Rechercher dans ce blog

Affichage des articles dont le libellé est Révolution. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Révolution. Afficher tous les articles

dimanche 12 février 2017

Beaulieu : le mini-stre (1ère Partie)


Toujours soucieux de mettre en valeur le patrimoine de Guémené, je me dois, après la notice sur le château de Beaulieu, de poursuivre par un article sur le plus notable des membres de cette famille ancienne, notable en tout cas sous l'angle de l'Histoire de France, qui, comme on sait, est pour un patriote la mesure de toute chose.

Celui dont je vais vous parler n'a jamais vécu sur le territoire de notre commune, même si l'un de ses fils, comme je le mentionnais la semaine passée, entreprit la construction de l'actuel château de la Garenne à Beslé.

Toutefois, Joseph Emile François Hervé de Beaulieu est enterré au cimetière de Beslé, auprès des autres membres de sa lignée.

Il y a beaucoup de gens enterrés dans les cimetières de Guémené, Beslé et Guénouvry, et ce seul fait ne suffit donc pas à constituer une circonstance pouvant attirer l'attention des historiens locaux et du public. Ce serait trop facile !

C'est qu'en fait, Joseph Emile fut un personnage historique, de ceux dont le nom vient normalement s'intercaler dans les frises chronologiques dont on fatigue les pauvres enfants.

Vous le dirai-je enfin ? Ne l'avez-vous pas deviné ? Eh bien ce brave Beaulieu fut ministre des Contributions (autant dire du Budget ou des Finances) de Louis XVI, je dis bien XVI, oui Madame, et de surcroît au moment de la Révolution, la grande, la seule, celle qui allait ébranler les trônes, faire frémir les peuples et s'exalter les poètes.

Ce n'est pas rien, et cela mérite bien qu'on s'appesantisse un peu sur la vie de ce personnage, avant de passer en revue son oeuvre politique.

Voici donc aujourd'hui, la vie de Joseph Emile François de Beaulieu.

Jo est né à Rannée en Ille-et-Vilaine le 16 septembre 1752, et fut selon les usages de l'époque, baptisée le 19. Il était le fils de Joseph Luc Hervé, sieur de Beaulieu et de la Budrais  (1711 - 1794) et d'Agathe Emilie Bigot demoiselle de Maubusson.

Il est issue d'une famille qui gravitait autour d'activités juridiques et financières. Un de ses oncles, par exemple, Jean-Baptiste, est qualifié d'avocat au Parlement, receveur des fermes du roi à la Guerche. Dans les années 1750, il était établi à Redon, où il est receveur général des fermes de Bretagne. Receveur : autant dire percepteur.

Son frère Pierre-Marie Aimée dirigea l'exploitation de la mine de charbon de Montrelais (entre Ancenis et Angers). Cette compagnie fournissait des charbons à la verrerie d'Ingrandes qui fabriquait des bouteilles pour des vins des pays de la Loire, ainsi qu'aux arsenaux et fanaux de la côte de Bretagne.

Les activités industrielles de Pierre Marie Aimée touchaient donc à un domaine (la commercialisation des vins) dans lequel son frère cadet Jo, celui qui nous intéresse, exerçait des activités fiscales et commerciales : c'est pas aujourd'hui qu'on verrait un tel mélange des genres...

Jo Emile fit un beau mariage, quoique assez tardif : il épouse en effet en 1800 la jeune Jeanne Perrine Ridouel, sa cadette de 24 ans, fille d'un receveur (percepteur) des Domaines à Acigné. Deux fils naîtront de ce mariage.

Au physique, Jo Emile était assez grand (1 mètre 78) et brun. Bien entendu, il était catholique. Ce qui ne l'empêcha pas d'être reçu frère maçon dans la loge parisienne Saint-Jean d'Ecosse du Contrat Social.

Le Vénérable en était le marquis de la Rochefoucauld-Bayers. Jo Emile y fréquenta une grosse brochette de grands seigneurs, ministres, banquiers, agents de change...

Après des études de droit, Jo Emile suivit la même voie que son père : l’administration des fermes d'impôts en Bretagne. Il devint directeur de "la ferme des devoirs de Bretagne", à Lorient, puis à Paris au début de la Révolution.

Il avait donc une longue expérience dans le domaine de la fiscalité indirecte, lorsque la protection d'amis influents lui procura, en novembre 1791, l'un des quinze emplois de commissaire du Bureau de la Comptabilité nationale dont il devint le président.

Après l'épisode ministériel, sur lequel on reviendra une autre fois, Beaulieu ne put retourner en Bretagne, faute d'avoir reçu quitus de sa gestion à la direction de la régie des devoirs de Bretagne. Au cours de cette résidence forcée à Paris, il essaya d'intervenir pour obtenir la libération des enfants du roi.

Au milieu des violences de la fin de l'été 1792 à Paris, il fut blessé à une jambe, blessure qui resta douloureuse et finit par entraîner l'amputation de la jambe à Nantes le 23 mai 1805.

Après plusieurs demandes à la Convention, celle-ci l'autorisa enfin le 21 mars 1793 à regagner le district de Redon. Il fut ensuite nommé le 10 décembre 1793 receveur du district de Blain, mais il démissionna le 20 novembre 1794 en invoquant des raisons de santé, et jusqu'à la fin de la Révolution il s'abstint de toute participation à la vie publique locale (La Terreur avait été fatale à plusieurs de ses amis...).

Beaulieu fut ensuite nommé conseiller de l'arrondissement communal de Redon par arrêté consulaire du 1er prairial an VIII (21 mai 1800). En 1803 il était conseiller général d'Ille-et-Vilaine (élu par 118 voies sur 139).

Ce n'est que peu de temps avant sa mort (à Redon le 24 septembre 1807), qu'une délibération des commissaires de la Comptabilité nationale du 3 pluviôse an XII (24 janvier 1804) lui donna quitus définitif pour sa gestion comme "ancien directeur des ferme et régie des devoirs de la ci-devant province de Bretagne à Lorient"...

