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dimanche 10 juin 2012

"Guémené-Penfao, Texas" ou "La ruée vers l'Ouest-Eclair"



S’il est un sujet qui me touche en tant que citoyen et en tant que hyonnaisien, c’est bien le pétrole. En effet, au prix actuel des carburants, ce serait quand même bien sympa de disposer d’un puits bien à soi et puis ce serait bien pour la commune.

Or, il se trouve que Guémené, et plus particulièrement la Hyonnais, ont défrayé la chronique à ce sujet.

C’est même une longue histoire, et célèbre, si tant est que se trouver dans le journal est LE signe de la célébrité. Toujours est-il que l’on relève au cours du XXè siècle (siècle du pétrole s’il en est) de nombreux articles à ce sujet, dans la presse régionale, c’est-à-dire dans Ouest-France et son ancêtre, Ouest-Eclair.

Dans ce premier post, je me concentrerai sur les archives de Ouest-Eclair, édition de Nantes.

Les recherches locales d'hydrocarbures ont débuté à la fin de la guerre de 14. Un article très général, encyclopédique et didactique, intitulé "Le pétrole", à la « une » de Ouest-Eclair du 6 juillet 1920 s’en fait l’écho en passant en revue les territoires français susceptibles de recéler des gisements.

Ainsi, en dehors du versant est des Vosges et l’Atlas Algérien et Marocain ; des versants du Jura, du versant français des Alpes, de l’auvergne ; de diverses localités des Landes, des Pyrénées, de Limagne ; le journal enchaîne sur une autre possibilité de localisation, plus dans son « scope » de préoccupation régionale :

« En Bretagne, tout près de nous, à Guémené-Penfao, où des suintements d’huile minérale furent constatés à la Hyonnais. Des sondages seraient même, dit-on, en préparation dans cette localité. »


Un autre article de ce même périodique en date du 12 juin 1923 revient sur le sujet en évoquant les recherches de techniciens de la prospection pétrolière, dont Monsieur Otlet, à Guémené-Penfao.

Ces braves techniciens sont « ... plus que jamais persuadés de la présence exploitable dans le sous-sol où, chacun….exécute en ce moment-ci des travaux de forage…que les milieux officiels ont accueilli avec scepticisme et par conséquent indifférence. » 

Bref, c’est pas gagné.

Mais c’est en pleine guerre de 40 – et sans doute en pleine période de pénuries de toutes sortes -, que le journal est le plus disert sur la question. Ainsi dans l’édition du 26 mars 1941 peut-on lire :

« Il doit y avoir du pétrole en Loire-Inférieure ». Après avoir passé en revue plusieurs sites où sont menées des recherches plus ou moins heureuses, dont Guémené, on apprend que les prospecteurs, de guerre lasse si j’ose dire, ont décidé de lever le pieds pour se rabattre sur la prospection de l’étain à Piriac…

Toutefois, les articles les plus intéressants sont publiés la veille et l’avant-veille, sous la plume d’un certain Paul Bécavin. Ils racontent de façon circonstanciée et sérieusement toute l’histoire.

« …Pendant plus de dix ans, le Service des Mines a été appelé à suivre les trois expériences les plus intéressantes qui se soient présentées à Arton-en-Retz, à Guémené-Penfao et à Rieux près de Redon. Jamais il n’a pu constater officiellement le moindre phénomène, tout comme jamais il n’a pu assister à la découverte de la plus petite nappe pétrolifère. »

Un peu plus loin, l’article se concentre sur Guémené, dans un paragraphe intitulé savoureusement : « A Guémené-Penfao où l’on découvrait des pommes cuites (sic) dans les pommiers » et qui aurait pu s’intituler « Pétrole contre pourriture » :

« M. Calvez [ingénieur en chef du service des Mines de l’époque] nous a permis de consulter les très volumineux dossiers constitués par ses services…Nous allons tout d’abord passer brièvement en revue ceux qui ont eu pour théâtre la région de Guémené-Penfao.»

Et l’article de poursuivre :

« C’est une institutrice du pays qui, la première, eut l’idée de faire effectuer des sondages et elle y consacra une  partie de sa fortune personnelle. Voilà les phénomènes qu’elle y avait principalement constatés : au cours de l’hiver 1915-1916, au village de la Huguonnais [La Hyonnais !], une nappe d’eau, jaillie du sol, se forma dans la cuisine d’une maison. Or, à la surface de l’eau, on remarque une épaisse couche d’une huile à odeur pétrolifère.

Un prélèvement de la couche d’huile est opéré et ce liquide, mis dans des lampes, brûla avec un léger crépitement, tout en carbonisant la mèche au fur et à mesure. On en déduisit qu’il s’agissait de pétrole à l’état brut. On fit d’autres expériences et l’on remarqua que des brins de jonc ou d’herbe quelconque trempés dans le liquide en question, s’enflammaient au contact d’une allumette.

