Rechercher dans ce blog

dimanche 10 avril 2016

Petit Joseph inédit


Il n'était pas né à Guémené et n'y est pas mort non plus. Non, c'est à Nort-sur-Erdre, quarante kilomètres plus au Sud du département, que vit le jour et disparut Joseph Herbert. 

Guémené ne fut qu'une parenthèse assez courte dans sa vie, au demeurant assez brève, mais cet épisode guémenois qui dura peut-être une dizaine d'années au début du siècle passé, a laissé une trace indélébile dans le légendaire local.

Joseph Herbert naît le 8 mars 1873. Son père est Jean Marie Herbert, commerçant âgé de 41 ans à la naissance du bébé. Il est marié à Marie Augustine Alexandrine Lemaire (34 ans en 1873) et ils habitent Basse-Grande-Rue, à Nort-sur-Erdre.

En 1896, il est toujours à Nort et vit avec son frère et une domestique. Il est dans les vins.

En 1897, le 26 octobre, il épouse Marguerite Bourdon, fille de Nort d'un an sa cadette.

Il n'a pas laissé de trace dans les archives militaires, ce qui aurait pu nous donner son aspect quand il avait vingt ans. On peut présumer que son physique lui permit de se dispenser de service militaire.

C'est probable car au début du siècle, alors qu'il approche de la trentaine, ce qui fit sa gloire est déjà avéré : Premier Prix au concours international de grosseur organisé par le Chasseur Français (plus gros poids d'Europe). Il ne dut pas prendre ce poids exceptionnel en dix ans.

Que gagnait-on ? Espérons que cela se mesurait au poids du vainqueur. Car Joseph Herbert pesait 204 kg pour 1,65 m de hauteur et un tour de ceinture de 1,78 m...

Et même 212 kg pour un tour de taille de 1, 88 m, si l'on en croit un article du 8 août 1906 paru dans l'Est Républicain. Cet organe vénérable y présente notre ami comme le plus gros pêcheur de France et lui attribue la fondation de la société de pêche guémenoise, la "Gaule du Don".

C'est par ironie affectueuse, peut-on imaginer, qu'il gagna le surnom de "Petit Joseph". Il dut à son art de cornettiste celui de "Cornet à pistons".

On disait de lui beaucoup de choses. Qu'il était professeur de danse et que sa table de cuisine avait été creusée pour qu'il puisse y mettre son ventre. On disait aussi que sa braguette comptait dix-huit boutons...

Il tenait bien sûr à Guémené "l'Hôtel des voyageurs", place Simon, renommé depuis "l'Hôtel du Petit Joseph".

Joseph Herbert quitta son hôtel et Guémené en septembre 1909. Il mourra six ans plus tard à peine, le 9 mai 1915, dans sa ville natale.

Gloire locale de Nort-sur-Erdre et de Guémené-Penfao, il a été représenté sur des centaines de cartes postales.

En voici justement six, ci-après, qui sont autant de portraits de notre héros.

Elles sont connues. 

Il y a d'abord une première paire où notre héros pose devant son hôtel à Guémené, en sabots, en pantalon blanc et avec son cornet à pistons. Sans doute au retour d'un défilé de la clique de Guémené.






















La seconde paire de cartes postales révèle un Petit Joseph bourgeois. Il est affublé d'un grand chapeau noir, il porte un gilet sous son veston et une chaîne lui barre la poitrine. 

Pourtant, comme dans les deux photos précédentes, et celles qui suivent, il est chaussé de sabots. Il est indiqué qu'il est professeur de danse à Nort où ces deux clichés ont dû est pris. 

On notera que son visage n'arbore pas la même barbe que dans les deux cartes précédentes.




La première des deux cartes suivantes est probablement de sa dernière période niortaise et la pilosité faciale est proche de celle des deux photos précédentes. Le bâtiment devant lequel il se trouve pourrait être le même que la maison qui fait décor ci-dessus si l'on en croit les petites briques que l'on distingue autour du portail.