Jo Emile n'était pas pauvre. Il reçut en héritage de ses parents le manoir ancestral de Beaulieu la Garenne à Beslé. Son mariage lui apporta quelques métairies en Ile-et-Vilaine. Ce qui est touchant c'est que Jo de Beaulieu se lança entre 1800 et 1805 dans la reconstitution systématique du patrimoine parental, rachetant les parts des autres héritiers.

Sa maison de Redon était meublée de façon cossue et élégante. On sait aussi, par l'inventaire après décès, qu'il faisait négoce des céréales issues de ses métairies, qu'il écoulait par la Vilaine et l'océan vers Bordeaux.

En tenant compte des biens de sa femme, on peut estimer la fortune du ménage de Jo de Beaulieu entre 100 000 et 150 000 francs avec un revenu annuel correspondant de 5 000 francs environ, ce qui doit être pas mal. Difficile en effet de donner un équivalent en euros (peut-être 10 à 20 fois plus).

Guy Antonetti (dir.), Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire. Dictionnaire biographique 1790-1814, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2007, t. I, 369 p.

samedi 1 novembre 2014

Curé-culum vitae : l'itinéraire de François Maillard


Il n'est pas né à Guémené, et n'y est pas mort non plus. Tout au plus y-a-t-il peut-être passé une douzaine d'années. Il ne fait cependant pas de doute que la personnalité de François Maillard n'a pas laissé la population guémenoise de son époque indifférente.

Il était né à Bouvron, au village de la Bélinais, le 6 février 1754, enfant de Paul Maillard et de Jeanne Olivier, laboureurs.

Ordonné prêtre en 1780, il fut d'abord vicaire à Derval où la Révolution de 1789 le trouve : son curé est alors l’Abbé Crespel, recteur de cette paroisse depuis 1788. Cet homme jeune, comme Maillard, populaire, est plutôt favorable au nouveau cours des choses.

Aussi, le dimanche 3 février 1791, au prône de la grand-messe, il prête serment à la Constitution Civile du Clergé, ainsi que son vicaire l’abbé Maillard : « je jure de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse qui m’est confiée, d’être fidèle à la Nation, à la Loi et au Roi et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée Nationale et acceptée par le Roi ».

Mais si, face à l'hostilité du Pape, Crespel va finir par renier son serment de fidélité à la Nation, François Maillard, lui, va persister dans ses choix. Il s'en suit une promotion qui l'amène à Plessé où il est alors curé constitutionnel à la place du curé réfractaire qui le précédait (qui fut exécuté : on dit parfois que Maillard l'aurait dénoncé...).

Petit à petit, François Maillard est amené à assurer aussi les offices à Guémené où il n'y avait plus de prêtre, le curé d'avant la Révolution (un certain Mangeard), étant entré en clandestinité).




Selon un témoin de l'époque, hostile à la Révolution, qui écrit en juin 1792, l'assistance aux offices de François Maillard n'est pas des plus assidues, sauf en cas d'accident. 

Voici en effet ce que rapporte ironiquement Mahé, l'intendant de Juzet, à son Maître : "...depuis Pâques, notre constitutionnel a fait six mariages dont toutes les mariées étaient enceintes, il fait des fiançailles dans les mêmes cas. La constitution fait de grands miracles et les femmes accouchent de deux enfants afin de procurer des citoyens à l'Etat."

L'engagement religieux de François Maillard à Guémené se double d'une implication dans les affaires politiques et administratives de cette commune, toujours au service du nouveau régime.

Dans les archives, on trouve ainsi que François Maillard a été "agent national". Il s'agissait d'une fonction instaurée sous la Terreur, consistant à représenter le gouvernement auprès des districts et communes, afin d'y faire appliquer la loi. Il semble donc que les opinions de ce curé étaient pour le moins avancées...

Le 26 octobre 1797 (6 brumaire an VI), il accède au poste de "commissaire municipal" de Guémené. Ce poste est assez proche du précédent.

Allié à une famille d'armateurs nantais enrichie dans le commerce triangulaire (les Corpron) qui avait acquis la terre de Tréguel et y séjournait sous la Révolution, François Maillard  avait acheté la vieille cure de Guémené où il résidait.

En 1801, une enquête préfectorale portant sur le clergé du département de Loire-Inférieure est l'occasion de petites vignettes plus ou moins critiques sur chaque prêtre. Voici comment le préfet Letourneur évoque notre héros du jour : " Maillard, François (vicaire, ex-curé constitutionnel, ex-maire, percepteur) : ne jouit pas de l'estime publique dans sa commune."

C'est qu'entre temps, Bonaparte a voulu ramener la paix des curés en signant le Concordat. L'ancien curé réfractaire Mangeard est ainsi rentré au pays le 11 février 1800.


Redevenu vicaire de Guémené, François Maillard est ensuite nommé prêtre de choeur à Saint-Nicolas à Nantes en 1803. Il exercera cette charge jusqu'à la fin de sa vie.

Il meurt à Nantes le soir du 11 mars 1826, dans la Maison Gaillard où il demeurait, située Pont Sauvetout dans le 3ème canton. A cette date, il est présenté comme "prêtre pensionnaire de l'Etat".

samedi 10 mai 2014

Jean Pierre Durand, Sergent Chevalier de l'An II


L'Histoire, dans toutes ses composantes, n'est pas une affaire abstraite, comme étrangère aux individus, qui ne prendrait consistance que par son écriture et donc ne se constituerait qu'a posteriori, dans des livres. 

Bien au contraire, elle est là, sous nos yeux, aujourd'hui, où que nous soyons, qui que nous soyons. Nous la faisons.

C'est pourquoi, s’intéresser à Guémené-Penfao, à travers ceux de ses enfants (comme on dit) que les hasards de la vie ont mis quelque peu en avant (alors que bien souvent rien ne les y prédisposait), et qui donc ont parfois laissé quelques traces qui permettent d'illustrer concrètement ce que les livres racontent, c'est mettre sous nos yeux (par la grâce certes d'un échantillon minuscule, infime) la preuve humaine de ce que les épopées ronflantes des annales et des hymnes ne sont que la carrosserie, frêle et rutilante de la communauté des destins maltraités des humbles, valeureux dans leur humilité, qui forment l'essentiel de l'Humanité.

