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dimanche 30 novembre 2014

Arbeille macht frei


J'aime bien les curés, du moins ceux du passé. Quand je dis que je les aime, que l'on se comprenne : ils m'intéressent en tant que personnages publics, et même personnages politiques jusqu'au milieu du XXème siècle (en tout cas dans les petites cités comme Guémené).

La société française, rurale notamment, s'est séparée de la tutelle ecclésiastique en deux coups de rein : le premier dans la première décennies de la Révolution Française ; le second, autour de 1900, le coup de canif final étant donné en 1905 avec la loi de Séparation de l'Eglise et de l'Etat.

Cette dernière circonstance conféra aux communes les biens d'église et il fallu donc, au préalable, en faire l'inventaire, le fameux Inventaire de 1906.

Peu de temps auparavant, déjà, des lois "scélérates" (forcément) avaient chassé de l'enseignement public le personnel religieux qui y prospérait sur les jeunes âmes comme un chancre sur un corps sain.

A l'instigation des évêques, les curés avaient mené la contre-offensive en ouvrant des écoles "libres". On a déjà raconté cette histoire dans ce blog pour ce qui concerne les écoles Saint-Michel et Sainte-Marie de Gémené.

Pour y revenir, cette histoire d'inventaire fut l'occasion de biens des héroïsmes. Ici et là, dans l'Ouest particulièrement, le tocsin sonne, les notables calotins pétitionnent ; des curés entourés de leurs vicaires, des nobliaux, des paysans précédés de leurs enfants endimanchés se lèvent et viennent défendre leur église, s'y enferment, chantent des cantiques, brûlent de l'encens, font barrage de leurs corps et de leurs fourches à l'infâme Etat laïque impersonnifié par tel agent des contributions ou par tels gendarmes venus compter candélabres, chasubles et ostensoirs dans les sacristies (je dois vous raconter un  jour, à ce propos, l'histoire terrifiante de Marie Rolland à Dréfféac, jeune institutrice militante de la laïcité et future figure de Guémené, qui, en 1906, y fut presque lynchée par la foule excitée par les prêtres et le maire).



Puis vint la guerre de 14, l'Union Sacrée qui suit la Désunion Sacrée, et l'interminable litanie des morts (300 à Guémené) : les mères qui viennent prier pour leurs fils, laissant leur photo, un gros sous ou un cierge au pied de la Vierge Marie ; les processions pour la France et pour que le Dieu des Français bute la gueule au Dieu des Allemands ; la paix : les actions de grâce, le Te Deum, l'inauguration des monuments aux morts....

Le curé fut bien entendu la figure de proue de toutes ces émotions populaires.

Celui de Guémené, qui fut de tous ces combats, s'appelait Alexandre Arbeille.

Il était né le 23 février 1855 au Palais, à Belle-Ile-en-Mer, rue de l'église (premier indice).

Sa maman est une dame Marie Alexandrine Marsaliau originaire de Nantes. Papa Louis est toutefois né à Gaillages dans les Hautes-Pyrénées et il exerce le doux métier de perruquier (second indice : d'une génération d'Arbeille à l'autre, on sera passé de la perruque à la tonsure...les vocations ne tiennent parfois qu'à un cheveu...).

A 24 ans, le jeune homme est ordonné prêtre. Il officie d'abord à Nantes comme vicaire de l'église Saint-Clair puis, en 1891, à la cathédrale. Il est nommé curé à Guémené en 1898 où il terminera sa carrière en 1925. C'est dire si son office à Guémené fut la période essentielle de sa carrière.

On ne possède pas vraiment de portrait du personnage à son apogée humaine et ecclésiastique et l'on doit se contenter de celle qui suit où il a bien changé :



Je ne reprends donc pas l'épisode de l'ouverture des écoles "libres", en 1903 pour les filles et 1909 pour les garçons, hauts faits à mettre au compte du Père Arbeille.

Voici en revanche comment se déroula l'Inventaire à Guémené en 1906. Rappelons que la Municipalité avait pris parti mollement contre la future loi de Séparation.

Le jeudi 7 février, à deux heures de l'après-midi, doit avoir lieu la fatale spoliation.

