samedi 15 septembre 2012
La pêche
Je sais, cela ne parlera pas forcément à tout le monde. Mais ce blog est aussi une célébration personnelle d'une mémoire de Guémené et du temps que j'y ai passé. Temps de vacances, temps de loisirs. Loisirs des années 60, des citadins en repli sur leur campagne d'origine ou d'adoption, loisirs en noir et blanc, loisirs populaires.
On ne pêche pas à Paris. En tout cas, ce n'était pas une activité de détente pratiquée par mon père, ni dans la Seine ni ailleurs. La pêche, c'était Guémené. Guémené, c'était la pêche. Forcément.
Cette association renforce dans mon esprit tout ce que la campagne signifie de liberté manuelle et de ressources, par opposition à la ville où rien n'est possible, pratiquement, et où tout doit s'acheter.
Être seul face à la rivière. Nulle part, dans un champ quelconque. La pêche, c'est aussi stationner improbablement dans un cadre qui mériterait d'ailleurs à lui seul, souvent, qu'on s'y arrête (mais on ne le fait jamais !)
Attraper des sauterelles. Creuser la terre grasse pour saisir à main nue des vers de terre. Acheter un pot d'asticots. Quoi, également, de moins citadin ? La pêche renverse l'ordre des choses, c'est le carnaval sans le bruit.
J'ai toujours aimé les couleurs des flotteurs. Leur forme aussi, parfois bombée. A force de les regarder posés sur l'eau noire, on croit les voir danser et si l'on espère d'abord quelque prise, on renonce bientôt à croire au miracle, hypnotisé à force de les fixer. Des petits cercles d'eau s'en écartent sans raison. Un plongeon, une touche ? Rien.
Autant j'ai le souvenir que l'on ne pouvait pas passer un été à Guémené sans aller pêcher, autant je n'ai aucun souvenir des pêches réalisées, ni les miennes ni celles de mon père. Sans doute pas grand-chose.
Je me rappelle mieux les cannes fixées avec deux tendeurs au cadre du vélo. Le scion si fin, la rondelle de caoutchouc qu'on y enfilait. La difficulté à démonter la canne. L'hameçon dans la peau des doigts.
Mais à la pêche aux souvenirs, il reste tout de même des photos.
Je ne ferais pas de commentaires humoristiques sur la photo ci-dessus. Je n'ai pas l'humeur. Et puis c'est vrai que mon père, avec son allure de voyou des barrières, mégot en coin, à l'air de pisser. C'est 1957, le temps des barboteuses et des couvertures à carreaux pour le pique-nique .
Cette photo-ci date de 1962 ou 1963 peut-être, si j'en juge par l'âge possible de ma cousine à l'arrière-plan. Elle n'est pas mal (la photo, pas ma cousine). Il y a quelque chose "d'instantané" dans la pose de mon père. Quelque chose du sud aussi, une forme de désinvolture qui corrigeait un peu son âge, à mes yeux (je n'ai jamais su son âge exact à ce moment-là !).
Je me dis que la photo a été prise dans un lieu que j'associe à jamais à ma geste guémenoise et infantile, un endroit où nous allions souvent : vers la Vallée, quand en descendant le chemin, celui-ci fait en bas un coude à droite. On passait à gauche avant la passerelle, un gué et on arrivait dans ce champ. Lassés par l'immobile et vaine action de pêcher, on finissait dans l'eau du Don avec les vaches, souvent, qui s'y désaltéraient. J'en revois. J'aimais les pierres rouges et bleues qui peuplent le lit de cette rivière.
Que dire du Pont de la Rondelle ? Dans le chemin de croix du souvenir appelé à disparaître un jour avec moi, c'est sans doute une station importante. De la photo, il ne reste que le pont et l'appareil photo Kodak, tout petit, en bas au centre. Cet appareil posé là me fait penser irrésistiblement aux crânes représentés au pied des personnages des tableaux de la Renaissance figurant le Golgotha. Tous vont mourir. Vanité.
On ne sait pas si c'est le matin où le soir ; si l'on arrive ou si l'on part : la canne à pêche est pliée sur l'épaule, tenue comme un sceptre ou un faisceau de licteur par celui dont la figure domine la scène. Ma grand-mère et mes tantes sont à ses pieds. Je crois que ces gens-là s'aimaient bien.
Enfin, c'est l'Arc de Triomphe ! La même arche que dans le cliché précédent, mais de l'autre côté du pont (on peut s'en aviser en comparant les tâches d'humidité blanchâtres sous la voûte). Quelle drôle de touche a mon père, âgé, bonhomme, fier et mal fagoté. On a l'air d'être dimanche (le costume pour lui, les vêtements blancs pour moi). Comment a-t-on pu échouer là ?
A cet endroit précis, je me suis toujours demandé où l'eau s'en allait. Le pont à l'air de la fixer et rien n'existe plus en amont ou en aval. Le Pont de la Rondelle absorbe le Don. Et sous le Pont de la Rondelle une anguille noire et visqueuse sinuait, comme le génie du lieu, qu'il arrivait que l'on pêche.
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