Vers la fin du règne de Louis XV, un beau jour de 1771, le 2 janvier pour être précis, dans la masure du gros hameaux du Verger où loge la famille de Gilles Durand, une sage-femme s'affaire auprès de Nicolette, son épouse. Bientôt, un enfant va naître : il s'agit d'un garçon qui semble suffisamment vigoureux pour qu'on envisage, malgré l'épreuve d'un long et difficile déplacement, un baptême en l'église de Guémené.

Gilles Durand atèle donc quelques temps après sa charrette et, accompagné de Jeanne Motay qui porte l'enfant emmailloté, et de Simon Guémené (dit "Saint Simon"), effectue, dans le froid et le vent, la lieue et demi qui sépare son village du bourg de Guémené.

On finit par joindre ce bourg et la charrette emprunte l'antique route qui traverse le Don, enjambé par l'Arche de Condé. On passe le grand moulin. Encore un effort pour monter la rampe qui conduit derrière l'église.

Dans ce vieux temple désert, obscure et froid, le prêtre est arrivé : il s'assure que parrain et marraine savent leur Credo et leur Pater noster. C'est Messire Ollivier de Roland, recteur de la paroisse, qui prononce les formules sacramentelles de l'ondoiement. Simon Guémené, soldat invalide, fait un pauvre parrain à côté de sa commère Jeanne Motay. La cérémonie terminée, le recteur rédige l'acte de baptême qu'aucun des autres participants ne peut signer.



Ils s'en retournèrent et le temps passa.

On peut imaginer que le petit Jean Pierre suivit son destin de fils de pauvre laboureur du Verger, aidant ses parents à l'exploitation de leurs lopins, bercé des histoires de guerre de Simon Guémené, dit Saint Simon, le soldat invalide, son parrain.

Il disparaît en effet des écrans de contrôle jusqu'à ses 22 ans.

Nous sommes en février ou mars 1793, l'an II de la République. La Patrie est en danger et les Autorités révolutionnaires - la Convention - décrètent la levée en masse des jeunes hommes de 18 à 25 ans afin de renforcer les armées de la Nation et de repousser l'ennemi qui gronde à nos portes.

Dans les campagnes ici ou là, ce prélèvement de force de travail est parfois mal perçu : hostilité au régime, perte de ressources pour le travail de la terre. Des protestations, des émeutes ont lieu. La Vendée toute proche s'enflamme contre la République pour plusieurs années.

A Guémené, les gendarmes recruteurs ne reçoivent probablement pas un trop mauvais accueil, le bourg étant plutôt acquis aux idées nouvelles. Le tirage au sort désigne parmi tant d'autres le jeune Jean Pierre Durand.

Ainsi, sans le savoir, ce jeune homme s'apprête à rejoindre le mythe révolutionnaire, l'Armée des Soldats de l'An II, parenthèse ouvrante de l'épopée qui soufflera sur la France et l'Europe pendant plus de vingt ans. Ainsi va son destin.

Le 8 mai 1793, le jeune conscrit rejoint le 5e Régiment de Ligne, héritier de l'ancien et prestigieux Régiment de Navarre. Dès lors, il va en faire toutes les campagnes, sillonnant le vieux continent où ce régiment va s'illustrer sur de nombreux théâtres d'opérations : 

1793 : Armée de Belgique, batailles de Lannoy et Hondschoote. Stationné dans les Flandres.
1794 : Armée du Nord. Siège de Le Quesnoy, batailles de Fleurus, Kaiserlautern et Eselsfurth. Stationné sur le Rhin.
1796 : Batailles de Lonato, Castiglione et siège de Mantoue. Stationné en Italie.
1797 : Bataille de Cimbras
1799 : Bataille de Pastrengo, batailles de Magnano et de la Trébie. Fin 1799 : stationné en Belgique.
1803 : Armée d'Italie.
1804 : Stationné dans le Piémont.
1805 : Bataille de Caldiero.
1806 : Campagnes de Dalmatie, Monténégro et bataille de Bergato. Stationné en Dalmatie
1809 : Sicile, batailles de Malghiera, Ervenich, Gospic, Wagram, Znaim, Lavacca et Meran. Stationné en Allemagne.
1810 : Envoyé en Espagne.
1811 : Batailles de Figueras et Moncado.
1812 : Batailles de Olot, Saint-Vincent, Carriga et Vich.
1813 : Batailles de Bisbal et Barcelone.
1813 : Batailles de Lützen, Wurschen, Dresde, Torau et Leipzig.
1814 : Siège de Belfort, batailles de Saint-Julien et Villeseneuse. Garnison à Grenoble.


Au cours de ces péripéties, le jeune soldat Jean Pierre Durand progresse quelque peu dans la hiérarchie militaire : le voici donc enfin sergent, le 9 mai 1812, alors qu'aucune blessure n'est venue ternir sa carrière.

Mais l'Europe coalisée sent son heure venir et la France se lasse de Empereur guerrier. Le 6 mars 1814, celui-ci abdique une première fois avant de revenir un an plus tard pour l'ultime sursaut des Cent-Jours et le naufrage de Waterloo.

Quand Napoléon débarque de son premier exil, c'est le régiment de Jean Pierre Durant qui se porte au-devant de lui. Mais au lieu de l'arrêter, il s'y rallie. 



Puis la guerre reprend en Belgique.

Le 18 juin 1815, se tient à Mont St-Jean la bataille dite de Waterloo. On en connaît le sort : l'ère napoléonienne et la parenthèse révolutionnaire se referment, Napoléon va finir dans une île, comme il a commencé.

Cette dernière bataille marqua aussi la fin de la carrière militaire de notre héros. Un coup de feu en effet l'atteint et lui traverse les deux cuisses de part en part. Malheureusement, il ne se remit pas totalement de cet épisode.