Mais la tenue est moins solennelle, la casquette remplace le chapeau et le gilet a disparu. On pourrait compter les boutons de la braguettes. Croyons sans façon qu'il y en a bien dix-huit...(en fait j'en ai compté une dizaine...). 

Une montre est dans une poche de la chemise dont on voit la chaîne accrochée à une boutonnière. Un petit nœud de cravate lui serre le col.

La dernière carte appartient sans doute à la même époque et le visage et la pilosité sont comparables. Il en va de même pour la tenue qui est exactement celle du Petit Joseph "bourgeois" évoquée ci-avant. Nous sommes chez un photographe, devant une toile de fond classique pour l'époque : arc de triomphe, draperie, bouquets de fleurs...






















Mais si vers la fin de sa vie, le Petit Joseph tend à poser et à n'être plus que le professeur de danse vainqueur du concours de grosseur, on se souvient à Guémené du Maître d'hôtel bon vivant et joueur de cornet dans la fanfare.

Alors pour finir, une photo inédite (en tout cas je le crois), que je dois à l'amitié d'un homme qui est tout dévoué à l'histoire de Guémené et à son patrimoine.

Elle représente Joseph Herbert dans la cour de son hôtel, côté coulisses donc, faisant le facétieux.

Il est penché en avant, de profil, un visage souriant face à l'objectif, ses deux poings serrés, dans une sorte de pose de boxeur.

Il porte un chapeau blanc sur sa bonne bouille hilare. Il a la barbe et la moustache de sa dernière période. Il est boudiné dans une veste sombre et porte un pantalon clair. Il a délaissé les sabots pour des chaussures.

Un baquet et une échelle servent de décor.


dimanche 3 avril 2016

Pierre Usé


Tous les jeux de mots ne sont pas drôles. Mais, pour autant, celui que je fais dans le titre de cet article semble cependant particulièrement adapté au cas qui va nous occuper aujourd'hui.

Ce cas nous montrera aussi que l'humour noir se loge parfois ailleurs qu'on ne croit.

Voici encore l'histoire (résumée) d'un de ces héros oubliés de Guémené qui s'est illustré pendant la dernière guerre mondiale (et même lors de la précédente).

Pierre Heuzé est né le 10 septembre 1893 au bourg de Guémené-Penfao.

Il est le fils d'Amaury Marie Heuzé, médecin à Guémené, et de Virginie Chapron. Que du beau monde, notable, et propre et tout et tout : madame a une bonne et va à la messe, comme il se doit.

Pierre est même le petit-fils de Jean-Baptiste Heuzé, officier de santé à Guémené vers le milieu du XIXè siècle et qui n'avait pas trop brillé par ses talents lors de la terrible épidémie de dysenterie de 1856.

Voilà donc trois générations de carabins couvrant un siècle de progrès médical et social.

Quand on naît en 1893, on a bien entendu vingt-ans en 1913, juste à temps pour aller exercer ses talents patriotiques et médicaux sur les champs de l'Argonne ou d'ailleurs.

Ce bonheur cueille notre héros alors qu'il étudie la médecine à Brest.

Son conseil de révision nous le décrit ainsi : plutôt grand pour l'époque (1 mètre 74 : donc bien nourri), il a le poil châtain et les yeux bleus.

Il fera la guerre de 14 comme médecin auxiliaire à partir du 11 juin 1915. Il passe ensuite à la 11ème Section d'infirmiers militaires, puis au 2ème Régiment d'Infanterie Coloniale, le 9 février 1916. 

Il disparaît des radars le 18 avril 1917 au combat d'Ailles (dans l'Aisne).

Prisonnier de guerre des Allemands, il est dirigé sur Karlsruhe, Mannheim et finalement Giessen, dans la Hesse, où il arrive fin mai 1917. Le camp est à quatre kilomètres de la ville. 