La veille et l'avant-veille la résistance s'était déployée comme une trainée de poudre ailleurs dans les bourgs alentour et dans toute la Loire-Inférieure.

Ainsi, des femmes de Saint-Nicolas-de-Redon dressèrent une mince barricade devant la porte de leur sanctuaire, opposant leurs chants, leurs prières agenouillées et leurs protestations aux gendarmes qui frayaient un chemin à l'agent du Gouvernement. 

A Nozay, la foule fit corps avec son curé devant l'église et aucun témoin de prêta assistance au receveur local qui dut rebrousser chemin au chant des cantiques. 

A Blain, les cloches sonnèrent à toute volée lors de l'arrivée des gendarmes. Les fidèles s'enfermèrent dans l'église et en barricadèrent les portes provoquant l'ajournement de l'opération. 

Et de même à Pontchâteau, Paimboeuf, Vertou, Clisson, Nort, etc...

Aussi, la tension est à son comble dans le bourg de Guémené. Les soutanes frémissent. Les dames patronnesses ont des picotements de jeunes filles. Les bravaches et vielles ganaches de château vocifèrent.

Le receveur de l'Enregistrement de Guémené Henri Fresneau, 46 ans, natif d'Arras (au 9 rue des Capucins...), était chargé de procéder. 

Mais ce percepteur, homme d'ordre et de sens, vient de s'épargner ce déshonneur en démissionnant avec fracas de son poste, semant fierté et inquiétude auprès de son harem (Cécile son épouse ; Henriette, Gabrielle et Pauline, ses filles ; Aimée et Léontine, ses bonnes) ; mais suscitant aussi l'enthousiasme de ses amis catholiques du quartier bourgeois de Guémené (la route de Redon à partir de la Cure) qui soutiennent courageusement dans leurs chaumières biscornues ce bel acte de leur voisin.

Tant pis, on se contentera d'un simple inspecteur de l'Enregistrement : c'est toujours mieux que rien.

Le bonhomme, accompagné de M. Airaud, commissaire spécial de Saint-Nazaire (?), s'approche de l'église, fendant une horde de manifestants hostiles.

Aux abords du portail de l'édifice, il avise le curé Arbeille, entouré des membres du conseil de fabrique, organisme para-municipal qui gérait jusqu’à présent le temporel ecclésiastique, que la loi de Séparation immole en le dépouillant de sa raison d'être.

Les deux délégations se rencontrent. Le curé Arbeille et le président du conseil de fabrique entreprennent alors de lire une protestation solennelle dont ils demandent l'inscription au procès verbal.

Sans s'émouvoir, l'inspecteur de l'Enregistrement tente sans succès d'ouvrir la porte de l'église qui a été fermée à clé. Le curé refuse de faire ouvrir.

Constatant l'impossibilité d'opérer l'inspecteur se retira. Ce ne fut que partie remise.

Evidemment le parti clérical se rengorgea de cette victoire passagère dont le curé Arbeille fut le héros et l'ex-receveur Fresneau, le brave cocu...


L'inauguration du monument au Morts de Guémené fut une autre circonstance, en apparence consensuelle cette fois-ci, où le curé Arbeille fut à son affaire.

La fête eut lieu un dimanche du printemps 1923.

Il faut d'ailleurs parler de fête dans l'union des tendances représentées dans la commune : les formations de jeunesses, l'Etendard catholique comme l'Union Sportive et Gymnique (USG) laïque ; les instituteurs des écoles publiques - dont Marie Rolland -, comme ceux des écoles "libres" ; etc..., bref cléricaux et laïcs sont rassemblés dans le même souci de rendre hommage aux victimes de la guerre de 14.

Mais c'est une fête aussi par le cérémonial : à 9 heures, les notabilités (maires, adjoints, conseillers municipaux, préfet, sous-préfet, sénateurs, députés, hauts fonctionnaires, président des anciens combattants, militaires et autres mirliflores enrubannés) sont reçues à l'Hotel de Ville (!).

Signalons qu'en sortant de la Mairie une petite cérémonie assez émouvante se déroule : le Préfet remet un livret de Caisse d'Epargne (garni) à un pupille de la Nation, Francis Boussard, né en 1911, qui exploite seul avec sa sœur la ferme familiale (il a douze ans !).