Ce fut sans doute le prix de son élévation au grade de Chevalier de la Légion d'Honneur, faisant de lui le premier légionnaire de Guémené. Car cet hommage à son dévouement militaire ne lui fut acquis que le 10 avril 1815 (soit alors que Napoléon quitte à peine Grenoble pour poursuivre sa reconquête du pouvoir), par un décret de Sa Majesté.


La carrière militaire de Jean Pierre Durand est compromise. Elle s'achèvera officiellement le 31 décembre 1815, après 22 ans, 7 mois et 24 jours de service.

Le 23 juin 1816, le chirurgien-major du régiment de Loire-Inférieure basé à Nantes déclare que l'ancien conscrit de 1793, le sergent de la Grande Armée, "est atteint de difficulté dans les mouvements de la progression". Il estime par conséquent qu'"il est hors d'état de servir activement dans l'arme dont il faisait partie" et "qu'il ne peut servir dans les compagnies sédentaires des vétérans". Le médecin poursuit : "il ne peut subvenir à sa subsistance par son travail : il a droit à la solde de retraite".

Une contre-visite, le 25 juin, confirme le diagnostic et la recommandation.

Jean-Pierre Durand regagna Guémené, habitant probablement avec sa mère au lointain village de la Holtais, à l'est de la commune. Il y exerça le métier de tisserand.

Il se maria même à l'âge de 47 ans, sa mère étant "présente et consentante (!)", le 8 septembre 1818. 

L'heureuse épousée était Marie Guillard, originaire du hameau de Dastres, cultivatrice de 39 ans demeurant au village de Saint Georges, non loin du Verger, hameau natal du mari.

Les vicissitudes politiques qui suivirent la fin de l'épisode napoléonien, avec le rétablissement des Bourbon, la Révolution de 1830 et l'avènement de Louis-Philippe Roi des Français, affectèrent apparemment la situation de "Chevalier de la Légion d'Honneur" du vétéran de la grande Armée, de l'ancien Soldat de l'An II.

Le 10 décembre 1846 (!), ayant vérifié que Jean Pierre Durand est bien Chevalier de la Légion d'Honneur depuis mars 1815, le Grand Chancelier de l'Ordre décide, en vertu d'une ordonnance du 28 novembre 1831, d'accorder à Jean Pierre Durand le brevet de ..."Chevalier de l'ordre royal de la Légion d'Honneur"...à la date du 28 novembre 1831 !

Il n'eut hélas pas l'occasion de partager cette "bonne" nouvelle avec son épouse qui le quitta le 21 avril 1846.

Le 8 juin 1850, le maire de Guémené (Fidèle Simon, bien sûr !) se rend au village de la Holtais, pour constater un décès. Le jour même, Pierre Ledoux, cousin germain du défunt, et René Gourdel sont en effet venus lui annoncer la mort, la veille au soir à neuf heures, de Jean-Pierre Durand, âgé de 79 ans, veuf, "laboureur et Chevalier de la Légion d'Honneur".

dimanche 24 novembre 2013

François Jéhanne, cordonnier républicain oublié


Vingt lieues, ce n'est pas beaucoup, vingt lieues : quatre-vingts petits kilomètres que dut parcourir François Jéhanne pour accomplir son destin.

Il a environ vingt-trois ans quand il s'installe à Guémené, vers 1781. François Jéhanne est né à Plélan-le-Grand, en Ille-et-Vilaine, le 13 mars 1758.

Il se marie le 30 novembre 1786 en l'église de Guémené, épousant Julienne Bourgeon, une veuve de six ans son aînée. Cette veuve est la fille du marguillier de la paroisse, "honorable homme" Julien Bourgeon, qui vivait à la métairie de l’Étang, au sud du bourg. Avec un père ainsi engagé dans la conduite de la paroisse, Julienne dut être élevée dans le respect de la religion et des traditions.

De ce mariage sont issus deux enfants (au moins), Donatien et Michel. Le premier sera serrurier à Guémené, et le second, cordonnier. En cela, celui-ci suit les pas de son père François Jéhanne, lui-même cordonnier de formation (et réputé tel encore vers 1796).

François Jéhanne savait écrire et il devait être inscrit sur le rôle des impôts puisqu'il fait partie des présents lors de l'assemblée paroissiale qui se réunit le 5 mars 1789 pour écrire le cahier de doléance de Guémené et désigner les délégués de la paroisse en vue des Etats-Généraux.

La Révolution le séduit. Il se retrouve Secrétaire greffier, autrement dit celui qui va écrire dans les registres et notamment les registres d'état-civil qui remplacent les registres paroissiaux de baptêmes, mariages et décès.

Le premier, il succède ainsi à des générations de curés et vicaires qui se sont relayés depuis plus de deux siècles pour transcrire les joies et malheurs de la vie des paroissiens de Guémené.

On l'imagine écrire avec gourmandise les nouvelles formules de la nouvelle époque : "l'an IV de l'Egalité" ou bien "l'an I de la Liberté et de la République"...



On perd sa trace dans les registres assez rapidement. Et puis on apprend sa mort, prématurée, à l'âge de quarante-six ans, le 22 décembre 1804 (2 nivôse an XII de la République, an I de l'Empire). A son décès, il est huissier de la justice de paix du canton de Guémené : il participe donc encore à la nouvelle administration des choses, cette justice de paix faisant pièce à la justice seigneuriale, justice de proximité de l'ancien temps. Le juge de paix avait pour tâche, depuis 1790, de trancher sans appel les petits litiges.

Je me suis demandé à quoi pouvait bien ressembler une séance de la justice de paix de cette époque. En cherchant, je suis tombé sur un écrivain de la fin du XIXème siècle, Octave Mirbeau, inoubliable auteur du "Journal d'une femme de chambre", qui, dans une courte nouvelle, "La justice de paix", extraite de son recueil de 1886, "Lettres de ma chaumière", s'empare précisément de ce sujet.