Il s'agit d'un camp d'immatriculation et de transit doté d'un lazarett (hôpital militaire). La Croix-Rouge enverra un communiqué à la famille le 5 juin suivant (la famille est désormais, apparemment, au 86 quai de la Fosse, à Nantes).

La captivité du jeune Pierre ne dure que moins d'un an : il sera rapatrié sanitaire d'Allemagne le 11 mars 1918. 





















Aussitôt l'Armée française se ressaisit de lui et le verse au 23ème Régiment d'Infanterie Coloniale, le 13 mars 1918. On en profite bientôt, le 21 août 1918, pour le promouvoir médecin aide major. Une semaine après, le voilà passé au 1er Régiment d'Infanterie Coloniale. 

Il est mis en congé le 3 septembre 1918. Mais une semaine plus tard, le voici en Russie du Nord où il restera jusqu'au 1er juin 1919.

Il fait alors partie du corps expéditionnaire français (composé du 21ème bataillon de marche, du 1er régiment d’infanterie coloniale, de deux batteries du 2ème régiment d’artillerie coloniale, d’une compagnie de skieur des Vosges, de trois compagnies de la légion étrangère ainsi que des éléments du 101 éme et 112 éme régiment d’artillerie lourde appuyé par trois croiseurs cuirassés...).

Ce Corps est parti, on l'ignore trop, combattre les Bolchéviks et ramener la civilisation en Russie (sans grand succès).

Au total, Pierre Heuzé fit une belle guerre. Il fut cité à l'ordre n° 51 de la 20ème Brigade d'infanterie coloniale le 2 novembre 1916 et à l'ordre du 2ème Corps d'armée coloniale n° 124/R du 3 juin 1917. Avec ça, une Croix de guerre avec étoiles de bronze et vermeil. Pas mal...

De retour à la vie civile, il va exercer son métier de médecin d'abord en région parisienne (à Paris dans le 10ème, puis le 16ème arrondissement ; à Levallois-Perret) pendant près de dix ans.

Pierre Heuzé se marie en juin 1932 à la mairie du 10ème à Paris (avec Valentine Marie Letard), avant de filer près de Beauvais en octobre 1933 et, en janvier 1939, à Saint-Maurice-lès-Chalencey, petit village du Canton de Tourouvre, entre Dreux et Alençon.

C'est là que l'ordre de mobilisation le rattrape le 2 septembre 1939. Il est dirigé le 12 janvier 1940 vers le dépôt de convalescence du château de Vaux (Eure-et-Loir) et promu au grade de médecin sous-lieutenant de réserve à compter du 25 mars 1940.

On sait comment tout cela a tourné. Les Allemands encore, l'Occupation, beaucoup d'attentisme, quelques résistants...

En octobre 1943, les résistants du groupe « Vengeance » du canton de Tourouvre  sont traqués. Les policiers cherchent à mettre fin à une filière d’évasion et de rapatriement d’aviateurs alliés. Plusieurs sont arrêtés. 

Pierre Heuzé fait partie des interpellés.

Les interrogatoires ont lieu à Alençon où il reste détenu quelques mois. Puis, il est déporté vers Compiègne et, le 12 mai 1944, vers Buchenwald (Matricule: 50996). Il connaîtra dans les mois qui suivent d'autres lieux de déportation : Dora, Wieda. 

Par chance Pierre Heuzé va survivre au régime infernal de ces camps. Quand les Américains arrivèrent à Dora, le 11 avril 1945, ils trouvèrent quelques survivants au Revier et de rares autres, au milieu des cadavres, dans la Boelcke Kaserne. Pierre Heuzé dut être de ceux-ci ou de ceux-là.

De retour en France, Pierre Heuzé n'est guère en forme. Mais vers la fin de 1946 son état empire.

