S’il est un sujet qui me touche en tant que citoyen et en
tant que hyonnaisien, c’est bien le pétrole. En effet, au prix actuel des
carburants, ce serait quand même bien sympa de disposer d’un puits bien à soi
et puis ce serait bien pour la commune.
Or, il se trouve que Guémené, et plus particulièrement la
Hyonnais, ont défrayé la chronique à ce sujet.
C’est même une longue histoire, et célèbre, si tant est que
se trouver dans le journal est LE signe de la célébrité. Toujours est-il que
l’on relève au cours du XXè siècle (siècle du pétrole s’il en est) de nombreux
articles à ce sujet, dans la presse régionale, c’est-à-dire dans Ouest-France et son
ancêtre, Ouest-Eclair.
Dans ce premier post, je me concentrerai sur les archives de Ouest-Eclair, édition de Nantes.
Les recherches locales d'hydrocarbures ont débuté à la fin de la guerre de
14. Un article très général, encyclopédique et didactique, intitulé "Le
pétrole", à la « une » de Ouest-Eclair du 6 juillet 1920 s’en fait
l’écho en passant en revue les territoires français susceptibles de
recéler des gisements.
Ainsi, en dehors du versant est des Vosges et l’Atlas
Algérien et Marocain ; des versants du Jura, du versant français des
Alpes, de l’auvergne ; de diverses localités des Landes, des Pyrénées, de
Limagne ; le journal enchaîne sur une autre possibilité de localisation,
plus dans son « scope » de préoccupation régionale :
« En Bretagne, tout près de nous, à Guémené-Penfao, où des
suintements d’huile minérale furent constatés à la Hyonnais. Des sondages
seraient même, dit-on, en préparation dans cette localité. »
Un autre article de ce même périodique en date du 12 juin
1923 revient sur le sujet en évoquant les recherches de techniciens de la
prospection pétrolière, dont Monsieur Otlet, à Guémené-Penfao.
Ces braves techniciens sont « ... plus que jamais
persuadés de la présence exploitable dans le sous-sol où, chacun….exécute en ce
moment-ci des travaux de forage…que les milieux officiels ont accueilli avec
scepticisme et par conséquent indifférence. »
Bref, c’est pas gagné.
Mais c’est en pleine guerre de 40 – et sans doute en pleine
période de pénuries de toutes sortes -, que le journal est le plus disert sur
la question. Ainsi dans l’édition du 26 mars 1941 peut-on lire :
« Il doit y avoir du pétrole en
Loire-Inférieure ». Après avoir passé en revue plusieurs sites où sont
menées des recherches plus ou moins heureuses, dont Guémené, on apprend
que les prospecteurs, de guerre lasse si j’ose dire, ont décidé de lever le
pieds pour se rabattre sur la prospection de l’étain à Piriac…
Toutefois, les articles les plus intéressants sont publiés la
veille et l’avant-veille, sous la plume d’un certain Paul Bécavin. Ils
racontent de façon circonstanciée et sérieusement toute l’histoire.
« …Pendant plus de dix ans, le Service des Mines a été
appelé à suivre les trois expériences les plus intéressantes qui se soient
présentées à Arton-en-Retz, à Guémené-Penfao et à Rieux près de Redon. Jamais
il n’a pu constater officiellement le moindre phénomène, tout comme jamais il
n’a pu assister à la découverte de la plus petite nappe pétrolifère. »
Un peu plus loin, l’article se concentre sur Guémené, dans
un paragraphe intitulé savoureusement : « A Guémené-Penfao où l’on
découvrait des pommes cuites (sic) dans les pommiers » et qui aurait pu
s’intituler « Pétrole contre pourriture » :
« M. Calvez [ingénieur en chef du service des Mines de
l’époque] nous a permis de consulter les très volumineux dossiers constitués
par ses services…Nous allons tout d’abord passer brièvement en revue ceux qui
ont eu pour théâtre la région de Guémené-Penfao.»
Et l’article de poursuivre :
« C’est une institutrice du pays qui, la première, eut
l’idée de faire effectuer des sondages et elle y consacra une partie de sa fortune personnelle. Voilà les
phénomènes qu’elle y avait principalement constatés : au cours de l’hiver
1915-1916, au village de la Huguonnais [La Hyonnais !], une nappe d’eau,
jaillie du sol, se forma dans la cuisine d’une maison. Or, à la surface de
l’eau, on remarque une épaisse couche d’une huile à odeur pétrolifère.
Un prélèvement de la couche d’huile est opéré et ce liquide,
mis dans des lampes, brûla avec un léger crépitement, tout en carbonisant la
mèche au fur et à mesure. On en déduisit qu’il s’agissait de pétrole à l’état
brut. On fit d’autres expériences et l’on remarqua que des brins de jonc ou d’herbe
quelconque trempés dans le liquide en question, s’enflammaient au contact d’une
allumette.
L’institutrice, témoin de ces faits, procéda à des
expériences personnelles. Elle creusa une dizaine de petits puits peu profonds
qui, au cours de l’année 1916, puis en particulier pendant l’hiver 1916-1917,
se remplirent maintes fois d’eau à la surface de laquelle se formait toujours
une couche d’huile à odeur pétrolifère.
