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vendredi 8 février 2013

Le Paradis Perdu

Tout dans cette photo qui a plus d'un demi siècle exprime ce que pouvait être le bonheur de vivre à La Hyonnais, à Guémené. Une liberté mêlée de rites étranges où s'exprime un autre ordre moral.

Le cliché date très probablement de la même série que la photo devant le puits qui introduit ce blog : même coupe de cheveux, même "vêtement".

Ce n'était pas assurément un bonheur riche ni confortable, au sens où on l'entendait déjà en ville et où on l'entend désormais un peu partout.

Il n'y avait certes pas d'eau courante mais on se lavait librement, avec l'eau tirée du puits, dehors dans des bassines en plastique vert ou jaune, posées sur les niches à lapins. Sur le ciment de ces niches, de minuscules araignées rouges circulaient imperturbables.

Une pièce unique dédiée à tous les besoins ; l'emmêlement des bêtes et des hommes : les puces, les fourmis volantes ou pas, les mouches et le papier tue-mouches, et les araignées ; la sévère rasade de Flytox le dimanche avant de partir à la messe, les crapauds qui faisaient si peur à ma mère le soir, les vaches qui bousaient dans la cour, les pauvres lapins qui finissaient placidement les épluchures, les chiens entravés et malheureux qui gueulaient dans les cours, les chats à moitié errants, les poules bêtes comme leurs pieds sales gloussant sournoisement ou se vautrant dans un nid de poussière.

Je revois René, notre bon voisin, exécuteur bonasse des basses oeuvres du fond du village, attraper le lapin par les oreilles. Après l'avoir assommé,  le suspendre par les pattes arrières à deux clous fichés dans le linteau de bois de son cellier.

Il avait un petit couteau pliant, commun à tous les gens de la campagne, qui faisait son oeuvre. Je ne me rappelle plus les détails de l'opération. A un moment, on arrachait les yeux de la pauvre bête ; à un autre, il lui enlevait la peau comme on déchausse un pied. L'éviscération, et les chats qui se précipitaient sur les organes jetés par terre en paquet.

Et les poules pendues tête en bas, recevant au fond de la gorge un coup sec de ce petit couteau, se débattant mollement et mourant au bout un moment : nous les enfants regardions cela sans ciller.

Parlerai-je de ce jar gagné dans ces années-là à une tombola par mon père et mes oncles, à la St-Laurent à Blain ? Ils tentèrent leur chance jusqu'à pouvoir l'emporter.

Une fois à La Hyonnais, on lui coupa le cou avec une serpe sur une bille de bois dans les ruines au fond de la cour, un peu comme on exécuterait un ennemi dans quelque drame historique romantique. C'est vrai qu'il s'agitait encore après sa décapitation. Salle bête.

Et d'ailleurs, René était vraiment très gentil, dans la réalité.

La lessiveuse sur son trépied et le jet bouillant et blanc d'eau et de lessive. Son couvercle noir à la poignée rouge est posée sur le rebord de la vieille auge en pierre où plus aucun cheval ne s'abreuve depuis 15 ou 20 ans. 

Dans l'écurie à côté, Grand-mère Gustine entrepose son foin, son bois, la lourde brouette à battants amovibles, ses vieux outils pour son jardin. C'est là qu'on joue à battre le blé quand il pleut : on renverse la brouette, on fait tourner sa roue et on passe le foin sur la roue en imitant le bruit d'une machine.

Le mur de l'écurie à été crépi à l'endroit photographié d'un reste de ciment qu'il ne fallait pas perdre. La pierre d'angle, en bas, forme une sorte de siège. Plus d'un, l'été, à dû s'y reposer un peu, à l'ombre du vieux mur de pierre.

La cour est tapissée d'une végétations rabougrie et clairsemée. Il n'a pas plu depuis longtemps en ce mois d'août 1962 (peut-être).

Le pot de chambre était évidemment un élément incontournable du décor local. Dessus, on y vide le corps et l'esprit. Je regarde sur ma gauche vers le bout du chemin qui conduit à la maison. Que réserve donc l'avenir ? Bien sûr, en fait, je ne me pose sûrement pas cette question. Le bonheur c'est naturellement de ne penser à rien.

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