Différentes commissions de réformes se pencheront, dans les années 50, sur son état physique et diagnostiqueront tout une série de troubles :

"Hémiparésie (paralysie partielle) intéressant face et membre, préhension nulle ; peut marcher ; contracture du membre supérieur. Etat spasmodique ; exagération des réflexes ; trépidations épileptoïdes (sic) ; céphalées ; vertiges ; inaptitude au travail intellectuel ; état général satisfaisant (sic), urines normales, urée sanguine : 0,36 ; Wassermann négatif (test de la syphilis) 

2/ Hypertension artérielle 20 x 11"


Il a dû être ravi de savoir que, en dépit de tout, un quarteron de médecins militaires en bonne santé trouvait qu'il disposait d'un "état général satisfaisant"...De vrais comiques troupiers...

En 1957, la commission des réformes raye des cadres Pierre Heuzé et constate que sa santé ne s'est pas améliorée : 

"Paralysie complète du membre supérieur droit ; paralysie incomplète du membre inférieur droit ; parésie (paralysie partielle) faciale droite ; gêne de la mastication de l'élocution ; troubles trophiques de la main droite ; hypertension artérielle ; édentation (sic) complète ; asthénie des déportés"


Usé, Pierre décède le 8 juin 1959, à Paris 14ème arrondissement, à l'âge de 66 ans à peine.

lundi 28 mars 2016

Jean-Baptiste Rimbaud, déporté


Beslé est une succursale de Guémené dotée d'un pont qui franchit la Vilaine. De l'autre côté du fleuve, ample, commence la commune de Langon au lieu-dit le Pâtis-Vert. Comme aucun bourg ne paraît de l'autre côté de la rivière, juste gardée par l'ancien et imposant hôtel Sergent posé au débouché du pont, c'est un peu de Beslé encore de ce côté-là.

Beslé fut un centre ferroviaire important (c'est aujourd'hui encore, de fait, la gare de Guémené) entre Nantes et Rennes, Redon et Châteaubriant, ces quatre points cardinaux de tout guémenois.

C'est là que se croisaient jadis les deux anciennes lignes qui desservaient le bourg de Guémené : la ligne de Redon à Châteaubriant et la ligne de Beslé à Blain, vers Nantes, dont l'emplacement a laissé encore de nos jours de grandes cicatrices boisées dans le paysage.

Beslé a toujours été un point de passage, que ce soit sur la Vilaine (il y avait un bac, avant la construction du pont à la fin du XIXème siècle) ou sur terre, grâce au chemin de fer.

Un nombre important de cheminots habitaient donc Beslé dans l'entre-deux-guerres (mondiales).

Parmi ceux-ci, Pierre Rimbaud, originaire de Derval, marié à une jeune femme de Pierric, Angélique Guérin.

Ce couple aura quatre enfants : Marie, née en 1913 ; Léon, née en 1914 ; Yvonne, en 1916 et Jean-Baptiste en 1918. Ou bien cinq : ajoutons Léontine.

Quand ils se sont mariés, en juillet (ce qui n'est guère une période paysanne) 1912, les époux étaient en principe cultivateurs. Le métier ferroviaire de Pierre Rimbaud est donc assez récent quand naît son dernier fils.

Jean-Baptiste Rimbaud voit le jour le 30 octobre 1918, quand la Première Guerre Mondiale expire enfin.

Comme souvent, on ne sait rien de son enfance, ni de son adolescence.

On apprend que, plus tard, Jean-Baptiste était employé chez Monsieur Baudu à Langon, au Pâtis-Vert. Celui-ci était marchand de bestiaux.

La vie historique, si j'ose dire, de Jean-Baptiste commence quand il entre au groupe Francs Tireurs et Partisans (FTP) de Beslé. 

Ses faits d'armes sont documentés et ne sont pas négligeables. Ainsi, il transporte des armes et des munitions de Beslé à Langon. Il participe également au sabotage de lignes souterraines de téléphone entre Rennes et Redon (à la Chapelle Sainte-Melaine et à Guipry). 

Plus tard encore (en juin d'une année non spécifiée), on le retrouve impliqué dans le sabotage de freins sur une rame de wagons allemands entre Guémené et Avessac. 

