Pour cet article, j'ai puisé largement au mémoire de Maîtrise de Marie-Pierre Guérin consacré à la paroisse de Guémené au XIXè et au début du XXè siècle.
Pour l'Eglise en général, et celle du Diocèse de Nantes en particulier, cette période est d'abord une période de restauration après la tourmente révolutionnaire qui chamboula son empire, puis une période de combat, quand la laïcisation de la société se propage, de part et d'autre de 1900.
Pour ranimer le zèle chancelant des fidèles, les prêtres disposent de divers outils : les jubilés (où l'on gagne des remises de peine, les indulgences), les retraites et enfin les missions.
Ces événements sont comme de vastes souffles destinés à raviver les braises d'une foi incertaine : ils durent plusieurs semaines et ils sont l'occasion de voir tomber sur la paroisse une nuée de sauterelles ensoutanées qui, pendant tout ce temps, confessent, exhortent et communient à tour de bras.
Ces prêtres sont des missionnaires extérieurs à la paroisse qu'il faut bien loger quelque part. L'état de délabrement du vieux presbytère de Guémené ne permit pas, pendant longtemps, de les accueillir : la paroisse fut donc sevrée du bonheur de leur action jusqu'à la construction du nouveau presbytère, celui qu'on peut encore voir aujourd'hui et dont j'ai déjà parlé.
Mais dès que le curé Querrion (qui en fut le promoteur) eut l'assurance que le nouveau presbytère serait terminé en 1865, il sollicita une mission auprès de son évêque, laquelle s'ouvrit le 31 décembre 1865, soit trois mois après que les desservants de la paroisse de Guémené eussent pendu la crémaillère à leur nouveau logis.
Mais qui sont donc ces missionnaires ? Ceux de l'Immaculée Conception se taillèrent la part du lion, prêchant toutes les missions données dans la paroisse de Guémené depuis 1865, à l'exception de celle de 1892 prêchée, allez savoir pourquoi, par les Rédemptoristes.
La durée des missions varie : avant 1830, elle est de cinq à sept semaines. En 1862, après discussions sur la question de savoir si la mission doit durer quinze jours ou un mois, les Pères de l'Immaculée Conception optent finalement pour deux semaines.
Il ne fait pas croire que ces discussions furent pour du beurre : la position du missionnaire est fatigante et, comme le dit ma source, "les longues missions fatiguent les missionnaires même les plus robustes". Il faut comprendre...
Et puis, on doit quand même bien admettre qu'il faudrait "une population exceptionnelle et insatiable de la parole de Dieu pour suivre avec un empressement soutenu les exercices pendant un mois". Bref, comme les plus courtes sont les meilleures, après 1865 les missions sont toutes de quinze jours sauf celle de 1892 (où on en prit pour vingt-et-un jours).
Ces affaires là sont programmées entre octobre et avril, quand les agriculteurs sont moins accaparés par les travaux des champs. Pour autant, les obstacles de la mauvaise saison, tels que pluie, inondations, tempêtes, froid intense avec neige et verglas, ne rebutent pas les fidèles. Ceux-ci n'hésitent donc pas à parcourir des kilomètres par mauvais temps pour venir aux exercices, se précipiter dans les confessionnaux et participer avec ardeur aux décorations.
Le but des missionnaires est de stimuler le zèle des fidèles par le rappel des principaux dogmes chrétiens, obtenir d'eux une pratique moins routinière, plus régulière et plus active, les inciter à la confession et à la communion. Ils combattent l'impiété, l'indifférence, la tiédeur. En gros : une remise à niveau du logiciel catholique et romain dans la tête des braves gens.
Mais il faut faire attention à éviter les erreurs psychologiques : avant de commencer leur tintouin, les missionnaires s'inquiètent auprès du clergé local de la mentalité des fidèles pour adapter les thèmes de prédications de manière à les rendre plus percutants.
Toutefois, on n'est pas à l'abri de réactions défavorables au sein d'une fraction de la population. Ainsi, en 1835, quelques adversaires de la mission plantèrent un drapeau tricolore sur le clocher (de l'ancienne église, actuelle Place Simon). Pour la retraite de 1847 le curé signale "des récalcitrants mais en petit nombre".
Pire, lors du jubilé de 1881, est organisée "une contre manifestation non avouée mais évidente... : à l'occasion du comice agricole, on affecta de faire venir de bruyants saltimbanques dont la tenue était fort mauvaise ; un banquet fut organisé, auquel on invita le préfet Herbette, René Brie, Waldeck Rousseau, gambettiste enragé, député de Rennes : politique bavarde et hostile, le soir, illumination des édifices publics...".
Mais heureusement : "Le lendemain les exercices du jubilé reprirent dans le plus grand recueillement et les saltimbanques eurent beau battre le rappel, pas une personne n'en détourna la tête".
Mais en quoi, au juste, consiste donc une mission ?
Les journées missionnaires se déroulent habituellement ainsi : messe et instruction tous les jours le matin à huit heures. Les exercices du soir commencent à six heures trente. De plus, la confession constitue un temps fort de toute mission.
