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dimanche 8 mars 2015

Frère Herménégilde dormez-vous ?


Il y avait déjà un instituteur à Guémené à la fin du XVIIIème siècle (Monsieur Luneau) qui resta à son poste jusque dans les années 1830. Mais à cette époque, de nouvelles exigences (légales) conduisent à ouvrir une école communale dont la Commune décide de confier la charge à une congrégation enseignante de Ploërmel. Ainsi, le 4 octobre 1834, un premier Frère s'installe-t-il à Guémené, Frère Camille (Prudent Raimbault).

Cette école prospère et se renforce.

En 1860, un nouveau Frère en est nommé directeur : il s'agit de frère Herménégilde, alias Honoré Pigné. Il aura le plaisir d'inaugurer à ce poste la nouvelle école de garçons construite en 1861-1862, qui trône encore dans le bourg de Guémené, du côté de la gendarmerie.













Né en 1833 à Rennes, fils d'un serrurier, Honoré Pigné se voit ouvrir la porte des ordres. Il effectue son noviciat en 1852. Il intègre l'ordre des Frères de l'Instruction Chrétienne (Frères de Lamenais, du nom de son fondateur). Certaines sources indiquent qu'il fut déjà directeur de l'école communale de Bouvron en 1851 et de celle de Cordemais en 1855...Belle précocité...

En tout état de cause, on le voit directeur de l'école de garçons de Guémené entre 1860 et 1872, puis de 1881 à 1890.

Il y sera apprécié, étant estimé "assez capable, assez zélé" à ses débuts, puis "capable, moral et zélé" ; on soulignera plus tard ses "succès dans l'enseignement et ses relations convenables avec les autorités".

Toutefois, le 8 avril 1890 le magistère d'Honoré Pigné cesse à Guémené, car suite à la loi Goblet de 1886, des maîtres laïcs doivent se substituer aux maîtres issus des congrégations. Le Frère se réfugie à Avessac temporairement, tandis qu'Hippolyte Martin prend la relève (voir article du 3 mars 2013 sur ce personnage qui marquera pendant un quart de siècle ou presque l'enseignement à Guémené).

On ne sait trop ce qu'il advint de lui après, sinon qu'il mourut en mars 1915, fort âgé, à Bazouges-du-Désert, commune d'Ile-et-Vilaine au nord de Fougères.

Entre-temps, toutefois, il n'avait pas complètement oublié Guémené...


Le 7 septembre 1890, les conseillers municipaux sont réunis : les deux Amossé, René et Julien, Monnier, Bernard, David, Fournel, Chenet, Alliot, Clavier, Perrigaud, Gascoin, Plédel, Taillandier, Partenay, Durand et bien sûr Simon.

L'ordre du jour comprend les habituels sujets de foires, de chemins vicinaux, d'écoles à réparer, de seaux et de tuyaux pour les pompiers... Au milieu de cet habituel inventaire à la Prévert, s'est glissé un point plus particulier.

En effet, le maire a reçu une lettre de réclamation du fameux Frère Herménégilde.

Celui-ci réclame à la Commune le remboursement de frais dont voici la liste : achèvement de mansardes, pour 504 francs 50 centimes ; maison ou appartement de décharge, cellier, pour 138 francs ; location de poêles, pour 60 francs ; mobilier de classe, pour 85 francs. Bref, le Frère en veut pour près de 800 francs soit plus de 3.000 euros d'aujourd'hui. Des mémoires (factures) sont joints à l'appui des mansardes et des poêles.

Ce qui est curieux surtout et ne manque pas d'intriguer les édiles, c'est que ces dépenses remontent aux années...1860 ! Honoré Pigné a la mémoire longue ou le sommeil profond...

Enfin, forcément, c'est loin, et les dynasties ayant quand même du bon, le Maire, Fidèle Simon, a, pour s'informer, transmis le courrier au Maire de l'époque,...à savoir Fidèle Simon (papa).

Il n'est plus tout jeune, papa Fidèle, mais s'il ne se rappelle pas avoir promis le remboursement de ces dépenses au Frère enseignant, ce n'est pas parce qu'il est gâteux  : c'est bien parce qu'il n'a rien promis du tout !

D'ailleurs, il est étonnant que le Frère en question réclame désormais cet argent : quand il a quitté la commune pendant plusieurs années (avant d'y revenir), il ne s'est pas avisé de demander quoique ce soit. Comme dit papa Fidèle, c'est bien la preuve...

Bref, le Conseil municipal peine à reconnaître sa dette envers le frangin. Tout au plus, accepte-t-il de régler les locations de poêles pour les années 1865, 1866 et 1867.

L'affaire paraît soldée quand, le 10 mars 1895, le frangin qui s'est un peu endormi sur le rôti, refait surface : observant que les 60 francs promis en 1890 pour le dédommager des locations de poêles survenues il y a trente ans, n'avaient pas été payés par la Commune, il fait réclamer par le menuisier Dominique Pinczon des objets en bois réalisés au compte de celle-ci.

Interrogé, le Directeur de l'école de garçons, Hippolyte Martin, déclare que les objets en question sont bien présents à l'école. Il fait remarquer cependant qu'ils ne lui sont d'aucune utilité et ne présentent au demeurant pas une grande valeur : bref, d'infâmes rogatons qui encombrent le grenier.

Fort de ces renseignements, le Conseil municipal, sur proposition du Maire, après en avoir délibéré, vote le don au Frère Herménégilde "d'un modèle de maison et d'un modèle d'église en bois", sans intérêt et sans valeur, en payement des 60 francs qui lui sont dus, mettant ainsi un terme à une affaire de trente ans.

Bref, la Commune s'est bien payée la tête du Frère qui, comme on dit, n'a plus que ses yeux pour pigner.

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