ont brouillé le service").
La lettre est assez curieuse parce qu'elle mélange des considérations personnelles (préoccupations autour de la vie de bidasse ; nouvelles de la famille et des cultures ;...) et des comptes rendus presque administratifs (liste des conscrits ; naissances, mariages, décès) qui semblent recopiés de quelque formulaire.
Le prêtre manifeste ainsi sa sympathie pour la vie des jeunes gens effectuant leur armée. Il s'enquiert des grandes manœuvres, des tirs, des marches sous le soleil. Il évoque la fin de service de son correspondant et l'arrivée des nouvelles classes.
Plus loin, ce sont des nouvelles des parents du jeune homme "qui sont dans la joie". En effet, si le temps est sec, les récoltes devraient être bonnes et les pommiers promettent de nombreuses barriques de cidre.
On apprend au détour d'un paragraphe que 482 enfants (probablement pas que de Guémené...) ont, cette année-là, été confirmés par l'évêque, et que la fête de Jeanne d'Arc a donné lieu à des pavoisements et illuminations dans le bourg.
La fin de la lettre est une sorte de carnet où le vicaire indique comme dans un registre, les mariages et les décès survenus ces derniers temps. On ne sait pourquoi manquent les naissances.
Une bonne part de la missive est consacrée au Conseil de Révision tenu à Guémené (à la Mairie), comme c'était l'usage alors.
Auguste Maillard fournit la liste des conscrits bons pour le service. Il s'agit principalement de la classe 10, garçons nés en 1890, d'une année plus âgés que son correspondant.
S'y ajoutent quelques éléments plus âgés ayant reçu un sursis d'incorporation (les "ajournés").
Pour chacun, le vicaire indique le site de résidence à Guémené.
On dénombre ainsi cinquante-quatre individus bons pour le service et quatre (ou cinq) exemptés. On apprend d'ailleurs que le Médecin Major s'est même rendu chez l'un de ces derniers, trop malade pour se déplacer.
Ainsi quatre pages d'un prêtre fournissent-elles une brève chronique de printemps dans le Guémené de la Belle Epoque, où rien ne semble parler de la guerre qui menace, l'armée n'apparaissant que comme un rite de passage un peu long, une occupation passagère comme une autre, une parenthèse sans conséquence dans la vie des hommes.
Ces hommes avaient vingt ans. Et beaucoup ne vécurent pas jusqu'à trente ans.
Une vingtaine de la liste du vicaire mourut ainsi à la guerre, près de quarante pour cent !
Ce fut le destin de :
Julien-Marie Lesage de la Chenaie de Juzet ;
Julien-Marie Passard de Tréfoux ;
Rogatien Théphaine ;
Maurice Janvresse du Brossais ;
François Hamon du Bas-Luc ;
Julien Baud de Balleron ;
Pierre Lagrée de la Martelais ;
Auguste Poisson de la Landézais ;
Eugène Gaudin de Tréfoux ;
Alfonse Amossé de la Houquetais ;
Eugène Amossé du Brossais ;
Julien Vinouze de la Mignonnais ;
Aristide Métayer du Bourg ;
Pierre-Marie Bernard de Castres ;
Alexandre Croisnier des Fontenelles ;
Jean-Marie Amossé de la Forêt ;
Eugène Amossé de Guémé.
Ainsi s'est terminée la fête.
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