L’institutrice, témoin de ces faits, procéda à des expériences personnelles. Elle creusa une dizaine de petits puits peu profonds qui, au cours de l’année 1916, puis en particulier pendant l’hiver 1916-1917, se remplirent maintes fois d’eau à la surface de laquelle se formait toujours une couche d’huile à odeur pétrolifère.

En février et mars 1917, aux jours de pluie, de l’eau, avec une couche de "pétrole", apparaissait dans n’importe quel petit trou, au village de Saint-Joseph-du-Frétais.

En août 1920, M. Nail, ancien garde des sceaux, fit forer un puits de 20 mètres de profondeur dans ce village sous la direction d’un géologue notoirement connu, M. de Camas. Celui-ci affirma, à dix mètres de profondeur, avoir traversé une couche de roche dégageant une odeur pétrolifère très caractérisée. M. le sénateur Brard, puis M. le ministre Laurent-Eynac, alors sous secrétaire aux essences, s’intéressèrent à la question d’une exploitation possible de pétrole dans la région de Guémené-Penfao.

Mais c’est en 1922 que le phénomène le plus curieux fut observé par l’institutrice et d’autres témoins : dans un champ où le « pétrole » avait affleuré au cours de l’hiver 1917-1918, on constata que des pommiers après avoir eu beaucoup de fleurs, ce qui permettait d’augurer une étonnante récolte de pommes, avaient eu toutes leurs feuilles brûlées, à tel point qu’elles se réduisaient en poussière au contact des doigts. Quant aux pommes, elles étaient molles et avait l’aspect intérieur comme extérieur de fruits qui auraient été bouillis à l’eau (sic). »


La suite de l’article montre à quel point cette institutrice avait une démarche rationnelle et à quel point aussi « l’avis » d’un technicien a pu l’encourager à persévérer dans sa quête. Le paragraphe de l’article s’intitule : « L’opinion d’un géologue » :

« L’institutrice de Guémené-Penfao n’hésita pas, après avoir remarqué ces phénomènes, à faire appel à un ingénieur géologue : M. Henri Otlet, réputé par ses travaux dans les principaux centres pétrolifères d’Europe. Ce dernier se livra à maintes observations et études qui lui permirent de présenter en août 1922 un très long rapport dont voici les points principaux :

 …j’ai la conviction que Guémené se trouve dans des conditions de premier ordre, comme point d’attaque et que les résultats en doivent être remarquables dès le début.

A Guémené-Penfao, l’existence du pétrole ne peut faire de doutes, et pour causes. En effet, chaque fois que se produisent le moindre plissement, le moindre dérangement, la moindre faille souterraine dans le massif solide et de base silurienne, l’effet s’en répercute par un tassement identique dans le dépôt d’origine pétrolifère qui le recouvre ; des déplacements de terrain se produisent, occasionnant des compressions dans les poches et le liquide ou les gaz déplacés s’y précipitent, arrivant vers un horizon supérieur (migration de pétrole) et allant même jusqu’à la surface du sol (phénomène de Guémené, observés en mai 1914, août  et 1919).

Ces manifestations ne sont pas constantes, elles ne se produisent que par périodes et, le calme revenu, tout rentre dans l’ordre jusqu’à une nouvelle épreuve. Cependant de telles manifestations prouvent l’existence de gisements pétrolifères. Celles de Guémené constituent donc une démonstration évidente. »


Le lendemain 25 mars 1941, l’article se poursuit dans Ouest-Eclair avec une affirmation péremptoire :  « Le pétrole recueilli à Guémené était de très bonne qualité ». Il narre les éléments de preuve rassemblés par un technicien. Ce paragraphe pourrait aussi bien s’intituler « Contes et légendes » :

« Voici les précisions données par l’ingénieur géologue sur la qualité du pétrole recueilli à Guémené en même temps que sur d’autres éléments qui lui permettaient d’affirmer l’existence du pétrole dans la région :

Au point de vue technique, la géologie se base aussi pour affirmer l’existence d’un gisement pétrolifère, sur la nature spéciale des terrains. Or, ce point est absolument acquis à Guémené par les marnes bariolées de toutes couleurs qui toutes appartiennent à l’âge tertiaire. Ces marnes sont les unes perméables, les autres imperméables. C’est entre deux couches imperméables que se trouvera le pétrole.

Je citerai quelques observations faites sur place : les unes vérifiables par elles-mêmes, les autres par indications, mais toutes présentant un véritable intérêt, car elles viennent confirmer mes conclusions :

a)       Le pétrole recueilli à Guémené est de très bonne qualité, puisque employé sans manipulation dans les lampes, il éclaire parfaitement ; c’est un pétrole jaunâtre et léger, du genre des pétroles italiens.

b)       Le Lac de Murin, qui se trouve dans la région, dégage par moment une odeur particulière, due à la présence d’acide sulfurique.

c)       Dans le village de Marsac, qui se trouve à 6 km de Guémené, et dans la direction d’Angers et, par conséquent, sur la ligne de formation pétrolifère, se trouve la fontaine « Du Feu ». On dit dans le pays qu’autrefois, cette fontaine avait émis des gaz qui s’enflammaient. Ceci confirmerait la zone de formation : les gaz seraient venus par des fissures aujourd’hui obstruées.