A 9 heures 30 le cortège s'ébranle enfin dans les rues pavoisées et sous une pluie fine, de la Mairie vers l'église, pour une messe basse (?) : l'Etendard et l'USG sont en têtes, suivis de près par les enfants des écoles et leurs instituteurs. A une encolure, on trouve la musique et les chœurs, talonnés par les représentants officiels et les invités. Légèrement distancés, suivent le Conseil municipal, les fonctionnaires, loin devant les familles des morts elles-mêmes au coude à coude avec les vétérans de 1870. Enfin, en queue de peloton, l'Union Nationale des Combattants et le clergé qui, quant à lui, est à la traîne et ferme le ban.

La messe dite et après pas mal de musique, le même cortège repart vers le cimetière pour l'inauguration et la bénédiction du monument réalisé par Nicot.

C'est au curé d'ouvrir le bal. Arguant de son droit à prendre la parole du fait de ses vingt-cinq années passées à Guémené (visiblement ce droit n'allait pas de soi...), il prononce alors un discours lyrique et militant . En voici la substance :

Ce monuments est celui de chrétiens car toutes les victimes qu'il honore furent baptisées. Du coup, ils ont reçu l'enseignement central des chrétiens, à savoir que la plus grande marque d'amour est de mourir pour ceux qu'on aime. En mourant pour la Patrie, ils ont mis en pratique cet enseignement. En offrant leur sang  pour lutter contre "la barbarie teutonne qui torturait les corps et pervertissait les esprits", ils formaient une supplique pour que leur soient accordées la vie éternelle, force et consolation pour leurs proches, miséricorde et gloire pour la France.

Emporté par son élan, invoquant le devoir de mémoire et d'imitation de l'exemple fourni par les défunts, Arbeille lance un cri : "Debout les Morts !".

Debout les morts : pour nous apprendre "que ce sont les morts qui font la Patrie" [vaudrait p't êt' mieux pas la faire, alors...], que les survivants doivent en faire autant [non merci !], pour "proclamer que vingt siècles de traditions chrétiennes françaises" ne peuvent céder face aux mauvaises idéologies et à l'immoralité [?], pour dire à leurs descendants que "la Croix a consolé vos yeux mourants", que "la Croix les inonde maintenant d'une joie infinie au Ciel" [tu parles !].

Et tout ça pourquoi ? - Parce que "la Croix a été et sera toujours le signe divin de la victoire" [il suffisait d'y penser]. Et comme tout finit par des chansons ou du latin, le curé Arbeille ajouta pour marteler son dernier propos un "In hoc signo vinces" du plus bel effet, qu'il fit suivre de quelques coups de goupillon à l'adresse du monument.

On passa ensuite à autre chose, d'autres discours, un banquet préparé par M. Haméon du Petit Joseph, des toasts,...


Hélas, toutes les bonnes choses ont une fin.

Le 8 avril 1925, le curé Arbeille prononçait l'absoute aux funérailles du curé de Conquereuil.

Le samedi 7 novembre de la même année, le Supérieur du Collège de Redon donnait l'absoute lors des funérailles du curé de Guémené qui venait de succomber après quelques jours de maladie.

Ce fut de belles funérailles. Le corps du curé Arbeille avait été déposé dans la Chapelle de la Congrégation, richement décorée et qui faisait office de chapelle ardente.

Le curé de Héric, doyen des prêtres guémenois, présida à la levée du corps et à l'office qui s'en suivit. L'église était toute tendue de noir et richement illuminée. Le curé de Beslé chanta la messe.

Puis, l'office terminé, un cortège se mit en branle pour accompagné le curé à son ultime demeure, selon l'expression consacrée. A sa tête, l'Etendard et les Enfants de Marie portant des gerbes de fleurs. Derrière, les enfants des écoles Saint-Michel et Sainte-Marie. Après venaient une cinquantaine de prêtre des environs et une bonne partie des habitants.

On fit un grand tour, empruntant successivement les rues de La Poste, Garde-Dieu, la Place Simon,  les rues de l'Eglise, de l'Hôtel-de-Ville et la rue de Beslé.

Ce fut une bien belle cérémonie en effet. On déplora cependant l'absence de la Municipalité.

Adieu Arbeille, sic transit gloria mundi...

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