En juillet 1944, il est associé au convoyage de six aviateurs américains de Bain-de-Bretagne à Saint-Ganton et Massérac.

Il fut hélas arrêté par la Gestapo entre Guémené et Plessé, alors qu'il transportait trente kilos d'explosifs et un revolver.



















Il se trouve ensuite embarqué dans le convoi de Rennes, au début d'août 1944, à destination de l'Allemagne.

Il est dirigé vers le Fort Hatry de Belfort. Puis il est déporté le 29 août 1944 de Belfort vers le Camp de Concentration de Neuengamme (matricule 43790).

Dans ce train se trouvent 722 hommes parmi lesquels 444 décéderont. On dénombrera 194 rescapés. La différence est formée de disparus ou de personne dont le sort est inconnu. 

Parmi ces hommes, Bernard Danet, ce résistant de Beslé également, de deux ans le cadet de Jean Baptiste Rimbaud, et Pierre Baudu, l'ancien employeur du jeune homme.

Ce dernier, qui habitait le bourg de Beslé en 1931, sa femme Hélène et leur fille Antoinette sont en effet arrêtés au Pâtis-Vert, près de Beslé, le 21 juin 1944, sur dénonciation.

Pierre Baudu faisait partie du réseau Buckmaster. Lui et sa famille reviendront des camps.

Pas Jean-Baptiste Rimbaud, qui décède le 20 janvier 1945 au camp de Wilhelmshaven.

Un arrêté du 14 décembre 1997 a fait porter la mention "Mort en déportation" sur son acte de décès.

Jean-Baptiste Rimbaud passa un peu moins de quatre mois à Wilhelmhaven qui était une succursale (un "kommando") de Neuengamme. 

On dispose d'un témoignage qui permet d'imaginer ce que furent les derniers jours de la courte existence du jeune Résistant.

Wilhelmshaven était à l'extérieur du camp de Neuengamme, situé sur la mer du Nord, créé à partir du mois d'août 1944 et opérationnel dès le 4 septembre 1944. Le convoi de Jean-Baptiste Rimbaud "étrenna" en quelque sorte l'établissement. 


"Celui-ci, n'était pas terminé et il fallu d'abord éliminer un énorme tas de terre glaise qui obstruait la Place d'appel, effectuer des transports de briques à la brouette, sous la surveillance de kapos et de… SS qui étaient français. Nous étions logés dans des baraquements désaffectés de la jeunesse hitlérienne (...).

Ensuite, affectation à l'Arsenal de la Kriegsmarine où nous nous rendions à pied (4 à 5 km.). Dans cet immense complexe industriel, des ateliers de fabrication avaient été isolés et nous étaient réservés. Ils comportaient :

- Un grand hall où nous devions travailler comme tourneurs, usiner des pièces d'acier sous le contrôle de contremaîtres allemands, ramasser les copeaux de métal à main nue (...), fabriquer des câbles en acier, souder des pièces de toutes sortes – très grosses ou très petites – au chalumeau ou soudure électrique, presque sans protection, couper d'énormes plaques de métal à l'aide de machines immenses (souvenir : un Français s'est coupé les deux mains devant moi – suicide ?), effectuer différents modèles à l'emporte-pièce (...).

A part, se trouvaient d'autres ateliers, dont :

- la menuiserie où étaient fabriqués, entre autres, des manches de grenades et des fûts de fusils ;

- la forge où étaient usinées des pièces en fonte pour les navires de guerre. Poste très dur car les déportés étaient soumis à une intense chaleur pendant leur travail, pour être ensuite en contact avec le froid du dehors, et leurs vêtements étaient troués par les éclats de métal incandescent.

Tous ces bâtiments étaient entourés de rangées de barbelés et étroitement surveillés par les gardes.