L'auteur dédie ce récit à Maupassant qui aurait pu en effet l'écrire : chez les paysans, la morale est toute pratique et ne fait en rien référence à des valeur de savoir-vivre ; l'équité de la transaction prend le pas sur le respect des conventions mondaines. Voici le texte presque intégral :


"La justice de paix occupait, dans la mairie au rez-de-chaussée, une salle donnant de plain-pied sur la place. Rien d’imposant, je vous assure, et rien de terrible. La pièce nue et carrelée, aux murs blanchis à la chaux, était séparée en son milieu par une sorte de balustrade en bois blanc qui servait indifféremment de banc pour les plaignants, les avocats — aux jours des grands procès — et pour les curieux. 

Au fond, sur une estrade basse, faite de planches mal jointes, se dressaient trois petites tables devant trois petites chaises, destinées, celle du milieu à monsieur le juge, celle de droite à monsieur le greffier, celle de gauche à monsieur l’huissier. C’était tout.

...« L’audience » battait son plein. La salle était remplie de paysans, appuyés sur leurs bâtons de frêne à courroies de cuir noir, et de paysannes qui portaient de lourds paniers sous les couvercles desquels passaient des crêtes rouges de poulets, des becs jaunes de canards et des oreilles de lapins. Et cela faisait une odeur forte d’écurie et d’étable.

 Le juge de paix, un petit homme chauve, à face glabre et rouge, vêtu d’un veston de drap pisseux, prêtait une grande attention au discours d’une vieille femme qui, debout dans l’enceinte du prétoire, accompagnait chacune de ses paroles par des gestes expressifs et colères. Les bras croisés, la tête inclinée sur la table, le greffier, chevelu et bouffi, semblait dormir, tandis qu’en face de lui, l’huissier, très maigre, très barbu et très sale, griffonnait je ne sais quoi sur une pile de dossiers crasseux...

...Le greffier, clignant de l’œil, consulta une feuille, la tourna, la retourna, puis, promenant son doigt de bas en haut, sur la feuille, il s’arrêta tout à coup…
— Gatelier contre Rousseau, cria-t-il ! sans bouger. Est-il là, Gatelier et Rousseau ?
— Présent, dit une voix.
— Me v’là, dit une autre voix.

Et deux paysans se levèrent, et entrèrent dans le prétoire. Ils se placèrent gauchement en face du juge de paix qui allongea ses bras sur la table et croisa ses mains calleuses.
— Vas-y, Gatelier ! Qu’est-ce qu’il y a encore, mon gars ?

Gatelier se dandina, essuya sa bouche du revers de sa main, regarda à droite, à gauche, se gratta la tête, cracha, puis, ayant croisé ses bras, finalement il dit :
— V’là ce que c’est, mossieu le juge… J’revenions d’ la foire Saint-Michel, la Gatelière, ma femme, et pis Roussiau, ensemble. J’avions vendu deux viaux et, sauf’ vout’ respect, un cochon, et dame ! on avait un peu pinté. J’ revenions donc, à la nuit tombante. Mé, j’ chantais, Roussiau agaçait ma femme, et la Gatelière disait tout l’ temps : « Finis donc, Roussiau, bon Dieu ! qué t’es donc bête ? qué t’es donc éfant ! »

Et, se retournant vers Rousseau, il demanda :
— C’est-y ben ça ?
— C’est ben ça ! répondit Rousseau.
— À mi-chemin, reprit Gatelier, après un court silence, v’là ma femme qui mont’ l’ talus, enjambe la p’tite hae, au bas de laquelle y avait un grand foussé. « Où qu’ tu vas ? » que j’y dis. « Gâter de l’iau », qu’è m’répond. « C’est ben ! », que j’ dis… Et j’ continuons nout’ route, Roussiau et mé.

 Au bout de queuques pas, v’là Roussiau qui mont’ le talus, enjambe la p’tite hae au bas de laquelle y avait un grand foussé. « Où qu’ tu vas ? », que j’y dis. « Gâter de l’iau », qu’y me répond. « C’est ben ! », que j’ dis. Et j’ continue ma route.

Il se retourna de nouveau vers Rousseau :
— C’est-y ben ça ? dit-il.
— C’est ben ça ! répondit Rousseau.
— Pour lors, reprit Gatelier, j’ continue ma route. J’ marche, j’ marche, j’ marche. Et pis, v’là que j’ me retourne, n’y avait personne sus l’ chemin. J’ me dis : « C’est drôle ! où donc qu’ils sont passés ? » Et je r’viens sus mes pas : « C’est ben long, que j’ dis. On a un peu pinté, ça c’est vrai, mais tout de même, c’est ben long ».

 Et j’arrive à l’endreit où Roussiau avait monté l’ talus… Je grimpe la hae itout, j’ regarde dans l’ foussé : « Bon Dieu, que j’ dis, c’est Roussiau qu’est sus ma femme ! » Pardon, excuse, mossieu le juge, mais v’là ce que j’ dis. Roussiau était donc sus ma femme, sauf vout’ respect, et y gigotait dans le foussé, non, fallait voir comme y gigotait, ce sacré Roussiau ! Ah ! bougre ! Ah ! salaud ! Ah ! propre à ren ! « Hé, gars, que j’y crie du haut du talus, hé, Roussiau ! Voyons, finis donc, animal, finis donc ! » C’est comme si j’ chantais.

J’avais biau y dire de finir, y n’en gigotait que pus fô, l’ mâtin ! Alors, j’ descends dans le foussé j’empoigne Roussiau par sa blouse, et j’ tire, j’ tire. — Laisse-mé finir », qu’y me dit. — « Laisse-le donc finir », qu’ me dit ma femme. — « Oui, laisse-mé finir, qu’y reprend, et j’ te donnerai eune demi-pistole, là, t’entends ben, gars, eune demi-pistole ! » — « Eune demi-pistole, que j’ dis, en lâchant la blouse, c’est-y ben vrai, ça ? » — « C’est ben vrai ! » — « C’est juré ? » — « C’est juré ! » — « Donne tout d’ suite. » — « Non, quand j’aurai fini. » — « Eh ben, finis. » Et moi, j’ reviens sus la route.