En février et mars 1917, aux jours de pluie, de l’eau, avec
une couche de "pétrole", apparaissait dans n’importe quel petit
trou, au village de Saint-Joseph-du-Frétais.
En août 1920, M. Nail, ancien garde des sceaux, fit forer un
puits de 20 mètres de profondeur dans ce village sous la direction d’un
géologue notoirement connu, M. de Camas. Celui-ci affirma, à dix mètres de
profondeur, avoir traversé une couche de roche dégageant une odeur pétrolifère
très caractérisée. M. le sénateur Brard, puis M. le ministre Laurent-Eynac,
alors sous secrétaire aux essences, s’intéressèrent à la question d’une
exploitation possible de pétrole dans la région de Guémené-Penfao.
Mais c’est en 1922 que le phénomène le plus curieux fut
observé par l’institutrice et d’autres témoins : dans un champ où le
« pétrole » avait affleuré au cours de l’hiver 1917-1918, on constata
que des pommiers après avoir eu beaucoup de fleurs, ce qui permettait d’augurer
une étonnante récolte de pommes, avaient eu toutes leurs feuilles brûlées, à
tel point qu’elles se réduisaient en poussière au contact des doigts. Quant aux
pommes, elles étaient molles et avait l’aspect intérieur comme extérieur de
fruits qui auraient été bouillis à l’eau (sic). »
La suite de l’article montre à quel point cette institutrice
avait une démarche rationnelle et à quel point aussi « l’avis » d’un technicien
a pu l’encourager à persévérer dans sa quête. Le paragraphe de l’article
s’intitule : « L’opinion d’un géologue » :
« L’institutrice de Guémené-Penfao n’hésita pas, après
avoir remarqué ces phénomènes, à faire appel à un ingénieur géologue : M.
Henri Otlet, réputé par ses travaux dans les principaux centres pétrolifères
d’Europe. Ce dernier se livra à maintes observations et études qui lui
permirent de présenter en août 1922 un très long rapport dont voici les points
principaux :
…j’ai la conviction
que Guémené se trouve dans des conditions de premier ordre, comme point
d’attaque et que les résultats en doivent être remarquables dès le début.
A Guémené-Penfao, l’existence du pétrole ne peut faire de
doutes, et pour causes. En effet, chaque fois que se produisent le moindre
plissement, le moindre dérangement, la moindre faille souterraine dans le
massif solide et de base silurienne, l’effet s’en répercute par un tassement
identique dans le dépôt d’origine pétrolifère qui le recouvre ; des déplacements
de terrain se produisent, occasionnant des compressions dans les poches et le
liquide ou les gaz déplacés s’y précipitent, arrivant vers un horizon supérieur
(migration de pétrole) et allant même jusqu’à la surface du sol (phénomène de
Guémené, observés en mai 1914, août et
1919).
Ces manifestations ne sont pas constantes, elles ne se
produisent que par périodes et, le calme revenu, tout rentre dans l’ordre
jusqu’à une nouvelle épreuve. Cependant de telles manifestations prouvent
l’existence de gisements pétrolifères. Celles de Guémené constituent donc une
démonstration évidente. »
Le lendemain 25 mars 1941, l’article se poursuit dans
Ouest-Eclair avec une affirmation péremptoire : « Le pétrole
recueilli à Guémené était de très bonne qualité ». Il narre les éléments
de preuve rassemblés par un technicien. Ce paragraphe pourrait aussi bien
s’intituler « Contes et légendes » :
« Voici les précisions données par l’ingénieur géologue
sur la qualité du pétrole recueilli à Guémené en même temps que sur d’autres
éléments qui lui permettaient d’affirmer l’existence du pétrole dans la
région :
Au point de vue technique, la géologie se base aussi pour
affirmer l’existence d’un gisement pétrolifère, sur la nature spéciale des
terrains. Or, ce point est absolument acquis à Guémené par les marnes bariolées
de toutes couleurs qui toutes appartiennent à l’âge tertiaire. Ces marnes sont
les unes perméables, les autres imperméables. C’est entre deux couches
imperméables que se trouvera le pétrole.
Je citerai quelques observations faites sur place : les
unes vérifiables par elles-mêmes, les autres par indications, mais toutes
présentant un véritable intérêt, car elles viennent confirmer mes
conclusions :
a) Le
pétrole recueilli à Guémené est de très bonne qualité, puisque employé sans
manipulation dans les lampes, il éclaire parfaitement ; c’est un pétrole
jaunâtre et léger, du genre des pétroles italiens.
b) Le
Lac de Murin, qui se trouve dans la région, dégage par moment une odeur
particulière, due à la présence d’acide sulfurique.
c) Dans
le village de Marsac, qui se trouve à 6 km de Guémené, et dans la direction
d’Angers et, par conséquent, sur la ligne de formation pétrolifère, se trouve
la fontaine « Du Feu ». On dit dans le pays qu’autrefois, cette
fontaine avait émis des gaz qui s’enflammaient. Ceci confirmerait la zone de
formation : les gaz seraient venus par des fissures aujourd’hui obstruées.
