Je viens de lire Pourquoi
m’as-tu abandonné ?, seconde lecture d'une oeuvre de la fratrie Cochetel, à savoir un roman de
Léandre junior cette fois, après celui de sa sœur, Michelle Delpérier, dont j’ai
parlé dans un post récent.
Avec cette dernière, on découvrait l’expérience douloureuse
d’une petite fille de Guémené, boiteuse, envoyée pour se faire opérer et
soigner au Centre de Pen Bron, à la Turballe, à l’extrémité de la plage qui
part du port de cette localité jusqu’au Traict du Croisic (merci ami du blog
pour m’avoir fourni cette localisation). Plongée déprimante dans un univers de martyrs
et de cauchemars d'enfants.
Avec le livre de Léandre, on change de registre, tout en
demeurant dans le genre autobiographique. Il s’agit d’un long monologue
romanesque avec Dieu pour seul témoin et accusé, où s’entremêlent les souvenirs
douloureux de la guerre d’Indochine, où servit l’auteur, avec ceux, non moins pénibles, de son enfance à
Guémené rue de l’Epée (la rue des fous, selon le romancier),
ponctués des violences conjugales d’un père qu’il peine à haïr, et des traits pathétiques
de la mère qu’il n’arrive visiblement pas à aimer complètement.
D’autres réminiscences tristes s’ajoutent au contrepoint
français du drame militaire d’Extrême-Orient : l’amour perdu d’une mystérieuse
Madeleine, les humiliations du collège à Nantes, évocations fugitives de
déceptions qui s’ajoutent aux peines liées aux scènes de ménage subies.
le roman décrit la vie de militaire du jeune
héros en différentes parties du Vietnam où il est affecté. Il y a quelque chose
de Bardamu, le héros du Voyage au bout de la nuit de Céline,
dans ce « héros guerrier» qui traverse le monde moite des tropiques,
des rizières ; le monde moite de la prostitution généralisée et des trafics
de toutes sortes ; le monde moite de la peur et de la mort.
Le jeune militaire ne vient en Indochine pour aucune cause civilisatrice
ou politique, et il prend la vie et l’amour comme ils se présentent. La mort
aussi.
L’un des épisodes les plus forts se trouve à mon avis dans
la première partie de l’ouvrage. Membre d’un commando de bagnards volontaires
pour une mission dangereuse, le jeune Léandre est capturé par le Vietminh
avec plusieurs camarades. S’ensuit une marche dans la jungle humide, nu, et un
court séjour dans un village autochtone où ses camarades meurent bientôt,
brutalisés, épuisés, torturés. Lui seul réussit à s’enfuir par le fleuve qui le
ramènera à Hanoi. Le prix de cette évasion sera fait de haine et d’amour, de
repentir aussi.
Quelques pauses d’apaisement, parfois, dans une rencontre,
tels ces moines (des nonnes, en fait) bouddhistes à qui il va apprendre le français, un temps ; l'une d'entre elles avec qui il entretient une liaison sans lendemain, bien sûr ;
des enfants aussi, parfois emplis de traîtrise.
La dernière partie réserve encore des morceaux de bravoure, à travers deux scènes hallucinées où s'exprime un vrai talent littéraire.
Par une nuit sans lune, le père et le fils reviennent de bordée, fin saoul de cidre à l'éther. Sous un Christ de calvaire abreuvé de crachats, le père dans le fossé et dans son vomi, surgissent de la nuit la Grande Jeanne et sa petite-fille. Passe la vielle souillon vociférant au monde, la petit-fille marque la station avec le jeune Léandre dans des étreintes impies.
Sur le bateau qui le ramène d'Indochine avec deux cents bidasses qui pourrissent dans leurs cercueils à fond de cale, le jeune militaire écorché se bat sur le pont du bateau avec un adjudant-chef. Tandis qu'il lui serre le cou de toutes ses forces, c'est tout Guémené qu'il étrangle : les tondeurs de la Libération, les bonnes gens qui assistaient en rigolant au spectacle des danses que le père flanquait à sa mère, les "camarades" de classe qui se moquaient, etc...
La dernière partie réserve encore des morceaux de bravoure, à travers deux scènes hallucinées où s'exprime un vrai talent littéraire.
Par une nuit sans lune, le père et le fils reviennent de bordée, fin saoul de cidre à l'éther. Sous un Christ de calvaire abreuvé de crachats, le père dans le fossé et dans son vomi, surgissent de la nuit la Grande Jeanne et sa petite-fille. Passe la vielle souillon vociférant au monde, la petit-fille marque la station avec le jeune Léandre dans des étreintes impies.
Sur le bateau qui le ramène d'Indochine avec deux cents bidasses qui pourrissent dans leurs cercueils à fond de cale, le jeune militaire écorché se bat sur le pont du bateau avec un adjudant-chef. Tandis qu'il lui serre le cou de toutes ses forces, c'est tout Guémené qu'il étrangle : les tondeurs de la Libération, les bonnes gens qui assistaient en rigolant au spectacle des danses que le père flanquait à sa mère, les "camarades" de classe qui se moquaient, etc...
On pense encore à Céline, celui de Normance peut-être.
Le titre du roman fait référence bien entendu aux paroles du Christ
au Golgotha. A l’évidence le Léandre Cochetel de l’époque entretenait une relation
forte avec Dieu, que ses malheurs d’enfance et de militaire semblent avoir
toutefois quelque peu ébranlée... Il y a néanmoins dans cette apostrophe comme un
dernier espoir de réponse optimiste, de sens.
Si la première partie du texte est parfois difficile à
suivre, peut-être par débordement de rage et de souffrances, le roman s’assagit sur la forme dans sa seconde partie et forme un ensemble bien plus qu'intéressant.
On le trouve parfois chez les bouquinistes du web. Bonne
lecture, à l’occasion.
Votre article me plait assez, vous avez bien su caractériser ce qui dans ce livre est l'essentiel. Peut-etre faut il souligner un peu plus cet incessant aller-retour entre ce qu'il vit en Indo et son enfance terrible... Alain Moussat, un de ses neveux.
RépondreSupprimerJe rêve de lire ce livre..introuvable !
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