Gatelier prit pour la troisième fois Rousseau à témoin.
— C’est-y ben ça ?
— C’est ben ça ! répondit Rousseau.
Gatelier poursuivit.
— V’ entendez, mossieu l’ juge, v’ entendez… c’était promis, c’était juré !… Quand il eut fini, y revint avé la Gatelière sus la route, ous que j’ m’étions assis, en les attendant. « Ma d’mi-pistole ? », que j’ demandai. « D’main, d’main, qu’y m’ fait, j’ai pas tant seulement deus liâs sus mè ! » Ça pouvait êt’ vrai, c’té ment’rie là. J’ n’ dis rin, et nous v’l’a qui continuons nout’ route, la Gatelière, ma femme, et pis Roussiau, ensemble. 

Mé, j’ chantais, Roussiau agaçait ma femme, et la Gatelière disait tout l’ temps : « Finis donc, Roussiau, bon Dieu ! qu’ t’es donc bête ! qu’ t’es donc éfant ! » En nous séparant, j’ dis à Roussiau : « Attention, mon gars, c’est juré ». « C’est juré. » I’ m’ donne eune pognée d’ main, fait mignon à ma femme, et pis, le v’là parti… Eh ben, mossieu l’ juge, d’pis c’ temps-là, jamais y n’a voulu m’ payer la d’mi-pistole… Et l’ pus fô c’est, pas pus tard qu’avant-z-hier, quand j’y réclamais mon dû, y m’a appelé cocu ! « Sacré cocu, qu’y m’a fait, tu peux ben t’ fouiller » . V’là c’ qu’y m’a dit, et c’était juré, mossieu l’ juge, juré, tout c’ qu’y a d’ pus juré. »

Le juge de paix était devenu très perplexe. Il se frottait la joue avec sa main, regardait le greffier, puis l’huissier, comme pour leur demander conseil. Évidemment, il se trouvait en présence d’un cas difficile.
— Hum ! hum ! fit-il.
Puis il réfléchit quelques minutes.

— Et, toi, la Gatelière, que dis-tu de ça ? demanda-t-il à une grosse femme, assise sur le banc, son panier entre les jambes, et qui avait suivi le récit de son mari, avec une gravité pénible.
— Mè, j’dis ren, répondit en se levant la Gatelière… Mais, pour ce qui est d’avoir promis, d’avoir juré, mossieu l’juge, ben sûr il a promis la d’mi-pistole, l’ menteux…

Le juge s’adressa à Rousseau.
— Qu’est-ce que tu veux, mon gars ? tu as promis, n’est-ce pas ? tu as juré ?
Rousseau tournait sa casquette d’un air embarrassé.
— Ben, oui ! j’ai promis… dit-il… mais, j’ vas vous dire, mossieu l’ juge… Eune d’mi-pistole, j’ peux pas payer ça, c’est trop cher… ça ne vaut pas ça, vrai de vrai !
— Eh bien ! il faut arranger l’affaire… Une demi-pistole, c’est peut-être un peu cher, en effet… Voyons, toi, Gatelier, si tu te contentais d’un écu, par exemple ?
— Non, non, non ! Point un écu… La demi-pistole, puisqu’il a juré !
— Réfléchis, mon gars. Un écu, c’est une somme. Et puis Rousseau paiera la goutte, par-dessus le marché… C’est-y convenu comme ça ?

Les deux paysans se regardèrent, en se grattant l’oreille.
— Ça t’ va-t-y, Roussiau ? demanda Gatelier.
— Tout d’même, répondit Rousseau, j’sommes-t-y pas d’z amis !
— Eh ben ! c’est convenu !
Ils échangèrent une poignée de main.
— À un autre ! cria le juge, pendant que Gatelier, la Gatelière et Rousseau quittaient la salle, lentement, le dos rond, les bras ballants."


lundi 11 novembre 2013

Le Père de tous les Maires


Bien sûr, avec un pareil titre, je pourrais vouloir parler du premier des Simon, dont tant de descendants présidèrent aux destinées du Conseil Municipal de Guémené. Cela, leur valait bien, d'ailleurs, une place dans le centre de Guémené.

Non, en ce jour du souvenir des combattants (de la Grande Guerre), je veux évoquer la figure hélas estompée d'un combattant d'une autre cause, la figure de celui qui, apparemment le premier, remplit de son séant le fauteuil de premier magistrat municipal. Et ce, à une époque où se met en place - non sans à-coups - le nouveau système politique de la France, sous la Révolution.

Guy Houguet est né le 6 septembre 1742 au village de Juzet. Il est le fils de François Houguet et de Julienne Guirouais (ou Guirois). Son parrain est Guy Guirois, notaire et procureur fiscal (probablement parent de la maman) et sa marraine, Michèle Houguet (probablement parente du papa...). 

Outre qu'il est peu banal chez les laboureurs d'avoir un parent notaire pour parrain (cela devait être bien utile), on remarque que le papa Houguet sait signer son nom. D'une écriture certes un peu tremblée, mais enfin, à cette époque, ce n'est pas forcément des plus répandus.

Bref, on sent quand même que Guy est plutôt né dans la frange relativement aisée de la paysannerie locale.

La chronique ne retient rien de sa vie, ni femme, ni enfant, jusqu'en 1789 où la Révolution en marche saisit l'homme mûr célibataire.

Le 8 août 1788, confronté à une grave crise financière, Louis XVI a convoqué les Etats-Généraux du Royaume pour le 5 mai de l'année suivante, à Versailles. Le 27 décembre 1788, il est décidé que la désignation des représentants s'effectuerai par "sénéchaussée", subdivision administrative du pays (il y en a 400, en tout).

Le nombre de députés dépend du nombre de foyers fiscaux de chaque circonscription. Ces Etats-Généraux seront aussi l'occasion pour le Roi de recevoir les doléances de son peuple : d'où la rédaction de ces fameux cahiers, par paroisse puis par circonscription.