d) On
raconte qu’un village dénommé Coisniez, qui se trouvait dans la direction
d’Angers aurait été englouti. Ceci confirmerait encore mes observations sur les
tassements qui se produisent dans les terrains gypso-salins surtout et
déterminent des cavités et des effondrements sur la zone.
e) Les
suintements pétrolifères se retrouvent dans toute la région de Frangeuil, à la
Hignonnais, à la Vieille-Cour et toujours dans la direction de Guémené-Angers.
f)
Il y a à Massérac, limite probable du bassin, un filon
de quartz qui dégage au marteau une odeur fétide indiquant le voisinage
d’éléments pétrolifères. Les quartz sont souvent les témoins latéraux de
l’existence des gisements.
g) Il
y a dans les eaux minérales de Redon, des sels qui constituent une indication
de la zone pétrolifère.
Ces observations concourent à confirmer l’existence du
pétrole dans le sous-sol du canton de Guémené. »
L’article revient ensuite sur un autre rapport technique et sur
l’histoire de Melle Rolland à qui sa confiance en la science et ses
servants allait coûter des sous. On appréciera, au passage, le pittoresque du
sondage de 1917, dans une cuisine :
« Des travaux de sondage, en trois endroits, furent
opérés en Guémené-Penfao….En 1923, un autre ingénieur des Mines, M. Thibault,
présenta un rapport qui permit à l’institutrice de Guémené-penfao, Melle
Rolland, d’obtenir du Ministère intéressé, un « permis de recherche
exclusif », le seul qui fut d’ailleurs délivré dans le département pour
travaux pétrolifères.
Envisagé en 1915, la présence de pétrole fut donc observée
par des suintements divers, dans la région, en 1916. Le 25 janvier 1917, le
sous-ingénieur des Mines Bolo, dans un trou creusé sous l’évier de la cuisine
d’une maison de Guémené, constata des suintements chargés d’huile minérale,
après quoi Melle Rolland entreprit des recherches personnelles qui lui
permirent de découvrir des traces d’hydrocarbures.
En 1921, le Commissariat général des Essences et Pétroles,
averti, avait envisagé des recherches à petite profondeur, effectuées sous la
surveillance du Service des Mines, mais faute de crédits suffisants, il avait
dû abandonner.
Au cours de sondages effectués au village de la Taupinière,
en présence de M. Bourcy, aujourd’hui ingénieur en chef de la ville de Nantes, après que les
« bones » de sondages aient révélé une odeur fétide, nettement
caractérisée de pétrole, on avait dû, pour dégager un outil coincé dans la
roche, à une profondeur appréciable, employer la cheddite.
La décharge provoqua une explosion avec dégagement de gaz
qui s’enflammèrent à la sortie, c’est-à-dire à l’orifice du trou de sonde et
qui brûlèrent pendant 20 minutes consécutives. Le même incident se produisit
deux jours de suite.
C’est ce qui permit à M. Thibault de conclure :
Les indices observés ne sont pas suffisants pour permettre
d’affirmer avec certitude l’existence d’un gisement d’hydrocarbures, mais
toutefois, d’après les données géologiques que l’on possède sur la région, il
n’est pas impossible qu’un tel gisement existe et l’on peut dire que
l’anticlinal de Guémené-penfao est particulièrement désigné pour des
recherches. »
S’ensuit l’historique des travaux de sondage, improductifs,
qui font l’épilogue triste de ce rêve pétrolier :
« En 1922, les premiers travaux effectués sous le
contrôle de M. l’ingénieur en chef Calvez commencèrent au village de la
Taupinière, et le sondage atteignit 40 mètres.
En 1923, alors que la sonde était rendue à 65 mètres, on
constata des dégagements de gaz à odeur d’hydrogène sulfuré. On atteignit 102
mètres, puis 106 mètres de profondeur, sans aucun résultat.
L’année suivante, les travaux ayant été arrêtés dans le
village précité, les sondeurs se mirent à l’ouvrage dans le hameau de Bécot, à
proximité de la route de Conquereuil, pour atteindre 45 mètres et stopper là,
avant de reprendre le sondage de la Taupinière jusqu’à 121 mètres de
profondeur, sans résultat.
En décembre 1925, un 3e sondage fut effectué au
village du Vivier-Noir, où l’on atteint 94 mètres 10 en juillet 1926, 97 mètres
en octobre, 100 mètres en novembre et 110 mètres 50 en janvier 1927. Quelques
mois plus tard, un procès met aux prises les prospecteurs et les sondeurs, si
bien qu’au mois de mai, on décida d’aller au village de la Hignonnais creuser
un puits d’un mètre sur un mètre. En juin, le puits étant profond de 11 mètres
et aucun résultat appréciable n’ayant été enregistré, les travaux en restèrent
là. »
Voilà pour le sérieux : celui de Melle Rolland, celui du journalisme. Mais je vais revenir dans le prochain post sur cette histoire pétrolière grâce à d'autres archives....Ne quittez pas l'antenne !
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