d)       On raconte qu’un village dénommé Coisniez, qui se trouvait dans la direction d’Angers aurait été englouti. Ceci confirmerait encore mes observations sur les tassements qui se produisent dans les terrains gypso-salins surtout et déterminent des cavités et des effondrements sur la zone.

e)       Les suintements pétrolifères se retrouvent dans toute la région de Frangeuil, à la Hignonnais, à la Vieille-Cour et toujours dans la direction de Guémené-Angers.

f)        Il y a à Massérac, limite probable du bassin, un filon de quartz qui dégage au marteau une odeur fétide indiquant le voisinage d’éléments pétrolifères. Les quartz sont souvent les témoins latéraux de l’existence des gisements.

g)       Il y a dans les eaux minérales de Redon, des sels qui constituent une indication de la zone pétrolifère.

Ces observations concourent à confirmer l’existence du pétrole dans le sous-sol du canton de Guémené. »


L’article revient ensuite sur un autre rapport technique et sur l’histoire de Melle Rolland à qui sa confiance en la science et ses servants allait coûter des sous. On appréciera, au passage, le pittoresque du sondage de 1917, dans une cuisine :

« Des travaux de sondage, en trois endroits, furent opérés en Guémené-Penfao….En 1923, un autre ingénieur des Mines, M. Thibault, présenta un rapport qui permit à l’institutrice de Guémené-penfao, Melle Rolland, d’obtenir du Ministère intéressé, un « permis de recherche exclusif », le seul qui fut d’ailleurs délivré dans le département pour travaux pétrolifères.

Envisagé en 1915, la présence de pétrole fut donc observée par des suintements divers, dans la région, en 1916. Le 25 janvier 1917, le sous-ingénieur des Mines Bolo, dans un trou creusé sous l’évier de la cuisine d’une maison de Guémené, constata des suintements chargés d’huile minérale, après quoi Melle Rolland entreprit des recherches personnelles qui lui permirent de découvrir des traces d’hydrocarbures.

En 1921, le Commissariat général des Essences et Pétroles, averti, avait envisagé des recherches à petite profondeur, effectuées sous la surveillance du Service des Mines, mais faute de crédits suffisants, il avait dû abandonner.

Au cours de sondages effectués au village de la Taupinière, en présence de M. Bourcy, aujourd’hui ingénieur en chef  de la ville de Nantes, après que les « bones » de sondages aient révélé une odeur fétide, nettement caractérisée de pétrole, on avait dû, pour dégager un outil coincé dans la roche, à une profondeur appréciable, employer la cheddite.

La décharge provoqua une explosion avec dégagement de gaz qui s’enflammèrent à la sortie, c’est-à-dire à l’orifice du trou de sonde et qui brûlèrent pendant 20 minutes consécutives. Le même incident se produisit deux jours de suite.

C’est ce qui permit à M. Thibault de conclure :

Les indices observés ne sont pas suffisants pour permettre d’affirmer avec certitude l’existence d’un gisement d’hydrocarbures, mais toutefois, d’après les données géologiques que l’on possède sur la région, il n’est pas impossible qu’un tel gisement existe et l’on peut dire que l’anticlinal de Guémené-penfao est particulièrement désigné pour des recherches. »


S’ensuit l’historique des travaux de sondage, improductifs, qui font l’épilogue triste de ce rêve pétrolier :

« En 1922, les premiers travaux effectués sous le contrôle de M. l’ingénieur en chef Calvez commencèrent au village de la Taupinière, et le sondage atteignit 40 mètres.

En 1923, alors que la sonde était rendue à 65 mètres, on constata des dégagements de gaz à odeur d’hydrogène sulfuré. On atteignit 102 mètres, puis 106 mètres de profondeur, sans aucun résultat.

L’année suivante, les travaux ayant été arrêtés dans le village précité, les sondeurs se mirent à l’ouvrage dans le hameau de Bécot, à proximité de la route de Conquereuil, pour atteindre 45 mètres et stopper là, avant de reprendre le sondage de la Taupinière jusqu’à 121 mètres de profondeur, sans résultat.

En décembre 1925, un 3e sondage fut effectué au village du Vivier-Noir, où l’on atteint 94 mètres 10 en juillet 1926, 97 mètres en octobre, 100 mètres en novembre et 110 mètres 50 en janvier 1927. Quelques mois plus tard, un procès met aux prises les prospecteurs et les sondeurs, si bien qu’au mois de mai, on décida d’aller au village de la Hignonnais creuser un puits d’un mètre sur un mètre. En juin, le puits étant profond de 11 mètres et aucun résultat appréciable n’ayant été enregistré, les travaux en restèrent là. »


Voilà pour le sérieux : celui de Melle Rolland, celui du journalisme. Mais je vais revenir dans le prochain post sur cette histoire pétrolière grâce à d'autres archives....Ne quittez pas l'antenne !

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