Début 1789, à Guémené comme partout en France, se réunissent des assemblées paroissiales qui vont rédiger les cahiers de doléances et choisir des représentants.

Le 29 mars 1789, le curé de Guémené monte en chaire et lit un texte annonçant la convocation de l'assemblée paroissiale préparatoire pour le dimanche suivant, 5 avril, au lieu ordinaire de ce genre de réunion, c'est-à-dire dans l'église, au pied de la grande croix. Seuls y participent les hommes âgés de 25 ans révolus inscrits sur le rôle des impôts.

Ainsi, le 5 avril, après la "grande messe", une petite centaine de personnes, convoquée "au son de cloche", demeure sur place, sous la présidence de Michel Mahé, procureur fiscal de la châtellenie de Bruc.

Parmi eux figure "le sieur" Guy Houguet : il sera retenu comme député de l'assemblée, au côté de "du Boisfleury Potiron" (sic) et Jan Launay (comme suppléant).

Ces trois là ont pour mission d'aller au siège de la "sénéchaussée" - à Nantes, pour Guémené - y défendre les intérêts du peuple guémenois, faire la synthèse des cahiers de doléances paroissiaux et choisir les huit députés (et six suppléants) de la circonscription qui iront à Versailles. Cette séance est prévue le surlendemain, 7 avril. Pas de temps à perdre.




Cette première irruption dans la politique du sieur Houguet n'est apparemment pas sans lendemains. Guy est certes retourné à ses occupations de laboureur à Juzet où il est recensé en l'An IV (1797).

Mais il apparaît surtout sur les registres d'état-civil de Guémené comme "Président de l'administration municipale du canton" de Guémené-Penfao à partir de 1797. Cette charge lui durera jusqu'en l'an VIII, soit près de quatre ans, avant qu'un maire communal (et non cantonal) de Guémené soit nommé, en la personne de François Maillard, au printemps 1800.

Le brave homme vécut encore quelques temps. Il s’éteignit en effet le 18 juillet 1806, à l'âge de 64 ans, dans sa maison de Juzet, accompagné jusqu'à son dernier souffle par un domestique.

C'est la veuve Chauvin de Tréfoux - amante ou parente ? - qui hérita de ses biens meubles et immeubles.

dimanche 7 avril 2013

Charles Robin, le réfractaire

L'autre jour, je suis parti fouiner dans de vieux registres. Dans un tas de papiers, une chemise orange a attiré mon attention. Elle protégeait un petit cahier daté de la fin du 18ème siècle, à l'évidence un registre de baptêmes, mariages et sépultures à l'ancienne, c'est-à-dire tel que les prêtres les rédigeaient avant 1792.

A l'été 1790, soit un an - très tôt - après le début de la Révolution, la Constituante et le roi Louis XVI, mettent en oeuvre une réforme de l'organisation de l'Eglise catholique en France que l'on a appelé "la Constitution civile du clergé". Celle-ci impliquait une prestation de serment de la part des prêtres et surtout un détachement de l'autorité du Pape.

Rapidement, le Pape Pie VI s'y oppose et l'Eglise de France se déchire entre prêtres "assermentés" et prêtres "insermentés" ou réfractaires. La moitié des curés de base prête néanmoins serment.

La situation entre la Révolution et l'Eglise continue de se tendre pour finalement se régulariser en 1801, à la faveur du Concordat signé entre Bonaparte Premier Consul et le Pape suivant, Pie VII.

Dans l'intervalle, les deux clergés vont cohabiter, comme ce fut le cas à Guémené et dans sa région. 

Parmi les prêtres de base (curés, vicaires) réfractaires à la Révolution, il y avait donc Charles Robin.

Charles Robin était né à Conquereuil le 24 février 1756, dans le village de Bréhain, équidistant des bourgs de Conquereuil et de Guémené, en allant sur Pierric, non loin des étangs de la Renouillère et de Coisma.

Papa Robin était un laboureur qui savait signer son nom. La maman du futur rebelle s'appelait Françoise Urvoy.

On retrouve, avant 1790, Charles notre nouveau héros, curé au Pellerin, bourgade qui longe la rive gauche de la Loire en face Couëron, à quelque distance à l'ouest de Nantes. Remplacé dans ce poste au moment de la Constitution civile du clergé, il entre probablement alors dans la clandestinité.

Il en sort vers 1801, date à laquelle il apparaît dans une enquête préfectorale sur "l'Etat des ministres du culte dans le département de Loire-Inférieure". Dans cette enquête assez amusante, chaque prêtre de chaque commune du département est gratifié d'un petit commentaire fourni par les maires.

Notre ami Robin, désormais curé du Gâvre, y est décrit comme : "ex-curé du Pellerin, y exerce [au Gâvre]. Trop de zèle et de chaleur, à ne point employer." Le préfet (Letourneur, qui vota la mort de Louis XVI) et le maire du Gâvre de l'époque n'avaient donc pas trop confiance dans la loyauté "républicaine" du curé exalté du Gâvre.

Une petite digression pour l'anecdote : dans cette revue de détail alphabétique du préfet,  le curé qui apparaît juste après notre ami, est de celui de Fay et cela ne s'invente pas, il s'appelle Guillotin. Il est présenté comme "retraité, immoral, avide d'argent". Juste après, pour Guémené, on trouve une note sur Maillard, ex-curé de cette commune, favorable à la Révolution et toujours en fonction en ce lieu : "vicaire, ex-curé constitutionnel, ex-maire, percepteur (!?). Ne jouit pas de l'estime publique dans sa commune".

Mais revenons à nos moutons. Charles Robin mourut au Gâvre dans l'exercice de sa charge, le 11 janvier 1812 à l'âge de 56 ans.

Et Guémené alors ?

Au vu du petit cahier mentionné au début de cet article, retrouvé parmi de vieux papiers, Charles Robin fut vicaire clandestin de Guémené entre (au moins) avril 1795 et décembre 1799.