Le travail se faisait 24 heures sur 24, par deux équipes, une de jour, une de nuit, de 12 heures chacune, avec une pause d'une demi-heure pour ingurgiter une maigre pitance. A la suite des bombardements alliés, des équipes furent constituées pour déterrer les bombes non éclatées ou à retardement (...).

Fin mars 1945, nous avons commencé à déblayer les ateliers détruits par les bombes. Devant l'ampleur du désastre – navires coulés, sous-marins ventre à l'air,… - un rayon de joie éclairait notre visage et nous étions devenus heureux – pour un temps (...)."


Jean-Baptiste Rimbaud n'eut pas le temps de partager cette joie. 

Bien que né à Guémené, c'est à Langon, de l'autre côté de la Vilaine, que sa mémoire est honorée : une simple plaque sur le monument au mort porte son nom, à côté de celui de cinq camarades.

samedi 19 mars 2016

Coins et recoins d'église (3)


Ce pourrait être un article de la série "Vitraux et merveilles". Mais le vitrail dont je veux parler aujourd'hui étant moins accessible que ceux de la nef de l'église de Guémené et l'ayant découvert dans le cadre de ma récente expédition dans les coulisses de cet édifice, je préfère le traiter dans la récente série des "Coins et recoins d'église". D'ailleurs, ça n'a aucune espèce d'importance.

Pour apercevoir le vitrail en question, il faut aller dans la sacristie où il se déploie sur la paroi de la pièce qui donne sur l'extérieur, naturellement.

Ce petit vitrail (petit par rapport aux autres) consiste grossièrement en un écu circulaire placé au milieu d'un rectangle. Le rectangle est bordé de verres jaunes et composée de figures de verre géométriques, bleues, bleu pâle, mauve. Ces pièces forment dans la partie supérieure une sorte de croix.

A la simplicité de ce fond, l'écu rond oppose une composition plus riche où le rouge domine. Toutefois, cette partie de l'oeuvre ne comporte que cinq pièces de verre sur lesquelles des motifs ont été peints.

Un liseré vert entoure le disque à fond rouge. Sur celui-ci quatre éléments se distinguent : au centre, un blason posé sur une croix ; au-dessus du blason, une couronne comtale ; un chapelet est accroché aux deux bras de la croix ; une devise, "VERITAS", est inscrite de part et d'autre de la croix du chapelet.



Les armoiries sont une composition complexe et appartiennent à l'ordre des Dominicains.

Le fond du blason est blanc ou argenté avec comme deux rideaux noirs dans sa partie supérieure.

Sur la partie argentée se trouve figuré un chien blanc (ou argenté) qui tient dans sa gueule une torche enflammée. Sa patte gauche est posée sur un globe, surmonté d'une croix d'or et qui devrait être bleu (il est blanc !).

En principe, le chien devrait aussi être couché sur un livre...ce qui n'est guère apparent dans notre cas.

Au-dessus du chien, une palme censée être verte et un lys d'une couleur qui peut variée, mais blanc (ou argenté), en l'occurrence.

La partie supérieure du blason fait apparaître une étoile d'or séparée du reste de la composition par un arc de cercle également d'or.

En bel langage héraldique, cela donne :

"D'argent, à la chape de sable, l'argent chargé d'un chien de même, tenant dans la gueule une torche enflammée, la patte senestre sur un globe d'azur et couché sur un livre de gueules, accompagné d'une palme de sinople et d'un lys au naturel passés en sautoir dans une couronne d'or, et une étoile d'or en chef."


On peut se demander à quoi tout cela rime, s'agissant d'un ordre monastique. En fait une légende permet de rendre compte de cette iconographie.

En effet, la mère du fondateur de l'Ordre des dominicains, la maman de Saint Dominique par conséquent, une certaine Jeanne d'Aza peut-être, fit un rêve pendant sa grossesse.

Dans ce songe, un chien tenant une torche allumée en sa gueule afin d'éclairer le monde lui apparut. Ce rêve prémonitoire annonce bien évidemment la vie de son futur fils Dominique et les dominicains (dominicanes en latin) qui sont les chiens du Seigneur (domini canes, en latin). 

