Je vais convoquer la mémoire d'un facteur.
Mais avant d'en parler, je voudrais mentionner un souvenir lointain maintenant, mais direct et "merveilleux" lié à un autre facteur, celui qui faisait la tournée vers chez nous, à La Hyonnais, dans les années 60. Il s'agit de Julien Heurtel, dont je revois la haute silhouette à vélo, la sacoche de cuir épais en bandoulière, le pantalon de couleur réglementaire, en chemise (c'était en général l'été), la casquette à visière vissée sur le crâne.
J'aimais tout en lui : son aspect que je viens de rappeler, son visage qui riait à l'enfant que j'étais, sa façon de descendre lestement de sa bicyclette qu'il posait le long du mur de notre écurie. Ma mère qui n'est jamais rentrée dans un café et qui méprise les gens qui boivent, porte un regard différent sur cet escogriffe qui, selon la tradition, ne manquait pas d'accepter une chopine dans les maisons où il s'arrêtait. Mais cela ne change rien à mon sentiment pour lui.
J'aimais bien sûr sa venue car elle était synonyme d'un courrier de mon père qui m'écrivait (parfois à la machine à écrire) des cartes postales fantaisie truffées d'histoires fantaisistes et de conseils de vigilance pour ma tante qui veillait sur moi à Guémené. Il les signait souvent de noms grotesques. Ces cartes arrivaient quasiment tous les jours de notre séparation pour les vacances ! J'ai conservé et classé ces cartes : il y en a des dizaines et des dizaines, et la série s'arrête hélas trop tôt.
J'imagine aussi que Louis Janvier, facteur "local" au bourg de Guémené, né le 6 août 1884 à Bellevue du côté du bois de Juzet, entretint aussi des relations amicales avec les habitants du bourg.
Il était le fils de Julien Janvier, lui-même facteur "local" à Guémené, et de Françoise Fossé, tailleuse d'habits.
Il se maria à Guémené le 22 septembre 1908 avec Céline Fricaud né en 1890 à Guémené également, dont le père était tailleur...de pierres et la mère tailleuse...d'habits. Ils auront deux enfants, Henri né en 1912 qui, semble-t-il, fit une carrière dans l'armée, et Pierre, né en 1919 qui quitta Guémené.
Le jeune père de famille partit à la guerre et en revint avec un bras en moins (d'après ma mère) / entier (d'après la famille), et une citation à l'ordre de sa Division, en date du 18 juillet 1918, que je vous livre :
" M. Janvier (Louis), facteur local à Guémené-Penfao, sergent au 36e régiment d'infanterie, 5e compagnie :
Très bon sous-officier. A fait preuve pendant la journée du 9 juillet du plus grand sang-froid et d'un grand courage. Chef de poste de surveillance d'une barricade ennemie, s'est maintenu sous un feu violent de mitrailleuses, pendant toute la journée de l'attaque, dans une situation très critique, accroché au terrain et défendant notre position. Le soir, s'est élancé avec sa demi-section à l'assaut d'un chemin creux atteignant brillamment l'objectif fixé. "
Une brochure anonyme de 1920, consacrée à l'histoire du 36e régiment d'infanterie, permet d'éclairer le destin militaire du facteur Janvier et en particulier son jour de gloire précité, le 9 juillet 1918.
Une brochure anonyme de 1920, consacrée à l'histoire du 36e régiment d'infanterie, permet d'éclairer le destin militaire du facteur Janvier et en particulier son jour de gloire précité, le 9 juillet 1918.
Ce régiment comprenait surtout des normands et des parisiens et il se mobilisa à Caen "au milieu de l’enthousiasme général".
Il gagna la Belgique et y connut le sort commun de beaucoup de régiments : le repli. On le retrouve à l'été 1918 dans l'Oise. Il s'agit alors d'endiguer une offensive allemande qui menace Compiègne. Les troupes françaises sont disposées le long d'une rivière, l'Aronde, à quelques kilomètres au Nord de Compiègne.
Il gagna la Belgique et y connut le sort commun de beaucoup de régiments : le repli. On le retrouve à l'été 1918 dans l'Oise. Il s'agit alors d'endiguer une offensive allemande qui menace Compiègne. Les troupes françaises sont disposées le long d'une rivière, l'Aronde, à quelques kilomètres au Nord de Compiègne.
Laissons la parole à l'anonyme historien du 36e RI dont on appréciera l'humour (involontaire) au 36e degré (j'ai souligné les passages dont le style et/ou le fond me donnent un peu à penser...) :
" Les marais de l’Aronde nous rappellent ceux de l’Ailette, et l’on ne craint pas de se mouiller les pieds pour tendre les réseaux de fils de fer barbelé.
Le 9 juillet, une attaque d’ensemble se déclenche sur tout le front de la Division ayant pour but de nettoyer la Ferme Porte et la Ferme des Loges de tous les ennemis qui les occupent. [...]
" Les marais de l’Aronde nous rappellent ceux de l’Ailette, et l’on ne craint pas de se mouiller les pieds pour tendre les réseaux de fils de fer barbelé.
Le 9 juillet, une attaque d’ensemble se déclenche sur tout le front de la Division ayant pour but de nettoyer la Ferme Porte et la Ferme des Loges de tous les ennemis qui les occupent. [...]
C’est la première opération que nous faisons avec tous les engins perfectionnés de la guerre moderne : tanks, lance-flammes, grenades incendiaires.
Le 36e est à droite, ayant pour objectif la Ferme des Loges et le chemin creux qui descend vers Antheuil. Le chemin creux et la ferme sont enlevés d’un bond par le 3e bataillon et la 6e compagnie [...]. Les lance-flammes font merveille. La garnison, bloquée dans les caves, grille presque toute entière. On n’a pas compté moins de 28 ennemis brûlés ; les autres sont fait prisonniers. [...]
Un nid de mitrailleuses à la droite de la Ferme résiste, mais sera enlevé en fin de journée grâce à la ténacité superbe de la section MALHERBE de la compagnie SIRVEN et à la volonté de vaincre à tout prix de la compagnie AMESLAND. "
Ah, que la guerre est belle et facile...
Pendant ses tournées dans le bourg, Louis Janvier avait sûrement des choses à raconter de la guerre moderne, de la bataille du 9 juillet 1918, des allemands rôtis des bords de l'Aronde, et de bien d'autres cochonneries encore.
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