Les missionnaires sont aidés par le clergé local mais également par des prêtres venus des alentours offrant leur concours pour les confessions. La mission de 1865 compte, par exemple, dix-sept confesseurs, de quoi récurer à fond les âmes noires des paysans.
Sinon, les principaux exercices comportent une prière pour les morts avec procession au cimetière (comme au premier jour de la mission de 1911), l'amende honorable (regret des fautes commises), le renouvellement des sacrements solennels.
Il peut y avoir parfois des plats spéciaux à se mettre sous la dent.
Par exemple, la consécration de la paroisse à Marie, le 18 novembre 1911. Pour ce jour exceptionnel, les paroissiens ont eu à coeur de dresser de nombreuses décorations : "sur l'autel était placée une statue de la Saint Vierge entourée de petits verres donnant la forme d'une grotte cadrant bien avec le style ogival de l'église.
Et de toute part au milieu de la verdure et des fleurs émergeaient les candélabres chargés de nombreuses bougies offertes par les paroissiens.
Toutes ces lumières resplendirent le soir quand la cloche appela la foule pour la consécration de la paroisse à la Très Sainte Vierge et pour l'offrande des couronnes. Les petits étaient à la fête".
Ou encore, une mission spécialement réservée aux enfants peut avoir lieu quelques jours auparavant l'ouverture de la grande mission : c'est le cas en 1901 (700 enfants y participent) et en 1911 (540 enfants de six à douze ans).
Pour cette dernière mission, dès le lundi 13 novembre, 380 communiants "donnèrent l'exemple et l'élan au reste de la paroisse". Et on en profite alors pour se servir des enfants pour faire pression sur les parents : les enfants "acceptèrent d'être porteurs d'une lettre écrite en leur nom" qu'ils doivent lire devant leur famille. Du coup, beaucoup d'adultes étaient présents aux exercices du soir.
Les thèmes chers aux prédicateurs sont bien sûr la conversion, la mort et le jugement dernier, l'Enfer mais ils dénoncent également les abus ou parlent de la conjoncture présente notamment en 1911 où ils traitent de l'éducation chrétienne et réfutent l'objection selon laquelle la religion a fait son temps.
La mission se termine en apothéose le dimanche : dans la matinée, a lieu une messe de communion générale à laquelle participe bon nombre de fidèles et notamment des hommes.
Le temps de grâce que représente ces descentes de curés sur la paroisse est souvent immortalisé par la plantation d'une croix ou quelque autre manifestation remarquable.
Pour la retraite de 1847, "la plantation d'une croix a clos les Saints Exercices".
Un vitrail fut placé dans l'église huit jours avant l'ouverture de la mission 1892 dédiée au Sacré-Cœur. Pour cette mission la plantation d'un calvaire eu lieu route de Derval.
En 1901, "Vingt-huit anciens marguilliers s'étaient présentés pour porter le brancard sur lequel reposait le Christ souvenir de la mission qui devait être placé en face de la chaire et qu'offrait M. le comte du Halgouët.
Pendant une heure trente, la procession se déroula à travers le bourg magnifiquement décoré et le cri de Vive Jésus, vive la Croix répété par plus de quatre mille personnes mettait un frisson à l'âme des plus indifférents.
Une fois rentrée dans l'église la Croix fut mise en place. Le Père Ménard fit pousser les acclamations à la Croix et à Jésus, et, les larmes aux yeux, fit ses adieux à cette chrétienne population et au clergé."
Le témoignage visible dans le paysage de la mission 1911 est la plantation d'un calvaire derrière l'église. Ce fut un grand moment.
Le soir, à sept heures et demi, "la mission était clôturée par une plantation de Croix près de l'école des garçons [Saint-Michel] sur un terrain appartenant à M. de Boisfleury et dépendant de la ferme des Porteaux. M. de Boisfleury donnait avec le terrain la croix magnifique mesurant 7 mètres 60. Le Christ était un don du docteur Benoist, enfin le socle de pierre était payé par la toujours humble Anne-Marie Hamel."
En moins d'un quart d'heure le Christ fut fixé à son calvaire. La bénédiction du monument fut faite par le vicaire général l'abbé Loyer, ancien vicaire de Guémené.
On ne présente plus le Docteur Benoist dont j'ai beaucoup parlé sur ce blog, et dont on ne peut s'étonner qu'il investisse dans une anatomie. Quant à la dame Hamel à laquelle il est fait allusion, née en 1860, elle était petite-fille, fille, sœur et tante de boulangers de Guémené dont la lignée exerçait encore au Bourg, dans les années 1930.
Puis une cérémonie d'adieu a lieu à l'église "beaucoup trop petite pour contenir tous les fidèles". Le Père Maindron intervient une dernière fois pour encourager sans doute les fidèles à demeurer fermes dans leur résolution.
Hélas, son sermon de trois quarts d'heure "parut un peu excessif malgré la bonne volonté de tous", selon le curé Arbeille. Ceci montre qu'il ne faut pas abuser des bonnes choses...
Et comme quoi, décidément, la prise de position du missionnaire est fatigante pour tout le monde.
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