En effet, après ce jeu de mot onirique et désopilant, la brave femme accoucha de son fils qui lui-même accoucha de l'ordre monastique bien connu, dont le rôle est d'aboyer contre les hérésies et de surveiller comme de bons toutous le troupeau des brebis du Seigneur. Des flics, quoi.

La composition de ce vitrail datant de 1905 est due à une artiste d'origine toulousaine qui exerça à Angers : Jean Clamens.

Né à Toulouse en 1850, celui-ci s'installe à Paris pour y étudier le dessin et faire carrière. Mais c'est en Anjou qu'il se fixe, vers 1875. Il y prospéra, ouvrant une succursale à Paris et New-York.





















Cet artiste de qualité est par ailleurs représenté dans l'église de Guémené par des oeuvres commandées par les famille de Becdelièvre et Dubourg (voir les premiers articles de la série "Vitraux et merveilles").

Le commanditaire du vitrail de la sacristie m'est inconnu. Il s'agit probablement d'un dominicain (jusque là tout va bien). On peut penser qu'il provenait d'une famille noble locale ce dont pourrait témoigner la couronne comtale qui domine le blason. Mystère...


dimanche 6 mars 2016

Tabernacle !


Faisons une pause dans les biographies héroïques pour aller porter nos pieds vers Guénouvry et plus exactement son église, aujourd'hui fermée pour travaux.

Guénouvry est une succursale, une section de Guémené, située à l'est et au sud-est du territoire communal.

Longtemps, cette partie éloignée du bourg de Guémené n'avait d'autre lieu de culte que la chapelle frairiale de Saint-Georges, un des douze villages en dehors du bourg de Guénouvry, reste d'un antique prieuré. 

Cette chapelle dont on a déjà parlé sur ce blog, est aujourd'hui inscrite à l'inventaire supplémentaire des Monuments Historiques même si elle offre, plantée au milieu des choux, un air un peu piteux et abandonné.

Dans le grand mouvement de reconquête des âmes qui agita le premier XIXème siècle post-révolutionnaire, bien des églises furent reconstruites ou transformées, dans la région.

Ainsi, la création de la paroisse de Guénouvry et l'érection de l'église Saint-Clair (une nef avec transept), ont lieu de 1840 à 1846 (ordonnance royale). L'église a été restaurée au XXème siècle.

Les curés qui s'y succédèrent jusqu’à la Guerre de 14 avaient nom :


1846 - 1847 : Léobin ARLAIS, né à Saint-Lumine-de-Coutais en 1804, mort en 1872 ;

1847 - 1859 : Prosper MERLAUD, né à Nantes en 1807, mort en 1889 ;

1859 - 1861 : Pierre CHELET, né à Saillé en 1816, mort en 1870 ;

1861 - 1872 : Joseph MICHENAUD, né à Remouillé en 1816, mort en 1875 ;

1872 - 1889 : Jean-Mathurin BIROT, né au Louroux en 1826, mort en 1891 ;

1889 - 1891 : Noël LE CARRE, né à Quintin en 1844 ;

1891 - 1917 : Jacques DUGAST, né à Vieillevigne en 1843.

Une petite incidente pour le premier des ces saints hommes qui, non content de naître dans un pays au nom compliqué, se trouve de surcroît affublé d'un blase peu commun ;  Léobin, lait au bain, laid aubain, larbin, etc... 

En réalité, les deux se tiennent. Le nom de Saint-Lumine-de-Coutais, commune au sud de Nantes, vient de Saint Lumine, c'est-à-dire Lubin de Chartres ou Lupin ou encore Léobin (nous y voilà), l’un des évangélisateurs du Pays de Retz, autrement dit de la région.