Dans ce document, dont je fournis ci-après quelques photos hélas de mauvaise qualité, le vicaire en rupture de ban assume crânement ses engagements. Chaque enregistrement de baptême, de décès ou de mariage rappelle la fidélité de l'officiant à l'Eglise de Rome. Par exemple : "le troisième jour du mois de juillet 1798, a été par nous soussigné prêtre catholique apostolique et romain baptisé etc...". Et la signature où le lieu est, contre tout usage, stipulé : "C. Robin vicaire de Guémené Penfao".

Dans tout récit où le destin laisse sa marque, l'histoire doit se terminer à l'endroit ou au type d'endroit où elle a commencé (Napoléon est né et est mort dans une île, par exemple). Pour Charles Robin, dont l'épopée est partie de Conquereuil, le récit s'achève donc à Conquereuil, selon une optique hagiographique qui convient au personnage.

Faute sans doute d'avoir pu conserver un morceau, un os ou quelque chose du bonhomme dans une châsse, on garde (ou on a gardé jusqu'à une époque récente) à Conquereuil, "un calice et une bourse pour le saint viatique" dont se serait servi le saint homme. A vérifier, donc.

Voilà pour ce héros. Je signale à tout hasard qu'un récit - orienté - de la vie et des péripéties d'un prêtre du coin du même genre, Grégoire Orain, pourchassé par le commandant des Bleus de Guémené, Mathurin Pinsmil, est lisible sur le site de la BNF (Gallica : "Vie de M. Orain, confesseur de la foi pendant la Révolution et mort curé de Derval, par M. l'abbé Cahour, Nantes 1860").

Ci-dessous les photos promises :




mardi 6 novembre 2012

Croix de Messidor

Je l'appelle la Croix de Messidor, mais au fond je ne connais pas son nom. On la trouve sur la route de Guénouvry, après Gascaigne et avant le château de Bruc, le dos à la lisière du bois de Juzet, acculée, protégeant de ses bras cette forêt d'on ne sait quelle attaque venue du sud, éblouie de soleil.

Il y a, dans ce monument esseulé, quelque chose de dérisoire et d'héroïque aussi, gardien d'une mémoire qu'on peine à pénétrer et partager, en ce lieu improbable où nul passant ne s'arrête, où aucun hommage n'est donc possible.

Je suis passé ici à pied par une fin d'après-midi lointaine, dans le vent et la pluie, l’obscurité qui gagnait. C'était à la fin de l'hiver, aux vacances de février 1973 : avec un camarade, nous venions  à Guémené tenter d'oublier, de conjurer, l'horrible et très récent décès d'un condisciple.

Nous avons cru peut-être y réussir sur le moment, mais aujourd'hui encore je crois que ce n'est pas le cas.

Comme le souvenir de cet évènement,  comme celui de ce passage juvénile devant cette croix désormais reculé dans le temps, le souvenir de ce qu'elle commémore est perdu, pour ainsi dire, et la peine qui y est associée nécessairement est également incompréhensible, intransmissible.

Enfin, revenons à l'Histoire.

On ne l'aperçoit qu'en arrivant dessus, nichée dans un parterre de fougères que l'automne a bruni.


C'est une croix simple, peinte d'un affreux marron clair, fichée dans un socle maçonné de pierres bleues, à l'ancienne, et qui n'est pas sans rappeler celui de la croix du cimetière qui date de 1832. Sans doute ce mémorial remonte-t-il du XIXème siècle, sans qu'il soit possible d'être plus précis.

Un écusson, peint de la même couleur que le reste, est présent à l'intersection des deux bras de la croix. Il affiche que ce monument commémore le "combat du XXII Messidor an III".


Messidor, premier mois de l'été, "mois des récoltes", littéralement. Le 22 Messidor an III correspond au 10 juillet 1795.

Des soubresauts agitent l'Ouest, et en juin un débarquement royaliste s'est produit à Quiberon que le général Hoche va réduire. Parallèlement, un millier de chouans conduits par le colonel Terrien (dit "Coeur de Lion"), chef de la région de Chateaubriand, se sont rués sur Guémené-Penfao tuant paraît-il huit républicains.

Même si huit vies sont beaucoup de choses, à l'échelle de l'Histoire la moisson est cependant médiocre pour le parti réactionnaire.

En ce Messidor an III, la République tient bon en Guémené. D'ailleurs, elle vaincra d'ici peu.

dimanche 11 avril 2010

La bataille de Guémené Penfao - Jean Terrien


Le 8 juillet 1795, 1 000 Chouans de la division de Châteaubriand commandés par le colonel Jean Terrien (voir texte ci-après) prirent d'assaut la ville de Guémené-Penfao.

Les républicains eurent 8 tués dont le commandant de la garnison.

"Jean Terrien est né à La Rouxière (Loire Inférieure) à la métairie du Bois en 1766, il vient avec son père en 1777 exploiter la métairie de Gâtine en Issé, terre noble : les propriétaires de cette métairie lui feront suivre des études au séminaire de Nantes qui ferme en 1790 durant la Révolution.

A partir de 1793 Jean Terrien forma avec quelques amis, qui refusaient de servir dans la nouvelle armée de Napoléon, un groupe assez important menant une guérilla dans la région entre Ancenis et Châteaubriant. Il en devint le chef sous le nom de "Coeur de Lion".

Avec cette troupe, il avait formé une sorte de garde territoriale, qui joua un rôle utile pour modérer et même s'opposer aux réquisitions abusives des troupes prussiennes qui occupèrent quelque temps la région.

Agitateur et guerrier infatigable, il combat la garde nationale et, de guérillas en attaques, tente de rétablir la monarchie.

Après une paix temporaire de 1796 à 1799 il attaque Nantes puis la sérénité est retrouvée en décembre 1799 par la paix de Pouancé. Par la suite, il n'essaya pas d'entrer dans l'armée régulière, se contentant de présider des réunions d'anciens combattants royalistes en qualité de colonel honoraire.

Sous le Ier Empire, Jean Terrien est marchand de bois à Nantes."

[extrait de l'article que l'on trouve au lien ci-dessous]

http://www.moisdon-la-riviere.org/articles.php?lng=fr&pg=287