L'extérieur

Les cartes postales anciennes montre l'église telle qu'elle était soixante ans environ après son édification. Une petite église sans prétention (contrairement à celle de Guémené, plus récente et complètement délirante), plutôt petite et de guingois (on a l'impression qu'elle part vers la droite, comme si elle avait mal au dos) et peu lumineuse (on remarque le petit oculus entre le portail et la croix sculptée juste au début du clocher). Sa façade commence déjà à se décrépir.






















L'intérieur

Sans doute ce bourg rural n'était pas riche. Peu de mobilier et peu de vitraux pour rehausser l'éclat de la petite église.

Il y a bien deux ou trois groupes de familles qui se sont cotisés pour offrir quelques vitraux fadasses : les Mathelier - Amossé - Morel, ou les Audrain - Château ou bien encore les Motreuil - Marbac - Jaunasse, illustres inconnus dont rien ne permet de dire plus que ce que les vitraux nous en disent.























Il y a bien encore l'emplacement de l'ancien baptistère, un recoin à gauche de l'entrée principale du bâtiment dont on note la grille de fer forgé représentant en son centre un coeur cerné d'une guirlande d'où partent des rayons de lumière.
















Sur le sol de ciment, à peine visible, se dessine une croix piétinée et poussiéreuse. Symétriquement, juste en face, sur le sol du renfoncement où se trouve l'échelle qui permet d'accéder au clocher, on découvre une sorte de grand calice aux traits très simplifiés.






















L'objet le plus intéressant qu'on rencontre dans cette église de Guénouvry est sans conteste l'autel qui semble dater des débuts de l'édifice. Un autel à l'ancienne par conséquent, qu'on a laissé malgré Vatican II et ses changements liturgiques.

Nu pour cause de travaux, cet ouvrage polychrome est disposé devant un choeur dont le mur est couvert de boiseries.

L'autel est surmonté d'un tabernacle.

La table par elle-même est trapézoïdale, comme souvent, et présente des effets de marbre. 
















Au milieu de la partie qui fait face à la nef, à la verticale du tabernacle, on remarque un médaillon de teinte claire. 

On y a représenté un agneau à grosse laine bouclée couché sur une croix, autrement dit un "agnus dei". Il entrouvre un œil comme si on venait de le réveiller d'un long somme que rien n'est plus venu troubler depuis longtemps.
















Le tabernacle figure un temple antique richement décoré. Comme le bâtiment antique, il possède colonnettes (noires) et fronton. Les colonnettes reposent sur un socle décoré et le fronton comporte un petit triangle rouge divin à peine visible. Des sortes de trophées longilignes de couleur cuivrée en décorent les côtés.
























La partie la plus ouvragée de ce tabernacle est sans conteste la porte côté nef, côté public. On y voit un pélican blanc aux ailes dorées qui se fouaille le corps de son long bec : symbole du Christ, il nourrit de son sang (on voit une tache rouge sur son flanc, près du bout de son bec) et de sa chair ses trois petits qui sont réunis dans un nid tout bleu.  

Juste au-dessus de cette touchante scène familiale et symbolique, veille l'œil de la Providence ou « œil omniscient », œil encadré dans la forme d'un triangle rouge, entouré par des rayons de lumière dorés. Comme on sait, il s'agit de la représentation de l'œil de Dieu exerçant sa surveillance sur l'Humanité...Big Brother, déjà...

Au-dessus de cette porte, une triplette d'angelots grotesques, joufflus et roses semblent sortir du sauna. Ils s'ébattent dans un nuage de vapeur bleu d'où s’irradient des rais de lumière d'or.

De l'autre côté du tabernacle, côté choeur, la décoration est plus sobre (personne pour regarder, normalement). On appréciera cependant la petite porte blanche représentant un calice posé sur un nuage.

























Enfin, on notera en sortant et pour finir en musique, l'harmonium de la maison Alexandre Père & Fils. Cet établissement a fourni du milieu du XIXème siècle jusqu'au milieu du siècle suivant des harmoniums de qualité qui étaient fabriqués en région parisienne.